MME MARTINE AUBRY,
MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE LA
SOLIDARITÉ
JEUDI 7 MAI 1998
M.
MASSON, président
- Mesdames, Messieurs, la séance est
ouverte.
Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Martine Aubry, ministre de
l'emploi et de la solidarité, chargée de l'intégration et,
à ce titre, compétente en termes de famille, d'enfance, de droits
des femmes, de personnes âgées et d'immigrés.
Je suis très honoré de votre présence, malgré les
lourdes charges qui vous reviennent.
Sont excusés Mmes Dusseau et Pourtaud, MM. Camoin, Marquès et
Blaizot.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; Mme Martine Aubry
prête serment).
M. le rapporteur va maintenant vous poser un certain nombre de questions sur la
façon dont la circulaire du ministre de l'intérieur du 24 juin
est appliquée, sur ses conséquences et sur les conditions dans
lesquelles la procédure d'aide au retour a été
engagée...
M. BALARELLO, rapporteur
- Deux séries de questions, l'une
concernant la procédure d'aide au retour et l'autre relative aux
conséquences sociales des régularisations. J'y ajouterai une
dernière série à propos de l'Europe. Même si cet
aspect du problème vous concerne moins directement, il n'en demeure pas
moins intéressant.
S'agissant de la procédure d'aide au retour, croyez-vous que le nouveau
dispositif d'aide au retour instauré par la circulaire du 19 janvier
1998 sera plus attractif que ceux qui l'ont précédé ?
Mme AUBRY, ministre de l'emploi et de la solidarité
- Monsieur le
Président, Monsieur Le Rapporteur, Messieurs les sénateurs, tout
d'abord je voudrais rappeler les opérations de régularisation
précédentes, sachant qu'elles ont des optiques différentes
de celle mise en place l'année dernière.
Lors de la régularisation de 1981, les personnes arrivées en
France et présentant, avant cette date, un contrat de travail d'une
validité d'au moins un an, pouvaient être
régularisées. En 1991, il s'agissait de demandeurs d'asile
déboutés.
Aujourd'hui, le dispositif mis en oeuvre touche un certain nombre de
catégories de personnes qui, pour des raisons diverses, ne pouvaient
être régularisées, ni même très souvent
expulsées. Ces catégories sont toutefois beaucoup plus
réduites. Ceci entraînera donc certainement, à la fois en
termes quantitatifs, mais aussi qualitatifs, des modifications importantes par
rapport à 1981 et 1991.
Vous avez parlé d'un dispositif plus attractif : cela concernait-il le
dispositif d'aide au retour ou de régularisation ?
M. LE RAPPORTEUR
- ... D'aide au retour.
Mme LE MINISTRE
- La circulaire du 19 janvier 1998 reprend le dispositif
mis en place en 1991, en le complétant, sur l'accompagnement social des
intéressés.
Ces deux dispositifs organisent une préparation au retour, mais celui de
1998 accompagne les mesures administratives, sociales et financières par
des mesures psychologiques, assurées par l'office des migrations
internationales, comme par des organismes et des associations qui ont
été conventionnées avec lui. Quatorze conventions sont
aujourd'hui signées et 35 sont en cours de signature.
Pourquoi ce dispositif peut-il être plus attractif ? ... Le Gouvernement
a dit simplement les choses : nous avons, par circulaire, défini un
certain nombre de catégories, en précisant que ceux qui ne
seraient pas régularisés devraient retourner dans leur pays. La
volonté du Gouvernement ne fait pas de doute !
Sur le plan financier, l'aide au retour est de 4.500 francs, plus 900 francs
par enfant à charge, mais nous avons tiré les conséquences
des précédentes régularisations et prévu que cette
allocation soit remise pour moitié au moment du départ et pour
moitié versée dans le pays de retour, ce qui paraît une
sage précaution.
En outre, des accords ont été signés avec certains pays,
afin de suivre les intéressés, en collaboration avec l'OMI et les
associations sur place. L'aide qui leur est apportée peut aller
jusqu'à 24.000 francs. C'est le cas au Mali, au Sénégal et
en Mauritanie. Nous pouvons ainsi aider ces personnes à
développer un projet de réinsertion professionnelle.
M. LE RAPPORTEUR
- Pourrez-vous nous adresser la liste des conventions
signées et de celles en cours de signature ?
Mme LE MINISTRE
- Tout à fait...
Ce programme de développement local migrations, appelé PDLM, est
signé aujourd'hui au Mali, au Sénégal et en Mauritanie et
est en cours de discussion en Tunisie, au Maroc, en Turquie et en Roumanie.
En effet, nous aurions intérêt à développer ce type
de projet pour un certain nombre de pays.
Beaucoup de personnes qui entrent sur notre territoire le font pour des raisons
économiques, et nous avons donc tout intérêt à aider
au développement de ces pays si l'on souhaite enregistrer un changement
de cette situation.
La décision prise par le Premier ministre de créer une
délégation interministérielle au co-développement
va dans le même sens. Il s'agit d'essayer de développer des
dispositifs d'aide au retour afin de faciliter tous les retours volontaires,
mais aussi d'essayer de développer les pays d'origine.
Nous souhaitons gérer la mobilité dans des conventions mutuelles
avec ces pays répondant aux intérêts des Etats, favoriser
l'émergence de systèmes de crédit mutualisés,
coopératifs, décentralisés, et drainer l'épargne
immigrée vers l'investissement productif dans le pays d'origine.
Ce co-développement lié aux migrations internationales peut avoir
un triple effet : il peut aider certaines personnes à repartir dans leur
pays, y compris ceux en situation régulière ; il peut
également drainer une partie de l'épargne réalisée
par les salariés étrangers sur notre territoire en direction du
pays d'origine, autour de projets sérieux et accompagnés ; enfin,
il peut permettre le développement des pays sous certains angles, en
évitant ainsi que les flux migratoires en provenance de ces pays ne
soient trop importants.
M. LE RAPPORTEUR
- Pourrez-vous nous adresser une note exhaustive sur
ces problèmes ?
Mme LE MINISTRE
- Bien sûr.
M. LE PRÉSIDENT
- Nous vous interrogions sur
l'attractivité de ce dispositif, les précédents n'ayant
pas donné de grands résultats...
Mme LE MINISTRE
- C'est vrai. Jusqu'à présent, il n'y a
pas eu, en termes quantitatifs, énormément de retours aux pays.
Je puis d'ailleurs vous communiquer les chiffres précédents...
Le dispositif d'aide publique à la réinsertion,
expérimenté en 1984 et pérennisé en 1987, a
concerné 63.000 personnes pour les années 1985 à 1987. Ce
dispositif reposait principalement sur la signature de conventions avec des
entreprises en restructuration, notamment dans le secteur automobile, et a
profondément décru ces dernières années : 311
personnes en 1996 et 286 en 1997...
Le dispositif d'aide à la réinsertion de 1991 pour les
déboutés du droit d'asile a concerné quant à elle
8.200 personnes, mais 1.599 en 1995 et seulement 1.016 ans 1997. On voit donc
bien qu'il y a eu une diminution assez forte de ces dispositifs.
Aujourd'hui -mais nous ne sommes qu'au début des demandes d'aide au
retour, puisqu'une fois la décision prise, les personnes
concernées ont un délai d'un mois pour pouvoir déposer un
dossier- on compte 2.500 demandes d'information sur l'aide au retour. Par
ailleurs, 400 dossiers ont été déposés et 200
personnes sont effectivement parties.
Les dossiers concernent principalement des Turcs, des Algériens, des
Maliens, des Marocains et des Tunisiens.
M. LE PRÉSIDENT
- Noue aurons l'occasion de revenir sur ces
chiffres, qui nous paraissent à la fois intéressants et faibles.
Il y a sans doute quelques causes à cela...
M. LE RAPPORTEUR
- Ceci me permet de vous poser la seconde question...
La publication de la circulaire du 19 janvier 1998, sept mois après
celle sur les régularisations, ne risque-t-elle pas d'affecter le
succès de l'opération et de faire obstacle à
l'éloignement des non-régularisés ?
M. LE PRÉSIDENT
- Ces sept mois d'écart nous ont paru
fâcheux...
M. LE RAPPORTEUR
- Comment expliquez-vous un tel retard dans la
publication de cette circulaire ?
Mme LE MINISTRE
- Ce délai n'a privé personne de la
possibilité d'aide au retour. Il n'y a eu aucune rupture entre le
précédent dispositif, qui remontait à août 1991, et
celui de janvier 1998.
Si j'ai dit que le dispositif actuel était plus intéressant,
c'est parce qu'il accompagne d'une aide psychologique, mais aussi d'une aide au
projet, les personnes qui souhaitent repartir.
Cela dit, les aides financières préexistaient, et un
étranger en situation irrégulière qui l'aurait voulu ,
aurait pu en bénéficier avant le mois de janvier
En second lieu, la circulaire prévoit que les intéressés
disposent d'un délai d'un mois à compter de sa publication, ou de
la remise de l'invitation à quitter le territoire, IQF, si celle-ci est
faite postérieurement.
Or, si les premières IQF ont été notifiées
dès le mois de juillet 1997, les premiers arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière ont
été notifiés en avril dernier, soit plus de deux mois
après la publication de la circulaire. C'est à ce moment qu'un
certain nombre d'étrangers en situation irrégulière
prennent conscience de la situation et contactent l'OMI pour vérifier
leurs possibilités de quitter le territoire.
J'ai donc la conviction que la publication de cette circulaire, en janvier, n'a
pas entraîné de retard dans les retours au pays.
La qualité de cette circulaire, ainsi que la nécessité de
discuter et de négocier avec certains pays ou certaines associations
accompagnant les personnes en situation irrégulière retournant
dans leur pays, expliquent ce délai, qui en fait sans doute un
dispositif plus complet et plus attractif pour ceux qui doivent repartir chez
eux.
M. LE PRÉSIDENT
- Le Ministre de l'intérieur, pour sa
part, s'est plaint ici-même publiquement de la lenteur des
procédures administratives...
Mme LE MINISTRE
- Je n'ai pas à m'exprimer sur les propos du
ministre de l'intérieur. J'ai donné les chiffres tout à
l'heure... Encore une fois, je ne crois pas que le délai a causé
des difficultés ou des retards dans les retours au pays.
M. LE RAPPORTEUR
- Comment expliquez-vous le faible nombre de demandes
d'aide au retour enregistrées jusqu'à présent ? Je
remarque que l'on compte seulement 41 dossiers déposés pour le
Mali.
Mme LE MINISTRE
- Une fois la décision de
non-régularisation prise, les étrangers en situation
irrégulière exercent leur droit de recours. Une seconde
décision intervient ensuite, et c'est seulement après que
l'arrêté de reconduite à la frontière leur a
été présenté que la conviction de partir s'impose
à eux. Ils se renseignent alors sur les dispositifs qui leur permettent
de repartir dans les meilleures conditions.
Je suis persuadée -et c'est pourquoi nous avons renforcé les
moyens de l'OMI- que l'on va avoir une accélération
extrêmement forte des demandes d'aide au retour dans les semaines qui
viennent.
M. LE RAPPORTEUR
- Quelle évaluation faites-vous du nombre final
de demandeurs de l'aide au retour parmi les personnes
non-régularisées ?
Mme LE MINISTRE
- Il n'y a pas d'évaluation de mes services ;
dans ce domaine, je me garderai bien de tout pronostic.
Je souhaite -et la volonté du Gouvernement a été
très claire- mettre fin à un certain nombre d'états de
fait qui tournaient parfois à des situations inextricables, certains
étrangers n'étant ni régularisables, ni expulsables, et
d'autres, ayant des enfants français, n'arrivant pas à travailler
pour faire vivre leur famille sur notre territoire. La volonté du
Gouvernement est cependant tout aussi forte, dès lors que ces personnes
ne remplissent pas ces critères, de les reconduire à la
frontière !
Ces procédures, du fait des recours -qui sont nécessaires dans
une démocratie- nécessitent quelques délais, mais nous
sommes dans un circuit qui fonctionne maintenant normalement, et je pense que
nous allons enregistrer un nombre de demandes plus important.
