2. Les conditions du dialogue social sur ce thème ne sont pas remplies
L'annonce d'un dialogue social suppose des objectifs clairs,
" du grain à moudre ", pour être en mesure de donner
quelque chose en échange d'autre chose, de réelles
capacités de négociation et d'abord un accord de volonté.
Des incitations à négocier, venant des pouvoirs publics, peuvent
constituer un facteur supplémentaire de réussite, comme le montre
la loi " de Robien ". Ces incitations sont le plus souvent
d'ordre
financier, l'Etat s'étant révélé, jusqu'à
présent, incapable d'inciter au dialogue social par d'autres voies,
comme cela peut se passer aux Pays-Bas
38(
*
)
.
Or,
les travaux de la commission d'enquête ont montré que ces
différents facteurs de réussite ne sont pas réunis, en
grande partie du fait du Gouvernement lui-même, plus soucieux de passer
en force, que d'inciter et de convaincre. La commission d'enquête n'a pu
que constater qu'il n'y a pas, chez les agents économiques et sociaux,
de volonté d'aboutir. En outre, les difficultés techniques de
telles négociations semblent avoir été largement
sous-estimées par les ministères concernés
.
a) Un dialogue social difficile à établir
Le sentiment qui se dégage de l'ensemble des auditions
est que les partenaires sociaux ne sont pas prêts à s'engager dans
la voie d'une réduction négociée du temps de travail :
cette affirmation, ou cette crainte, se retrouve même chez ceux
-essentiellement des économistes- qui reconnaissent quelques vertus au
dispositif en termes de créations d'emplois. L'incapacité des
acteurs sociaux à négocier, en raison de leur faiblesse, de leur
" fragmentation " ou de leurs faible représentativité,
a souvent été avancée. Il a également
été observé que les négociations novatrices
ressortaient des périodes de crise, ce qui n'est actuellement pas le
cas
39(
*
)
.
En fait, les instruments d'un véritable dialogue social ne sont pas
réunis. Et les conditions de la préparation de la
Conférence nationale sur les salaires, l'emploi et le temps de travail
ont largement contribué à ce blocage.
-
Une mauvaise préparation de la Conférence pour
l'emploi
La Conférence nationale tripartite du 10 octobre 1997 a
été préparée par une réunion d'information,
le 3 octobre, afin de valider le diagnostic économique dressé par
l'INSEE, la direction de la prévision et la DARES, et de dégager
un consensus sur un ensemble de données quantitatives liées au
thème de la Conférence nationale. Des documents techniques ont
abondamment été distribués à cette occasion. S'il y
a mauvaise préparation, cela ne tient donc pas à l'information
sur l'état des lieux et sur les perspectives économiques et
sociales.
Cela tient essentiellement au climat social avant et pendant la
Conférence. Peut-être, y a-t-il eu, au départ, un
désenchantement causé par le rythme accéléré
des projets de réforme du temps de travail : l'accord du 31 octobre
1995, la loi " de Robien " du 11 juin 1996, le sommet
du 8
juillet 1996 et la nouvelle Conférence. Une initiative vient à
peine d'être lancée qu'une nouvelle est annoncée, avant
même qu'un quelconque bilan de la précédente ait pu
être dressé. Une telle
précipitation
ne peut que
susciter le scepticisme des partenaires sociaux qui ne protestent même
plus
40(
*
)
.
Mais surtout, il ressort des auditions que les partenaires sociaux, tout au
long de cette journée, ont éprouvé un sentiment
mitigé
41(
*
)
ou plus
généralement un sentiment de manipulation et de tromperie. Alors
que chacun pensait participer à une consultation où il pourrait
être écouté et faire évoluer les choses, tous ou
presque ont eu le sentiment, à entendre le discours conclusif du Premier
ministre fixant le caractère législatif et obligatoire de la
réforme,
que tout était joué d'avance
,
malgré les propos conciliants des membres du Gouvernement ou des
cabinets ministériels entendus au cours des jours
précédents, et malgré le large éventail de
possibilités ouvertes par le discours introductif du Premier
ministre
42(
*
)
.
