N° 330

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 mars 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant la ratification du traité d' interdiction complète des essais nucléaires ,

Par M. Jean FAURE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, André Gaspard, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, André Rouvière, André Vallet.



Voir les numéros
:

Assemblée nationale ( 11ème législ.) : 650 , 693 , 699 et T.A. 92.

Sénat
: 304 (1997-1998).

 
Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le traité d'interdiction complète des essais nucléaires a été adopté le 10 septembre 1996 par l'Assemblée générale des Nations unies, à l'issue d'une négociation de plus de deux années entamée à Genève dans le cadre de la Conférence du désarmement.

Ce traité est appelé à constituer une pièce majeure dans le dispositif international de lutte contre la prolifération et le désarmement nucléaire car, aux yeux de la communauté internationale, l'interdiction complète des essais nucléaires doit mettre fin au développement d'engins plus perfectionnés par les puissances nucléaires, tout en empêchant de nouveaux États d'accéder à un armement nucléaire crédible.

Ce traité présente deux caractéristiques :

- il édicte une interdiction complète et définitive de tous types d'essais nucléaires, quelles que soient leur puissance ou leurs conditions de réalisation,

- et afin d'évaluer le respect par les États parties de cette obligation, il instaure des mesures précises de vérification qui se veulent efficaces, grâce à un système international de surveillance et à la possibilité d'effectuer des inspections sur place dans les pays soupçonnés d'avoir réalisé une expérimentation nucléaire.

Ainsi, les divergences d'intérêt qui pouvaient séparer les parties à la négociation, et notamment les puissances nucléaires reconnues et les États non nucléaires, ont-elles été surmontées pour aboutir à un dispositif dont la portée est la plus large possible et dont le contrôle sera très étroit.

Toutefois, le vaste consensus qui s'est progressivement dégagé lors de la négociation n'a pu atteindre l'unanimité. L'Inde, qui dispose de capacités nucléaires présumées et qui avait réalisé un essai nucléaire en 1974, s'oppose à ce traité et a refusé de le signer. Or, pour répondre à un objectif d'universalité et donner plus de force au traité, il a été décidé de subordonner son entrée en vigueur à sa signature par l'ensemble des pays, dont l'Inde fait partie, qui disposent de capacités nucléaires significatives. Ainsi est-il apparu, dès l'élaboration du traité, que celui-ci risquait de ne jamais entrer en vigueur si l'Inde persistait dans son refus, ou si un autre pays disposant de capacités nucléaires adoptait une telle attitude.

Le traité d'interdiction complète des essais nucléaires constitue donc un instrument international de première importance, par les engagements qu'il impose et par les moyens de contrôle qu'il prévoit, mais dont l'application effective n'est pas aujourd'hui assurée.

Votre rapporteur se propose de développer ces différents points en examinant successivement trois questions :

. quelle est la portée politique du traité au regard des évolutions intervenues, depuis 1990, dans le domaine de la non-prolifération et du désarmement nucléaires ?

. quel est le contenu du traité, c'est-à-dire quelles obligations impose-t-il et comment peut-il en assurer le respect ?

. quelles sont les implications de ce traité pour la France, puissance nucléaire qui a pris une part active à son élaboration mais qui a également décidé, par le démantèlement de son centre d'expérimentation et la signature du traité de Rarotonga, de renoncer de manière définitive et irréversible à la possibilité de réaliser des essais nucléaires ?

I. L'INTERDICTION DES ESSAIS NUCLÉAIRES ET LES ÉVOLUTIONS DANS LE DOMAINE DE LA NON-PROLIFÉRATION ET DU DÉSARMEMENT NUCLÉAIRES

Pour mieux évaluer la portée politique du traité d'interdiction complète des essais nucléaires, il apparaît nécessaire de replacer celui-ci, et les négociations qui l'ont accompagné, dans la perspective plus générale du processus de désarmement nucléaire et de lutte contre la prolifération, qui a pris une vigueur nouvelle dans le contexte politique international des années quatre-vingt dix.

A. UN NOUVEAU CONTEXTE INTERNATIONAL QUI RENFORCE LA PRESSION EN FAVEUR DU DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE ET DE LA NON-PROLIFÉRATION

La fin de l'affrontement Est-Ouest a incontestablement créé un nouveau contexte qui a conduit à s'interroger sur le rôle des armes nucléaires. La disparition d'une menace clairement identifiée a favorisé le processus de désarmement nucléaire tout en donnant un relief plus important aux risques liés à la prolifération dans des régions du monde où subsistent de forts foyers de tension. Face à ces inquiétudes nouvelles, le régime de non-prolifération a néanmoins significativement progressé.