Je suis bien entendu dans l'incapacité de dire combien
d'étrangers recourront à ces procédures. Il est vrai que,
dans ces milieux comme dans d'autres, le bouche-à-oreille joue
énormément, et j'espère qu'un certain nombre de personnes
viendront nous voir pour retourner dans leur pays dans les meilleures
conditions, car nous y avons tous intérêt. Certains pays, comme le
Mali, ont parfois été troublés par la façon dont
certains retours se sont opérés...
Nous souhaitons que ces retours s'effectuent de la manière la plus
correcte possible, non seulement au niveau des droits de l'homme, mais aussi
économique, psychologique et social.
M. LE PRÉSIDENT
- Le directeur de l'OMI nous a indiqué
qu'il existait une prévision budgétaire de 10.000 aides au retour
pour l'exercice du budget 1998, et que l'on pouvait espérer des
crédits supplémentaires en cas de besoin. Le chiffre de 10.000 ne
vous paraît-il pas optimiste ?
Mme LE MINISTRE
- Je n'en sais rien. Il s'agit d'un crédit
évaluatif, qui pourra être dépassé si
nécessaire.
M. LE PRÉSIDENT
- Nous sommes au mois de mai...
Mme LE MINISTRE
- Cela ne fait que deux mois, du fait des recours, que
le processus fonctionne à plein.
M. LE PRÉSIDENT
- Si les intéressés attendent les
résultats de leur recours gracieux et contentieux pour déposer un
dossier d'aide au retour, nous risquons d'attendre un peu !
M. LE RAPPORTEUR
- Pour quelle raison le Gouvernement a-t-il
décidé la création, le 24 avril dernier, d'un
délégué interministériel au co-développement
et aux migrations internationales ? Cette décision est-elle la
conséquence de l'échec rencontré par la procédure
d'aide au retour ?
Mme LE MINISTRE
- J'ai déjà dit un mot de la raison pour
laquelle le Premier ministre a décidé de créer la
délégation interministérielle. Je crois que le
co-développement présente un intérêt profond...
M. LE PRÉSIDENT
- Quelle en est la définition ?
Mme LE MINISTRE
- Par rapport à l'aide au développement,
le co-développement laisse à penser -et je crois qu'il faut
arriver à le construire- que les pays ont intérêt à
mettre ce dispositif en place et le réaliser ensemble.
Il ne s'agit pas d'une aide sous forme d'assistance aux pays qui ont besoin de
se développer, mais d'une aide organisée à la fois par le
pays d'origine et par le pays d'accueil, par des Français, mais aussi
par des citoyens de ces pays, autour de plusieurs possibilités.
En premier lieu, un certain nombre d'étrangers en situation
régulière décident de repartir chez eux, parce que nous
les avons aidés à monter des projets qui aideront leur pays
d'origine.
En outre, il faut organiser la collecte de l'épargne qui se fait
aujourd'hui de manière bilatérale et isolée, pour aider
à la mise en place de projets sur le terrain.
Tout ce qui se fait aujourd'hui autour du fleuve Sénégal et au
Mali, où certains villages s'organisent avec les personnes qui sont sur
notre territoire et qui habitaient précédemment dans ces
villages, afin de développer un puits, une école, un dispensaire
d'accès aux soins, me paraît aller dans le bon sens.
Nous souhaitons aussi, au titre du co-développement, aider à la
coopération entre les Etats mais aussi entre les entreprises et entre
les associations.
Nous voyons de plus en plus -et je le constate dans le domaine de la
santé- comment un co-développement et des relations
bilatérales entre des hôpitaux français et ceux des pays
où l'état de santé est difficile, permettent de
développer des conditions de maintien au pays.
Il s'agit donc encore une fois d'avoir une vision qui soit moins une vision
d'assistance qu'une vision destinée à faire en sorte que ces pays
se prennent en mains, pour aider au développement.
M. LE PRÉSIDENT
- ... Et à quoi correspond la nomination
du délégué interministériel au
co-développement ? Je crois qu'il vous est rattaché...
Mme LE MINISTRE
- En effet...
Cette nomination correspond à la volonté de faire
d'expériences isolées une véritable politique. Je ne pense
pas, à terme, que la délégation interministérielle
au co-développement doive rester ainsi : elle devra devenir un
élément naturel de la politique de notre pays et, sans doute,
être intégrée à la Direction des populations de
l'immigration, en parallèle avec le travail mené par l'OMI.
Il est cependant important, dans un période expérimentale, que ce
délégué puisse porter ces projets dans les pays d'origine
et auprès des ressortissants qui se trouvent sur notre territoire, et
essaye de monter, avec des associations et des entreprises, un certain nombre
d'expériences innovantes qui puissent être reconnues, afin de
permettre le développement de beaucoup d'autres.
M. LE PRÉSIDENT
- Ce délégué aurait pu
être rattaché au ministre délégué à la
coopération...
Mme LE MINISTRE
- Oui, s'il s'était agi d'un
élément de coopération ou d'aide au développement
classique, c'est-à-dire de l'apport par la France de crédits ou
d'aides techniques à ces pays.
Ainsi que je l'ai dit, il s'agit d'aides apportées en règle
générale par des ressortissants des pays concernés qui
sont actuellement installés sur notre territoire...
M. LE PRÉSIDENT
- C'est un recyclage, une mobilisation...
Mme LE MINISTRE
- C'est cela même...
M. LE PRÉSIDENT
- Il n'est pas interdit de penser que des
crédits du ministère de la coopération puissent être
affectés à cette tâche...
Mme LE MINISTRE
- Les crédits du ministère de la
coopération aident au développement de ces pays, mais dans le
cadre d'une aide bilatérale. Dans le cas précis, nous souhaitons
aussi mobiliser l'épargne des ressortissants autour de projets de
développement. Il est très important que nous soyons capables
d'aider ces projets et d'étendre le dispositif.
Le ministère de la coopération finance par ailleurs les
structures d'appui -associations, ONG, bureaux d'études aux projets de
réinsertion- pour un montant maximum de 8.000 francs.
M. LE RAPPORTEUR
- Autre question concernant le
délégué interministériel : M. Sami Naïr a
déclaré dans la presse le 4 mai dernier que "la mondialisation
exacerbe les mouvements migratoires et nous oblige à gérer plus
souplement les flux". Le Gouvernement partage-t-il cette conception ? Cette
prise de position correspond-elle aux objectifs assignés à M.
Sami Naïr dans ses fonctions de délégué
interministériel au co-développement et aux migrations
internationales ?
Mme LE MINISTRE
- Vous faites sans doute référence
à une interview publiée par Le Monde, un peu tardivement
d'ailleurs, car elle a été réalisée avant la
nomination de M. Sami Naïr, d'après ce qu'il m'en a dit, et
était en fait relative au rapport qu'il a remis au Gouvernement.
Il voulait, par la phrase que vous avez relevée, lier de manière
forte la maîtrise des flux et la coopération. L'idée qui
est aussi la sienne -et qui me paraît bonne- est d'essayer de favoriser
des flux temporaires.
Dans le fond, nous avons tous, depuis des années, par absence d'aides au
retour et au co-développement, favorisé le maintien de ces flux
sur notre territoire.
Le fait que certains ressortissants, en accord avec les pays d'origine,
viennent dans le but de construire un projet de développement dans leur
pays et y retournent par la suite, m'apparaît une bonne idée.
Pour le reste, M. Sami Naïr s'est exprimé en son nom. Le
Gouvernement ne reprend pas à son compte l'ensemble de ses propos qui,
encore une fois, faisaient référence au contenu de son rapport au
Gouvernement.
Il doit maintenant me faire dès proposition sur le
co-développement et le Gouvernement annoncera sa politique lorsque ces
propositions auront été étudiées par le
Gouvernement.
M. LE RAPPORTEUR
- La théorie des flux temporaires ne peut-elle
se révéler dangereuse ?
Mme LE MINISTRE
- Je ne pense pas qu'il faille organiser des flux
temporaires à grande échelle. Je prétends seulement qu'un
certain nombre de personnes restent sur notre territoire de manière
permanente parce que nous ne leur avons pas permis de retourner chez eux dans
de bonnes conditions.
La France ne doit pas être un lieu d'accueil pour des flux successifs de
ressortissants de pays étrangers, mais doit aider un certain nombre
d'étrangers, qui ont des difficultés d'insertion, à
retourner dans leur pays dans de bonnes conditions, notamment grâce
à des projets de co-développement.
Le Gouvernement ne souhaite donc pas développer des flux successifs de
personnes susceptibles de repartir dans leur pays mais, au contraire, d'aider
ceux qui se trouvent en France à n'y rester que de manière
transitoire, dans un objectif de développement.
M. LE RAPPORTEUR
- L'idée d'une gestion plus souple des flux
migratoires évoquée par M. Sami Naïr n'est donc pas
partagée par le Gouvernement...
Mme LE MINISTRE
- ... Je pense que la situation de crise que vit
aujourd'hui l'Europe ne permet pas d'organiser des flux migratoires temporaires
successifs à grande échelle. C'est une politique que pourraient
peut-être envisager des pays qui retrouveraient une forte croissance,
comme un moyen de développement des pays d'origine, mais pour ce qui
nous concerne, je pense que l'on doit favoriser le retour au pays de ceux qui
ne souhaitent pas s'installer ici de manière permanente. Pour moi, c'est
du pragmatisme !
M. LE RAPPORTEUR
- Passons à la seconde série de
questions, relatives aux conséquences sociales de la
régularisation...
Quel est le profil de la population aujourd'hui régularisée ?
Mme LE MINISTRE
- La circulaire distingue neuf catégories
d'étrangers régularisables.
Au 31 mars 1998, sur 150.000 demandes, on compte selon le ministère de
l'intérieur environ 42.000 autorisations de séjours et 40.000
rejets, soit 13,8 % pour les familles constituées de longue date, 16,3 %
pour les conjoints d'étrangers en situation régulière, 6,2
% pour les conjoints de Français, 11,5 % pour le regroupement familial,
14,8 % pour les étrangers sans charge de famille, 5,6 % pour les mineurs
âgés de plus de 16 ans entrés hors regroupement familial et
28,1 % pour les parents d'enfants nés en France.
Je remettrai bien évidemment ces chiffres à la commission.
M. LE RAPPORTEUR
- Quelle est la statistique pour les étrangers
malades ?
Mme LE MINISTRE
- Ils se trouvent dans les autres catégories, qui
représentent 3,7 %. Il y en en fait très peu -1.430 aujourd'hui.
M. LE RAPPORTEUR
- Quelles seront les conséquences de la
régularisation sur la situation de l'emploi ? N'y a-t-il pas là
un risque d'aggravation du chômage ?
Mme LE MINISTRE
- Les données disponibles pour l'instant sur le
profil des personnes régularisées correspondant aux
catégories de la circulaire ne nous permettent pas de porter un regard
clair sur la situation de ces personnes au regard de l'emploi.
Cependant, le questionnaire qui sert d'appui au diagnostic social
réalisé par l'OMI au moment de la régularisation comporte
deux volets l'un est relatif à la situation de famille du
bénéficiaire ; l'autre permet de noter les différents
domaines dans lequel un suivi social doit être envisagé, dont la
formation et l'emploi.
C'est donc à partir de ce questionnaire que nous serons capables
d'analyser véritablement la situation.
Le ministère de l'emploi et de la solidarité a d'ailleurs
conçu une importante étude de connaissance de cette population
qui aura bénéficié de la régularisation. Un dossier
a été déposé à la CNIL et un organisme
d'études est pressenti.
Pour beaucoup de ces étrangers régularisés, nous ne sommes
pas dans la même situation qu'en 1981. Beaucoup d'entre eux
étaient dans des familles déjà intégrées.
L'effet en matière d'emploi est donc très différent.
En outre, l'appel que représente la présence d'enfants sera
beaucoup moins important, puisqu'une des raisons majeures de la
régularisation réside dans le fait qu'un certain nombre avaient
des enfants Français déjà installés en France.
Bien évidemment, la capacité d'insertion dans notre
société est beaucoup plus forte, puisque le critère majeur
était un critère d'intégration sur notre territoire.
M. LE RAPPORTEUR
- Vous avez parlé d'une étude en cours
d'élaboration. Quand sera-t-elle disponible ?
Mme LE MINISTRE
- Elle n'est pas lancée encore, puisqu'il nous
faut un rapport de la CNIL...
M. LE RAPPORTEUR
- Il n'existe donc pas d'étude ?