Naturellement, la Conférence a été ressentie par les
organisations patronales comme un échec, échec d'autant plus vif
que l'espoir avait été entretenu jusqu'à 17 heures, heure
de l'intervention finale du Premier ministre. Le récit fait devant la
commission par M. Jean Gandois, alors président du CNPF,
43(
*
)
est, à cet égard, on ne
peut plus éclairant. De même, l'UPA avait cru que les petites
entreprises seraient exclues, d'où sa déconvenue. La CG-PME a
vécu cette journée comme une " déchirure ". La
CFTC a également considéré que la Conférence avait
été un échec, en ce qu'elle avait contribué
à rompre le dialogue entre les partenaires sociaux. Quant au CNPF, par
la bouche de l'un de ses vice-présidents, il a qualifié cette
journée de " journée des dupes ".
Ainsi, du côté patronal, mais aussi chez certains syndicats de
salariés, les jugements sur la Conférence sont très
négatifs. Mais au-delà de l'échec, c'est
le sentiment
général d'avoir été trompé, d'avoir
été manipulé et de se trouver privé de toute
initiative qui prédomine
. Dès lors, le Gouvernement peut-il
espérer obtenir l'accord de volonté permettant d'engager des
négociations sur le temps de travail ?
L'échec de la
Conférence est avant tout psychologique, car il a contribué
à braquer les partenaires sociaux contre la procédure retenue
pour passer aux 35 heures
.
Mais les organisations patronales ne sont pas les chefs d'entreprise et la
question se pose de savoir si ces derniers sont davantage disposés
à entamer des négociations.
-
Un patronat inquiet et réticent
Deux critiques de procédure sont formulées par les organisations
patronales, justifiant par des arguments leur refus de négocier :
"
on ne négocie pas sur ordre
", "
on ne
négocie pas quand le résultat est connu
d'avance
"
44(
*
)
. La
contradiction entre le recours à la loi pour imposer les 35 heures
et l'appel à la négociation pour les mettre en oeuvre est aussi
invoquée
45(
*
)
.
Quant aux critiques de fond, elles sont résumées dans la
déclaration commune du Comité de liaison des décideurs
économiques (CLIDE), signée le 12 janvier 1998 par cinq
organisations patronales, la CG-PME, le CNPF, la FNSEA, l'UNAPL et l'UPA :
Les présidents des cinq organisations "
constatent que l'immense
majorité de leurs membres quels que soient leur secteur, la taille de
leur entreprise ou leur forme juridique, sont opposés à ce projet
qui :
·
ignore la réalité des entreprises et leur
diversité et va à l'encontre de leurs efforts quotidiens pour
s'adapter aux réalités du monde dans lequel ils vivent ;
·
stérilise par avance le dialogue social et risque de
tendre inutilement le climat ;
·
impose de nouvelles contraintes réglementaires et des
augmentations de coûts aux seules entreprises françaises, à
l'heure de l'euro et de la mondialisation ;
·
cassera l'élan de tous ceux qui entreprennent alors
même que l'économie donne des signes de reprise ;
· incitera au travail au noir et au départ des emplois hors
de France
. "
La question est donc de savoir si les chefs d'entreprise sont dans le
même état d'esprit.
A la lecture de la presse, où ils se sont beaucoup exprimés, il
semble bien que la majorité d'entre eux le soient. Les quelques chefs
d'entreprise venus déposer devant la commission d'enquête ont
également exprimé les plus vives réserves.
La commission d'enquête a aussi souhaité recueillir par
elle-même leur sentiment. Elle s'est donc, fin décembre 1997,
adressée aux organismes consulaires pour leur demander s'ils avaient
procédé à des enquêtes auprès de leurs
mandants. Soixante-quinze réponses ont été reçues
au moment de la rédaction du rapport et les réponses continuent
à parvenir au Sénat. Une courte synthèse de ces documents
-les enquêtes réalisées par ces organismes sont nombreuses
et volumineuses- révèle des analyses du processus de mise en
oeuvre de la réforme et de ses conséquences très proches,
sinon identiques, à celles des organisations patronales (cf. annexe).
La commission d'enquête a également lancé une
enquête, sous forme de questionnaire, sur Internet. Le faible nombre de
réponses reçues, et l'absence de véritables garanties
quant à l'identité de la personne morale ou physique qui
répond, ôte à cet exercice toute valeur
scientifique
46(
*
)
.
