II. SÉANCE DU MARDI 13 JANVIER 1998
A. AUDITION DE M. DANIEL GIRON, PRÉSIDENT DE L'UNION PROFESSIONNELLE ARTISANALE (UPA)
M. Alain GOURNAC, président - Mes chers
collègues, nous allons procéder à l'audition de M. Daniel
Giron, Président de l'Union Professionnelle Artisanale.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Daniel
Giron.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Merci, Monsieur le président. Nous
mesurons tout l'intérêt de l'audition qui va se réaliser
maintenant autour de l'appréciation que porte l'UPA sur la
réduction du temps de travail et les perspectives possibles en termes
d'emploi, nous serons très attentifs à cette audition.
Après une semaine de fonctionnement, une longue journée
d'audition la semaine dernière, les craintes que nous avions
exprimées, lors de la mise en place de cette commission d'enquête,
se confirment.
En effet, la forme que requiert cette commission d'enquête avec tout ce
qui l'entoure : dire rien que la vérité et toute la
vérité sur les 35 heures, sur un texte qui n'a pas encore
été étudié par les commissions permanentes
compétentes, me semble être une procédure totalement
inadaptée. Elle limite, discrédite le travail des parlementaires
qui seront appelés, dans des commissions, à étudier ce
texte des 35 heures.
Monsieur le président, si la situation n'était pas aussi grave et
s'il n'y avait pas ce climat malsain et suspicieux dont vous vous entourez, car
jurer (comme s'il s'agissait d'un acte délictueux) de dire toute la
vérité, rien que la vérité sous peine de sanctions,
ce serait risible. Le ridicule de cette situation nous afflige et ne nous
convient pas du tout.
M. Alain GOURNAC, président - C'est votre point de vue que je respecte,
ma chère collègue. Cette commission d'enquête a
été mise en place dans le respect du Sénat, il y a eu
vote. Le problème est tranché, si le Sénat n'avait pas
voté cette commission d'enquête, elle n'existerait pas.
Le Sénat a décidé que c'était une commission
d'enquête, donc la procédure est celle utilisée dans ce
cadre. Je confirme que les personnes qui répondent à nos
auditions viennent sous serment et doivent, même si cela vous gêne,
s'exprimer dans ce cadre et ce pour respecter la décision du
Sénat. Vous avez exprimé votre point de vue. Je ne le partage
pas.
Nous allons procéder à cette audition. Monsieur, pour que tout
soit clair entre nous, nous vous proposons de vous exprimer pendant dix
minutes, ensuite M. le Rapporteur vous posera des questions, vous pourrez
d'ailleurs y répondre immédiatement, puis nos collègues
interviendront. Je souhaiterais que tout cela se fasse en une heure.
Vous avez donc la parole.
M. Daniel GIRON - Merci, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, Madame, Messieurs, je n'apprendrai rien à
cette commission en répétant ici, comme je l'ai fait dans
d'autres enceintes et lors de déclarations publiques, qu'au titre de
l'artisanat, puisque nous sommes la structure de droit privé qui
représente les entreprises du secteur des métiers, nous sommes
hostiles à la réduction autoritaire de la durée du temps
de travail.
C'est une déclaration facile à faire me direz-vous,
peut-être est-il souhaitable de dire pourquoi.
Nous considérons que l'entreprise artisanale a été
placée, dans le cadre de la conférence du 10 octobre, dans un
véritable ghetto. Le fait d'accorder à l'entreprise de moins de
20, la possibilité de ne rentrer dans la démarche des 35 heures
qu'à l'horizon 2002 a permis de sortir le secteur du
bénéfice des mesures accessoires.
Un exemple : une entreprise de cent salariés qui diminue de
10 % son temps de travail, qui augmente de six son personnel, va
bénéficier d'un apport financier de 956 000 F, soit
159 000 F par emploi créé.
Il nous paraît donc tout à fait normal qu'une entreprise
artisanale qui diminue son temps de travail de 10 % et crée un
emploi bénéficie des 159 000 francs, sinon nous
rentrons dans une distorsion de concurrence qui, sur des schémas
analogues, est insupportable.
Par ailleurs, si nous parlons de la réduction du temps de travail, un
ébéniste passe 800 heures pour réaliser une armoire
normande (je suis normand). Si le temps de travail est diminué, pour lui
et les salariés de haut niveau qu'il est obligé d'engager pour sa
production, cela augmente à due concurrence son coût. Pour un
ébéniste qui peut exporter, on diminue sa capacité de
concurrence sur le marché extérieur. C'est un
élément important.
Je prendrai le cas d'un boulanger qui emploie huit ou neuf salariés. Son
équipe est composée de trois boulangers, de trois
pâtissiers et de trois vendeuses. Comment peut-il créer des
emplois en diminuant de 10 % chacune de ses équipes ?
Créer un emploi ne lui est pas possible et ne lui apporte rien dans
l'articulation de son travail et de son organisation.
Je prendrai un schéma analogue pour un mécanicien automobile
tôlier. Il emploie deux peintres, trois tôliers, quatre
mécaniciens. La diminution du temps de travail ne lui permet pas,
même s'il le réduit de 10 %, de créer un emploi.
Dans les conditions d'exercice actuelles, la création d'emplois à
temps partiel est très difficile et implique des
" contraintes " très dures à supporter pour
l'entreprise artisanale.
C'est le problème majeur qui se pose à la petite entreprise dans
le cadre de son organisation de travail.
Si nous regardons les effets induits, ceux que nous commençons à
connaître et pouvons prévoir dans le cadre de l'organisation du
travail, que voyons-nous aujourd'hui ?
Des entreprises artisanales qui avaient des projets d'investissement et qui les
ont annulés. Nous constatons que les enveloppes de crédits
bonifiés destinées aux entreprises artisanales ne seront pas
consommées au titre de l'année 1997 eu égard au
décalage dans l'investissement, réflexe de beaucoup d'entreprises
artisanales.
Parmi les informations qui nous reviennent, nous sommes informés de
radiations d'entreprises du répertoire des métiers parce qu'elles
s'installent en Europe, celles qui sont proches de la frontière
espagnole s'installent en Espagne et d'autres, normandes, vont en Angleterre.