Mme LE MINISTRE
- Cette étude pourra être faite à
partir des diagnostics sociaux réalisés par l'OMI.
Or, ceux-ci sont en cours pour un grand nombre d'étrangers
régularisés. Nous n'avons donc pas encore toutes les
données ; c'est seulement lorsque nous les aurons que nous pourrons
tirer les conséquences de cette étude, très certainement
en fin d'année.
M. LE RAPPORTEUR
- Comment entendez-vous répondre aux nouveaux
besoins de logements sociaux suscités par ces régularisations ?
Mme LE MINISTRE
- Je n'ai pas de données particulières sur
ce point, mais je pense que les critères de régularisation
portaient sur des familles largement intégrées ou sur des
étudiants en cours d'études, et donc logés...
Je pense donc que ce problème du logement doit se poser, mais de
manière marginale, dans les cas retenus dans la circulaire.
M. LE RAPPORTEUR
- Quelles seront, pour les départements, les
conséquences financières du droit ainsi ouvert à certaines
prestations d'aide sociale pour les personnes régularisées ?
Mme LE MINISTRE
- Il faut traiter l'ensemble des conséquences de
ces régularisations, car il y aura des conséquences sur les
organismes de protection sociale...
M. LE RAPPORTEUR
- C'était l'objet de ma question suivante...
Mme LE MINISTRE
- Dès lors qu'il y a régularisation, ces
personnes entreront dans le dispositif classique ; on devrait alors enregistrer
une diminution des crédits d'aide sociale globale versée par les
départements plutôt qu'une augmentation -sans que nous soyons
capables de le mesurer toutefois exactement.
Quant aux conséquences sur les organismes de protection sociale, elles
portent sur les prestations familiales et sur l'assurance-maladie.
Concernant les prestations familiales, seuls seront touchés directement
les enfants entrés hors regroupement familial, qui peuvent donner lieu
à l'ouverture de droits.
Au 31 mars 1998, le nombre de bénéficiaires de la
régularisation à ce titre est de 4.519, ce qui a permis une
estimation du nombre total de personnes régularisées attendues
à ce titre au terme de l'opération.
Par ailleurs, l'OMI a réalisé une étude par sondage sur la
composition des familles avant et après régularisation ; enfin,
les services de la CNAF disposent du montant moyen de prestations familiales
versées aux familles étrangères en fonction de la
composition de la famille. Ceci a permis au bureau des prévisions de la
CNAF -ce ne sont que des prévisions et j'y mets donc toutes les
précautions d'usage- de faire une estimation du coût global
d'ouverture du droit aux prestations familiales au titre du réexamen.
L'impact apparaît être, sous les réserves d'usage,
estimé à 190 millions de francs en année pleine. Ce
chiffre concerne toutes les prestations versées par les CAF, y compris
les aides au logement.
Cette masse, il faut le souligner, représente 0,08 % des 242 milliards
de dépenses des CAF et autres organismes débiteurs en
métropole, et 0,7 % de la masse versée actuellement.
M. LE RAPPORTEUR
- Pourrez-vous nous communiquer cette note ?
Mme LE MINISTRE
- Bien sûr...
J'ajoute que le surcoût de 25 millions du RMI est intégré
dans le chiffre de 190 millions.
Concernant l'assurance-maladie, dans le cadre des travaux préparatoires
à la mise en place de la couverture maladie universelle, la direction de
l'action sociale et celle traitant du RMI ont établi un chiffrage
estimatif du coût annuel des dépenses d'aide médicale au
profit des étrangers en situation irrégulière. En effet,
qu'il y ait ou non convention avec le pays d'origine, il existe une aide
médicale gratuite, y compris pour des personnes en situation
irrégulière lorsque la nécessité l'impose.
Le chiffre est de 300 millions de francs. Si l'on admet que 75.000 sur 150.000
obtiendront leur régularisation, la dépense moyenne annuelle
étant de 4.000 francs par personne, on arrive à une
dépense annuelle de l'ordre de 300 millions de francs, soit une somme
qui n'est pas loin de celle dépensée aujourd'hui pour les
étrangers en situation irrégulière.
Sans doute en restera-t-il un certain nombre - je ne prétends pas que
les 300 premiers millions disparaîtront totalement- mais il faut
préciser que les étrangers régularisés cotiseront
à la Sécurité sociale.
Globalement, pour l'assurance-maladie, au pire l'opération sera blanche,
au mieux, elle rapportera de l'argent !
M. LE RAPPORTEUR
- S'ils travaillent : c'est tout le problème !
Mme LE MINISTRE
- Oui, mais les critères choisis sont des
critères d'intégration, qui laissent à penser que le
travail sera plus simple pour ces catégories que pour celles qui ont
été régularisées en 1981...
M. CALDAGUÈS
- Vous avez évoqué les garanties
d'insertion produites à l'appui des demandes de régularisation.
Dans la mesure où elles résident dans des activités
préexistantes, celles-ci ne peuvent être que clandestines !
Comment conciliez-vous leur prise en compte avec la lutte contre le travail
clandestin ? Si ce n'est pas le cas, comment est-il possible d'avoir de telles
activités lorsqu'on est en situation irrégulière ?
Mme LE MINISTRE
- En effet, il n'est pas possible d'avoir une
activité déclarée en étant en situation
irrégulière.
Il ne peut donc y avoir -sauf fraude extrêmement difficile à
mettre en oeuvre- de travailleur déclaré à la
Sécurité sociale en situation irrégulière.
En revanche, le travail clandestin existe et je rappelle que les
procès-verbaux émis par les inspecteurs du travail font
apparaître qu'il ne touche que pour 10 % d'entre eux des étrangers
en situation irrégulière. Dans 90 % des cas, il s'agit soit de
Français non-déclarés soit d'étrangers en situation
régulière.
Nous travaillons actuellement à un diagnostic des dernières
mesures prises en matière de lutte contre le travail clandestin.
En 1992, j'avais moi-même renforcé les contrôles sur le
travail clandestin, notamment en généralisant la
déclaration préalable au travail, que je continue à
considérer comme l'élément majeur de lutte contre le
travail clandestin. Deux cent mille personnes avaient d'ailleurs
été par la suite déclarées à la
Sécurité sociale...
Cette déclaration avait été mise en place dans des
conditions extrêmement souples, puisque l'employeur pouvait souscrire une
déclaration soit par fax, soit par minitel ou par courrier. Il recevait
immédiatement un numéro de la Sécurité sociale
permettant d'assurer que la déclaration avait bien été
faite.
Je crois qu'il y a eu quelques assouplissements dans la pratique et dans le
contrôle. J'ai pour ma part demandé aux inspecteurs du travail
d'être très vigilants en la matière, car cette
déclaration est l'élément majeur pour pouvoir
contrôler ce type de travail irrégulier, qui a lieu chez les
commerçants ou chez les artisans.
Le travail au noir chez un particulier pose d'autres types de problèmes,
puisque l'inspecteur du travail ne peut pénétrer au domicile des
particuliers. Je souhaite, après le diagnostic qui est en train
d'être réalisé, reprendre cette législation sur le
travail clandestin, pour vérifier s'il n'y pas encore des mesures
à mettre en place, tant parce qu'il s'agit d'une règle normale de
la démocratie que parce que notre système de protection sociale
ne peut se permettre de telles fuites de cotisations !
M. LE RAPPORTEUR
- D'après les services de la préfecture
d'une dizaine de départements, de nombreux candidats à la
régularisation ont fourni des bulletins de salaire remontant à
plusieurs années. Or, qui dit bulletin de salaire dit cotisations !
Par ailleurs, quelles sont les perspectives d'intégration dans la
société française des personnes ainsi
régularisées ?
Mme LE MINISTRE
- Je l'ai dit : ces cas peuvent survenir, mais ils sont
marginaux. Il s'agit de fraudes de la part du chef d'entreprise ou de
présentation de faux papiers. C'est de plus en plus difficile, et les
mesures prises par le ministère de l'intérieur rendront encore
plus difficile la falsification de ces papiers.
D'autre part, le suivi social des personnes doit permettre -et c'est la
première fois que cela existe- de meilleures chances
d'intégration sur notre territoire.
D'ores et déjà, les constatations faites par les auditeurs
sociaux de l'OMI et des directions de l'action sanitaire et sociale sont
très encourageantes ; en effet, le questionnaire social que nous
proposons au moment de la visite médicale réalisée par
l'OMI n'est pas obligatoire.
Or, très peu de personnes refusent de se plier à cette
formalité et d'être suivies : 15 % seulement à fin mars, la
plus grande partie résultant de problèmes de traduction. Ce sont
les populations chinoises qui, en grande majorité, n'ont pu remplir le
questionnaire de suivi social qui permettra de les suivre et de les aider
à s'intégrer.
Je répète que les critères qui ont été
choisis ne laissent aucun doute quant au fait que l'intégration de ces
personnes se fera plus facilement que les fois précédentes...
M. LE RAPPORTEUR
- La préfecture de la Seine nous a
indiqué qu'il existait 7.000 demandes de régularisations
émanant de Chinois...
Enfin, ne pensez-vous pas qu'il est urgent d'unifier les législations
européennes de l'espace Schengen concernant l'immigration,
l'installation des étrangers dans l'Union européenne et les
actions de co-développement ?
Mme LE MINISTRE
- L'espace Schengen -qui commence à bien
fonctionner - me paraît être un plus dans le cadre de la
maîtrise des flux migratoires même si, au départ, il a
entraîné quelques inquiétudes et parfois même
quelques difficultés. Il faudra aller plus loin, et nous sommes
déjà allés plus loin en matière de droit d'asile au
niveau européen.
Nous devons en effet aller vers une plus grande unification de nos
réglementations et, si le co-développement fonctionne bien,
essayer de faire en sorte qu'en Europe, d'autres pays développent ce
type de liens.
M. LE RAPPORTEUR
- Merci.
M. LE PRÉSIDENT
- La discussion est ouverte.
M. ALLOUCHE
- S'agissant de la déclaration préalable
d'embauche, DPE, j'ai souvenir de ce débat, qui s'était
déroulé au Sénat il y a quelques années, et je
voudrais renvoyer mes collègues de la majorité sénatoriale
à la discussion que nous avions eue.
Vous n'aviez pas approuvé cette mesure, ce qui prouve qu'il ne suffit
donc pas de tenir des discours sur la nécessité de lutter contre
le travail clandestin : encore faut-il approuver les mesures -fussent-elles
drastiques ! Je suis d'ailleurs heureux d'apprendre que 200.000 cas ont
été ainsi réglés.
Par ailleurs, afin de tordre le cou aux rumeurs non-fondées, pouvez-vous
dire, Madame le Ministre, à quoi ont droit les personnes en situation
irrégulière dans le domaine social ?
Mme LE MINISTRE
- Je voudrais remercier M. Allouche de son soutien
à la DPE. Il est vrai que beaucoup d'artisans, de commerçants et
de petites entreprises ont fait pression ces dernières années
pour que cette déclaration soit supprimée. Je considère
que l'on ne peut à la fois prétendre lutter contre le travail
clandestin -qui porte encore une fois très marginalement sur les
étrangers en situation irrégulière- et frauder le fisc ou
la Sécurité sociale, d'autant que les moyens informatiques
permettent aujourd'hui de déclarer un salarié, avant qu'il ne
commence à travailler, avec une grande facilité !
Par ailleurs, les chiffres que j'ai cités concernent la
régularisation. Encore une fois, après les réserves
d'usage, je pense qu'ils sont fondés...
En troisième lieu, les personnes en situation irrégulière
ont essentiellement droit à des prestations liées à des
situations de détresse et d'urgence particulières.
En fait, il s'agit d'assistance à des personnes en danger : celles-ci
n'ont évidemment pas le droit aux prestations familiales classiques, au
RMI ou à d'autres diverses. Il s'agit de cas très précis
-prestations sociales à l'enfance, aide sociale dans un centre
d'hébergement ou de réadaptation sociale... Ce sont ces
dépenses, pour la plupart réalisées par les
départements, qui vont diminuer lorsque ces personnes seront
régularisées.
L'aide médicale coûte 300 millions de francs et concerne les
soins dispensés dans un établissement hospitalier ou l'aide
médicale à domicile lorsque l'intéressé est
présent de façon ininterrompue depuis trois ans sur le territoire
et est atteint d'une affection grave.