Cependant, là encore (cf. annexe), les réponses ne sont pas
très différentes des positions des organisations patronales.
Enfin, la commission d'enquête a reçu le document
réalisé par le groupe UDF de l'Assemblée nationale portant
sur 43.550 questionnaires qui conclut à un rejet de la
réduction obligatoire du temps de travail par 92 % des
entrepreneurs, pour les mêmes raisons que le CLIDE.
Certes, on ne peut déduire de ces enquêtes que les chefs
d'entreprise ne négocieront pas. Mais on a bien là un
instantané de leur état d'esprit, sans doute imparfait, mais
suffisant pour prédire que la volonté de réussir ne sera
pas au rendez-vous.
Toutes les personnes entendues exerçant des responsabilités dans
l'entreprise, de même que les organisations professionnelles se sont
affirmées légalistes, ce qui les conduira à appliquer la
loi, et sans doute à tenter une négociation. Mais pour
négocier, il faut être au moins deux. Qu'en est-il des syndicats
de salariés ?
-
Des syndicats affaiblis et divisés dont les priorités
sont autres
Si on laisse de côté les critiques formulées par plusieurs
observateurs de la vie sociale, relative à la faiblesse des syndicats
due à leur peu de représentativité, qui ne les met pas en
position favorable dans une négociation aussi importante, on observe une
large unanimité pour dire ou seulement constater que la
réduction du temps de travail ne constitue pas leur
priorité
.
Mise à part
la CFDT
47(
*
)
,
qui reconnaît que la
réduction du temps de travail met "
la question salariale sur la
table des négociations
" et qui précise que lorsque les
salariés sont consultés, ils ne s'opposent pas à des
efforts salariaux, en particulier lorsque les contreparties en emploi sont
sensibles, tous les autres syndicats placent, à quelques nuances
près, la revendication salariale au premier rang de leurs
préoccupations.
La contradiction avec la condition de
modération salariale, de gel ou de réduction
nécessairement associée à la réduction du temps de
travail, est donc flagrante
.
Pour la CGT-FO
48(
*
)
, les
priorités sont les rémunérations, les minima sociaux et
les préretraites
, avec un objectif,
la relance de la
consommation
, pour faire repartir la croissance et donc l'emploi.
L'augmentation des salaires est aussi un moyen d'éviter le travail au
noir ainsi que les heures supplémentaires qui, si leur quantité
augmentait, produiraient des effets inverses de ceux recherchés par la
réduction du temps de travail. Le représentant de la CGT-FO a
d'ailleurs précisé que
son syndicat était hostile
à l'idée de signer des accords de gel ou de réduction des
salaires
, auxquels il estimait que les salariés étaient
opposés.
Cette position est confortée par l'opinion de M. Raymond
Soubie
49(
*
)
, selon laquelle la
modération salariale est déjà un facteur de conflit dans
les entreprises et entraînera sans doute des refus quant à un
éventuel gel des salaires.
La CGT
50(
*
)
, également,
se prononce pour une relance de la croissance, fondée sur une
augmentation de la masse salariale et du pouvoir d'achat
, et ne veut pas
que la réduction du temps de travail soit le prétexte à
une diminution ou à un blocage des salaires.
La CFE-CGC
51(
*
)
s'est
prononcée contre toute perte de salaire
, acceptant à la
rigueur un gel, à condition cependant qu'on ne distingue pas entre cadre
et non-cadre.
Quant à la CFTC
52(
*
)
,
favorable à l'annualisation du
temps de travail,
elle est opposée à une réduction des
salaires inférieure au plafond de la sécurité sociale
et marque sa préférence pour un gel de un ou deux ans.
M. Jean-Paul Probst a aussi souligné que les négociations
seraient dures, les organisations syndicales étant
déterminées
à préserver la qualité de la
vie familiale
de leurs mandants, menacée par les excès de
flexibilité.
Du côté patronal, le sentiment est le même. Qu'il s'agisse
des organisations patronales ou des entreprises entendues, tous pensent que les
salariés seront hostiles à un gel des salaires et qu'ils placent
les salaires au premier rang de leurs priorités, avant la
réduction du temps de travail.