Observons maintenant les motifs des embauches. Quand une entreprise se
déplace en Angleterre pour embaucher du personnel anglais, elle
bénéficie du prix du carburant anglais, ce qui minore les frais
de transport des équipes qui viennent travailler en France. Est-ce une
solution pour créer de l'emploi ? J'avoue que je reste très
interrogatif.
Voilà les conséquences immédiates.
Nous devons aussi analyser celles qui résultent de l'apprentissage. La
loi sur l'apprentissage oblige des cycles de 400 heures/année dans
un centre de formation d'apprentis. Si nous réduisons la durée du
travail à 35 heures, si nous maintenons les 400 heures, c'est
normal si nous souhaitons avoir des personnes bien formées, nous
augmentons la durée des cycles hors entreprise, ce qui ne permet plus
aux chefs d'entreprise d'apprendre aux jeunes leur métier, comme il s'y
est engagé.
Cette analyse n'inclut pas les conséquences financières qui vont
avoir une répercussion sur les soutiens financiers nécessaires
aux centres de formation d'apprentis. En effet, quand le nombre de stages va
augmenter, dans les centres de formation d'apprentis il faudra plus de
professeurs mais aussi plus de salles. Donc, obligation de trouver les moyens
financiers pour investir dans le cadre des besoins pédagogiques nouveaux
qui vont s'exprimer.
Voilà, rapidement, les raisons pour lesquelles nous considérons
que, économiquement et financièrement, pour l'entreprise
artisanale, le passage à 35 heures est insupportable dans la
compétition, non pas hexagonale que nous avons connue à certaines
périodes, mais dans celle devenue mondialiste.
Tout le monde sait très bien que nous avons une quantité non
négligeable de chirurgiens-dentistes qui travaillent avec des
prothèses qui viennent d'Asie, au détriment des
prothésistes dentaires français. Les difficultés iront en
augmentant.
Nous avons fait également une analyse des pertes de revenus de
l'entreprise suite à la diminution de la durée du temps de
travail, au travers d'une moindre utilisation de ses investissements. Le temps
de travail étant plus court, la matière employée est
moindre, d'où diminution de la marge sur la matière
utilisée.
Je vous remettrai une analyse portant sur la modification de rentabilité
des entreprises, en fonction du nombre de salariés, des investissements,
des produits consommés qui montre bien que, dans un marché qui
peut être égal, la diminution du temps de travail fait baisser le
revenu net de l'entreprise.
Voilà, en premier lieu, ce que ressent le secteur des métiers
quant à la proposition de loi qui va venir en discussion.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie, je passe
immédiatement la parole à notre rapporteur qui a quelques
questions à vous poser.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Monsieur le président, nous nous sommes
constitués en commission d'enquête suite à la
décision prise par le gouvernement et nous voulons prendre les moyens
d'éclairer la réflexion du Sénat préalablement
à l'examen et à la discussion du projet de loi.
Nous sommes tout simplement dans notre mission, car l'emploi est au coeur de
nos préoccupations.
Nous savons bien que les potentialités les plus fortes de
créations d'emplois sont au sein des petites entreprises. Les
entreprises industrielles aujourd'hui, étaient, hier sans doute, des
entreprises artisanales.
Je voudrais d'abord vous demander, Monsieur le président, comment vous
avez été consulté, associé à la prise de
décision du Gouvernement, d'abord en préalable à la
Conférence de l'emploi du 10 octobre et, ensuite, à la
décision en Conseil des ministres.
Avez-vous pu faire valoir tous les arguments que vous venez d'exposer ?
Avez-vous reçu, en contrepartie, des apaisements ? Vous a-t-on
laissé entendre que, pour les petites entreprises, cela se passerait
peut-être autrement ?
Sur ces dispositions propres à toute négociation
préalable, sur la concertation entre le Gouvernement et les partenaires
sociaux, pouvez-vous nous donner les informations que vous avez recueillies
dans cette phase préalable ?
M. Daniel GIRON - Dans la phase préalable au 10 octobre, nous n'avons eu
que de l'information parcellaire et restreinte. Nous avons
bénéficié d'un rendez-vous chez Mme Martine Aubry la
semaine qui a précédé le 10 octobre. Là, nous
avons simplement été informés que vraisemblablement la
petite entreprise, de moins de 10 ou moins de 20, serait exclue du champ
d'application. Donc, il n'y avait pas d'horizon formel tel que celui
exprimé le 10 octobre.
A cette date, ayant déjà participé à d'autres
entretiens chez le Premier ministre avec les partenaires sociaux, j'ai
été très surpris de la discussion. Le matin, nous en
avions eu une très feutrée. Par ailleurs, nous avions
déjeuné avec le Premier ministre et les différents
responsables, déjeuner très convivial mais hors sujet ;
l'après-midi s'était passé dans la même ambiance.
Imaginez notre déconvenue, enfin pas totale car nous avions
déjà des informations qui montraient que la décision de M.
le Premier ministre était prise, lorsqu'à 17 heures 50
il a fait la déclaration que vous connaissez.
Depuis, une réunion technique s'est tenue chez Mme Martine Aubry avec
nos collaborateurs, mais nous sommes dans l'attente d'un entretien avec Mme le
Ministre. Nous avons fait pression avec nos amis agriculteurs et les
professions libérales, nous serons reçus, je l'espère, par
Mme Martine Aubry demain matin à 11 heures 30.
Notre dernière information nous laisse penser que peut-être
Mme le ministre ne pourra pas être présente compte tenu
d'un débat qui va avoir lieu devant l'Assemblée nationale. Elle
nous a fait savoir que, si elle avait du retard, nous serions reçus par
son Directeur de cabinet.
Avouez que, pour des secteurs tels que l'agriculture, les professions
libérales et nous-mêmes, qui au titre de la petite entreprise
représentons 47 % de l'emploi, c'est quand même un peu
" fort de café " que d'avoir autant de difficultés
à être reçus par un ministre de la République, cela
ne m'était jamais arrivé.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie. Monsieur le Rapporteur,
la réponse vous convient-elle ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Toutes les réponses me conviennent,
Monsieur le président.
M. Alain GOURNAC, présiden
t
- Avez-vous des questions
complémentaires à poser ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - J'aurais une autre question à poser
à M. le président Giron. Comment voit-il ces questions de
seuil ?