1. L'évolution du processus de désarmement nucléaire

Le processus de désarmement nucléaire est principalement lié à la poursuite de la mise en oeuvre des accords américano-russes START sur la réduction des arsenaux nucléaires stratégiques.

Signé en 1991 entre les Etats-Unis et l'URSS, l'accord START I a fixé le plafond des armes nucléaires stratégiques des deux pays à 6 000 têtes nucléaires. La mise en oeuvre de cet accord s'est poursuivie selon le calendrier prévu, ce qui devrait permettre d'abaisser les deux arsenaux à 6 000 têtes déployées à l'horizon 2003. Par ailleurs, l'éclatement de l'URSS a nécessité une adaptation de cet accord, en particulier pour limiter à la seule Russie la présence d'armes nucléaires stratégiques en procédant au retrait de celles qui étaient stationnées en Biélorussie, au Kazakhstan et en Ukraine.

L'accord américano-russe START II , signé en janvier 1993, définissait un nouveau palier de 3 500 têtes déployées, mais son entrée en vigueur est suspendue à sa ratification par la Douma russe, qui se montre en majorité réservée sur cet accord. L'absence de ratification a d'ores et déjà entraîné un important retard, les deux gouvernements ayant décidé de repousser le calendrier d'application de ce traité à la fin de 2007 et non au début de 2003 comme prévu initialement.

L'entrée en vigueur de START II permettrait également de lancer la négociation d'un accord START III dont les grandes lignes ont été dessinées par les Présidents russe et américain au Sommet d'Helsinki en mars 1997. Il s'agirait de réduire de nouveau les arsenaux nucléaires stratégiques à un niveau de l'ordre de 2 000 à 2 500 têtes nucléaires et d'aborder la question des armes nucléaires tactiques et du démantèlement des têtes nucléaires, qui constitue aujourd'hui l'une des principales préoccupations au sujet de l'avenir du nucléaire militaire en Russie.

Bien que son arsenal représente moins du vingtième de ceux de la Russie ou des Etats-Unis, et qu'elle ait toujours soutenu que le désarmement nucléaire devait concerner en premier lieu ces deux grandes puissances, la France, de manière unilatérale, a également pris d'importantes décisions qui participent à ce processus de désarmement, à savoir : le démantèlement des missiles "préstratégiques" Hadès et des missiles sol-sol stratégiques du plateau d'Albion, la réduction à 4 SNLE/NG de la composante sous-marine, la fermeture du centre d'expérimentations du Pacifique, l'arrêt de la production de matières fissiles à des fins militaires et la fermeture des usines de Marcoule et de Pierrelatte.

Le Royaume-Uni a pour sa part décidé de supprimer sa composante aéroportée et de retirer les armes nucléaires basées sur des navires pour limiter sa dissuasion nucléaire sur la seule composante sous-marine.

Seule la Chine demeure pour le moment à l'écart de ce mouvement de réduction des arsenaux nucléaires.

2. Le renforcement du régime de non-prolifération

La dernière décennie a permis d'enregistrer d'importants progrès dans le domaine de la non-prolifération, même si les facteurs de risques ou d'inquiétudes demeurent et exigent une très grande vigilance en matière de contrôle des installations sensibles et d'exportation d'équipements nucléaires.

Il faut rappeler en premier lieu que l'instrument international de lutte contre la dissémination des armes nucléaires, le traité de non-prolifération, a vu son assise et sa légitimité renforcées, tant par les adhésions nouvelles que par sa prorogation indéfinie décidée en 1995.

Alors que seuls les Etats-Unis, l'URSS et le Royaume-Uni avaient signé le traité en 1968, les deux autres puissances nucléaires reconnues, la France et la Chine y ont adhéré en 1992.

Plusieurs pays qui conduisaient un programme nucléaire militaire y ont renoncé volontairement : c'est le cas de l'Afrique du Sud, qui a reconnu avoir détenu des armes nucléaires et qui a démantelé son programme, mais aussi de l'Argentine et du Brésil, dont les programmes n'avaient pas atteint le seuil critique. L'Afrique du Sud et l'Argentine ont adhéré au TNP et le Brésil a récemment annoncé son intention de faire de même.