En outre, dans les petites
entreprises, les salariés, très proches du chef d'entreprise, et
très sensibles aux résultats, partageront assez facilement
l'analyse de l'employeur sur les effets dangereux pour l'entreprise et l'emploi
de la réforme.
Or, la modération salariale, de l'avis des économistes comme de
l'avis des chefs d'entreprise, est l'élément-clef de la
réforme, faute de quoi les coûts unitaires de production
augmenteraient, ou des gains très importants de productivité
seraient recherchés, ce qui irait, dans les deux cas, à
l'encontre de l'objectif de création d'emplois.
La question est de savoir si ces analyses syndicales se retrouveront au sein
des entreprises, sachant que dans la grande majorité des petites et
moyennes entreprises, il n'y a pas de délégué syndical.
-
Des salariés intéressés mais exigeants
Les sondages sur cette question sont nombreux
53(
*
)
, et leurs résultats assez
fluctuants.
Devant la question de savoir si la réduction du temps de travail sera
efficace pour créer des emplois, les salariés restent perplexes.
S'ils sont majoritairement favorables aux 35 heures, approuvés par
63 % des personnes interrogées, ils ne sont que 43 % à
croire à l'efficacité du projet de loi (IFOP, 12 octobre
1997 -
Le journal du Dimanche
). 52 %, selon une enquête IPSOS
(
Le Monde Initiative
du 17 décembre 1997), pensent qu'ils
auront plus à y gagner qu'à y perdre et 42 % pensent le
contraire.
Plus généralement, selon une enquête BVA (
Paris
Match
du 22 janvier 1998), 47 % des Français pensent que
l'emploi va augmenter (de 4 %) ou un peu (43 %), 26 % pensent le
contraire et 2 % que cela ne changera rien.
En décembre 1997, selon un sondage de la SOFRES pour le CNPF, 69 %
des salariés se déclarent favorables aux 35 heures, mais
seulement 12 % pensent que cela va permettre de faire diminuer le
chômage, alors qu'ils sont 21 % à croire qu'on y parviendra
par une baisse des impôts et de cotisations et 28 % par une
augmentation des salaires. On retrouve donc ici les analyses et les
priorités des syndicats.
Pour être acceptée, la réduction du temps de travail
accompagnée d'une diminution du salaire, doit être assortie de
contreparties en termes d'emploi. Si l'emploi n'est pas en jeu, la contrainte
budgétaire des ménages paraît déterminante et le
nombre d'avis favorables chute considérablement.
Les opinions des salariés à temps complet sur la réduction du temps de travail avec diminution de salaire
Q1 : Accepteriez-vous une réduction de l'horaire
concernant l'ensemble du personnel de votre établissement, avec une
réduction correspondante de votre salaire annuel ?
Q2 : si non à Q1, si cela permettait de maintenir ou d'augmenter les
effectifs de votre établissement, l'accepteriez-vous ?
|
Réponses " oui " à Q1 ou Q2 |
Réponses " oui " à Q1 |
Réponses " oui " à Q2 (parmi les " non " à Q1) |
Hommes |
49,8 |
19,8 |
38,3 |
Femmes |
56,7 |
27,4 |
41,3 |
Ensemble |
53,0 |
22,7 |
39,4 |
Lecture : 39,4 % des salariés qui répondent
non à Q1 répondent oui à Q2.
Les pourcentages ne sont pas égaux à (Q1 + Q2) car
l'échantillon concerné par les deux questions est
différent. En effet, la question 1 s'adresse à l'ensemble de la
population alors que la question 2 ne s'adresse qu'aux salariés ayant
répondu négativement à la question
précédente.
Source : INSEE - Enquête complémentaire emploi de 1995.
Il apparaît donc que les Français, ou du moins les
salariés, ne sont pas opposés, même si leur opinion a
fluctué au cours des dernières années, à une
réduction du temps de travail accompagnée d'une diminution ou
d'un gel de leur rémunération dès lors qu'elle s'inscrit
dans une démarche solidaire favorable à l'emploi.