Enfin, l'allocation d'aide sociale aux personnes âgées et aux
infirmes est attribuée à condition d'avoir résidé
en France de façon ininterrompue depuis au moins quinze ans, avant
l'âge de 70 ans.
Voilà quelques prestations qui relèvent plus du respect des
droits de l'homme et de d'assistance à personne en danger qu'à
une intégration dans notre système de protection sociale !
M. BOYER
- Pour répondre à M. Allouche, je rappelle que ce
sont les collectivités locales qui payent les CCAS. Cela ne figure pas
dans vos chiffres : il faut l'ajouter !
Mme LE MINISTRE
- En effet, mais aujourd'hui, l'aide sociale
attribuée par les collectivités territoriales à un certain
nombre de travailleurs en situation irrégulière va diminuer...
M. MAHÉAS
- Madame le Ministre, la France a intégré
par le passé un nombre plus important d'étrangers, et je vois
exposer sur les panneaux de la ville de Neuilly-sur-Marne des devoirs
d'élèves de troisième relatant le rôle des
étrangers lors de la dernière guerre mondiale et
l'intégration de ces étrangers entre les deux dernières
guerres mondiales.
On est quelquefois un peu frileux, mais 145.000 régularisations
environ, même si les estimations sont revues à la baisse, 50 %
d'étrangers régularisés, ne présentent dans la
plupart des départements aucune difficulté.
Cependant, un certain nombre de sénateurs ici présents sont de la
Seine-Saint-Denis. Il est vrai que le nombre de dossiers dans ce
département est plus important qu'ailleurs. Les services
préfectoraux ont d'ailleurs fait un travail considérable :
actuellement, plus de 95 % des dossiers sont traités dans notre
département -et très correctement traités.
Toutefois, ce département ne nécessite-t-il pas un suivi
particulier -même si le rapporteur a indiqué les
difficultés de façon globale- dans le domaine de
l'éducation, du logement du travail et de l'aide sociale, certaines
communes de Seine-Saint-Denis étant particulièrement pauvres ?
Mme LE MINISTRE
- En termes statistiques, le nombre de dossiers
reçus par l'OMI à la fin du mois de mars 1998 ayant donné
lieu à régularisation est de 32.120 en Ile-de-France, dont 13.450
à Paris et 8.750 en Seine-Saint-Denis.
Comme je l'ai dit, je ne pense pas que la régularisation de ces
personnes entraîne des dépenses supplémentaires pour les
communes et les départements, au contraire.
En revanche, elle pose les mêmes types de problèmes que pour
l'ensemble des habitants de Seine-Saint-Denis.
La seule façon d'y répondre est de le faire, comme essaye le
Gouvernement, par une politique de la ville qui recrée la mixité
sociale. En effet, l'un des grands problèmes en Seine-Saint-Denis, comme
dans beaucoup de départements, de banlieues ou de quartiers, est
d'arriver à retrouver une véritable vie en société
et de faire en sorte que des catégories différentes puissent
vivre les unes à côté des autres.
Ceci permet que des enfants appartenant à des familles en
difficulté ne se retrouvent pas tous dans les mêmes écoles,
et n'entrent dans la spirale infernale de l'échec scolaire. C'est toute
la politique que nous menons actuellement, notamment en accroissant la
mixité et en donnant les moyens supplémentaires en services
publics -sécurité, éducation- à des
départements qui souffrent particulièrement d'un fort pourcentage
de personnes défavorisées.
M. CALDAGUÈS
- Je ne voudrais pas élargir nos discussions,
mais je puis vous raconter comment quelqu'un qui a un malade incurable chez
lui, soumis à une garde quasi permanente, et qui accomplit
scrupuleusement ses obligations, peut être persécuté par
l'URSSAF pour des questions de pure forme, alors que des sociétés
nationales accusent des découverts énormes auprès de
ladite URSSAF !
Vous comprendrez mieux alors pourquoi existe chez certains la tentation de
frauder, celle-ci provenant dans une large mesure d'un excès de
paperasserie, auquel a fort heureusement remédié la mesure
instituée par le Gouvernement de M. Balladur, et que le Gouvernement
actuel a diminuée !
S'agissant de la DPE, il existe des professions, notamment dans la
restauration, où la déclaration crée des
difficultés particulières. Ce sont des professions dans
lesquelles on use beaucoup de l'embauche à l'essai. Ce sont elles qui se
sont manifestées...
Enfin, vous avez dit que les prestations versées aux personnes en
situation irrégulière relevaient essentiellement de l'assistance
à personne en danger. Il a été formellement établi
par la commission d'enquête sur l'immigration de l'Assemblée
nationale qu'il existait des bénéficiaires de la
Sécurité sociale en nombre significatif en situation
irrégulière ! D'ailleurs les services de la
Sécurité sociale se sont toujours refusés à mener
une enquête à ce sujet.
Par conséquent, j'émets un doute quant aux chiffres que vous avez
cités, ainsi que sur le coût de l'aide médicale gratuite.
Je vous recommande donc de relire ce rapport...
Enfin, personne ne pense à l'accueil dans les écoles des enfants
en situation irrégulière ! On reproche aux municipalités
de pas être suffisamment prévoyantes en matière de locaux
scolaires -on l'a fait pour Paris- alors qu'on ne sait pas à l'avance
combien on aura d'enfants l'année prochaine, puisqu'on doit accueillir
les enfants en situation irrégulière ! Cela aussi a un
coût, tout comme d'autres prestations municipales !
Il ne faut donc pas oublier tout cela et, lorsqu'on s'efforce de mettre ses
collègues en difficulté, Monsieur Allouche, appréhendez
quand même un peu plus sérieusement la situation !
M. ALLOUCHE
- J'ai toujours appris que l'école était
laïque et obligatoire !
Mme LE MINISTRE
- Lorsque je suis arrivée dans ce
ministère, aucun calcul n'avait été fait sur le coût
de l'aide médicale gratuite et la couverture maladie universelle, alors
que le précédent Gouvernement, qui est resté aux affaires
durant quatre ans, avait pourtant prôné l'assurance maladie
universelle.
Dès mon arrivé, j'ai fait mener l'enquête dont je vous
parle, qui a permis à la Sécurité sociale de dire que les
étrangers en situation irrégulière lui coûtaient 300
millions de francs en prestations maladie. Elle n'était peut-être
pas réalisée au moment où l'Assemblée nationale a
travaillé sur ce sujet, mais c'est maintenant chose faite, et je
remettrai ces résultats à la commission d'enquête.
Par ailleurs, on ne peut laisser dire ce que vous avez dit...
M. CALDAGUÈS
- On peut tout laisser dire au Parlement, Madame !
Mme LE MINISTRE
- ... J'aurais peut-être dû employer une
autre formule, mais les faits sont les faits, Monsieur le Sénateur !
Vous avez dit que le non-paiement des cotisations est souvent dû à
la paperasserie et avez cité en exemple la mesure de M. Balladur.
Celle-ci ne visait pas à réduire paperasserie, mais à
accroître les aides pour emplois familiaux à des personnes qui,
représentant 0,25 % des familles françaises, ne sont pas parmi
les plus défavorisées !
Nous étions le seul pays où, sur 115.000 francs, qui
représentent le coût d'une personne à temps plein au SMIC,
l'Etat remboursait 80.000 francs, soit 2,5 fois ce que touche un RMIste ! Vous
comprendrez donc que, dans l'état où se trouvait la
Sécurité sociale, on ait pu envisager de ne pas continuer
à aider à cette hauteur des personnes qui, par ailleurs, avaient
les moyens de prendre quelqu'un à domicile à temps plein !
En ce qui concerne la paperasserie, au contraire, le Gouvernement,
derrière le Premier ministre a annoncé une réduction de
celle-ci et a décidé d'unifier les déclarations
d'entreprise, afin de pouvoir créer une société en un
jour. J'ai par ailleurs lancé, avec les organisations UPA et CGPME,
l'idée d'une négociation interprofessionnelle pour que l'ensemble
des professions acceptent le principe d'une caisse unique pour la couverture
maladie complémentaire et la retraite complémentaire des premiers
salariés.
Si le patronat est d'accord sur ce point, le ministre des affaires sociales et
l'ACOSS sont prêts à réaliser la déclaration, le
bulletin de paye et à demander à l'entreprise un seul
chèque pour l'ensemble des cotisations qui doivent être
prélevées. Nous n'avons donc pas accru la paperasserie, au
contraire !
Quant à l'aide à domicile, vous verrez, avec les mesures que je
serai amenée à prendre dans la loi de financement de la
Sécurité sociale, que nous allons essayer de soutenir l'aide
à domicile pour les personnes dépendantes handicapées et
les personnes âgées, ce qui n'a pas été tout
à fait le cas jusqu'à présent !
M. MAMAN
- Madame le Ministre, vous avez dit que vous vouliez faciliter
les retours volontaires. Quel est le processus employé ?
En second lieu, quels sont les moyens utilisés pour drainer
l'épargne des étrangers vers leur pays ?
Mme LE MINISTRE
- J'aurais dû ajouter que nous sommes en train de
mettre en place la proposition du rapport Weil, afin que les caisses de
Sécurité sociale puissent consulter le fichier des
étrangers en situation régulière tenu par le
ministère de l'intérieur. Ceci permettra d'éviter les
situations marginales de personnes qui travaillent, alors qu'elles ne sont pas
en situation régulière.
Le processus engagé pour l'aide au retour est extrêmement simple :
nous faisons connaître à l'intéressé l'aide que nous
pouvons lui apporter. S'il fait partie des pays avec lesquels nous avons une
convention d'aide au développement, comme le Mali, nous pouvons l'aider
dans son projet à hauteur de 24.000 francs.
M. MAMAN
- Sait-il où se renseigner ?
Mme LE MINISTRE
- Il suffit d'aller à la préfecture pour
qu'il soit aussitôt informé par lettre et convoqué par le
service de l'OMI, afin de lui faire connaître les différentes
possibilités.
En outre, il existe également des conventions passées avec des
associations qui peuvent fournir ces renseignements, ainsi qu'un numéro
vert que les personnes en situation régulière comme en situation
irrégulière peuvent contacter.
M. LE RAPPORTEUR
- Y a-t-il des imprimés dans les
préfectures pour les pays avec lesquels existe une convention ?
Mme LE MINISTRE
- Oui.
M. LE RAPPORTEUR
- Pouvez-vous nous les communiquer ?
Mme LE MINISTRE
- Bien sûr.
D'autre part, ce n'est pas le rôle de l'administration de collecter
l'épargne, mais plutôt aux associations. En revanche, on peut
aider les structures à collecter cette épargne, pour la renvoyer
dans les pays d'origine, afin de financer un projet particulier.
Un groupe de travail existe pour le Mali et pour quelques villages autour du
fleuve Sénégal. Je crois qu'il faut arriver à
généraliser cette opération. Aujourd'hui, ce sont les
étrangers eux-mêmes qui s'organisent et qui créent une
espèce de caisse commune pour envoyer ces fonds à
l'étranger. On peut les y aider...
M. LE PRÉSIDENT
- M. Sami Naïr semble avoir des idées
à ce sujet...
M. DEBARGE
- Une observation au sujet des travaux de la commission.
Notre volonté était de nous en tenir à l'application de la
circulaire, à sa concrétisation et aux résultats qui en
découlent. Au fur à mesure de nos réunions, nous nous
apercevons que l'environnement a beaucoup d'importance.
L'immigration est une vieille affaire en France. On ne rappellera pas qui a
fait venir les immigrés, ni pourquoi ces derniers sont venus et quelles
ont été les conséquences de certaines attitudes
politiques, mais c'est un héritage; et le nier serait nier
l'évidence !
Jacques Mahéas a rappelé que l'intégration était
une chose dont nous avions l'habitude, mais l'intégration n'est plus la
même qu'auparavant, même si la nature des uns et des autres peut
demeurer la même...
D'autre part, je pense que le problème est mondial, et si nous
n'arrivons pas à créer les conditions d'une intégration
large et constructive en Europe, les questions seront bientôt d'une autre
dimension et d'un autre risque que celles que nous nous posons actuellement !
Je n'ai pas été longtemps ministre de la coopération, mais
dans certains endroits, la situation est véritablement explosive !