Si l'on pose un seuil à 10 ou à 20 pour des entreprises, n'est-ce
pas finalement un obstacle à la création d'emplois ?
Le problème se posera dans le texte qui viendra en discussion devant le
Parlement dans quelques jours, mais plus globalement quelle est votre
réflexion par rapport aux problèmes de seuil, puisqu'il en existe
de nombreux dans la législation française ?
M. Daniel GIRON - Nous sommes hostiles à tout principe de seuil et
demandeurs de la compétence préalable. Cela ne date pas
d'aujourd'hui. En effet, lorsque, sous une autre casquette, j'ai
présenté le Titre 2 de la loi sur l'Economie sociale concernant
la coopération en milieu artisanal, j'ai obtenu qu'au titre des
différentes composantes d'une coopérative, il y ait le droit de
suite jusqu'à 49 salariés, là on passe dans le cadre d'un
comité d'entreprise, et nous considérions que ce seuil ne pouvait
pas être franchi.
Dans les discussions que nous avons eues avec un précédent
Gouvernement, nous avons émis l'idée du droit de suite. En effet,
il crée une barrière susceptible de scléroser
l'entrepreneur dynamique qui, ne voulant pas sortir du secteur, va restreindre
sa capacité d'emploi pour ne pas aller dans d'autres dont
l'appréciation, pour lui, est différente.
Voilà la raison pour laquelle nous sommes hostiles au seuil. D'ailleurs,
dans nos discussions, nous le répétons toujours et nous demandons
que le critère recevable soit l'inscription au répertoire des
métiers avec un critère qualitatif.
Si nous comparons ce qui se fait dans d'autres pays, nous sommes les seuls
à avoir de tels seuils. Par ailleurs, un responsable comme moi a connu
les artisans fiscaux.
M. Arthuis sait bien ce que c'était. Vous comprendrez que nous ne
souhaitons pas connaître de nouveau les mêmes situations avec des
artisans qui, pour des raisons ou d'autres, ont des problèmes majeurs
dans l'expansion de la dynamique d'entreprise qu'ils pourraient créer.
M. Alain GOURNAC, président - D'autres questions ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ne craignez-vous pas, Monsieur le
président, que, dans le secteur des petites entreprises, l'accroissement
de ces contraintes et la réduction du temps de travail hebdomadaire
n'ouvrent des voies à une économie parallèle,
clandestine ?
Enfin, si nous devons aller vers la réduction du temps de travail, ne
pensez-vous pas que, dans certaines entreprises, compte tenu de la
saisonnalité des activités, nous pourrions peut-être
admettre qu'il y ait une annualisation du temps de travail ?
Quelle est la position de l'UPA quant à cette idée
d'annualisation ?
M. Daniel GIRON - Monsieur le Sénateur, nous sommes convaincus
que, si nous passons à 35 heures, il y aura un développement
du travail noir. Nous étions hier soir en réunion du CLIDE, et
nous avons sorti un communiqué de presse qui paraîtra
vraisemblablement aujourd'hui, où tout le monde a reconnu, à
notre demande, qu'il fallait qu'il mentionne le problème du travail noir.
Quant à l'annualisation du temps de travail, nous en sommes demandeurs,
non pas entreprise par entreprise, mais dans le cadre des discussions de
branches, profession par profession.
Je ne vois pas comment une entreprise de deux salariés peut discuter
d'une annualisation avec les centrales syndicales ouvrières. En
revanche, nous avons déjà eu des pourparlers et nous sommes
d'accord pour que cette discussion ait lieu au travers des commissions qui
existent à l'intérieur des branches.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. Je vais passer la parole à
notre collègue M. Badré.
M. Denis BADRÉ - Monsieur le président GIRON,
quelle est, pour l'UPA, la signification du temps de travail ? A partir du
moment où, dans vos entreprises, le travail se manifeste par sa
qualité et sa personnalisation, chacun étant responsable de sa
création, la notion de temps de travail peut-elle encore avoir un
sens ?
Deux autres questions incidentes : le fait de contrôler le temps de
travail dans une entreprise artisanale, à moyen ou long terme, a-t-il
une signification ?
Vous avez évoqué le problème de l'apprentissage,
souligné un certain nombre d'effets, pervers à votre sens, du
projet sur la montée en puissance de l'apprentissage auquel nous sommes
très attachés. Voyez-vous des possibilités d'adaptation
des procédures d'apprentissage pour se placer dans cette nouvelle
configuration et poursuivre leur développement dans ce nouveau
cadre ? Est-ce possible ou non ?
M. Alain GOURNAC, président - Merci, notre collègue,
M. Daniel Percheron, va poser sa question.
M. Daniel PERCHERON - Nous ne pouvions pas deviner que vous étiez
normand. Je vous remercie de votre franchise, ce n'est pas
" peut-être bien que oui, peut-être bien que non ", c'est
carrément non.
En tant que sénateur socialiste, il n'y a aucune surprise qu'en
période de gouvernement de gauche la radicalisation de certaines couches
sociales -et notamment de leur encadrement syndical ou politique, je pense
à l'agriculture et à sa puissante FNSEA et à votre
organisation- soit une donnée fondamentale et très
intéressante à étudier.
Je me suis penché sur vos prises de position en tant qu'organisation,
une seule a reçu, je ne vois pas comment vous auriez pu l'éviter,
un accord : c'était en 1982, le statut du conjoint. J'espère
que vous ne souhaitez pas le supprimer.
A partir de là, je voudrais vous poser quelques questions. Les
catastrophes que vous annoncez, qu'elles aient été
masquées ou non au cours d'un dîner convivial avec le Premier
ministre, se sont-elles partiellement produites lorsque nous sommes
passés de 40 à 39 heures, par exemple ?
Lors des gouvernement de gauche, avez-vous eu le sentiment que le nombre
d'artisans avait augmenté ou diminué ? Je connais la
réponse, mais je voudrais savoir si vous avez confronté vos
craintes à cette expérience.