Inconsciemment, ils font leur le raisonnement de M. Jean-Paul
Fitoussi
54(
*
)
, considérant
la baisse momentanée des revenus comme un investissement, car les
salariés ont collectivement intérêt à la croissance
de l'emploi, celle-ci réduisant la précarité de leurs
conditions et étant un gage de revenus plus élevés dans
l'avenir.
Mais, encore faut-il pour négocier, que chacun ait une conscience claire
des enjeux. Or, la commission d'enquête a constaté que le
Gouvernement, par ses hésitations, ses manoeuvres ou ses contradictions,
n'avait pas facilité la compréhension des conditions de mise en
oeuvre de la réduction du temps de travail.
b) Un message gouvernemental brouillé
Le premier exemple de cette démarche hésitante
concerne l'objectif même de la réduction du temps de travail.
C'est ainsi que l'exposé des motifs du projet de loi annonce
"
qu'une réduction du temps de travail bien conduite peut
créer des centaines de milliers d'emplois
",
présentées non pas comme une attente, mais bien comme un
résultat assuré puisqu'il est ajouté qu'"
aucune
des politiques mises en oeuvre depuis une vingtaine d'année n'est
parvenue à le faire jusqu'ici
". Naturellement, nul ne peut
résister à un tel programme, même s'il ne brille pas par sa
probité intellectuelle. Malheureusement, la lecture de l'étude
d'impact, fournie quelques semaines après l'adoption du projet de loi au
conseil des ministres, ne mentionne aucune prévision de création
d'emplois,
comme si les hypothèses et les chiffres sur lesquels
s'étaient fondés les rédacteurs du projet de loi avaient
soudain perdu toute crédibilité
. L'affirmation triomphaliste
s'est transformée en un discours sur les bénéfices
qu'allaient pouvoir retirer les entreprises des contreparties qu'elles
négocieraient en termes de flexibilité. Des effets en termes
d'emplois, il n'est plus question.
On retrouve, dans les prises de position des membres du Gouvernement, ces
mêmes allers et retours entre les affirmations péremptoires et les
prises de position plus réalistes. Les déclarations
contradictoires de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité (450.000 emplois) et de M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (350.000), ce
dernier se permettant " en boutade " de proposer des
résultats
de simulation macro-économiques pronostiquant la création d'un
million d'emplois. Le Premier ministre lui-même, sélectionnant
soigneusement ses chiffres dans trois études, opportunément
publiées le jour de son intervention télévisée, par
le journal "
Le Monde
", a annoncé de 300.000 à
700.000 emplois. Quant à M. François Hollande, premier
secrétaire du parti socialiste, il est redescendu à quelques
milliers d'emplois créés. Il n'en reste pas moins que
l'opinion publique et les salariés auront bien du mal à
évaluer l'impact du projet de loi.
Le discours sur la compensation salariale a aussi quelque peu varié au
fil du temps, passant d'une réduction du temps de travail sans perte de
salaire, à l'affirmation que la réduction du temps de travail ne
doit pas affecter la compétitivité des entreprises, ce qui,
ipso facto
, mais cela n'apparaît pas avec évidence aux yeux
de non-spécialistes, signifie un gel, voire une réduction des
salaires.
Cela n'a jamais été dit explicitement
.
Dernier exemple, le flou entretenu à propos de la baisse de la
durée du travail. Pour beaucoup de Français, la baisse de la
durée légale est comprise comme la baisse de la durée
effective. Or, il n'est pas sûr qu'ils se représentent les
implications sur leur mode de vie d'une durée légale
annualisée, dans la mesure où 90 % des salariés ne
relèvent pas d'une convention d'aménagement du temps de travail
et ne l'ont donc jamais expérimentée.
Une plus grande
transparence aurait, là aussi, été nécessaire. Car
quelle sera leur réaction quand on leur demandera de travailler plus de
40 heures pendant quelques semaines, alors que la durée
légale sera de 35 heures ?