L'intégration, la régularisation, sous une forme ou sous une
autre, l'aide au retour, doivent être menées sur une très
longue période.
Pour ma part, je pense que nous allons connaître des affaires
d'immigrés clandestins pendant encore longtemps. Il faut certes se fixer
un objectif, mais il n'y aura pas de miracle dans ce domaine !
On comptait 150.000 clandestins régularisables il y a un an ; il y en
aura certainement moins dorénavant, mais il en restera toujours un
certain nombre, et l'on sait que ce ne sont pas les charters qui
régleront ce genre d'affaires ! C'est pourquoi l'administration sera
obligée de tenir compte des objectifs politiques, qui peuvent fort bien
faire l'objet d'un consensus sur certaines questions...
Par ailleurs, je voudrais signaler l'exemple, en Seine Saint-Denis, d'un cas
certes particulier, qui justifierait toutefois la spécialisation de
certains services, afin de pouvoir fournir une réponse précise
aux intéressés. Ces cas sont fort rares, mais il ne faut pas
perdre de vue que l'avenir d'un individu est en jeu !
D'autre part, où en est-on des possibilités de relations avec
certaines communautés ? En Seine-Saint-Denis, 95 % des dossiers ont
été étudiés, mais il existe des nuances, et la
relation avec les immigrés en provenance du sud-est asiatique, par
exemple, est plus difficile qu'avec d'autres. La barrière du langage
n'est pas seule en cause...
M. LE RAPPORTEUR
- C'est l'une des raisons pour lesquelles je partage
votre point de vue et c'est pourquoi j'ai posé une question sur
l'harmonisation des réglementations européennes.
Mme LE MINISTRE
- Je suis très proche de l'avis exprimé
par M. Debarge. Ma conviction est que nous devrions afficher clairement les
principes de la politique d'immigration, afin que tout candidat à
l'immigration en connaisse bien les conditions. Pour le reste, je crois que
nous avons également intérêt à faire appliquer la
loi sans "coup de menton".
Aucun Gouvernement véritablement n'a réussi à traiter le
problème des personnes en situation irrégulière, sauf -et
cela a été très rare- lorsqu'ils ont affiché une
politique et ont été capables de s'y tenir.
L'immigration zéro n'existe pas. Nous avons fait venir par le
passé des flux très importants de salariés pour aider
à reconstruire notre pays et restaurer notamment sa capacité
industrielle. Il convient donc maintenant de faire appliquer la loi sans grand
discours ni "coups de menton ".
Même lorsqu'on a tenu des discours d'une extrême fermeté
vis-à-vis des étrangers en situation irrégulière,
on n'a jamais réussi à renvoyer chez eux plus de 20 % de ceux
à qui l'on avait délivré un arrêté de
reconduite à la frontière ! Même lorsque la politique
des charters était considérée comme une politique, on n'a
jamais renvoyé plus de 12.000 étrangers par an, alors même
que ceux qui avaient mis cette politique en place estimaient qu'il pouvait y
avoir jusqu'à 500 ou 800.000 étrangers en situation
irrégulière dans notre pays !
Ma conviction est qu'il faut clairement afficher nos principes dans ce domaine
et savoir ce que nous acceptons et ce que nous n'acceptons pas. Je crois
qu'aujourd'hui, le discours du Gouvernement contribue à une telle
clarté !
Il faut maintenant faire en sorte que la loi soit appliquée en
matière d'accueil et de régularisation, mais aussi de retour au
pays.
C'est en demeurant fermes sur ces principes, en assurant un accompagnement
psychologique, social, et financier, et en aidant les projets de
développement, que nous y parviendrons !
Bien évidemment, on ne peut parler d'immigration sans parler de
développement. L'Europe s'est posée la question des relations
avec les pays de l'Est -peut-être du fait de la situation allemande. Je
souhaiterais beaucoup, pour ma part, que se pose le problème des
relations avec le Maghreb et l'Afrique noire, car plus nous aiderons ces pays
à se développer, et moins nous aurons à traiter les
problèmes d'immigration comme c'est le cas actuellement !
M. DUFFOUR
- Vous avez évoqué le chiffre de 1.430
étrangers régularisables pour raison de santé. La
régularisation de ces demandeurs dépend d'un inspecteur de la
santé, qui formule son avis sur le cas médical.
Or, je reçois un certain nombre de malades qui nécessitent un
fort accompagnement psychologique et qui estiment que ce jugement est parfois
un peu sévère, les choses ne pouvant se décréter de
manière bureaucratique.
Quels sont les éléments dont disposent les inspecteurs de la
santé pour pouvoir porter ces jugements sur le système de
santé du pays d'origine et sur la possibilité pour le malade
d'être suivi efficacement sur place ?
Mme LE MINISTRE
- La circulaire précise clairement qu'un
étranger qui réside habituellement en France, atteint d'une
pathologie grave qui nécessite un traitement médical dont le
départ pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une
exceptionnelle gravité, pourra obtenir une autorisation provisoire de
séjour, afin de lui permettre de traiter son problème de
santé.
Le médecin inspecteur départemental fait un rapport sur
l'état de santé du malade. Nous nous mettons ensuite en rapport
avec le ministère des affaires étrangères, qui fait
état du système de santé du pays d'origine, et l'on
rapproche les différents éléments. C'est au regard de
ceux-ci que le préfet prend une décision.
M. LE PRÉSIDENT
- Mes chers collègues, nous arrivons au
terme de cette audition, particulièrement fructueuse.
Madame le ministre, je voudrais vous remercier d'avoir eu la courtoisie et la
bienveillance de vous être présentée devant la commission,
à un moment où vous êtes particulièrement
occupée. Grâce à vous, nous avons pu sortir un moment de la
technicité du débat pour élever celui-ci.
Je me suis réjoui de ce j'ai entendu, d'une part -mais ce n'était
pas la première fois- du fait du consensus évoqué par
notre collègue Debarge autour des problèmes d'immigration. Cela
fait maintenant environ quinze ans que je pratique ces lois, et je constate que
l'on arrive à des résultats similaires, quels que soient les
procédés ou les déclarations.
L'Europe -mais l'Europe n'est pas la France- ferait bien de penser à ces
matières, et je loue M. le rapporteur d'avoir esquissé un
débat à cet égard.
Je déplore toutefois la précipitation avec laquelle la loi,
définitive depuis la décision d'hier du Conseil constitutionnel,
a été déposée. Je regrette également
l'urgence, car on aurait pu faire autrement. Plusieurs d'entre nous en sont
conscients mais, comme vous l'avez dit, le champ est long !
S'agissant de la politique de co-développement, permettez, Madame,
à un ancien spécialiste de ces problèmes de dire qu'il n'y
aura pas de co-développement s'il n'y pas de co-développeur !
Les gens qui animent le développement sont sur le terrain et non
à Paris, quelles que soient leur bonne volonté et leur
intelligence. Pour les trouver, il faut bâtir un véritable
réseau.
Or, il s'agit d'une espèce de plus en plus rare ! Bien entendu, ces
animateurs doivent être issus du pays d'accueil. Ils peuvent se former
ailleurs, mais c'est une ascèse, en même temps qu'une
philosophie...
C'est effectivement une politique fructueuse, qui a déjà
été pratiquée en d'autres temps... Comme quoi rien n'est
nouveau en ce bas monde !
Je souhaite encore vous dire combien nous avons été heureux de
vous entendre. Vous avez exposé, comme toujours, votre matière
avec talent et beaucoup de sincérité. Nous vous en sommes
très reconnaissants. Je vous en remercie.
M. JEAN-MARIE DELARUE,
DIRECTEUR DES
LIBERTÉS
PUBLIQUES
ET DES AFFAIRES JURIDIQUES
AU MINISTÈRE DE
L'INTÉRIEUR
JEUDI 7 MAI 1998
M. LE
PRÉSIDENT
. - Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Marie Delarue
prête serment).
M. LE RAPPORTEUR
. - Une série de questions relatives aux demandes
de régularisation.
Pouvez-vous nous indiquer combien de préfectures avaient terminé
l'instruction des demandes le 30 avril ?
Quelles sont les préfectures qui n'ont pas achevé cette
instruction ? Combien de dossiers sont en instance au 30
avril ?
A quelle date tous les dossiers seront terminés et toutes les
décisions notifiées ?
Quel est le chiffre définitif du nombre des demandeurs ?
Avez-vous évalué le pourcentage des demandeurs qui seront
régularisés ?
Quels sont les principales catégories bénéficiaires ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Comme vous le voyez, c'est une séance
de synthèse. Je pense que les chiffres que vous nous donnerez seront
ceux sur lesquels le rapport sera calé.
M. DELARUE
. - Je vais en partie vous décevoir car je n'ai pas les
chiffres définitifs au 30 avril. Je voudrais reprendre la notion de
" terminer " cette opération. Qu'est-ce que cela veut
dire ?
Pour moi, cela comporte plusieurs étapes. D'abord terminer dans les
préfectures le premier examen de ces dossiers de demandes. Mais restent
derrière, inévitablement et normalement, les recours gracieux,
hiérarchiques et contentieux. Je ne voudrais pas tromper la Commission.
M. LE RAPPORTEUR
. - Veuillez m'excuser de vous interrompre, mais en
quatrième question j'ai un chapitre concernant les recours, c'est
pourquoi je vous demanderai de donner une réponse à la question
précise : combien de préfectures avaient terminé
l'instruction des demandes au 30 avril ? Les recours font l'objet
d'un autre chapitre.
M. DELARUE
. - Permettez-moi de dire que cette opération de
régularisation s'étalera nécessairement, à mon
sens, sur plusieurs années, compte tenu des recours contentieux. C'est
pourquoi j'indiquais que la notion de " terminer " ne peut s'entendre
que...
M. LE RAPPORTEUR.
- Instruction terminée.
M. DELARUE
. - ... par la première décision des
préfectures au vu d'un premier examen.
M. LE RAPPORTEUR
. - C'est la question précise.
M. DELARUE
. - Encore une fois, nous sommes le 7 mai et je n'ai pas le
chiffre au 30 avril. Je ne peux que délivrer des estimations. Le
Ministre sera en état, la semaine prochaine, de donner les chiffres
définitifs.
Le nombre de demandes a progressé au long des mois, puis il a
diminué. Les préfectures ont découvert à l'examen
des dossiers qu'il y avait des doubles emplois, que certaines personnes ont
demandé simultanément la régularisation dans plusieurs
préfectures et que d'autres ont déposé deux dossiers dans
une même préfecture.
Le nombre de demandes a atteint un maximum de 179 000 et le nombre net
doit être de 145 000, sous réserve de faire le comptage
définitif.
Quelles sont les préfectures qui ont terminé et celles qui n'ont
pas terminé ? A priori, je dirais que deux tiers ont terminé
et un tiers n'a pas terminé, mais ce tiers dans des proportions
très variables. Beaucoup ont traité 90 à 95 % des
dossiers et d'autres en ont traité 80 %. Tout dépend du
volume des dossiers que chacune d'entre elles avait reçu. La situation
peut varier d'une préfecture à une autre.
Les préfectures qui n'ont pas terminé sont celles de quinze ou
seize départements où la demande était la plus forte. Ce
sont les préfectures du Val-de-Marne, des Bouches-du-Rhône, de la
Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine, du Val-d'Oise, de Paris, du Nord et du
Pas-de-Calais.
En revanche, la plupart des départements ruraux ou ceux où les
étrangers sont très peu nombreux (cela se confond parfois) ont
terminé.
Quels sont les dossiers en instance ?
Sous réserve de chiffres définitifs, à mon sens, il ne
doit pas rester, au maximum, plus d'un quart de dossiers en instance,
calculés sur le chiffre de demandes, c'est-à-dire environ
146 000. Sur ce chiffre de demandes nettes, il ne reste pas plus, en
l'état actuel de mes informations, d'un quart de demandes encore en
instance.
Quel est le pourcentage des régularisations ? Les chiffres varient
entre 45 et 50 %.
M. LE RAPPORTEUR.
- Et les principales catégories de
bénéficiaires ?
M. DELARUE
. - Cela n'a pas varié depuis le début. Ce sont
les premières catégories définies par les circulaires,
c'est-à-dire essentiellement familiales ou conjoints de français.
Les catégories les moins régularisées sont les
célibataires sans charge de famille.
