B. LA MISE EN PLACE D'UN SYSTÈME DE VÉRIFICATION
L'application du traité repose sur la création d'une organisation qui siège à Vienne et dont le rôle portera notamment sur la vérification du respect par les parties de leurs obligations, à l'aide d'un système de surveillance international et d'inspections sur place en cas de situation suspecte.
1. L'organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires : l'OTICE
L'article II du traité est consacré à
l'institution d'une organisation du traité d'interdiction
complète des essais nucléaires, l'OTICE, chargée "
de
réaliser l'objet et le but du traité, d'assurer l'application de
ses dispositions, y compris celles qui s'appliquent à la
vérification internationale du respect du traité
", et de
ménager un cadre dans lequel les parties peuvent se consulter et
coopérer entre elles. Le traité précise que l'OTICE
exécute les activités de vérification de la manière
la moins intrusive possible, en ne demandant que des informations et des
données qui lui sont nécessaires pour s'acquitter de ses
responsabilités. Elle doit notamment protéger la
confidentialité des informations relatives à des activités
et des installations civiles et militaires dont elle a connaissance de
même que chaque Etat partie doit traiter de façon confidentielle
les informations qu'il reçoit de l'OTICE.
L'OTICE a son siège à Vienne, tout comme l'Agence internationale
de l'énergie atomique, avec laquelle elle peut passer des arrangements
de coopération. En pratique, de tels arrangements pourraient porter sur
la recherche d'économies dans le domaine administratif. La
coopération technique apparaît en revanche moins envisageable
compte tenu des fonctions bien distinctes que remplissent les deux
organisations.
L'OTICE comporte trois organes :
- la Conférence des Etats-parties,
- le Conseil exécutif,
- et le Secrétariat technique.
La
Conférence des Etats-parties
se réunit en session
ordinaire une fois par an et peut également être convoqué
soit en session extraordinaire, soit en conférence d'amendement ou
d'examen. Ses décisions concernant le fond sont adoptées autant
que possible par consensus, ou à la majorité des deux tiers si le
consensus n'est pas atteint dans les 24 heures. Certaines questions
requièrent cependant le consensus ou du moins l'absence de vote
négatif.
Le
Conseil exécutif
est l'organe exécutif de l'OTICE. Il
se compose de
51 membres
répartis en six groupes
géographiques. Le tiers au moins des sièges attribué
à chaque groupe géographique est pourvu par des Etats
désignés sur la base de leurs capacités nucléaires
ainsi que par des critères tels que le nombre d'installations de
surveillance, les compétences et l'expérience dans les techniques
de surveillance et la contribution au budget de l'OTICE. La combinaison de ces
différents critères devrait assurer à la France un
siège permanent au Conseil exécutif de l'OTICE, au titre du
groupe Amérique du Nord et Europe occidentale. Il en serait de
même pour les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Le Conseil exécutif
statue à la majorité des deux tiers sur les questions de fond,
sauf disposition contraire du traité.
Enfin, la Conférence et le Conseil exécutif sont assistés
d'un
Secrétariat technique
qui exerce les
fonctions de
vérification.
Le Secrétariat technique comprend un Centre
international de données. Son rôle est essentiel dans la
coordination et l'exploitation du système international de surveillance
et dans la réalisation des inspections sur place.
L'OTICE disposera d'un budget alimenté par les contributions des
Etats-parties. La quote part de la France représente 6,5 % du budget de
l'Organisation, soit, pour 1998, près de 23 millions de F.
La mise en place de l'Organisation n'attendra pas l'entrée en vigueur du
traité. En effet, les Etats signataires ont mis en place le 19 novembre
1996 la commission préparatoire de l'OTICE, assistée d'un
secrétariat technique provisoire opérationnel depuis mars 1997.
La tâche principale de la commission préparatoire consiste
à entreprendre tous les préparatifs nécessaires afin que
le régime de vérification soit opérationnel lors de
l'entrée en vigueur du traité. Elle supervise et coordonne la
mise au point du système de surveillance international et l'exploitera
provisoirement, en attendant sa mise en service officielle.
Le secrétariat technique provisoire de l'OTICE comprend
déjà près de 100 personnes et son effectif devrait
pratiquement doubler d'ici la fin de l'année, pour atteindre son format
définitif.
2. Le système de surveillance international
Le système de surveillance international prévu
par le traité repose sur un
réseau de 321 stations de
surveillance
faisant appel à
quatre techniques de
détection
, de manière à mieux déceler les
effets dans l'atmosphère, dans les océans ou sous terre d'un
éventuel essai nucléaire.
La majorité des stations (170) relève de la détection
sismique, autour d'un réseau de 50 stations primaires dont les
informations seront transmises en temps réel au centre international de
données et 120 stations secondaires qui fourniront, sur demande, des
données supplémentaires.
Un deuxième réseau de 80 stations sera dédié
à la recherche de radionucléides dans l'atmosphère, pour
la surveillance d'éventuelles explosions aériennes.
11 stations feront appel à la détection hydroacoustique pour
détecter d'éventuelles explosions sous-marines.
Enfin, 60 stations de détection des infrasons seront chargées de
déceler les ondes de pression produites par une éventuelle
explosion nucléaire.
Les données recueillies par ce réseau de stations seront
transmises en temps réel à un Centre international de
données
chargé de les archiver. Les Etats parties pourront
à tout moment accéder auprès de ce centre à toutes
les données issues du système de surveillance pour effectuer
eux-mêmes l'analyse et l'interprétation des mesures.