Enfin, pouvez-vous vraiment préciser votre position et nous dire si,
à partir de votre hostilité de principe exprimée ici dans
le cadre de cette commission d'enquête -en nous disant toute la
vérité et donc en échappant à toutes les sanctions
possibles- vous préférez finalement être compris
directement dans l'éventuelle loi des 35 heures, dès
maintenant, avec ses compensations, ses incertitudes et ses contraintes ?
Souhaitez-vous que les PME et les artisans soient dans ce carcan qui vous fait
tellement peur ? Ou bien le délai, vous avez parlé de
distorsions, de concurrence, vous semble-t-il de nature à
véritablement aggraver la situation ?
Un dernier mot à propos de votre funeste sort commun avec l'agriculture
française. Je vous souhaite un jour... un seul jour,
Monsieur le président, en tant qu'artisan, d'avoir des
artisans qui bénéficient (à travers une politique
européenne et mondiale volontariste) de la possibilité de vendre
leurs produits en quantité parfois illimitée à prix
garantis. Ce serait une révolution extraordinaire pour l'artisanat
français.
Je pense qu'à l'heure actuelle cette communauté de
"détresse" ne peut être évoquée sans prendre de
véritables précautions.
Je vous remercie, encore une fois, pour votre franchise et vous demande
d'accepter la mienne.
M. Alain GOURNAC, président - Merci.
M. André JOURDAIN. - Avec ce que je viens d'entendre, ce n'est pas une
question, c'est une affirmation.
Monsieur le président Giron, j'ai retrouvé dans
vos propos ce que j'entends quotidiennement dans mon département du Jura
de la part des artisans qui craignent énormément les effets de
cette funeste loi sur les 35 heures.
Vous avez dit en préambule, et c'est ce qui est important, que vous
étiez hostile à la réduction autoritaire.
M. Daniel GIRON - Bien sûr. C'est le mot : autoritaire qui nous
gêne.
M. André JOURDAIN - Ce mot "autoritaire" est important. Que les
entreprises le fassent par elles-mêmes si elles le peuvent, tout le monde
serait d'accord, mais que l'on prenne une mesure autoritaire, c'est là,
la gravité de cette loi.
Une question annexe par rapport à celles qui ont été
posées. Vous n'avez pas évoqué le problème du temps
partiel. Je sais qu'il est pratiqué très souvent dans les
entreprises artisanales, par exemple une secrétaire utilisée
à mi-temps. Or, il y a dans ce texte un durcissement à
l'égard du temps partiel qui va, me semble-t-il, pénaliser le
développement de vos petites entreprises.
Partagez-vous mon sentiment sur ce sujet ?
M. Alain GOURNAC, président - Merci chers collègues.
D'autres collègues souhaitent-ils s'exprimer ?
M. Franck SÉRUSCLAT - Je voudrais intervenir sur les mots qui viennent
d'être employés, ce n'est pas une décision
" autoritaire ", c'est une décision
" législative ".
Le Parlement est-il considéré comme
" autoritaire " ? Il y aurait des décrets, oui, mais ce
n'est pas autoritaire. Je passe mon temps, peut-être à tort,
à essayer de réagir quand on emploie des mots faux, comme
" embryon " pour " zygote " et bien
d'autres,
" éthique " pour " morale ", etc.
Ainsi, on finit
peu à peu par tordre sa pensée. Là, je pense que nous
n'avons pas le droit d'employer le mot " autoritaire ".
C'est une décision législative qui se prendra ou pas. Il y aura
des votes, des débats en assemblée. C'est tout
Monsieur le président.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. Je souhaiterais vous poser une
question. Monsieur le président, vous qui avez l'habitude des
négociations salariales, pouvez-vous nous dire si c'est une aspiration
des salariés ? Avant que l'on ne parle de cette réduction de
travail à 35 heures, était-ce une revendication, une
priorité des salariés dans votre domaine ?
Voulez-vous maintenant répondre à chacun ?
M. Daniel GIRON - Je répondrai d'abord à M. Badré.
Il est bien entendu que le temps de travail, pour l'artisan lui-même, est
une notion totalement ignorée. Pour lui, ce qui compte c'est que sa
production soit la plus importante afin que son revenu et celui de sa famille
correspondent, à la fin de l'année, à quelque chose de
cohérent au regard du risque qu'il a pris et des investissements qu'il a
réalisés.
En revanche, pour ses salariés il est tenu au respect de la
législation du travail. Vous m'avez posé une question, nous
souhaitons que l'entité artisanale perdure. Puisque l'Euro va se mettre
en place demain, nous voyons très bien, au titre de l'économie et
de l'aménagement du territoire, ce qui a été
réalisé dans un pays comme l'Allemagne où l'artisanat
bénéficie d'une structuration depuis 1953.
Je connais les problèmes que la réunification a posés.
Néanmoins, avant cela, l'Allemagne de l'Ouest était dans
l'aménagement du territoire et dans la dynamique économique -je
pourrais même vous raconter quelques anecdotes sur ce sujet- qui
montraient bien qu'il y avait, en créant cette entité, et en ne
la mettant pas dans un ghetto de seuil, une dynamique économique
très importante.
Enfin, l'apprentissage, je suis inquiet des répercussions que cela peut
entraîner. L'entrepreneur artisanal, lorsqu'il engage un apprenti, sait
quel est l'engagement qu'il prend pour le former, mais également quel en
est le coût par rapport à une formation de temps plein. Il va
être obligé d'analyser la répercussion du temps de travail
en matière de rentabilité de l'entreprise.
Je ne veux pas faire de supputations préalables, je dis simplement,
comme je l'ai dit en préambule, qu'il y a dans la prévision une
interpellation forte sur la répercussion que cela peut avoir.
M. Percheron a dit que nous étions entrés dans une
radicalisation. Il y a un ministre autour de la table qui, je crois, n'est pas
socialiste et qui m'a connu dans la même fonction sur d'autres sujets. Il
sait que, lorsque je défendais les intérêts du secteur que
j'avais en charge, ce n'était pas un souci de radicalisation, mais de
promotion du secteur qui m'animait.
Vous avez le droit, en tant que politique, d'avoir votre propre vocabulaire.
M. Daniel PERCHERON
- J'ai le devoir de dire ce que je pense.