M. LE PRÉSIDENT
. - Je suis un peu surpris de ce quart de dossiers
qui reste encore à régulariser. Nous tournions déjà
autour de ce pourcentage il y a un mois. Ce sont les plus difficiles, ou
avez-vous une explication ? Apparemment cela n'avance plus.
M. DELARUE.
- Cela avance encore un peu. Ce sont des dossiers complexes
en ce sens que leur instruction est difficile du fait des demandeurs. Ce sont
des demandeurs que nous ne pouvons pas retrouver, dont les enveloppes de
convocation sont renvoyées avec l'avis : " n'habite pas
à l'adresse indiquée " ou ce sont des personnes qui n'ont
pas fourni les papiers qu'on leur demandait. Leur dossier s'en trouve
retardé.
Dans d'autres préfectures et celles que vous connaissez bien, et pour ne
pas les dissimuler : les Bouches-du-Rhône, la Préfecture de
police et Bobigny, c'est simplement l'importance du volume des affaires qui
fait que nous sommes retardés.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous allez arriver à un pourcentage
incompressible. Qu'allez-vous en faire ? Les classer ?
M. DELARUE
. - Non. Nous avons donné des instructions
précises aux préfets. Dans le cas où une enveloppe
reviendrait avec la mention " n'habite pas à l'adresse
indiquée ", nous leur demandons de faire quelques recherches s'ils
en ont la possibilité et d'effectuer une deuxième relance. Si
après l'étranger ne s'est toujours pas manifesté, nous
demandons que le dossier soit classé.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous allez éviter qu'on traîne
une queue de régularisations pendant des semestres.
M. DELARUE
. - Oui. Nous nous sommes fixés plusieurs conditions
pour éviter qu'un déménagement reste hors d'atteinte du
fait de circonstances extérieures, mais nous considérons qu'au
bout de deux relances, le préfet ne peut pas faire l'impossible.
M. LE RAPPORTEUR
. - Deuxième série de questions concernant
les moyens mis en oeuvre pour réaliser cette opération de
régularisation.
Pouvez-vous nous indiquer le montant définitif des moyens
budgétaires dégagés pour l'opération ?
Quel est le nombre total des personnels supplémentaires affectés
à ces régularisations, c'est-à-dire les agents de l'OMI,
les vacataires et fonctionnaires titulaires ?
Quelle utilisation ferez-vous des équipements supplémentaires mis
en place pour l'opération après la fin de celle-ci ?
Les régularisations et leurs suites prévisibles (traitement des
recours, accroissement des titres à renouveler) n'auront-elles pas trop
perturbé le fonctionnement normal des services des
étrangers ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Si vous avez des documents écrits,
pourriez-vous nous les envoyer ?
M. DELARUE.
- Je n'ai pas de chiffres précis pour la même
raison que précédemment, mais je vous enverrai ces chiffres.
Quant au montant définitif des moyens budgétaires, je ne suis pas
en état de vous le donner pour les raisons indiquées par
vous-même antérieurement. L'opération n'étant pas
tout à fait terminée, je ne peux pas vous dire quels seront les
moyens budgétaires consacrés à cette opération.
Ce sont essentiellement des moyens en personnel et ils ont consisté
à embaucher un certain nombre de vacataires dans les préfectures
qui nous le demandaient. Pour vous donner un ordre de grandeur, c'est de
l'ordre de la douzaine de millions de francs, à la fois en
rémunérations pour des vacataires et en indemnités
données l'année dernière au personnel titulaire.
Toutefois, certaines préfectures ont encore besoin de vacataires dans un
délai qui n'est pas déterminé. Par exemple, une
préfecture de la Petite Couronne souhaite que le personnel de l'OMI -il
y a douze personnes dans cette préfecture- reste jusqu'à
l'automne et peut-être même jusqu'à la fin de
l'année. Par conséquent, je ne peux répondre
précisément à votre question. Même chose pour les
vacataires, je crois que monsieur NUTTE vous a indiqué le nombre de
personnes qu'il avait engagé pour ces circonstances. Ce personnel est en
train d'être réduit au fur et à mesure de
l'achèvement de la première opération, mais il en demeure
encore dans les préfectures les plus importantes. Je ne sais donc pas
à quelle date précise ils quitteront leurs fonctions.
S'agissant des titulaires, je ne peux pas vous dire combien sont
affectés à la fonction. Leur nombre est très variable
selon les préfectures et les modalités de travail
arrêtées par elles. Dans certains services on a pris des personnes
affectées à temps plein à cette opération. Dans les
préfectures que je voyais encore en début de semaine, les
personnes étaient à temps partiel pour l'opération de
régularisation et sur le travail normal de leur service.
Je ne suis pas en état de vous donner un découpage aussi fin,
mais je peux vous donner une approximation.
M. LE PRÉSIDENT
. - Il nous le faudrait assez tôt pour
boucler le rapport.
M. DELARUE
. - D'accord, mais pour les titulaires ce sera certainement un
chiffre approché.
Pour les équipements, il n'y a eu pratiquement aucun équipement
supplémentaire. Les fichiers informatiques que certaines
préfectures ont constitués l'ont été avec les
moyens dont elles disposaient et rien de plus.
A ma connaissance, il n'y a pas d'équipements supplémentaires.
Ceux qui auraient été financés, par la Préfecture
de police, par exemple, restent entre ses mains, elle en fera l'usage qu'elle
souhaite.
Pour répondre à votre dernière question, ce travail a
perturbé le fonctionnement normal. Il est très clair que le
renouvellement de cartes de séjour est quelquefois un peu long dans les
préfectures. Les étrangers s'en plaignent d'ailleurs et c'est une
de nos difficultés.
Quant à la suite prévisible, nous pensons que, bien entendu, il y
aura une lourde charge pour les renouvellements de cartes de séjour,
puisque les premières cartes renouvelées vont arriver dès
l'été prochain, alors que l'opération, dans les plus
grosses préfectures, ne sera pas achevée en ce qui concerne la
partie recours. Ce sera peut-être un peu difficile. S'il le faut, nous
dégagerons quelques moyens, des vacataires supplémentaires.
M. LE RAPPORTEUR
. - Le traitement des difficultés
rencontrées :
Pouvez-vous nous exprimer, de manière succincte, les principales
difficultés qui vous ont été communiquées par M.
Galabert, par les préfectures et les associations ?
Quelle suite leur a été donnée ?
Quelles sont les principales conclusions des missions de l'inspection
générale de l'administration sur l'opération de
régularisation ?
M. DELARUE
. - Les difficultés sont de toutes natures, elles sont
assez convergentes de la part de M. Galabert, des préfectures et des
associations.
On peut synthétiser la situation comme suit : ce dont se plaignent,
s'inquiètent les uns et les autres, c'est de l'éventuelle
différence de traitement d'une préfecture à une autre.
Certains estiment que quelques préfectures sont laxistes et d'autres
beaucoup trop rigides. Je suis très sensible à cela et je me
permets de vous rappeler ce que je vous ai indiqué, c'est-à-dire
deux éléments :
D'une part que l'immigration n'était pas la même dans tous les
départements. Il est clair qu'entre des départements, où
les personnes arrivent dans des conditions irrégulières et de
façon plutôt momentanée et ceux où existe une
vieille immigration laborieuse, notamment celle qui est entrée sous
condition de travail dans les années 1950 et 1960, il y a
d'énormes différences et les écarts s'expliquent largement
de cette manière.
D'autre part, j'ai dit que nous nous étions efforcés de suivre
le plus attentivement possible le déroulement des opérations dans
chaque préfecture. J'avais indiqué un certain nombre de moyens
que nous avions pris à cet égard.
Globalement, nous constatons qu'en dépit de ce qu'imaginent les
associations en particulier, il n'y a pas beaucoup d'écarts d'une
préfecture à une autre. Les personnels des préfectures
accomplissent leur travail aussi consciencieusement que possible. Ce qui me
paraît déterminant dans cette affaire, c'est que je ne connais pas
une décision sur ces questions difficiles qui ne soit prise par au moins
trois personnes successivement.
En clair : le chef de bureau fait une proposition, le directeur de la
réglementation en fait une autre et le
secrétaire-général a la signature. Ces trois personnes
voient le dossier après la phase d'instruction et sont à
même d'émettre un jugement de fond sur la portée de ce
qu'elles décident. On a gommé ainsi, autant que possible, les
aspérités individuelles.
Je ne suis pas sûr que nous n'ayons pas pris des moyens suffisants ni que
les situations soient aussi tendues à cet égard que ne l'ont dit
beaucoup de nos interlocuteurs. Le reste, à mon sens, sont des reproches
qui sont hors circulaire ou qui concernent des points de détail, ou
plutôt des points mineurs.
Les critiques générales : ce sont celles que chacun peut
faire dans sa conscience et je laisse à chacun cette évidente
liberté. D'aucuns nous reprochent de ne pas régulariser la
totalité des demandes. Je crois que sur ce point il n'y a pas
d'ambiguïté. Nous avons eu, de la part des associations que nous
avons rencontrées, à l'initiative du cabinet du ministre de
l'Intérieur il y a trois semaines, de vives récriminations sur
l'évolution qui conduisait à la non régularisation de la
moitié des étrangers demandeurs au bout du premier examen.
Nous avons eu des réactions très vives à cet égard,
je dois vous le dire, mais il leur a été rappelé que sur
ce point la circulaire ne comportait d'emblée aucune
ambiguïté. Puis d'autres peuvent penser que nous en avons
régularisé 50 % de trop. Mais je laisse tous ces
commentaires à des personnes plus disertes que moi sur ces points.
Les secteurs plus précis de la circulaire : nous avons
sûrement commis des fautes et j'en suis le premier responsable. J'ai
noté par exemple, ce que j'ai trouvé fort dommageable, que dans
un certain nombre de préfectures on avait mis beaucoup de temps pour
régulariser les étrangers malades. Or, s'il y a bien une
catégorie incontestable qui devait normalement avoir une carte
rapidement afin que l'état de santé des personnes en faisant
partie soit aussi sauvegardé que possible, c'était celle en
état de justifier de maladie grave. Si cela a fait difficulté,
c'est notamment parce qu'il a été difficile de mobiliser des
médecins de santé publique dans telle ou telle DDASS.
Une autre difficulté nullement imputable à quelque fonctionnaire
que ce soit, est celle qui concerne les déboutés du droit
d'asile, ou les étrangers qui affirment avoir été
persécutés ou qui risquaient des persécutions dans leur
pays.
Pour les avoir examinés à titre personnel, puisque nous avions
demandé que ces dossiers remontent au Ministère de
l'Intérieur, je peux vous dire que l'appréciation est très
difficile à porter. De surcroît, nous-mêmes Direction des
libertés publiques, avons tellement été envahis de
dossiers à cet égard que nous avons pris du retard. Je ne suis
pas fier de ce qu'un certain nombre de dossiers soient restés chez moi
trois à quatre mois.
M. LE PRÉSIDENT
. - Pour quelles raisons ?
M. DELARUE.
- Je n'ai pas les moyens de faire face à l'afflux de
dossiers individuels. Les directions, comme la mienne, ne sont pas faites pour
examiner des milliers de dossiers qui transitent. Je suis sûr que le
Sénat, dans sa sagesse, augmentera les dotations budgétaires du
ministère de l'Intérieur.
M. LE PRÉSIDENT
. - Et par-dessus le marché vous avez
l'Europe.
M. DELARUE.
- Oui et notamment le système Dublin qui nous
mobilise aussi.
Sur les autres points, je crois que l'on nous a fait un troisième grief,
s'agissant des étrangers célibataires dépourvus de charge
de famille, on a dit que nous avons été plutôt rigoureux,
dans le sens que, par exemple, pour la durée de séjours
réguliers nous n'avons pas pris en compte les autorisations provisoires
de séjour données aux demandeurs d'asile.
Nous avons répondu aux associations que c'était un choix tout
à fait délibéré et que pour nous ces
récépissés ou autorisations provisoires ne valaient pas
séjour régulier au sens où l'entendait la circulaire. Il
nous a été dit aussi que le critère d'insertion qui
nécessitait, pour les mêmes célibataires dépourvus
de charge de famille, une présence de sept ans en France était
trop rigoureux et qu'il aurait fallu l'accommoder à une sauce plus
modeste. Nous avons répondu de la même manière que tout
cela était inscrit noir sur blanc dans la circulaire.