Le protocole fixe précisément la localisation des
différentes stations. Certaines de ces stations existent
déjà à titre national, et seront intégrées
dans le réseau de l'OTICE, d'autres sont à réaliser. Le
coût de l'installation et de la construction du réseau
international, y compris de la mise à niveau de stations existantes, est
évalué à environ 200 millions de dollars, pour des travaux
qui s'échelonneront sur 4 ou 5 ans. Ces dépenses sont à la
charge de l'OTICE qui assure également l'exploitation et l'entretien des
installations, à l'exception des 120 stations sismiques secondaires pour
lesquelles ces dernières dépenses demeurent à la charge de
l'Etat.
En ce qui concerne la France, relèveront de l'OTICE :
· une station sismologique du réseau primaire située
à Tahiti
· 6 stations de surveillance des radionucléides
· 2 stations hydroacoustiques
· et 5 stations de détection des infrasons.
Par ailleurs, 2 autres stations sismologiques sont intégrées dans
le réseau secondaire. Enfin, le centre d'analyse du Commissariat
à l'Energie Atomique de Bruyères-le-Châtel sera l'un des 16
laboratoires de référence homologués par le
secrétariat technique de l'OTICE en vue d'analyser les
échantillons provenant des stations de surveillance des
radionucléides.
En dehors des stations intégrées au système de
surveillance international, la France dispose de stations purement nationales,
qui lui permettront de compléter les informations provenant du
réseau de l'OTICE.
Couvrant l'ensemble de la surface du globe et faisant appel à la
combinaison de quatre techniques différentes permettant la surveillance
de l'atmosphère, des continents et des océans, le réseau
de l'OTICE devrait
assurer la détection sur environ 90 % de la
surface mondiale de toute explosion nucléaire dégageant une
énergie supérieure à 1 kilotonne
. Pour
d'éventuelles explosions nucléaires de puissance
inférieure à 1 kilotonne, l'efficacité du système
international sera variable selon les zones géographiques et les moyens
de surveillance strictement nationaux permettront d'en compléter les
observations. A ce titre, la possession par la France de moyens nationaux non
inclus dans le réseau de l'OTICE lui conférera une
capacité de jugement accrue et indépendante.
3. Les inspections sur place
Le traité accorde à chaque Etat-partie le droit
de demander une inspection sur place sur le territoire de tout autre
Etat-partie ou dans une zone ne relevant d'aucun Etat-partie, en vue de
déterminer si une explosion expérimentale d'arme nucléaire
a été réalisée en violation de l'interdiction
édictée par le traité, et de recueillir des
éléments permettant d'identifier l'éventuel contrevenant.
Afin d'éviter les demandes d'inspection abusives ou insuffisamment
motivées, le traité prévoit qu'elles doivent reposer sur
les données recueillies par le système de surveillance
international ou sur des données provenant de systèmes nationaux.
Elles doivent en outre contenir un certain nombre d'informations
précises, telles que les coordonnées géographiques du lieu
présumé de l'événement ou le moment estimé
de cet événement.
Il faut noter qu'en vertu du traité, les demandes d'inspection sur place
ne peuvent émaner que des Etats-parties et non de l'organisation
elle-même.
C'est au Conseil exécutif qu'il revient, au plus tard dans les quatre
jours, de se prononcer sur la demande d'inspection sur place, après
avoir éventuellement obtenu des éclaircissements de l'Etat sur le
territoire duquel l'inspection est requise. Pour être
décidée,
l'inspection sur place doit recueillir l'approbation
d'au moins 30 des 51 membres du Conseil exécutif
.
Le traité détaille de manière très précise
les conditions de réalisation de ces inspections, menées par des
équipes d'inspecteurs désignés par le directeur
général du secrétariat technique sur une liste
préétablie. Il tente de concilier l'efficacité du
contrôle international et la protection des installations sensibles des
Etats. Ainsi, les inspections se déroulent selon plusieurs phases et
commencent par les procédures les moins intrusives. Mais les
délais prévus sont extrêmement rapides -9 jours entre le
dépôt de la demande et, si elle est approuvée, le
début de l'activité des inspecteurs sur la zone d'inspection-
afin d'éviter que le temps, ou les hommes, n'efface les indices
susceptibles de mettre à jour une éventuelle explosion
nucléaire.
L'équipe d'inspection remet son rapport au Conseil exécutif qui
détermine s'il y a eu inexécution du traité ou
éventuellement, de la part de l'Etat requérant, abus du droit de
demander des inspections sur place.
Il n'est pas à proprement parler prévu de sanctions à
l'égard de l'Etat qui violerait les obligations découlant du
traité. L'article V précise que "
dans les cas où un
préjudice risque d'être porté à l'objet et au but du
présent traité du fait d'un manquement aux obligations
fondamentales établies par celui-ci, la Conférence peut
recommander aux Etats-parties des mesures collectives qui sont conformes au
droit international
". Il ajoute que "
la Conférence, ou s'il y a
urgence, le Conseil exécutif peut porter la question, y compris les
informations et les conclusions pertinentes, à l'attention de
l'Organisation des Nations unies
".
Il semble clair que compte tenu de l'extrême gravité que
représenterait une violation du traité, du point de vue de la
paix et de la sécurité internationales, une telle situation
relèverait naturellement de la responsabilité du Conseil de
sécurité des Nations unies.