M. ANDRÉ BIZEUL,
CHEF DU SERVICE DU CONTROLE DE L'IMMIGRATION
DE L'AÉROPORT DE ROISSY-CHARLES-DE-GAULLE
JEUDI 23 AVRIL
1998
M.
MASSON, président.-
La commission d'enquête va entendre
M. Bizeul, Chef du service du Contrôle de l'immigration de
l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. André Bizeul
prête serment).
M. LE PRÉSIDENT.-
Nous sommes en charge des conditions dans
lesquelles la mise en oeuvre de la circulaire ministérielle de
l'année dernière s'applique, et va s'appliquer surtout au terme
des délais impartis pour la régularisation d'un certain nombre
d'étrangers ; nous devons vous interroger sur le sujet.
Nous recevrons dans quelques jours le Directeur général d'Air
France, ainsi qu'un pilote, et quelques autres personnes encore, pour nous
faire une idée plus précise.
M. BALARELLO, rapporteur.-
Monsieur le Président, en ma
qualité de Rapporteur, j'ai une série de 14 questions à
vous poser.
- Pouvez-vous exposer les difficultés rencontrées pour mener
à bien l'éloignement de certains étrangers en situation
irrégulière en direction de Bamako le 28 mars dernier ?
Des actes d'obstruction à la mise en oeuvre de cet éloignement
ont été constatés. Ont-ils été le fait des
intéressés eux-mêmes, des passagers du vol en direction de
Bamako ou de tierces personnes ?
Un procès-verbal a-t-il été dressé ?
Des associations, ou groupements politiques, ont-ils ouvertement incité
à des actes d'obstruction à l'éloignement ?
Quelles procédures judiciaires ont été engagées
à la suite de ces agissements ? Sur quel fondement juridique ?
M. BIZEUL.-
L'activité d'éloignement a été
confiée à ce service, qui s'appelait la Police de l'air et des
frontières de ROISSY, en juin 1995 lorsqu'une unité nationale
d'éloignement a été créée : l'U.N.E.
Elle a été fixée à ROISSY car c'est le point de
départ le plus approprié pour la plupart des pays
étrangers où doivent retourner les reconduits.
Ce n'est qu'une des activités de ce service. Vous savez que sur un
aéroport, avec environ 1000 fonctionnaires, nous faisons toutes les
formes de police : le contrôle de l'immigration -qui est la
priorité à l'arrivée-, le contrôle de l'immigration
au départ, mais aussi la sûreté aéroportuaire pour
la protection des passagers et la lutte contre d'éventuels attentats, la
sécurité publique classique, la police judiciaire -car sur un
aéroport se commettent des infractions-, la police de renseignements, et
-parce qu'il y a 50 000 employés avec toute une activité
économique et parfois des désordres sociaux- le maintien de
l'ordre public.
L'exécution des mesures de reconduite à la frontière, avec
cette unité d'éloignement, est actuellement composée de
presque 45 fonctionnaires.
C'est une petite unité installée dans la zone
aéroportuaire. Il y a 2 officiers et 3 équipes de 11
gardiens de la paix qui travaillent de 5 h 30 le matin à
24 heures. A un instant précis de la journée, cela ne
représente que 5 à 8 personnes.
Nous effectuons donc, avec cette unité, une partie des escortes de
reconduite. Le reste est effectué par les services ayant conduit
jusqu'à l'aéroport, depuis la préfecture d'origine, les
éloignés interdits du territoire ou faisant l'objet
d'arrêtés préfectoraux de reconduite à la
frontière. Nous nous partageons ces escortes.
M. LE PRÉSIDENT.-
A qui appartient la responsabilité de
cette escorte ?
M. BIZEUL.-
La responsabilité est à deux niveaux.
La préfecture d'origine est responsable de toute l'organisation jusqu'au
moment du départ. Elle organise le départ avec une autre
structure, le Bureau de l'éloignement -le BUREL- situé 26 rue
Cambacérès à PARIS 8ème au siège de la
DICCILEC. Le BUREL est en relation avec les Wagons-lits de façon
à avoir immédiatement les réservations des places d'avion
pour les reconduits et les escorteurs, ainsi que des réservations
d'hôtels lorsque les escorteurs doivent passer une nuit dans le pays
où ils ont reconduit l'éloigné.
La préfecture prend toutes les dispositions avec le BUREL pour
organiser, dans les délais de la rétention administrative, le
départ sur le vol pour la destination choisie.
Des policiers des différents départements français, ou des
gendarmes -lorsque ce sont des interdits du territoire sortant de prisons-,
arrivent dans nos services. Ils nous remettent une personne prête
à partir ainsi qu'un dossier.
Dans notre U.N.E. nous vérifions que tout est en règle : la
procédure pour éloigner la personne, le document
transfrontière, et si nous ne l'avons pas, nous allons au consulat pour
obtenir le laissez-passer consulaire. Nous vérifions que les
réservations sont bien faites avec la Compagnie, que l'avion est
prêt à partir et que le passager a ses bagages.
Nous accompagnons ensuite l'escorte jusqu'à l'intérieur de
l'avion, au moment du départ, de manière à constater le
départ ou le refus d'embarquer.
Nous sommes présents depuis l'arrivée de l'éloigné
sur la zone aéroportuaire jusqu'au moment où l'avion
décolle. Nous restons avec les policiers qui ont conduit
l'éloigné, même s'ils ne l'accompagnent pas dans son pays
de destination -ce sont parfois des personnes de ROISSY qui vont, par exemple,
à Bamako.
Si, au dernier moment, à l'intérieur de l'avion, le commandant de
bord refuse de partir avec un éloigné agité -n'offrant pas
les garanties de sécurité pour le vol-, il faut reprendre contact
avec la préfecture d'origine et le confier aux policiers qui l'avaient
conduit.
Voilà l'organisation d'une reconduite qui, en général, se
passe bien.
Lorsqu'il y a refus d'embarquer, le Tribunal de grande instance de Bobigny,
puisque l'aéroport y est rattaché, traite le refus d'embarquer.
Je dois préciser que ces policiers spécialisés à
l'U.N.E. sont des volontaires. La plupart d'entre eux est là depuis 3
ans, puisque cela a été créé le 16 juin 1995. Ils
connaissent les difficultés que présentent ces personnes au
moment de repartir. Il y a de leur part une action psychologique : ils
vont expliquer aux personnes comment ce départ doit se faire, et qu'il y
aura des conséquences judiciaires s'il n'a pas lieu. C'est une
préparation à réaliser avant de monter dans l'avion.