Enfin, en plus de la conscience des enjeux, la réussite d'une
négociation sociale repose sur la capacité des acteurs sociaux
à négocier. Or, la négociation de ce type d'accord est
sans doute
la plus difficile qui soit, et la plus risquée pour la
préservation du climat social. Son objet est sans
précédent.
c) Des conditions techniques de négociation complexes
La complexité des mécanismes
d'aménagement du temps de travail est considérable. Il n'est,
pour s'en convaincre, que de parcourir les articles du code du travail
consacrés aux heures supplémentaires (art. L. 212-5 et
suivants) ou aux différents types de modulation (art. L. 212-7 et
suivants). La négociation de tels accords, qui comportent en outre un
volet de négociation salariale, toujours sensible, suppose des
négociateurs qualifiés, des aides à l'ingénierie
sociale et, enfin, une connaissance précise des paramètres
à prendre en compte.
Malheureusement, la commission d'enquête a constaté que ces
conditions étaient loin d'être remplies.
-
La technicité du débat
Négocier un accord d'annualisation suppose d'abord de la part de
l'entreprise une bonne connaissance de ses contraintes. Cela suppose
également une bonne connaissance de la législation et des
libertés qu'elle accorde, ainsi que des sacrifices que sont en mesure
d'accepter les salariés en matière de flexibilité. A
défaut, un accord mal équilibré peut compromettre
l'organisation du travail ou détériorer gravement le climat
social.
Il faut également du temps et, à ce titre, les délais
impartis, avec le couperet du 1
er
janvier 2000, sont
relativement courts
55(
*
)
. Mais la
complexité du processus de négociation ne s'arrête pas
là. La matière à traiter ne peut plus être
appréhendée aujourd'hui comme hier.
La question se pose en effet de savoir si
le concept de durée
hebdomadaire du travail
, voire même de durée du travail, est
encore d'actualité, notamment dans les nombreux secteurs à forte
valeur ajoutée intellectuelle ou recourant à de nouvelles formes
de travail (télétravail, nouvelles astreintes dues aux
facilités de télécommunication...). La même question
se pose à propos des
cadres,
et si celle-ci a souvent
été évoquée au cours des auditions, nul n'a
proposé de solution satisfaisante
56(
*
)
. Néanmoins, ces questions se
poseront et devront être résolues.
Un autre facteur de complexité est la prise en compte du
temps
partiel
, éventuellement dans un cadre annualisé que le
Gouvernement tente d'ailleurs de dissuader en supprimant l'exonération
de charges sociales dont ce dernier bénéficie.
Or, cette complexité n'a nullement été prise en
considération dans le cadre de cette réforme imposée.
D'ailleurs, le Gouvernement a pris bien soin de refuser à la commission
d'enquête l'accès aux notes de la direction des relations du
travail qui, pour certaines d'entre elles -entr'aperçues lors du
transport au ministère de l'emploi et de la solidarité-,
traitaient bien de ces difficultés.
- Le manque de négociateurs qualifiés
De ce qui vient d'être dit, on déduit aisément que de
telles négociations nécessitent une grande maturité et une
forte expérience syndicale, qui pourraient faire défaut en raison
de la faiblesse du syndicalisme en France
57(
*
)
, principalement dans les petites
entreprises qui n'ont que rarement des délégués syndicaux
ou des délégués du personnel pouvant les suppléer.
Pourtant, plus un sujet est complexe, plus il doit être
négocié au niveau local, pour coller le mieux possible aux
réalités du terrain
58(
*
)
.
Si, sur ce plan, les grandes entreprises ne devaient pas rencontrer de
difficultés, il en va différemment pour les petites entreprises.
Ce problème n'est pas nouveau.
Pour pallier l'absence de délégués syndicaux, qui
empêche l'élaboration d'un droit conventionnel spécifique,
la Cour de cassation avait admis, dans un arrêt du 25 janvier 1995,
qu'en l'absence de toute représentation du personnel, une organisation
syndicale pouvait mandater un salarié pour négocier un accord
avec l'employeur. Les partenaires sociaux, dans leur accord national
interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif à la politique
contractuelle, ont repris cette possibilité, mais l'ont
subordonnée à un accord de branches. Ce dispositif
dérogatoire a été validé, à titre
expérimental, par la loi du 12 novembre 1996. Cependant, la lenteur
des négociations de branches qui le conditionnent a poussé le
Gouvernement, en dépit du texte de l'accord et de la loi, a rouvrir la
possibilité d'un mandatement sans accord de branches préalable.