M. Daniel GIRON - Vous comprendrez que je ne le perçoive pas comme tel.
Si vous faites allusion à ce que nous avions reconnu comme bon,
c'est-à-dire le statut du conjoint, vous oubliez que, dans mon propos
tout à l'heure, j'ai reconnu que la loi sur l'Economie sociale et la
coopération artisanale étaient à porter à l'actif
du gouvernement en place lorsque cette loi a été votée. Je
ne crois pas que vous puissiez me reprocher un manque d'objectivité
quant à notre analyse de la répercussion d'une telle loi.
Je n'ai pas dit que c'était une catastrophe, c'est le mot que vous avez
utilisé, je ne crois pas l'avoir employé. Donc, la
radicalisation, selon le vocabulaire utilisé, peut être
également à la charge de celui qui provoque.
Vous avez dit qu'il n'y avait pas eu de répercussion sur les
39 heures payées 40. L'incidence est déjà moins
grande, je n'ai pas de chiffres qui me permettent de l'affirmer ou de
l'infirmer.
M. Daniel PERCHERON
- Le commerce et l'artisanat ont créé
plus d'emplois en 1982 et 1983.
M. Daniel GIRON - Quand l'artisanat crée des emplois, c'est exactement
comme l'entreprise industrielle qui va venir s'implanter. Elle ne va pas
recruter à 39 heures, mais à 35 heures.
Les entreprises, qui ont créé des emplois lorsque la durée
du temps de travail est passée de 40 à 39 heures, ont
recruté à 39 heures.
C'est vrai, je vous remercie de l'avoir signalé, nous sommes le secteur
qui a créé le plus d'emplois au cours de ces dix dernières
années.
M. Daniel PERCHERON - Et, même au moment des tourmentes industrielles,
même après le socle du changement de 1981, vous avez
continué à créer des emplois dans le commerce et
l'artisanat.
M. Alain GOURNAC, président - Mes chers collègues, puis-je vous
demander de bien vouloir laisser le président répondre, c'est la
règle du jeu. M. le président s'exprime à la
suite de votre question.
M. Daniel GIRON - Il est vrai que nous avons créé des emplois,
mais dans les périodes préalables nous en avions
créé aussi. Depuis 1974, nous créons potentiellement des
emplois.
Avant, nous en avons certainement créé, mais l'analyse que nous
avions et la structuration du secteur n'étaient pas ce qu'elles sont
aujourd'hui et nous n'avons pas la possibilité de sortir les chiffres
avant 1974.
Avant la crise de 1974, nous étions considérés comme un
secteur social, résurgence de l'industrialisation. Après cette
date, comme nous avons continué à créer des emplois,
à investir et à aménager le territoire, nous avons
été considérés comme un secteur économique
à part entière.
Nous nous réjouissons de cette prise de conscience et de l'analyse fine
disant que nous créons des emplois, car le problème de l'emploi
fait partie de la conscience de chacun au travers de ce qu'il voit autour de
lui.
En revanche, je ne partage pas votre avis, il n'y a pas augmentation du nombre
d'artisans, mais une légère diminution des inscrits au
répertoire des métiers. Pourquoi ? Je m'en réjouis
aussi, nous avons moins de travailleurs indépendants,
c'est-à-dire d'artisans qui travaillent seuls et plus d'entrepreneurs
artisans.
La dynamique de l'emploi passera par l'entreprise et non pas par le travailleur
indépendant qui veut rester seul. C'est cette dynamique que nous
souhaitons voir préservée et renforcée.
Il est vrai que nous sommes hostiles à ce projet de loi parce qu'il
introduit une mesure autoritaire de réduction du temps de travail. Nous
sommes prêts à négocier dans le cadre des branches, mais
nous sommes hostiles à l'obligation qui résulte d'une loi. Je
laisse aux législateurs les pouvoirs qui sont les leurs.
Nous avons le droit de les avertir que nous sommes hostiles. Je ne crois pas
être sorti de ce raisonnement en le disant et en donnant les motifs de
cette hostilité.
Dans mon introduction, j'ai bien dit, en prenant l'exemple du boulanger et du
mécanicien, que nous avions quelques craintes sur le temps partiel. En
effet, les dispositions contenues dans la loi nous donnent à penser que
l'utilisation du temps partiel sera plus difficile avec cette loi.
Nous espérons nous tromper, peut-être les amendements
présentés modifieront-ils le projet de loi et feront-ils que la
loi nous permette un peu plus de souplesse entre son vote définitif et
le projet qui nous est présenté. Voilà peut-être une
des raisons pour lesquelles je suis heureux de m'exprimer devant vous.
M. le sénateur Sérusclat a dit que ce n'était pas une loi
autoritaire. Je ne rentrerai pas dans ce débat car j'ai noté
qu'il y avait un envoi de balles de chaque côté de la table.
Monsieur le président, quant à votre question concernant
l'aspiration du salarié à créer des entreprises
artisanales, nous notons aujourd'hui une diminution du nombre d'inscrits au
répertoire des métiers. Nous n'arrivons pas à renouveler
suffisamment les départs à la retraite par de nouveaux
entrepreneurs.
Nous sommes très engagés dans l'apprentissage et lorsque nous
étudions les cursus, nous notons que 66 % des inscrits au
répertoire des métiers viennent de l'apprentissage. C'est donc
que l'esprit d'entreprise se communique mieux par voie d'apprentissage que par
le temps plein.
Ce sont les chiffres, c'est un constat. Je ne veux pas créer
d'hostilité à ce niveau. Pour nous, c'est aussi
préoccupant. Nous craignons que les dispositions prises, qui
entraînent plus de contraintes, n'amènent ceux qui pouvaient
être porteurs d'un projet à y renoncer.
M. Daniel PERCHERON - Monsieur le président, je vous remercie de vos
derniers propos, mais je voudrais revenir à ma dernière question.
Avez-vous mené auparavant une négociation portant sur
l'aspiration à baisser le temps de travail ?
M. Daniel GIRON - Oui. Une centrale syndicale ouvrière, la CFDT, depuis
de nombreuses années, dans nos discussions, avait inclus dans son plan
de partenariat la diminution du temps de travail.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si vous permettez, Monsieur
le président, une dernière question.
M. Daniel GIRON nous a dit qu'il avait une préférence pour une
éventuelle réduction du temps de travail, mais dans le cadre de
l'annualisation et à condition qu'il y ait négociation par
branche.