Le samedi 28 mars 1998, nous avons eu une opération de reconduite qui a
concerné 12 Maliens. Ils devaient partir à 15 h 30 sur
un vol d'Air Afrique.
Une vingtaine de manifestants est arrivée sur l'aéroport vers
9 h 30. Il s'agissait de l'association Jeunes contre le Racisme en
Europe : les J.R.E. Nous les avions déjà vus car ils
venaient sur l'aéroport depuis plusieurs jours.
Ils se comportaient toujours de la même façon, cherchant le
contact avec les passagers des vols à destination de Bamako. Ce sont
toujours les mêmes vols : il y a, vers 11 heures, un vol Air
France sur l'aérogare 2A. Et, selon les jours, un vol d'Air Afrique part
en début d'après-midi ou vers 15 heures. Ces manifestants se
déplacent d'une aérogare vers l'autre pour conditionner les
passagers à ne pas accepter de décoller avec des reconduits
à l'intérieur de l'avion.
Le 28 mars 1998, des fonctionnaires étaient en contact avec ces
manifestants qui demandaient aux passagers de protester, au sujet de la
présence des reconduits, auprès du personnel navigant et du
commandant de bord. Ils disaient que c'était leur devoir moral de le
faire.
Il y a eu des distributions de tracts. Nous avons pu récupérer
les tracts qu'ils distribuaient.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pouvez-vous nous en laisser une photocopie ?
Comment sont-ils informés d'un départ
d'éloignés ?
M. BIZEUL.-
Je ne le sais pas. Nous leur avons posé la question
mais ils ne l'ont pas dit.
M. LE RAPPORTEUR.-
N'avez-vous pas quelques indications ?
M. LE PRÉSIDENT.-
Avez-vous fait un rapport de cette affaire
à vos supérieurs ?
M. BIZEUL.-
Oui. Le 28 mars nous avons constaté qu'il y avait un
rapport évident entre ce conditionnement des passagers et le refus
d'embarquement de la part des reconduits.
De plus, mes fonctionnaires, témoins de ce qui se passait dans l'avion,
ont constaté l'attitude hostile et menaçante des passagers :
ils retrouvaient exactement les phrases entendues dans la zone d'enregistrement
et les termes des tracts.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le Directeur, je vous demande, au nom de la
commission, de verser le rapport fait à vos supérieurs.
M. BIZEUL.-
Ce sont des flashs d'informations transmis le 28 mars 1998.
Ils sont annotés par moi, avec des commentaires personnels.
M. LE RAPPORTEUR.-
Quelles sont vos annotations, sans vos commentaires
personnels ?
M. BIZEUL.-
Je vous fais parvenir ces documents dès cet
après-midi.
M. LE RAPPORTEUR.-
Merci Monsieur le Directeur.
M. BIZEUL.-
Nous avons alerté nos autorités en leur
demandant comment nous pourrions, avec des moyens juridiques, faire cesser tout
cela.
Nous avons eu, en début de semaine suivante, une réponse de la
Direction des libertés publiques des affaires judiciaires du
ministère de l'Intérieur, qui je crois s'était entendu
avec la chancellerie. Elle nous a fourni les textes de référence
à utiliser pour mettre fin à tout cela.
Concernant le 28 mars 1998, le commandant de bord a eu beaucoup de mal et nous
a aidés dans les altercations à l'intérieur de l'avion.
M. LE RAPPORTEUR.-
La réponse est de quelle date ?
M. BIZEUL.-
La réponse écrite de la D.L.P.A.J. est
arrivée le 2 avril 1998, mais dès le 30 mars 1998 nous avions une
réponse verbale.
A l'intérieur de ce vol la situation a
dégénéré et le commandant de bord a
décidé de faire débarquer tout le monde.
M. LE PRÉSIDENT.-
Que s'est-il passé ? S'il y a 12
Maliens qui arrivent les fait-on embarquer ?
M. BIZEUL.-
Tout à fait.
M. LE PRÉSIDENT.-
Qu'y avait-il à
l'intérieur ? Les passagers étaient embarqués ?
M. BIZEUL.-
Plusieurs faits se sont succédé. Le 28 mars
1998 les passagers ont embarqué avant.
M. LE PRÉSIDENT.-
Qui décide de l'embarquement avant des
uns ou des autres ?
M. BIZEUL.-
C'est un contact pris entre le responsable de l'embarquement
- souvent le commissaire de police pendant ces moments-là, car ce sont
des situations exceptionnelles, ou l'officier chargé des embarquements-
et le commandant de bord et son équipage, de manière à se
mettre d'accord.
Certains commandants de bord préfèrent que les passagers
embarquent et ensuite font monter les reconduits. Ce qui réussit le
mieux, le plus souvent, c'est l'inverse.
On s'entend avec l'équipage, auquel on explique qui sont les
reconduits : en effet, un reconduit faisant l'objet d'un
arrêté préfectoral de première catégorie
(c'est-à-dire une personne en situation irrégulière) aura
un comportement différent de celui d'un interdit du territoire venant de
passer plusieurs années en prison avant de retourner chez lui.
Nous n'avons pas connaissance du dossier complet, mais nous avons vu cette
personne pendant quelques heures avant le départ. Cela nous permet de
donner au commandant de bord et à son équipage le profil de la
personne. Nous pouvons indiquer si ce sera une escorte facile ou difficile, ou
s'il n'y aura pas d'escorte du tout, certaines personnes acceptant de repartir
sans escorte.
Ensuite nous nous entendons avec le commandant de bord sur le timing :
bien souvent c'est un embarquement -par l'arrière de l'avion, sur les
places arrière- une heure avant le décollage.
Les reconduits, et leur escorte, sont dans l'avion 15 ou 20 minutes avant
l'arrivée des passagers qui, eux, embarquent par l'avant.
Nous essayons de préserver un espace tampon, une centaine de places,
entre les reconduits et les autres passagers. Cela dépend toutefois du
taux de remplissage de l'avion.