C'est cette possibilité qui devrait être validée par le
projet de loi, afin de favoriser le dialogue social et la négociation
d'accords d'aménagement de réduction du temps de travail dans le
cadre de la loi sur les 35 heures. C'est d'ailleurs dans ces conditions
que 34 % des accords de Robien ont été
négociés et conclus, la plupart par la CFDT.
On voit néanmoins que
la pratique du mandatement est loin d'offrir
les garanties exposées ci-dessus
. C'est la raison pour laquelle,
à l'exception de la CFDT, les syndicats n'y sont pas favorables. La CFTC
craint une remise en cause de la loi du 12 novembre 1996, avant même
que les nouvelles formes de représentation qu'elle a instituées
aient pu être réellement expérimentées
59(
*
)
. La CGT voit dans le mandatement une
remise en cause du monopole syndical de négociation. Pour la
CGT-FO
60(
*
)
, les salariés
ainsi mandatés ne seront ni formés, ni indépendants, car
le plus souvent proposés par l'employeur. D'une façon
générale, les syndicats préfèrent les accords de
branches, ici expressément exclus. Les organisations patronales, quant
à elles, auraient préféré pouvoir recourir aux
seuls représentants élus du personnel.
Finalement,
le recours au mandatement, facilité pour étendre
le plus largement possible le champ des négociations, pourrait jouer
contre l'aménagement du temps de travail si les accords, mal
négociés et déséquilibrés,
généraient des conflits internes à l'entreprise
.
-
Le conseil aux PME est insuffisamment développé
Lors de son audition, M. Jean Marimbert, directeur des relations du
travail, a indiqué que le ministère de l'emploi et de la
solidarité avait accompli de gros efforts pour mobiliser les services en
direction des petites entreprises.
Il n'en reste pas moins que de nombreux chefs d'entreprise, peu
familiarisés avec les finesses de la négociation, auront beaucoup
de difficultés à négocier ces accords au nom de
l'entreprise. Certes, des aides financières sont inscrites au budget du
ministère de l'emploi, mais elles sont loin de correspondre aux
besoins
61(
*
)
. Quant aux cabinets
privés, peu développés, ils s'adressent surtout aux
grandes entreprises.
- Certains paramètres à prendre en compte dans la
négociation ne sont pas encore fixés
L'un des reproches adressés à la démarche du Gouvernement
est qu'elle consiste à
demander aux partenaires sociaux de
négocier en fonction de critères qui ne seront fixés que
par une nouvelle loi en l'an 2000
62(
*
)
. Parmi ces critères figurent le
régime juridique des heures supplémentaires (surcoût et
repos compensateur), l'insertion dans la loi de la mention de l'annualisation
ou le régime du SMIC. Si ce dernier point a reçu un début
de réponse à l'occasion du débat sur les 35 heures
à l'Assemblée nationale, avec l'institution d'un double SMIC
(mensuel revalorisé pour les bas salaires, horaire et inchangé
pour les autres), la solution retenue constituera une source de
complexité et un nouveau facteur de conflits au sein des entreprises
lorsque les salariés compareront leurs feuilles de paie
63(
*
)
.
D'une façon générale,
l'intervention d'une
deuxième loi, en 2000, ne peut constituer qu'un facteur d'incertitude
juridique, contraire à la stabilité dont ont besoin les
entreprises sur le long terme.
*
L'accumulation de conditions difficiles à remplir, la persistance de zones d'ombre, la fragilité des raisonnements sur lesquels s'appuie le Gouvernement, qui semble s'apercevoir de son erreur tout en restant déterminé, la précipitation avec laquelle est engagée cette réforme, sans réflexion ni concertation suffisantes, ont conduit la commission d'enquête à considérer que les partenaires sociaux ne parviendraient pas à amortir le choc des 35 heures sur le fondement d'un accord de volonté . Ces conditions micro-économiques favorables n'étant pas remplies, seule la voie des 35 heures autoritaires et non négociées reste ouverte. Mais elle dégradera les coûts de production des entreprises et se soldera nécessairement par des destructions d'emplois .