Voilà pour les principales critiques. Il y en a eu bien d'autres. Je
trouve que pour une opération qui met en jeu des personnes, la critique
est nécessaire. Nous y avons répondu au mieux, je prends
l'exemple que j'indiquais sur les médecins de santé publique.
Nous nous sommes rapprochés du ministère des Affaires sociales
pour qu'il soit mis un terme à ces désagréments.
Nous avons essayé de pallier les inconvénients au fur et à
mesure du déroulement de l'opération. Les préfets qui
avaient reçu des consignes assez strictes et nous-mêmes, nous
sommes efforcés de rencontrer, au fur et à mesure de
l'opération, les personnes impliquées et notamment les
associations.
M. LE RAPPORTEUR
. - Concernant la deuxième question, les
conclusions des missions de l'inspection générale. Y a-t-il eu
des missions ?
M. DELARUE
. - Il y en a eu deux.
M. LE PRÉSIDENT.
- Sur quelles préfectures ?
M. DELARUE
. - Deux missions d'inspection ont été
effectuées, en septembre et en décembre. Ces missions
d'inspection sont décidées à la demande du ministre et
leurs conclusions sont rendues exclusivement à lui-même. Donc je
vous renvoie au ministre sur ce point.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous le demanderons au ministre.
M. LE RAPPORTEUR
. - Concernant les recours :
De combien de recours gracieux, administratifs et contentieux avez-vous eu
connaissance ?
Quels sont les principaux motifs de ces recours ?
Dans quels délais les recours administratifs et gracieux seront-ils
traités ?
Quelle évaluation faites-vous du nombre de recours administratifs et
gracieux qui seront satisfaits ?
M. DELARUE
. - Jusqu'à présent nous n'avons pas
demandé aux préfectures de comptage sur les recours gracieux. Je
souhaitais attendre la fin de la phase de première instruction pour
réunir, dans une dizaine de jours, les quinze préfectures les
plus intéressées, avec l'accord de mon cabinet, pour examiner
avec elles l'ampleur, le volume et les moyens de répondre.
Sur les recours gracieux, je ferai une remarque très
générale. Dans le droit commun, c'est-à-dire les refus de
séjour et les arrêtés de reconduite qui sont pris en temps
normal, nous avons des taux de recours à la fois gracieux,
hiérarchiques et contentieux, qui sont de l'ordre de 20 %. Je pense
que ce taux va être assez largement dépassé dans les mois
qui viennent.
Les étrangers ont senti qu'ils avaient davantage de chance que dans le
passé et certains d'entre eux sont aidés, à bon droit, par
des associations pour rédiger ce type de recours, à tel point
d'ailleurs que nous avons souvent des formules un peu toute faites, puisque
vous m'interrogez sur les motifs.
Je peux vous parler surtout des recours hiérarchiques que nous avons au
Ministère de l'Intérieur. Nous en avons actuellement entre
5 000 et 6 000, et il y en a de deux sortes : ceux qui
émanent des personnes elles-mêmes, qui ont fait l'objet de
décisions négatives par les préfectures, et ceux qui
émanent des personnes qui soutiennent ces demandeurs.
Très généralement, les motifs sont de pur fait,
c'est-à-dire que l'on nous dit : j'estime que ma situation n'a pas
été examinée comme il convenait. Et on nous apporte soit
les mêmes faits que ceux indiqués devant la préfecture pour
dire qu'ils n'ont pas été pris en considération, que l'on
n'a pas bien compris ce qu'on a voulu dire ; ou bien on nous apporte des
faits nouveaux et ce sont ces dossiers qui retiennent le plus notre attention.
Dans quel délai va-t-on statuer ? Dans des délais tels qu'au
bout de quatre mois si nous n'avons pas tranché, ce seront des refus
implicites, nécessairement.
Nous l'avons demandé aux préfectures et nous le pratiquons
nous-mêmes : nous lisons attentivement tous les recours qui nous
sont adressés. Un certain nombre d'entre eux, au premier examen, se
révèlent identiques en tous points à ce qui a
été présenté aux préfectures
déjà. A ceux-là, il y a toute chance de répondre
par un refus implicite. En revanche, à ceux qui apportent des faits
nouveaux, où qui sont signalés par telle ou telle personne, nous
répondrons de façon expresse et de telle sorte que les personnes
soient prévenues, mais avant le délai de quatre mois
indiqué il y a un instant.
Quelles sont les chances de succès ? Je dois vous dire que cela
dépend beaucoup des catégories. Nous avons des recours qui
portent essentiellement sur la catégorie dite 1-6, c'est-à-dire
les célibataires sans charge de famille. Les autres, et notamment les
familles, ont reçu assez largement satisfaction. Pour ceux-là,
compte tenu des critères de la circulaire, il y a assez peu de chance
que ces recours soient couronnés de succès. Sans préjuger,
car nous n'avons là-dessus aucun objectif d'aucune sorte, j'imagine mal
que le pourcentage de succès de ces recours aille au-delà de
20 %. C'est un ordre de grandeur que je donne et je ne voudrais pas que
vous preniez ce chiffre comme une indication d'objectif car ce n'est nullement
dans l'état d'esprit. A priori, la très grande majorité de
ces recours n'a guère de chance de succès.
Un mot sur les recours contentieux qui ne manqueront pas de s'ensuivre.
Ceux-ci, sauf erreur matérielle ou méconnaissance de conventions
internationales, ont très peu de chance de prospérer. La
circulaire sur laquelle se sont fondés les préfectures et le
ministre ne peut pas être utilement invoquée à l'appui d'un
recours pour excès de pouvoir, puisque ce n'est pas une circulaire
réglementaire.
Un recours contentieux, déposé en invoquant tel ou tel aspect de
la circulaire qui aurait été méconnu, serait voué
à l'échec. Les premiers jugements du tribunal administratif qui
s'est prononcé sur ce point le confirment. J'en connais deux.
M. LE PRÉSIDENT
. - Récents ?
M. DELARUE
. - La semaine dernière.
M. LE PRÉSIDENT
. - Les instructions de ces recours sont-elles
faites par votre service ?
M. DELARUE.
- Oui.
M. LE PRÉSIDENT.
- Les 400 dossiers en instance, est-ce
cela ?
M. DELARUE.
- Non, ce sont les dossiers de première instruction
envoyés par les préfectures pour les déboutés du
droit d'asile. Les recours dont je parle, sont au nombre de 5 000 à
6 000. Si certains recours gracieux sont suivis d'un recours
hiérarchique, je m'attends à avoir, d'ici à quelques mois,
environ 25 000 recours hiérarchiques au ministère de
l'Intérieur.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous faites état de deux décisions du
tribunal administratif. Concernent-elles la catégorie des risques
vitaux ?
M. DELARUE
. - Je ne me rappelle plus et je crains de dire des sottises.
Mon souvenir est plutôt vague sur ce point, mais il me semble que cela ne
concernait pas les risques vitaux.
M. LE RAPPORTEUR.
- Pourriez-vous nous les adresser ?
M. DELARUE.
- Naturellement.
M. LE RAPPORTEUR
. - Maintenant le traitement des personnes à qui
la régularisation a été refusée : Quel bilan
peut-on faire du nouveau dispositif d'aide au retour ?
S'adressant à des personnes venant d'effectuer des démarches pour
être autorisées à séjourner, le faible impact de
cette aide n'était-il pas prévisible ?
M. DELARUE
. - Je serais plus nuancé que vous sur cette affaire de
l'aide au retour, on peut en dire ce que l'on veut, on peut penser que l'on
aurait pu aller plus loin, mais elle est là.
J'indique que c'est un peu en corollaire avec ce que nous venons de dire. Pour
avoir entendu cela de la part de plusieurs personnes, et c'est aussi un peu mon
sentiment, je dirais que pour les étrangers qui ne sont pas
régularisés, il n'y a pas aujourd'hui de décision franche
que tout est fini et qu'il faut partir car il existe précisément
les recours dont nous parlions il y a un instant.
Quand les personnes auront fait le choix de partir, et un certain nombre
d'entre elles feront ce choix, le dispositif d'aide au retour montera assez
vite en puissance.
Je pense que l'on ne peut pas apprécier le dispositif de l'aide au
retour en trois ou quatre mois, il prendra son véritable poids seulement
vers la fin de l'année, quand une première vague de recours sera
passée et que les personnes seront très concrètement
confrontées à la nécessité d'avoir à choisir
entre l'irrégularité ou le départ. Je ne suis pas
très inquiet sur ce point.
Je sais que c'est une question difficile, peut-être n'avons-nous pas
assez fait connaître le dispositif, mais je suis surtout persuadé
que les personnes hésitent encore, de bonne foi. Elles ont à
peser un certain nombre d'inconvénients des deux côtés et
elles finiront par choisir. La maigre montée en puissance pour moi a des
raisons un peu plus compliquées à évaluer que le simple
fait brut de dire : au bout de trois mois il y en a 200, donc c'est
mauvais.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je poursuis mes questions :
Le ministre avait donné des instructions pour que l'éloignement
des étrangers dont la régularisation a été
refusée ne soient pas éloignés du territoire avant le 24
avril 1998.
Depuis, d'autres instructions ont-elles été données pour
la période postérieure ?
M. DELARUE.
- Pas du tout. Je vous rappelle que cette date du 24 avril
avait été fixée en fonction d'un délai de trois
mois écoulés après la publication de la circulaire sur
l'aide au retour, qui a été publiée le 24 janvier au
Journal Officiel. Nous avions dit, pour des raisons d'égalité
entre les demandeurs, qu'il fallait laisser le temps aux personnes d'en prendre
connaissance. Nous avons donc demandé, sous réserve de cas
particuliers, qu'il n'y ait pas d'arrêté de reconduite avant le 24
avril.
Je ne voudrais pas qu'il y ait confusion sur ce point : cela signifie que
pour les étrangers qui entraient dans le circuit de la
régularisation, en principe, aucun arrêté de reconduite n'a
été pris avant le 24 avril et que depuis cette date des
arrêtés de reconduite ont été pris.
Je n'en connais pas le nombre à ce stade, mais les préfets que
j'ai interrogés sur ce point m'ont dit que la mécanique
était relancée. Est-ce à dire qu'il n'y a pas eu du tout
d'arrêtés de reconduite depuis le mois de janvier ? Pas du
tout.
M. LE RAPPORTEUR.
- Dans le cadre seulement de la circulaire.
M. LE PRÉSIDENT
. - Donc, depuis le 25 avril les
arrêtés de reconduite à la frontière, concernant ces
étrangers visés par la circulaire de juin, sont possibles ?
M. DELARUE.
- Certainement.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ils sont non seulement possibles mais en
cours ? Les préfets ont remis la mécanique en marche,
n'est-ce pas trahir la vérité de le dire ?
M. DELARUE
. - Ce n'est pas la trahir.
M. LE PRÉSIDENT.
- N'y a-t-il plus d'instruction
ministérielle de stopper la machine ?
M. DELARUE.
- Il n'y a pas eu d'instruction ministérielle depuis
celle indiquant qu'il n'y aurait pas d'arrêté de reconduite avant
le 24 avril.
M. LE RAPPORTEUR
. - A votre connaissance, y en a-t-il eu un
d'exécuté ?
M. DELARUE.
- Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est qu'il y a des
arrêtés de reconduite tous les jours.
Exécutés ? Je l'ignore. Au niveau de la DICCILEC qui
reçoit des étrangers qu'elle doit reconduire, il est difficile de
faire la distinction, au seul vu d'un arrêté de reconduite, sur le
point de savoir si l'étranger est dans le cadre de l'opération
régularisation ou non.
M. LE PRÉSIDENT.
- Vous comprenez bien la connotation de
communication que représente une information comme celle-là. Il
est tout à fait normal que nous posions cette question au ministre et
qu'il puisse y répondre. La question qui lui sera posée est la
suivante : Monsieur le Ministre, depuis le 24 avril des
arrêtés de reconduite à la frontière ont-ils
été pris concernant les étrangers visés par la
circulaire de juin, oui ou non ? Et si oui, combien ont été
exécutés ?
M. DELARUE
. - Je crains qu'il ne soit pas davantage en mesure de vous
répondre que moi.