Quand les reconduits ont l'intention de refuser l'embarquement, en
général ils se tiennent relativement bien jusqu'à
l'arrivée des passagers car ils n'ont comme auditeurs et interlocuteurs
que des policiers ou un équipage qui a été bien
informé. Dès que les passagers arrivent, on voit quelle attitude
ils vont adopter : ils commencent à crier, à se
débattre et à faire un appel à la solidarité ou au
soutien, notamment quand il y a beaucoup d'Africains dans l'avion.
C'est là que commence le moment difficile à gérer :
la présence avec nous du commandant de bord, ou du responsable du
personnel commercial, est importante. Suivant les équipages les
réactions sont différentes. Certains abandonnent très vite
en disant :
"La sécurité ne sera pas assurée sur
mon vol, je ne pars pas avec ces gens à bord"
. D'autres
disent :
"Nous allons vous aider à ce que force reste à
la loi",
participent avec nous aux discussions avec les passagers et les
reconduits -pour calmer tout le monde- et font partir leur avion.
La personnalité du commandant de bord, et de son équipage, est
très importante.
M. LE RAPPORTEUR.-
Air Afrique est-elle une filiale d'Air France ?
M. BIZEUL.-
Non, mais ils sont assistés par Air France pour les
tâches d'enregistrement.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ce sont toujours des vols Air Afrique ?
M. BIZEUL.-
Non. Il y a eu des vols Air France et Air Afrique. Le 28
mars dernier, c'était un vol Air Afrique, mais le 27, où nous
avions eu des difficultés, c'était un vol Air France.
M. LE PRÉSIDENT.-
Il y a eu également des incidents le 27
mars ?
M. BIZEUL.-
Oui, il y a eu des incidents les 26 et 27 mars 1998.
M. LE PRÉSIDENT.-
Les pilotes sont-ils maliens ou
français ?
M. BIZEUL.-
Le 26 mars 1998 il y avait neuf Maliens, avec dix-huit
fonctionnaires d'escorte, dans un vol d'Air Afrique à
15 h 30 ; le commandant de bord était un Français.
Il a pris la parole pour dire aux passagers que leur attitude n'était
pas admissible et qu'il décollerait même s'il y avait un peu de
troubles dans son avion. Cela a calmé tout le monde et il est parti avec
ces neuf reconduits alors que la situation ne se présentait pas bien au
départ.
M. LE PRÉSIDENT.-
Et pour le 27 mars 1998 ?
M. BIZEUL.-
Le 27 mars 1998, c'était un vol Air France à
11 heures. Il y avait quatre Maliens.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il y avait huit fonctionnaires ?
M. BIZEUL.-
Le commandant de bord, dont il faut louer le
professionnalisme, a décidé à la fin de ne pas partir car
les reconduits, ainsi que les passagers, étaient vraiment très
énervés.
Il a fait descendre tout le monde pour essayer de calmer les esprits. Il n'a
néanmoins pas pu prendre les escortés car cela aurait
provoqué une émeute dans son avion.
M. LE RAPPORTEUR.-
Et le 28 mars 1998 ?
M. BIZEUL.-
Ce jour-là les douze reconduits n'ont pas
embarqué : le commandant de bord a là aussi estimé
qu'il n'était pas possible de partir. Ils résistaient et
étaient très agités : vociférations, insultes,
menaces à l'égard des fonctionnaires de police. Cela a
été très difficile.
M. LE PRÉSIDENT.-
Vous nous donnerez tous ces rapports. Cela vous
évitera le commentaire trop long de l'épisode.
M. BIZEUL.-
Je vous les communiquerai.
Les reconduits du 28 mars ont ensuite fait l'objet d'une procédure de
refus d'embarquement. Ils ont été présentés le
lundi 30 mars 1998 à la 17ème chambre du Tribunal de Bobigny.
M. LE RAPPORTEUR.-
Une décision de justice a-t-elle
été rendue ?
M. BIZEUL.-
Ils ont tous reçu une notification à
comparaître à des audiences entre les mois de mai et juin
prochains.
Les reconduits ne sont pas partis et ont été
libérés.
M. LE PRÉSIDENT.-
Pour les passagers, quelle a été
la position de certains d'entre eux, les 26, 27 et 28 mars 1998 ?
M. BIZEUL.-
C'était l'hostilité.
Cela nous a fait réfléchir : a-t-on un moyen quelconque de
coercition vis-à-vis de ces manifestants et des moyens juridiques de
faire cesser tout cela ?
La réflexion a commencé au niveau du ministère. Nous avons
reçu verbalement les réponses, et elles sont arrivées par
écrit ensuite. Aussi, le 1
er
avril dernier, quand le
même processus a recommencé -présence d'une trentaine de
manifestants devant les terminaux pour inciter les passagers à s'opposer
à l'opération-, nous avons procédé à un
contrôle d'identité.
Vingt-six personnes ont été interpellées ce
jour-là, principalement des militants des comités anti-expulsion
et des jeunes contre le racisme en Europe.
Cela m'a permis de parler à ces personnes. Je leur ai expliqué
que les tracts distribués avaient été analysés et
qu'ils constituaient, pour nos autorités judiciaires, un appel à
la rébellion tombant sous le coût d'un article du Code
pénal. De ce fait, les distributeurs de tracts auraient à rendre
compte de cela devant la justice.
Je leur ai signifié que je m'opposerai, avec mes fonctionnaires,
à leur contact avec les passagers, car il était de nature
à troubler l'ordre public, aussi bien dans l'aérogare qu'à
l'intérieur de l'avion. J'ai été très clair et ils
ont été prévenus.
Le 1
er
avril dernier, nous avons également eu, dans l'avion,
des difficultés pour embarquer les Maliens, mais ils sont partis.
M. LE PRÉSIDENT.-
Combien de reconduits y avait-il le
1
er
avril dernier ?
M. BIZEUL.-
Il devait y en avoir six ou sept, avec une escorte assez
forte de quatorze ou quinze fonctionnaires. Ces reconduits étaient
vraiment très déterminés. Je suis resté dans
l'avion environ une demi-heure pour calmer tout le monde.
Après un certain temps, le commandant de bord a jugé qu'il avait
la situation en main, et il est parti. Il y a eu des blessés : sept
de mes fonctionnaires ont été blessés au départ et
à l'arrivée. En effet, à Bamako cela a été
également un peu houleux.
Ces blessures sont des coups portés aux fonctionnaires, des pouces
retournés, des tentatives de strangulation. Il y a également eu
deux hublots et un fauteuil cassés.