M. Daniel GIRON - Et utilisation de temps partiel pour compenser.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - J'entends bien. Pouvez-vous nous dire, combien
l'UPA a-t-elle signé de conventions, d'accord de branches, ces
dernières années ?
S'il y a eu des accords, combien, à un titre ou un autre, ont-ils
porté sur la réduction du temps de travail ou le temps
partiel ?
M. Daniel GIRON - Je ne peux pas apporter de réponse précise, si
vous permettez nous vous ferons une note. J'ai prêté serment,
Monsieur.
M. Alain GOURNAC, président - Monsieur le président,
vous aurez toute possibilité de nous transmettre une réponse
écrite.
Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions à poser ?
M. Daniel PERCHERON - Je reviens sur la dernière question qui a
été oubliée. Votre préférence, dans le
malheur global, va-t-elle à une intégration immédiate de
votre secteur, dans la contrainte, mais aussi dans la compensation
financière ?
M. Daniel GIRON - Bien sûr. Mais avec une compensation adaptée
à l'entreprise artisanale. Si demain il est dit que l'entreprise
artisanale qui a trois salariés et va créer un emploi puisqu'elle
se développe, bénéficie de 159 000 francs pour
cette création, il est bien entendu que nous serons d'accord, même
si cela intervient à partir de l'an 2000.
M. Daniel PERCHERON - C'est important car il y a un consensus, presque un
cliché, sur le fait que les petites et moyennes entreprises de moins de
10 ou de 20, voire de 50, ne peuvent immédiatement être
concernées.
A la lecture de la presse de vulgarisation et spécialisée, nous
trouvons ce consensus. Or, vous nous dites exactement le contraire,
c'est-à-dire que vous préférez être tout de suite
dans la mécanique contraignante des 35 heures, mais avec tous les
avantages.
M. Daniel GIRON - Avec toute la négociation qui en découle.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si nous avançons dans cette voie, comment
allez-vous créer de l'emploi lorsque vous avez des effectifs de deux ou
trois personnes ?
Je comprends bien que vous puissiez réduire la durée du temps de
travail, mais quelle va être la contrepartie en termes de création
d'emplois ?
M. Daniel GIRON - Je n'ai pas dit qu'il y aurait contrepartie complète.
Mais pour une entreprise qui passe de trois à quatre salariés, si
elle réduit à 35 heures et qu'elle reçoive les
159 000 F donnés à l'entreprise de 100 salariés,
il est bien entendu que cela l'aidera à atteindre le palier
nécessaire à la dynamique de l'entreprise pour amortir ce
quatrième emploi.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Il me semble que ce que vous décrivez,
Monsieur le président, va à l'encontre du tableau que
vous avez dressé dans le cadre de la réduction du temps de
travail à 35 heures, en disant : pour les petites entreprises, il y
aura diminution de la production probable, dans la mesure où il y aura
sous utilisation des équipements.
Donc, passer de trois à quatre salariés, dans le tableau que vous
êtes en train de dresser, me paraît difficile.
M. Daniel GIRON - Je n'ai pas dit que c'était facile. Je dis que des
entreprises pourraient, si elles bénéficiaient de la
compensation, satisfaire à l'exigence du palier pendant lequel elles
sont amenées à recruter.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Nous sommes sur un point crucial.
M. Alain GOURNAC, président - Très important.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - J'ai compris le raisonnement du
président GIRON. Il dit : une entreprise de 100
salariés créé six emplois, cela fait cent six fois
9.000 F, soit 954.000 F, 159.000 F par emploi nouveau. Si nous
passons de trois à quatre salariés, nous devons percevoir
159.000 F.
Pardonnez-moi, mais si cela consiste à faire prendre en charge le
salaire du quatrième salarié, je voudrais savoir où nous
allons. Je ne vois pas comment les finances publiques résisteraient
à ce type d'opération.
M. Daniel GIRON - Ce n'est plus mon problème. Je souhaite simplement que
nous soyons traités à égalité par rapport à
d'autres.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ce n'est quand même pas tout à fait
la même chose.
Si l'on dote l'entreprise de la somme de 9.000 F par emploi et s'il y en a 106,
cela fait 954.000 F, d'accord, mais ce n'est pas pour autant qu'ayant trois
emplois et en créant un quatrième vous allez faire payer
l'intégralité du salaire et les charges sociales du
quatrième par la puissance publique.
Vous faites exploser les finances publiques avec un tel dispositif.
M. Daniel GIRON - Je suis d'accord, mais pourquoi est-ce accordé aux uns
et pas aux autres ?
M. Daniel PERCHERON
.
- L'argument est fort, il sera compris des artisans.
M. Daniel GIRON - D'ailleurs, Monsieur le Ministre, lorsqu'on regarde la
directive sur la concurrence, je me demande si nous n'aurons pas à faire
un recours si de telles dispositions étaient prises.
M. Alain GOURNAC, président - Oui, au niveau égalité de
concurrence.
M. Daniel GIRON - Je suis tout à fait d'accord pour admettre que ma
référence à 100 salariés est ambitieuse, mais
c'est un critère comme un autre. Je ne vois pas pourquoi je ne prendrais
pas celui-là puisqu'il est significatif des anomalies qui
résultent des mesures d'encadrement.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Je crois, Monsieur le président que
vous n'aurez pas à faire ce recours. En effet, il n'est dit nulle part
dans le texte de loi que les petites entreprises, notamment artisanales, seront
exclues du dispositif. Il ne deviendra contraignant qu'à terme.
Une petite entreprise qui, immédiatement, réduit son temps de
travail et embauche, bénéficie, au même titre qu'une grosse
ou moyenne entreprise, de l'avantage non pas de 9.000 F sur cinq ou sept ans,
mais autour d'une moyenne de 6.000 F. C'est 9.000 F la première
année, ensuite c'est dégressif.
Vous n'aurez pas à faire ce recours parce que, négociant dans le
cadre de cette loi et vous pouvez le faire, vous avez, bien entendu, les
mêmes attendus, avantages et contraintes.