M. LE PRÉSIDENT
. - S'il est prévenu, je pense qu'il pourra
répondre.
M. DELARUE.
- Non, pour une raison matérielle très simple.
Quand vous avez un arrêté de reconduite en main, il n'y a pas
écrit dessus en gros " régularisation " ou pas. On ne
fait pas la distinction, parmi les étrangers reconduits, entre ceux de
" droit commun " et les autres.
M. LE PRÉSIDENT.
- Je fais confiance au Cabinet du ministre. Je
connais sa qualité et son efficacité et je suis sûr qu'il
saura répondre à cette question qui n'est pas une question
piège.
M. DELARUE
. - Pas du tout.
M. LE RAPPORTEUR.
- Comment ferez-vous concrètement pour
retrouver des personnes habituées à séjourner
irrégulièrement et sachant depuis plusieurs mois qu'elles ne
seront pas régularisées ?
M. DELARUE
. - Là aussi, nous rentrons parfaitement dans le droit
commun.
Pardonnez-moi d'insister et je vais être sans doute au-delà des
limites de la bienséance. S'agissant de reconduite, il n'y a pas de
problème de philosophie à cet égard. Ceux qui sont en
situation irrégulière, qu'ils soient issus de l'opération
régularisation ou du non renouvellement de la carte de séjour,
seront traités de la même manière.
Nous n'allons pas séparer les étrangers qui n'auraient pas
été régularisés à la suite de
l'opération de juin 1997 et les autres. Nous allons les traiter de la
même façon, c'est-à-dire interpellation sur la voie
publique avec les conséquences que cela entraîne. Nous avons dit
déjà qu'il n'y aurait pas de recherche des étrangers
à l'aide des fichiers constitués en préfecture à
l'occasion des régularisations. Nous retombons dans le cadre normal de
la reconduite à la frontière, telle qu'elle se pratique depuis
des années, depuis que cette mesure existe.
M. LE RAPPORTEUR.
- Nous avons noté qu'il n'y aurait pas de
recherches à partir des dossiers de demandes qui ont été
rejetées.
M. DELARUE.
- A partir des fichiers des préfectures.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je poursuis les questions :
Quel coût global représente chaque année pour le budget de
l'Etat, l'éloignement des étrangers en situation
irrégulière ?
M. DELARUE
. - Je ne sais pas, c'est financé par la Direction
administrative de la Police nationale. C'est un budget sur lequel je n'ai
aucune maîtrise et c'est une question à laquelle M. OTTAVI
aurait pu vous répondre. Mais je peux m'engager à vous fournir la
donnée si elle vous intéresse.
M. LE RAPPORTEUR.
- A combien avez-vous évalué le
coût supplémentaire des mesures transitoires adoptées le
22 avril et concernant la reconduite par voie aérienne ?
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est-à-dire la multiplication des
fonctionnaires qui doivent escorter les étrangers reconduits au Mali, on
m'a parlé de sept.
M. DELARUE.
- Sept pour aller au Mali, pour une personne, l'augmentation
est moindre sur les autres destinations. Ce n'est pas ma tâche, mais
d'autres l'ont calculé certainement et nous serons en mesure de vous le
donner. Nous sommes loin de l'opération régularisation stricto
sensu, n'est-ce pas ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Cela fait partie de l'éloignement.
M. DELARUE.
- Encore une fois, il n'y a pas de différence dans la
reconduite entre ceux qui sont issus de l'opération de
régularisation et les autres. Par conséquent, nous sommes un peu
loin de l'opération de régularisation elle-même.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous pourrez nous donner le renseignement, par
exemple pour un éloigné, car depuis l'adoption de la convention
avec les compagnies aériennes, vous savez fort bien qu'il y a un
coût supplémentaire, à mon avis très important, qui
va incomber au budget.
M. DELARUE
. - Bien sûr, on ne peut le nier. Je voulais vous dire,
mais vous le savez, que la convention que vous évoquez, datée du
22 avril, est temporaire, pour six mois. Nous ne savons donc pas quelle
sera la situation dans ce laps de temps. Il a été convenu avec
Air France que nous reverrions la situation dans six mois. J'ai eu l'honneur de
rencontrer les représentants d'Air France et je leur ai dit que je
n'attendrai pas autant pour leur reposer la question. En conséquence,
les chiffres éventuels que nous pourrions vous donner seraient encore
aléatoires.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pouvez-vous nous donner le chiffre des mesures
transitoires ? Par exemple pour un Malien, cela coûte tant de plus
que jusqu'à présent. Quel est le coût pour un
Roumain ? Ce n'est pas en dehors des prérogatives de notre
Commission.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je poursuis
Les incidents survenus récemment à Roissy vous paraissent-ils
avoir un caractère ponctuel où traduisent-ils des
difficultés structurelles ?
M. DELARUE.
- Le commentaire est nécessairement difficile. Il
suppose une appréciation de l'état de l'opinion qu'il n'est pas
dans ma pratique d'avoir à faire. Par conséquent, sur ce point,
les variations de l'opinion peuvent être très fortes. En tout
état de cause, je constate que ce qui s'est passé ces
dernières semaines à Roissy, ou même à la gare de
Lyon, est le fait de personnes très peu nombreuses.
Mais je ne veux rien préjuger de la suite. En d'autres temps il y avait
eu des manifestations de ce type. Ce qui s'est passé là ne me
paraît ni fondamentalement nouveau ni trahir une évolution de fond
de notre société. Cette réaction était
prévisible compte tenu du fait que certaines personnes s'attendaient
à ce que nous régularisions la totalité des demandeurs. Ce
n'est pas le cas, et donc certains manifestent leur opposition.
Je ne suis pas sûr que ce soit structurel ou conjoncturel. Je suis
embarrassé pour vous répondre. Mais, pour l'instant, j'observe
que ces mouvements ont des conséquences assez limitées sur les
mesures d'éloignement.
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous passons aux questions suivantes :
Dans quel cadre juridique s'inscrivent les mesures transitoires
arrêtées le 22 avril entre Air France et le ministère de
l'intérieur ?
Ces mesures sont-elles susceptibles d'être maintenues au delà de
la durée prévue de six mois ?
Vous avez déjà répondu et vous dites que d'ici à
six mois le ministère reconsidérerait ces accords.
M. DELARUE
. - Je vous ai même dit que j'espérais bien
revoir la question avant six mois .
M. LE RAPPORTEUR
. - Cela fait-il partie de la convention ?
M. DELARUE.
- Cela fait partie aussi de mon métier. C'est un
avenant à la convention.
M. LE RAPPORTEUR
. - Cela fait-il partie du texte de la convention ?
M. DELARUE
. - Il s'agit d'une lettre envoyée par Air France qui
confirme les termes de la séance que nous avons eue ensemble et qui
s'analyse comme un avenant à la convention de 1994.
M. LE RAPPORTEUR
. - Donc, c'est un avenant concrétisé par
un échange de lettres. Nous vous demandons de nous les faire parvenir.
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les incidents qui viennent
de se produire à la gare de Lyon le 5 mai à l'occasion d'un
éloignement groupé d'étrangers en situation
irrégulière ?
Quelles associations ou groupements ont été
impliqués ? Des poursuites ont-elles étaient
engagées ? Des mesures ont-elles été prises pour
prévenir de tels incidents ?
M. DELARUE.
- Là aussi nous sommes à la limite du sujet.
Sauf erreur, la personne reconduite à la Gare de Lyon, qui était
un Tunisien, n'entrait pas dans le cadre de la régularisation. Nous
sommes au-delà de la limite, mais je peux vous répondre
tranquillement.
M. HYEST.
- Comme vous ne pouvez pas faire la distinction.
M. DELARUE
. - Je peux la faire en termes de calendrier.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous venez de nous expliquer qu'il n'y avait
pas de discrimination et que les procédures de reconduite se faisaient
indistinctement. Nous sommes fondés à être aussi
indistincts que vous l'êtes.
J'ai cru déceler une sorte d'insinuation qui nous laisserait penser que
nous nous mêlons de ce de ce qui ne nous regarde pas.
M. DELARUE.
- J'ai dit que j'étais sûr que, pour des
raisons de calendrier, le Tunisien en cause dans l'opération de la Gare
de Lyon qui a eu lieu avant hier n'était pas quelqu'un qui entrait dans
la procédure de régularisation.
M. LE PRÉSIDENT
. - Et ceux de Marseille, du bateau ?
M. DELARUE.
- Il y a eu plusieurs incidents à Marseille. Je ne
peux pas savoir. Nous sommes encore une fois à la limite, mais sur le
cas de la Gare de Lyon, la Préfecture de police a recensé 200
à 300 personnes qui souhaitaient empêcher le départ du
train. Certaines sont montées à bord, d'autres sont redescendues.
A ma connaissance aucune organisation n'a revendiqué la présence
de ces militants à la Gare de Lyon ce jour-là.
M. LE RAPPORTEUR
. - Encore une autre question :
Compte tenu, d'une part, des difficultés rencontrées
récemment pour l'éloignement par voie aérienne
d'étrangers en situation irrégulière et, d'autre part, du
nombre habituel d'étrangers éloignés chaque année,
quel dispositif précis a été mis en place pour
procéder à l'éloignement de plusieurs dizaines de milliers
de personnes supplémentaires ?
M. DELARUE
. - A l'heure actuelle, aucun. Nous avons aujourd'hui environ
vingt reconduites par jour. Nous pouvons, en l'état actuel de la
situation, augmenter cette cadence, la doubler et même la tripler sans
difficulté.
M. LE RAPPORTEUR
. - Sur les vingt, quelle est la ventilation entre voie
aérienne, train ou bateau ?
M. DELARUE.
- Je ne peux pas donner de chiffres. En gros, je suppose
qu'il y a un quart par voie maritime et trois quarts par voie aérienne.
Le train est utilisé essentiellement pour du transit d'un endroit
à un autre de la France. Nous ne reconduisons pratiquement personne y
compris dans les zones européennes par train, sauf en effet à
l'intérieur de l'espace Schengen.
M. LE RAPPORTEUR
. - Et pour la Roumanie ?
M. DELARUE.
- C'est toujours par avion.
M. LE PRÉSIDENT.
- Les collègues ont-ils des questions
à vous poser, même si parfois, Monsieur le Directeur, vous avez eu
l'impression que nous nous égarions ?
M. DELARUE
. - Absolument.
M. LE PRÉSIDENT
. - Bien que nous nous soyons
égarés, ce qui est tout à fait notre droit, il est
intéressant que vous soyez resté.
M. DELARUE.
- J'ai juré de vous dire toute la
vérité. Je vous l'ai dite.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous direz au ministre que nous comptons bien
qu'il dise toute la vérité s'agissant de la reconduite à
la frontière. Nous allons lui demander si le premier acte de la nouvelle
série a commencé. Y a-t-il des questions ?
M. DEBARGE.
- Même observation que ce matin. Pour les
irréguliers, avant que la question ne soit réglée, cela
prendra beaucoup de temps. Je reste neutre sur la prise de position, Monsieur
le Directeur a le mérite de la franchise, à la limite ce
serait 18 000 par an, si je comprends bien.
M. DELARUE.
- Reconduites ?
M. DEBARGE.
- Indistinctement.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vingt par jour, vous pouvez passer à
soixante.
M. DELARUE.
- En 1997, il y a eu environ 9 200 reconduites
exécutées, et nous étions dans des fourchettes assez
basses en effet. Je crois que même au plus fort des reconduites dans ce
pays, nous n'avons pas dépassé les 12 000 reconduites
exécutées.
Il y a la question de l'alimentation et la question des moyens
matériels. Je crois que nous pouvons, sans difficultés majeures
et sans moyens exceptionnels, arriver facilement, par hypothèse,
à 15 000, vous allez me dire que nous ne reconduirons pas
60 000 personnes en 24 heures hors de ce pays.
M. LE PRÉSIDENT
. - Pas en 24 heures, en un an. Ce qui est
intéressant dans ces entretiens, c'est que la DICCILEC n'est pas
à la limite de potentiel, et que, par ailleurs, vous n'avez prévu
aucune mesure nouvelle pour faire face à la détection
d'irréguliers supplémentaires.
C'est une question à laquelle également Monsieur le Ministre
devra s'attendre. Je vous remercie.