Ce vol du 1
er
avril dernier a fait monter les états
d'âme des personnels navigants : jusqu'au 1er avril dernier on les
sentait relativement prêts à nous aider quand ils voyaient qu'ils
pouvaient avoir la situation en main. Beaucoup d'entre eux avaient
déjà eu des reconduits dans les avions et savaient
qu'après le décollage de l'avion les esprits se calmaient :
les reconduits savent qu'ils partent définitivement et qu'il n'y a plus
rien à faire.
Ce 1
er
avril 1998, le personnel de bord de l'avion d'Air France a
été impressionné par la violence des reconduits et par
l'hostilité des passagers. C'était un vol avec escale à
Nouakchott. Les escales sont pénibles car on reste longtemps dans
l'avion, il fait chaud...
Ce jour-là, le 1er avril 1998, nous avons contrôlé
l'identité de ces militants et nous avons fait partir les reconduits.
Le 2 avril 1998, je n'étais pas là, mon adjoint me
remplaçait. Il y a eu trois Maliens sur le vol d'Air Afrique, et
l'interpellation de neuf passagers.
Nous avons expliqué au commandant de bord que nous avions la ferme
volonté de continuer à faire partir les reconduits et à ne
plus laisser les passagers s'opposer au départ, et que l'on avait pour
cela des textes avisés pour les interpeller.
J'avais prévenu le procureur de la République de Bobigny.
M. LE PRÉSIDENT.-
C'étaient des passagers maliens ?
M. BIZEUL.-
Parmi les neuf interpellations, il y avait huit Maliens et
un Français.
Mon adjoint, avec l'accord du commandant de bord, a fait débarquer tout
le monde par le satellite de départ. Ensuite, avec l'aide des
fonctionnaires présents dans l'avion, ils ont mis à part les
passagers agités -ceux qui avaient appelé à la
rébellion et avaient aidé à concrétiser ce refus
d'embarquer- et l'on a sorti leurs bagages des soutes de l'avion.
Nous avons expliqué aux autres qu'ils allaient repartir, mais que
ceux-ci allaient rester avec nous. Nous les avons placés en garde
à vue, et nous leur avons diligenté une procédure de
complicité à refus d'embarquement : article 27 de
l'ordonnance de 1945.
Nous les avons également entendus dans un deuxième cadre, celui
de l'obstacle à la circulation des aéronefs. C'est un
délit : article L 282-1 du Code de l'aviation civile.
Ils ont passé la journée en garde à vue, en attendant que
toute cette procédure se fasse. Un compte rendu au Parquet a
été fait en fin de journée ; ils ont
été remis en liberté sur instruction du Parquet vers
19 h 30.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous avez l'identité de ces gens qui ont
contribué à empêcher le vol. Est-ce des touristes, des
personnes en situation régulière en France ?
M. BIZEUL.-
Ce sont des personnes en situation régulière
en France qui faisaient un voyage au Mali.
M. LE RAPPORTEUR.-
Ils risquent d'être expulsés.
M. BIZEUL.-
C'est possible. Pour ceux qui rentreront en France, je ne
connais pas leur situation ; il est évident qu'ils seront
convoqués en justice et iront au Tribunal correctionnel.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ces personnes-là sont parties.
M. BIZEUL.-
Oui. Dès leur remise en liberté ils ont
peut-être pris des avions, mais peut-être ne sont-ils pas partis.
J'ai revu à cette occasion, puisqu'ils attendaient à
proximité de nos locaux, quelques-uns des manifestants auxquels j'ai dit
que la détermination des autorités, ainsi qu'ils pouvaient le
constater, allait jusqu'à interpeller des passagers. Je leur ai
demandé de faire attention à leurs actes quand ils incitaient les
passagers à se rebeller.
Les manifestants revenaient tous les jours, plus ou moins nombreux, mais
toujours déterminés à contacter les embarquants. A chaque
fois, ils se sont heurtés à nos cordons de police : j'avais
demandé le soutien d'une demie compagnie de C.R.S., mes forces vives
n'étant plus suffisantes : tout cela se passait en même temps
que les retours de La Mecque, et cela prend énormément de
personnel car beaucoup de personnes se trouvent à l'intérieur de
Roissy.
J'avais étanchéifié la zone d'enregistrement des vols
sensibles car ces manifestants venaient systématiquement sur tout ce qui
était affiché vers l'Afrique, que ce soit Air France ou Air
Afrique et qu'il y ait ou pas de reconduits sur le vol. Visiblement, leur
système d'information n'est pas très fiable : ils sont venus
pour des vols sur lesquels il n'y avait pas de reconduits.
Au fil des jours, ils se sont lassés. Actuellement ils ne viennent plus.
Il y a deux observateurs qui ne viennent pratiquement plus.
Il y a eu une manifestation plus importante, avec les médias, le
lundi 6 avril 1998. C'était l'association Droit devant qui a
mobilisé presque cent personnes, avec les télévisions, et
quelques journalistes.
M. LE RAPPORTEUR.-
Ont-ils distribué des tracts ?
M. BIZEUL.-
Non. Depuis ce contrôle d'identité -je leur
avais dit que tout cela tombait sous le coup d'un article du Code pénal-
et ils n'ont plus distribué de tracts.
Je précise que cet article du Code pénal n'est pas coercitif
puisqu'il n'autorise pas la garde à vue. Il permet de relever
l'identité de la personne, de l'entendre sur ses intentions ; elle
est ensuite transmise au Parquet pour poursuites, mais ce sont seulement des
peines d'amendes. Il n'y a pas de garde à vue pour ce motif.
En revanche ils essayaient d'avoir ce contact avec les gens. Ne pouvant plus
les avoir en direct sur l'enregistrement du vol, ils essayaient de les trouver
à l'intérieur de l'aérogare.
M. LE PRÉSIDENT.-
Dans une revue de presse du Figaro du 3 avril
dernier, je lis
"...trois des Maliens, dont deux ont un passé
judiciaire chargé..."
. Est-ce exact ?
M. BIZEUL.-
Oui, ce sont des interdictions du territoire. Sur le
même vol nous trouvions, dans ces journées après le 20 mars
dernier, aussi bien des APRF liées à des événements
parisiens -qui venaient de la Préfecture de police-, que des mesures
d'éloignement venant d'autres préfectures de France, donc des
sorties de prison.