L'éclatement de l'URSS constituait pour le TNP un défi considérable dans la mesure où, ne reconnaissant que 5 puissances nucléaires, il pouvait se trouver dépassé par l'apparition de nouveaux Etats disposant, de fait, sur leur sol, d'armes nucléaires. Cette difficulté a été surmontée et les 15 Républiques ex-soviétiques ont signé le TNP, y compris la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine, qui ont accepté le principe du rapatriement en Russie des armes nucléaires stratégiques déployées sur leur territoire et qui ont ainsi clairement renoncé aux armes nucléaires.

Par ailleurs, le risque d'un élargissement du cercle des pays disposant de l'arme nucléaire au-delà des 5 puissances nucléaires reconnues et des 3 pays dits du seuil, semble avoir jusqu'à présent été contenu.

L'Inde, le Pakistan et Israël demeurent en dehors du TNP et disposent, selon les observateurs, de forces nucléaires qui seraient de l'ordre de la trentaine de têtes nucléaires pour l'Inde, de la dizaine pour le Pakistan et de la centaine pour Israël.

En revanche, la vigilance de la communauté internationale et le renforcement des contrôles et des vérifications menés sous l'égide de l'Agence internationale de l'énergie atomique, en vue de détecter les activités nucléaires militaires clandestines comme celles menées par l'Irak, ont permis d'éviter que d'autres pays qui menaient des programmes nucléaires à des fins vraisemblablement militaires n'accèdent à l'arme nucléaire.

Bon nombre d'installations du programme nucléaire irakien ont été détruites durant la guerre du Golfe et la surveillance conduite par l'AEIA depuis lors a permis de démanteler l'ensemble des infrastructures.

Malgré des tentatives d'acquisition d'équipement ou de technologies susceptibles de contribuer à un programme nucléaire militaire, avec vraisemblablement la coopération de la Chine, l'Iran n'a pas fait apparaître de manquement à ses engagements internationaux.

Les activités nucléaires de l'Algérie sont étroitement surveillées depuis plusieurs années, les possibilités de contrôles internationaux ayant été renforcées depuis son adhésion au TNP.

L'accord intervenu en 1994 entre les Etats-Unis et la Corée du Nord a permis de geler le programme nucléaire nord-coréen sur lequel subsiste cependant de sérieuses interrogations, du fait notamment de l'impossibilité de mener des inspections sur les combustibles issus du déchargement du réacteur nucléaire de recherche.

En dépit de ces évolutions positives au regard des risques de prolifération, de nombreux sujets de préoccupation demeurent.

Tout d'abord, la surveillance des installations, voire leur destruction dans certains cas, n'ont pas fait disparaître les compétences techniques dont disposent de nombreux pays potentiellement proliférateurs. A cet égard, la poursuite de programmes civils permet d'entretenir la maîtrise de technologies pouvant être utilisées à des fins militaires.

Les progrès de la coopération internationale dans le contrôle des exportations ont été réels mais ils butent sur le développement d'équipements à double usage, civil ou militaire, qui sont particulièrement prisés par les pays tentés par le développement d'un programme nucléaire militaire. D'autre part, si le Groupe des fournisseurs nucléaires a renforcé ses règles de conduite, certains pays détenteurs de technologies agissent en dehors de ces règles et continuent d'entretenir le risque de prolifération.

Dans ce contexte, la prorogation pour une durée indéfinie du TNP , décidée à New York en mars 1995, apparaît comme un pas très important car elle renforce incontestablement la légitimité d'un traité qui avait paru, à un moment, contestée.

Recueillant l'adhésion de 186 pays, contre 140 en 1990, le TNP, conclu initialement pour 25 ans, dispose désormais de la permanence et d'une très large assise qui démontrent l'accord profond de la communauté internationale dans son ensemble sur la lutte contre la prolifération nucléaire.

A l'occasion de cette conférence de prorogation a été adoptée une déclaration sur les principes et objectifs de la non-prolifération et du désarmement nucléaires qui comporte notamment un programme d'action organisé autour de trois points principaux :

. la demande d'ouverture rapide de la négociation d'un traité d'interdiction de la production de matières fissiles destinées aux armes nucléaires, désigné sous l'appellation " cut off ",

. l'accomplissement de nouvelles étapes dans le processus de réduction des armements nucléaires,

. et enfin, la conclusion avant la fin 1996 du traité d'interdiction complète des essais nucléaires.

Cette dernière décision a donné une impulsion décisive aux négociations qui auraient démarré, dans le cadre de la Conférence du Désarmement, en janvier 1994.

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