M. Daniel GIRON - Madame le Sénateur, je suis d'accord, mais les
contraintes ne s'appliquent pas de la même façon. C'est la raison
pour laquelle je prenais, pour bien montrer toute la difficulté qui en
résultait, la comparaison entre l'entreprise qui a trois
salariés, qui va diminuer son temps de travail et créer un emploi
partiel, et l'entreprise de 100 salariés dans les mécanismes qui
sont prévus.
C'est vrai que nous y avons droit, mais nous ne pouvons pas y accéder.
C'est la nuance.
Nous ne pouvons pas y accéder car une entreprise qui a trois
salariés et qui diminue de 10 % son temps de travail, cela
représente 12 heures/semaine, ce qui n'est pas un emploi, ni
même un emploi partiel.
Si elle crée un emploi supplémentaire, elle fait un effort encore
beaucoup plus grand que d'autres, voilà pourquoi nous maintenons que,
son effort étant plus important, elle devrait encore
bénéficier d'une aide compensatrice plus importante. Dans la loi
telle que prévue, il n'y a pas l'adaptation à la petite
entreprise.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Non pas encore, effectivement.
M. Daniel GIRON - Merci, des amendements pourront être
présentés si le budget de l'Etat... c'est un autre
problème.
M. Alain GOURNAC, président - Vous vous êtes exprimé, vous
avez donné votre point de vue et nous vous remercions.
Nous passons à l'audition suivante.
B. AUDITION DE M. CLAUDE COMPANIE, DÉLÉGUÉ AU DÉPARTEMENT EMPLOI DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DE L'ENCADREMENT (CFE-CGC), ACCOMPAGNÉ D'UNE DE SES COLLABORATRICES, MLLE LAURENCE MATTHYS, CONSEILLER TECHNIQUE
Le président rappelle le protocole de
publicité des travaux de la commission d'enquête et fait
prêter serment à M. Claude Companie et à
Mlle Laurence Matthys.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie. Voici
l'organisation que nous observons : vous avez dix minutes pour vous
exprimer sur le sujet, ensuite M. le Rapporteur aura quelques
questions à vous poser et nous donnerons la parole à l'ensemble
nos collègues, ici présents, qui poseront des questions.
Si vous êtes d'accord, nous vous écoutons.
M. Claude COMPANIE - D'accord sur la méthodologie. Nous vous avons
envoyé le texte de notre audition à l'Assemblée nationale.
C'est un élément de base et nous élargirons le sujet
après, mais notre démarche consiste d'abord à rappeler le
contexte et à examiner ce projet de loi, article par article.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous arrête tout de suite. Nous
ne pas dans l'étude de la loi. Cette commission d'enquête a
été créée pour traiter des conséquence de
cette décision, pas pour examiner le projet de loi. Je rappelle que
cette décision est un fait puisque le Gouvernement a déjà
décidé d'inscrire des crédits pour mettre en oeuvre sa
décision. Je rappelle également que vous n'êtes pas devant
la Commission des Affaires sociales, mais devant la commission d'enquête.
Nous nous intéressons beaucoup plus aux conséquences de cette loi
et à votre façon de voir la situation et votre réaction
face à cette décision.
M. Claude COMPANIE - Je suis entièrement d'accord sur la
méthodologie. Nous avons quand même des positions très
importantes quant au mandatement et autres sur le contexte de la loi.
Concernant notre organisation, le problème est l'article premier, les
32-35 heures. La réduction du temps de travail est-elle une arme
anti-chômage ? Le grand problème pour nous est l'emploi.
Nous devons résoudre le problème de l'abus des heures
supplémentaires, elles sont condamnables et freinent l'embauche et
constituent, pour le personnel de l'encadrement, des conditions de travail
inacceptables.
Pour l'élargissement du contexte, je vous ai apporté une lettre
de demande d'application de cette loi des 35 heures à l'Union des
Industries chimiques. Pour le moment, la réponse est négative car
nous demandons, bien sûr, l'application de ces 35 heures avec, comme
condition préalable, l'embauche.
Notre programme est l'emploi et non la réduction du temps de travail.
Nous, responsables de l'encadrement, disons qu'il ne peut y avoir de
réduction, de réaménagement du temps de travail, que ce
soit 32 ou 35 heures si le problème de l'emploi n'est pas
réglé.
Il faut donc, au préalable, régler définitivement le
problème des heures supplémentaires. Toute réduction du
temps de travail doit s'accompagner d'embauches correspondantes. En outre, dans
l'organisation de la RTT, c'est important, nous sommes pour l'annualisation.
N'oublions pas, et vous le verrez dans notre audition à
l'Assemblée nationale, que nous sommes signataires de l'accord du
31 octobre sur l'annualisation qui implique la réduction du temps
de travail.
Nous sommes pour une organisation de la RTT au niveau de l'année et
pourquoi pas au niveau de la carrière.
Pour nous, le projet d'amélioration de l'emploi perdrait toute sa
consistance si les 35 heures n'étaient pas associées
à des mesures drastiques, j'insiste bien, concernant les licenciements
et les plans sociaux. C'est la défense primaire de l'emploi.
Les 35 heures ne doivent pas dispenser les entreprises de pratiquer une
politique salariale plus dynamique que celle que nous connaissons aujourd'hui.
Il faut, par un moyen ou par un autre, dissuader les employeurs de nous faire
payer la RTT Celle-ci doit être négociée au niveau
interprofessionnel, dans l'articulation des branches et enfin dans les
entreprises.
Les retombées que nous avons des entreprises sont susceptibles
d'intéresser votre commission d'enquête. Elles montrent que nous
sommes dans la négociation annuelle obligatoire.
Les entreprises, peut-être pour la première fois de façon
importante, ne vont pas faire la déconnexion entre la négociation
sur les salaires effectifs et l'organisation de la durée du travail. Il
n'y a pas actuellement de possibilité de faire autrement que de
négocier la réduction du temps de travail et les salaires.
Je vous ai apporté quelques accords, à part la négociation
de branche au niveau de l'UIC, que nous avons signés notamment au
Crédit Mutuel de l'Ouest et chez Roussel-Uclaf.
Par ailleurs, le point du mandatement est très important. Nous avons
travaillé comme les autres, nous sommes signataires de la
deuxième partie de l'accord du 31 octobre 1995, corroboré
par la loi du 12 novembre. C'est un problème important en ce qui
concerne les 35 heures.