Et, dans les escortes, il y avait des reconduits récents et ces fameuses
sorties de prison, avec des gens condamnés pour vol à main
armée, viol, qui, en général, ont à ce
moment-là un comportement violent.
M. LE RAPPORTEUR.-
Est-ce ceux qui ont le comportement le plus
violent ?
M. BIZEUL.-
Oui. On sentait, mais on ne peut pas en faire une
règle, qu'ils découvraient, en sortant de prison, une sorte
d'ambiance particulière à cette reconduite et profitaient du
mouvement.
M. LE PRÉSIDENT.-
Etaient-ils menottés ?
M. BIZEUL.-
Certains l'étaient, et d'autres pas. C'est le genre
de convenances que l'on prend avec le commandant de bord. Nous nous
efforçons toujours de faire entrer les reconduits non entravés
dans les avions.
Mes fonctionnaires s'en font un devoir. C'est là que la
préparation psychologique est importante : le retour au calme, la
présence constante du même fonctionnaire de chez nous depuis
l'arrivée de la personne sur la plate-forme et pendant l'escorte. Nous
poussons le détail jusqu'au fait que le fonctionnaire ne procède
pas à sa fouille : il ne va pas dans son "intimité de
bagage", de façon à garder le contact qui va le calmer
psychologiquement. On lui explique que la meilleure façon d'aborder
l'avion est d'y rentrer librement. Et cela se passe bien en
général.
Dans ce contexte, nous avions des gens bien plus déterminés. Nous
nous entendions avec le commandant de bord. Dans les différents cas, il
nous a autorisés à les laisser menotés jusqu'au
décollage. A partir du décollage, il y a des raisons de
sécurité et le commandant de bord souhaite que tout le monde ait
les mains libres.
Un commandant de bord a conseillé, pour la sécurité de ses
passagers, de les garder menotés pendant le décollage. Chaque
commandant de bord décide.
M. LE PRÉSIDENT.-
Les journaux ont raconté des histoires
de scotchage.
M. BIZEUL.-
C'est un moyen que nous utilisons à la place de la
menotte de police qui est un objet métallique qui risque de blesser
quelqu'un qui s'agite, par les mouvements, et qui aussi peut être
dangereuse pour les fonctionnaires et pour le matériel de l'avion. Je
précise que la masnotte est le terme administratif pour désigner
les menottes qui est un terme journalistique.
La bande Velcro ne blesse pas, est plus simple, aussi efficace et
s'enlève beaucoup plus facilement quand on veut libérer la
personne.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il n'y a jamais eu, comme le disent ces tracts, des
bâillons ?
M. BIZEUL.-
Non. S'il y avait eu des bâillons il n'y aurait pas eu
d'incidents dans l'avion. Souvent les passagers arrivant à
l'intérieur de l'avion ne se rendaient pas compte que ceux du fond
étaient différents des autres.
En revanche, ils les entendaient hurler pour attirer leur attention dès
leur montée dans l'avion.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je lis le tract :
"Vous ne les verrez
peut-être pas ils seront menottés, scotchés, ligotés
pour empêcher qu'ils n'alertent les passagers par leurs cris"
.
M. BIZEUL.-
C'est entièrement faux. Vous lirez même quelque
part qu'ils sont drogués, ce qui est faux. Il n'y a pas un
médicament, ni une piqûre délivrés à ces
gens-là.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le Directeur, je vous remercie.
Quelle est la situation actuelle des personnes dont l'éloignement n'a pu
être mis en oeuvre ?
Les relations entre la DICCILEC, d'une part, et les services de
l'aéroport, les Compagnies aériennes, d'autre part, vous
paraissent-elles satisfaisantes ?
Estimez-vous que les difficultés rencontrées le 28 mars dernier
sont ponctuelles ou au contraire traduisent une difficulté plus
générale à mener à bien l'éloignement
d'étrangers en situation irrégulière par la voie
aérienne ?
Quelles conséquences pratiques aura la décision des Compagnies
Air France et Air Afrique de faire, à compter du 3 avril dernier, un
embargo total sur les reconduites effectuées sur la ligne Paris-Bamako
soit en transit, soit en destination finale, et de n'accepter qu'un seul
reconduit par vol, impérativement accompagné de deux
fonctionnaires d'escorte, sur toutes les autres destinations intérieures
ou internationales ?
Ces conséquences se font-elles d'ores et déjà sentir sur
la mise en oeuvre des mesures d'éloignement ?
M. BIZEUL.-
Je ne peux répondre aux questions
générales que pour l'aéroport de Roissy, puisqu'il y a
d'autres points de départ du territoire que l'aéroport de Roissy.
Concernant nos relations avec les autorités aéroportuaires, cela
se passe bien. Cet éloignement n'est qu'une des nombreuses
activités que nous avons sur l'aéroport. Nous avons des contacts
très fréquents, plusieurs fois par jour, avec les responsables
les chefs d'escales des différentes Compagnies et les équipages.
Nous avons l'habitude de travailler ensemble et essayons de résoudre ce
type de problème.
Les compagnies aériennes savent qu'il faut faire partir ces personnes et
que notre tâche est de mener à bien ces départs.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il n'y a que deux Compagnies, Air France et Air
Afrique ?
M. BIZEUL.-
Non. Tous les jours à Roissy environ 20 personnes
sont reconduites à la frontière : sur la Tarom en Roumanie,
Air China, Air Algérie, sur des vols indonésiens. Il en part vers
tous les pays.
Nous en parlerons quand on répondra de la situation factuelle et
ponctuelle depuis le 28 mars dernier. On parle beaucoup du Mali, mais il en
part vers d'autres destinations : l'Asie, l'Afrique et même
l'Amérique.
M. LE RAPPORTEUR.-
Et là, vous n'avez pas d'incidents ?
M. BIZEUL.-
Non.
Nos relations ont toujours été bonnes. Mais en raison de ces
incidents dans les avions depuis la fin mars, nous avons senti une
réticence chez les personnels à prendre les reconduits. Nous
avons donc découvert cette réaction des deux compagnies Air
France et Air Afrique, qui ont pour conséquence qu'il a fallu trouver
d'autres Compagnies. La DICCILEC en a trouvé : actuellement, les
Maliens partent sur des vols de la Sabena, avec escale à Bruxelles, tous
les jours et sans difficulté.
Les manifestants, dont le nombre a considérablement diminué
notamment depuis le début des vacances, ont trouvé
l'aérogare de départ du vol Sabena. Ils viennent à une ou
deux personnes assister au départ, mais il n'y a pas de mouvement en
zone publique. Nos reconduits qui partent à deux ou trois sur les vols
de la Sabena partent sans difficulté avec des escortes composées
en général de deux fonctionnaires pour un Malien.
Sur les autres pays il n'y a pas de difficulté : les gens
continuent à partir sans escorte, même vers d'autres pays
africains.
En conséquence, si nous devons partir sur les vols Air France vers
d'autres destinations cela nous coûte un peu plus de fonctionnaires. Pour
mon service, cela n'a pas ralenti les départs et n'a pas provoqué
de non-départ par rapport à ce qui nous était
demandé par les préfectures et le bureau de l'éloignement.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vers l'Algérie rencontrez-vous des
problèmes ?
M. BIZEUL.-
Non. La compagnie Air Algérie est arrivée il y
a près d'un an sur l'aérogare. Les responsables ont
demandé les mêmes règles. Même si elles sont
drastiques, ils s'y conforment.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous avez eu des éloignements par Air
Algérie sans problème ?
M. BIZEUL.-
Sans aucun problème.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous les chiffrez à combien sur Air
Algérie ?
M. BIZEUL.-
Je n'ai pas de statistiques. Je ne sais pas si c'est
important. Je peux vous dire que c'est moins important que le Mali.
La mise en oeuvre de telles mesures fait-elle l'objet de renforts
spécifiques de la part d'autres services de police ou de
gendarmerie ?
M. BIZEUL.-
On ne peut pas considérer que ce sont des renforts.
C'est un partage. Le bureau central de l'éloignement connaît nos
contraintes et notre capacité de réponse à sa demande. Il
organise en conséquence les éloignements avec des personnes de
mes services ou des gens de la gendarmerie, des renseignements
généraux, de la préfecture de police ou des Directions de
la sécurité publique des départements.
Les Directions départementales de sécurité publique, dans
beaucoup de départements générant des mesures de
reconduite, se sont organisées. Elles ont spécialisé des
fonctionnaires volontaires dans l'escorte.
Ce sont des personnes avec lesquelles nous sommes habitués à
travailler. Cela facilite les choses car c'est un travail assez particulier.
M. LE RAPPORTEUR.-
Les risques de troubles, à l'occasion d'un vol
comprenant des étrangers en situation irrégulière faisant
l'objet d'une mesure d'éloignement, vous paraissent-ils suffisamment
importants pour fonder la position récente des Compagnies
aériennes ?
M. BIZEUL.-
Je pense qu'il faudra poser la question au personnel de
bord. La règle veut que la police soit chez elle dans un avion jusqu'au
moment où les portes sont fermées.
Sur un aéroport, la fermeture des portes caractérise la prise de
pouvoir par le commandant de bord. A partir de là, le commandant de bord
est le seul juge.
Il est évident qu'avoir des gens debout, que ce soit les passagers ou
les reconduits, qui se bagarrent dans un avion au moment du décollage,
est de nature à entraîner un commandant de bord à dire
qu'il ne part pas.
D'autres commandants de bord diront que cela se calmera et qu'ils partiront.
Nous nous conformons sans difficulté à leur décision.
Je peux citer l'exemple de reconduites qui se passaient très bien
jusqu'à ce que l'on appelle le roulage. Lorsque l'avion
commençait à rouler, les reconduits se rebellaient de
façon telle que l'avion revenait à son point de départ.
Ensuite on appliquait la procédure de refus d'embarquer.
M. LE RAPPORTEUR.-
Comment ces risques sont-ils perçus par les
agents de la DICCILEC chargés d'accompagner le vol ?
M. BIZEUL.-
Le risque est connu. Il a atteint une sorte de paroxysme en
février de l'année dernière lorsqu'il y a eu cette
violente reconduite à Bamako. Cette reconduite a été
suivie, comme toujours quand on en tire les enseignements, de mesures
particulières pour affiner la technique de préparation des
reconduits, d'embarquement dans l'avion, de contacts préalables avec la
Compagnie, de conduite à tenir face aux reconduits et aux passagers.
Les personnes savent le faire et cela ne les gêne pas. Ils exercent un
métier qui a pour vocation le rétablissement de l'ordre ;
ils vivent des situations soit stressantes, soit de désordre.
M. LE RAPPORTEUR.-
La prise en charge des étrangers
éloignés, à l'aéroport d'arrivée,
s'opère-t-elle de manière satisfaisante ?
M. BIZEUL.-
La police française a, dans environ vingt pays dans
le monde, et notamment dans les pays offrant des difficultés sur le plan
de l'immigration, des commissaires de police ayant le statut d'attachés
de police à l'ambassade.
Dès que le vol se prépare au niveau du bureau de
l'éloignement à Paris, l'attaché de police et les
autorités du pays d'arrivée sont prévenus.
Un avion a toujours la possibilité de faire demi-tour. Mais lorsque
l'avion est en vol depuis un certain temps, le commandant de bord donne un code
sur les ondes. Nous communiquons ce code à l'attaché de police du
service de coopération technique policière dans le pays
d'arrivée. Il peut ainsi préparer l'accueil.
Il vient en personne, ou envoie ses collaborateurs, à l'arrivée.
Selon l'ambiance dans le pays et l'aéroport, ils s'arrangent avec les
autorités de police locale pour que nos fonctionnaires soient
protégés.
S'il y a des troubles, ou si les comptes rendus des médias ont
soulevé une émotion dans le pays d'arrivée, et que
l'attaché de police juge que le débarquement des reconduits peut
poser des problèmes de sécurité, les policiers locaux,
sous sa conduite, iront à l'intérieur de l'avion -lorsque tout le
monde a débarqué- chercher les reconduits pour que nos
fonctionnaires soient protégés.
Sinon on attend à l'intérieur de l'avion un certain temps, afin
de sortir les reconduits de manière discrète, et les remettre aux
autorités, dans une partie éloignée de l'aéroport.
Tout cela est vraiment organisé, et s'organise aussi pendant tout le
temps du vol.
M. LE RAPPORTEUR.-
Y a-t-il une bonne collaboration avec les
autorités locales ?
M. BIZEUL.-
Maintenant oui, il n'y a pas de pays qui pose de
problème.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ce n'était pas le cas en 1997.
M. BIZEUL.-
Oui, c'est vrai.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ils peuvent être menotés quand ils
descendent ?
M. BIZEUL.-
Non. Ils sont remis à la police.
M. LE PRÉSIDENT.-
C'est là qu'il peut y avoir des
dégradations dans l'avion.
M. BIZEUL.-
Il y en a au moment du roulage lors de l'atterrissage. Cela
se comprend psychologiquement. La personne sait que la porte va s'ouvrir sur le
retour. Il y a une forte émotion et une émulation entre les
reconduits ; il y a de nouveau des scènes où les
fonctionnaires doivent les maîtriser. Ils sont remis librement à
la police locale.
M. LE PRÉSIDENT.-
Les fonctionnaires sont-ils entre les
intéressés ?
M. BIZEUL.-
Nous avons des techniques très affinées de
positionnement dans l'avion selon le nombre de reconduits, le type d'avion, la
présence d'espace ou pas entre les passagers et les reconduits.
Quand il y a un reconduit et deux fonctionnaires, en général ils
sont sur un siège du fond, derrière la cloison ; le
reconduit est au milieu avec un fonctionnaire de chaque côté.
Autrement dans un coin, un fonctionnaire à côté du
reconduit et un fonctionnaire derrière, et toujours à
proximité des toilettes. Quand le reconduit va aux toilettes il y a une
technique de non-fermeture de la porte avec un pied coincé dans la
porte entrouverte.
Nous les faisons systématiquement passer aux toilettes avant d'aller
à l'intérieur de l'avion pour ne pas qu'ils demandent, pendant
l'embarquement des passagers, à se lever de leur siège.
Cela a été, au fil des mois et des années, affiné
dans le détail.
M. LE RAPPORTEUR.-
Y a-t-il une séparation dans les avions entre
les reconduits et les passagers ? Y a-t-il, dans certains avions, un
rideau dans le fond ?
M. BIZEUL.-
Cela dépend du commandant de bord, s'il souhaite ou
pas les séparer de la vue des autres passagers.
M. LE RAPPORTEUR.-
Compte tenu des derniers incidents,
l'affrètement de vols spécifiques pour l'éloignement
d'étrangers en situation irrégulière n'apparaît-il
pas plus efficace d'un strict point de vue policier ?
M. BIZEUL.-
Je ne répondrai pas à cette question. Cela ne
dépend pas de moi qui ne suis qu'un exécutant. On me propose des
cas de figure et je les exécute. Je n'ai pas à me prononcer sur
la manière qui sera choisie pour l'éloignement.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je comprends, Monsieur le Directeur, que cette
question soit gênante. C'est la raison pour laquelle la rédaction
est très pointue
"Compte tenu des derniers incidents,
l'affrètement de vols spécifiques pour l'éloignement
d'étrangers en situation irrégulière n'apparaît-il
pas plus efficace d'un strict point de vue policier ?"
.
M. BIZEUL.-
"...Efficace d'un strict point de vue policier"
, non.
Si les fonctionnaires respectent bien les consignes données pour le
maintien des reconduits et savent quand cela devient dangereux -car ils ont
aussi leur propre discernement sur la situation-, dire
"On arrête, on
débarque et on fait la procédure de refus d'embarquer"
, je
pense qu'en matière strictement policière il n'y a pas de
différence d'efficacité.
M. LE PRÉSIDENT.-
Combien avez-vous d'expulsés par jour,
en moyenne pure, sur Roissy, toutes Compagnies confondues ?
M. BIZEUL.-
Entre 10 et 20 chaque jour, mais cela dépend des
jours. L'activité aéroportuaire de Roissy ne s'arrête
jamais.
Des vols sur le Cameroun partent à minuit : nous avons donc des
reconduits camerounais qui partent à minuit.
M. LE PRÉSIDENT.-
Air France et Air Afrique représentent
quelle proportion ?
M. BIZEUL.-
Je ne sais pas.
M. LE PRÉSIDENT.-
Moins que la moitié ?
On fait une fixation sur Air France et le Mali.
M. BIZEUL.-
Ce n'est pas l'essentiel.
M. LE PRÉSIDENT.-
Dix par jour est-ce une moyenne sur une longue
durée ?
M. BIZEUL.-
C'est ainsi depuis que je suis en poste.
M. LE PRÉSIDENT.-
Cela fait une moyenne de quinze par jour, soit
150 pour 10 jours et 1 500 à 2 000 par an.
M. BIZEUL.-
Cela fait un peu plus de 400 par mois.
M. LE PRÉSIDENT.-
Roissy est-il le plus gros poste de
départ ?
M. BIZEUL.-
Non. Marseille, par bateau, est plus important. Roissy est
le plus important par avion.
C'est la raison pour laquelle cette unité d'éloignement a
été créée à Roissy.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pour l'instant, les expulsés sont en
général des célibataires ou bien y a-t-il des
familles ?
M. BIZEUL.-
Je ne sais pas répondre à cette question. En
général, ce sont des célibataires.
Nous avons des familles dans les refus d'entrée sur le territoire, dans
les non-admissions, ceux que l'on arrête à la frontière et
que l'on reconduit parfois avec les autres reconduits. Il y a aussi tout cet
aspect de reconduite.
M. LE RAPPORTEUR.-
Concernant l'aide au retour, avec une prime,
avez-vous ce type de personnes ?
M. BIZEUL.-
Non.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous parliez de volontaires.
M. BIZEUL.-
Il y en a à qui la mesure est notifiée, qui
viennent d'eux-mêmes prendre l'avion.
M. LE RAPPORTEUR.-
Ceux-là perçoivent l'aide au
retour ?
M. BIZEUL.-
Je ne sais pas.
M. LE RAPPORTEUR.-
On nous a dit qu'une partie de la prime était
perçue à l'embarquement, et l'autre à la réception
dans le pays.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ce sont les volontaires, ils ne sont pas
escortés de fonctionnaires.
M. BIZEUL.-
Souvent, le refus d'embarquer est constitué par le
fait que les gens n'ont pas suffisamment de bagages à rapporter chez
eux. Ils accepteraient l'obligation de rentrer, mais rentrer les mains vides,
sans rapporter quelque chose à la famille, c'est très dur.
Parfois ils préfèrent refuser, au risque d'aller en prison, pour
retenter leur chance.
M. LE RAPPORTEUR.-
N'y a-t-il pas une mesure à prendre pour
permettre à ces personnes d'embarquer d'une façon ou d'une autre,
par d'autres vols, beaucoup plus de bagages ?
M. BIZEUL.-
C'est traité au niveau du bureau de
l'éloignement qui s'inquiète du poids de bagages que les gens
font partir, et s'arrange avec les Compagnies pour prendre les surplus de
bagages quand il y en a. C'est à la fois pour donner satisfaction
à cette personne qui a réussi à rassembler tout cela, et
aussi pour nous faciliter la tâche : nous savons que s'ils ont un
surplus de bagages, nous sommes beaucoup plus certains qu'ils partent.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous suggéreriez une mesure
réglementaire pour permettre à ces gens-là d'embarquer
beaucoup plus de bagages si cela peut faciliter le retour ?
M. BIZEUL.-
Pourquoi pas ?
M. LE PRÉSIDENT.-
Y a-t-il des gendarmes qui font des
procédures d'accompagnement ?
M. BIZEUL.-
Oui. Les gendarmes sont ceux qui se chargent des reconduites
à la sortie des établissements pénitentiaires.
M. LE PRÉSIDENT.-
Jusqu'au pays d'origine ?
M. BIZEUL.-
Oui. Mais c'est assez peu. Souvent les gendarmes viennent
jusqu'au centre de rétention administrative, aident à la
procédure d'embarquement et ensuite nous prenons le relais.
M. LE PRÉSIDENT.-
Les fonctionnaires de chez vous font combien de
voyages par an ?
M. BIZEUL.-
Ils partent en général une ou deux fois dans
la semaine. On s'arrange pour qu'ils fassent un long courrier en début
de semaine et un moyen courrier en fin de semaine. Il y a un système
complexe de récupération des temps pris en dehors des heures
normales, et également une rémunération de frais de
police.
En revanche, ils n'ont aucune dépense à faire sur place puisque
tout est pris en charge par l'Administration centrale grâce à cet
implant Wagons-lits. Ils n'ont à débourser ni l'hôtel, ni
les repas.
M. LE PRÉSIDENT.-
A Bamako il repartent par le vol suivant ou
restent 24 heures ?
M. BIZEUL.-
Nous privilégions des vols avec retour
immédiat, mais parfois ils sont obligés de rester. Quand ils vont
dans des pays à risque, ils sont pris en charge par nos autorités
policières en place qui choisissent l'hôtel.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ils font cela durant plusieurs
années ?
M. BIZEUL.-
Ceux qui ont commencé en 1995 sont toujours dans le
service. Il y a un noyau d'une bonne trentaine de personnes.
M. LE PRÉSIDENT.-
Changent-ils de lignes ?
M. BIZEUL.-
Oui, de temps en temps. Mais il y a assez peu de
destinations de rêve. La Polynesie, c'est rare !
M. LE PRÉSIDENT.-
La Thaïlande ?
M. BIZEUL.-
Non.
M. CALDAGUES.-
S'il est vrai que la dignité humaine n'a pas de
prix, on peut se préoccuper de savoir quelle est l'échelle de
coûts respectifs entre des accompagnements individuels, ou
pluri-individuels et des vols collectifs ?
M. BIZEUL.-
Je ne tiens pas les comptes. La seule régie que j'aie
est celle des frais de mes fonctionnaires. Je suis en aval dans
l'exécution. Je ne connais ni les prix des vols affrétés,
ni ce que coûtent ces vols.
M. CALDAGUES.-
Dans un vol collectif, combien faut-il de fonctionnaires
pour assurer la bonne maintenance du voyage, par rapport à ceux
nécessaires pour des reconduites individuelles ou
pluri-individuelles ?
M. BIZEUL.-
Il en faut davantage.
M. CALDAGUES.-
Davantage par personne éloignée ?
M. BIZEUL.-
Oui. Le vol collectif oblige à mettre dans l'avion
une réserve d'effectif. En général la moyenne est de deux
fonctionnaires par reconduit, plus, dans le collectif, une réserve.
C'est pour des raisons de sécurité. C'est très difficile
de pouvoir maîtriser une situation s'il n'y a pas deux fonctionnaires par
reconduit. Il faut une réserve : s'il y a à bord un
phénomène de rébellion, les fonctionnaires ne doivent pas
être trop attentifs à leur reconduit pour juger de la situation et
prendre des initiatives. Il faut des gens débarrassés de cette
charge pour aider à contrôler l'avion. Ce sont des enseignements
tirés de l'expérience.
M. LE PRÉSIDENT.-
Comment font les autres pays ?
M. BIZEUL.-
Je ne le sais pas. Je n'ai pas d'information à ce
sujet.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le Directeur, quel est le haut-fonctionnaire
qui pourrait nous renseigner sur ce que font les autres pays ? Des
études ont dû être faites.
M. BIZEUL.-
Je suis un homme de terrain. Le Directeur central pourra
vous répondre.
M. LE PRÉSIDENT.-
Monsieur Bizeul, je ferais l'unanimité
en disant que vous avez répondu à toutes nos questions avec
beaucoup de clarté, sans réticence et avec beaucoup
d'objectivité.
M. BIZEUL.-
Je vous remercie.
M. LE PRÉSIDENT.-
Nous vous remercions vivement et vous
souhaitons beaucoup de courage dans la persévérance de votre
action.
M. BIZEUL.-
Merci, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT.-
Vous nous envoyez ces rapports sans vos
annotations personnelles.
M. BIZEUL.-
Ce sont des notes d'information.
Les procès-verbaux rédigés à l'occasion de ces
procédures sont adressés au procureur. Je ne peux pas me
permettre d'en extraire certains.
M. LE PRÉSIDENT.-
Tout document peut être communiqué
à une commission d'enquête, sauf les documents frappés du
"secret-confidentiel" et les procédures d'instruction.
M. BIZEUL.-
Je dérogerais à des règles importantes
si j'avais encore des procès-verbaux destinés à la justice.
M. LE PRÉSIDENT.-
Il ne s'agit pas de cela, mais de rapports
administratifs que vous faites à vos hiérarchies.