Il faudrait, pour essayer de bien fixer le débat, d'examiner aussi ce
qui s'est passé dans la loi de Robien. Nous ne voudrions pas retomber
dans certains errements de cette loi. Par exemple, pour ce qui a trait au
mandatement, nous préférons rester dans le cadre de la loi du 12
novembre, et j'insiste sur ce point important pour nous. Nous avons
proposé à la commission sociale de l'Assemblée nationale
de prolonger d'une année la période d'expérimentation.
La date du bilan des négociations de branches serait ainsi
reportée d'octobre 1998 à octobre 1999. Cette proposition
d'expérimentation est un point important. Cette solution aurait, pour
nous, le mérite de mettre des garde-fous indispensables à une
négociation sur la RTT
Par ailleurs, sans rentrer dans un problème technique, ce n'est pas
l'objectif aujourd'hui, le projet de loi prévoit d'informer le COFEF des
accords conclus. Nous avons toujours tenu compte des CODEF, des COREF, de tout
ce qui se passe au niveau régional et départemental pour un
mandatement, pour une simple diffusion, sans vouloir minimiser le travail de
ces instances qui ne sont certainement pas les plus à même
d'opérer une veille efficace.
M. Alain GOURNAC, président - Je passe maintenant la parole à
notre rapporteur.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je remercie M. Claude Companie pour la
déclaration qu'il vient de faire. J'ai bien noté que sa
première préoccupation était la création d'emplois.
Parmi les préconisations qui sont souvent faites, notamment par les
économistes, il en est qui visent le gel et même un ajustement des
salaires pour tenir compte du passage des 39 heures à 35 heures.
Jusqu'où estimez-vous pouvoir aller dans la réponse à
cette recommandation, qui, si elle n'est pas mise en oeuvre, peut faire
craindre que l'espérance de création d'emplois ne soit
déçue et qu'en définitive cette opération ne
remplisse pas son objectif ?
Êtes-vous prêt à signer des accords visant à
l'annualisation et dans quelles conditions ? Cela implique-t-il que la loi
en fasse explicitement mention ?
Ne redoutez-vous pas qu'une réduction du temps de travail, avec ce
qu'elle peut avoir de restriction sur les salaires, sur la durée du
temps de travail comme sur la durée de vie professionnelle, ne mette en
difficulté l'équilibre financier des organismes de retraites, y
compris des retraites complémentaires ?
Quelle est votre estimation du nombre d'entreprises qui vous semblent
prêtes à entrer dans cette logique et votre évaluation du
nombre de cadres qui pourraient en bénéficier ? Enfin, je
voudrais que vous nous fassiez part de votre réflexion sur la notion de
temps de travail pour les cadres.
Un cadre est-il pris dans les mêmes contraintes d'horaires que les autres
collaborateurs ? Quelle est votre réflexion à ce sujet ?
Il nous a été signalé qu'il y aurait une recrudescence des
contrôles opérés par les inspecteurs du travail
auprès des membres d'encadrement d'un certain nombre d'entreprises.
Quel est le sentiment de votre Confédération sur le temps de
travail et les cadres ?
M. Claude COMPANIE - Je vais répondre en tant que politique de mon
organisation.
Vous nous avez demandé des documents, les confédérations
écrivent beaucoup. Pour alimenter notre réflexion, nous avons
établi un document qui s'intitule : " réorganiser la
vie professionnelle qu'est le temps de travail pour l'encadrement ".
Nous avons la notion d'encadrement, des cadres et des encadrants, ce n'est pas
du tout la même chose, il faut faire la différence entre un cadre
expert et un autre cadre.
Le temps passé sur le temps de travail n'est pas un critère de
productivité. Dans nos réflexions, nous essayons d'examiner ce
qu'est le travail de cette population et la réorganisation
nécessaire. Les dirigeants d'entreprise sont souvent critiqués.
Nous disons, moi le premier, que les entreprises et les responsables de
ressources humaines ont toutes les possibilités et tous les
éléments. Ils ont par exemple l'analyse de la valeur de
l'encadrement, le portefeuille des compétences, etc. Tous ces
éléments ne sont pas mis en exergue dans la gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences.
L'INSEE a les meilleurs éléments, en la matière.
Pour nous, le premier accord signé par la CFE-CGC et d'autres, chez
Thomson, Radar, sur le temps de travail allait dans le bon sens. La presse en a
reparlé, il y a eu une intervention très importante de
l'inspection du travail. Au départ, l'horaire hebdomadaire moyen des
ingénieurs et cadres a été négocié et ne
devait pas dépasser 43 heures.
Pour lutter contre cette clause de dérive, il a été aussi
question de revoir la pyramide des âges. L'approche du temps de travail
est différente selon les générations. Nous avons tous des
enfants et des petits-enfants. La proportion de femmes dans la population
active est importante. Les femmes représentent 53 % de la
population totale et 44,7 % de la population active.
Une note anecdotique : dans mon milieu familial, je note que la
réaction de mes enfants et de mes petits-enfants vis-à-vis de
leur conjoint n'est pas du tout la même.
Il ne faut pas oublier que, pour les 35 heures, l'application ne sera pas
la même selon qu'il s'agit d'une grande ou d'une petite
agglomération. En agglomération parisienne, le temps de transport
peut atteindre trois heures, ce ne sera pas du tout la même chose.
Pour en revenir à l'accord de Thomson, c'était une bonne
solution. Depuis lors, il y a eu à nouveau l'inspection du travail. Pour
répondre à votre question, je disais, à cette
époque et c'est toujours valable que, pour sortir du piège
actuel, c'est-à-dire de l'intervention médiatisée de 1996
et 1997 des inspecteurs du travail, les entreprises avaient la solution de
négocier l'annualisation du temps de travail.
L'annualisation était une des conditions
sine qua non
de notre
signature de l'accord du 31 octobre qui n'a pas eu une forte application
dans les branches et dans les entreprises.
Ces décisions de faire ou non appel à l'annualisation vont
obliger les entreprises à repenser en profondeur leur organisation. La
loi de Robien avait au moins cet avantage. Au début, nous étions
un peu frileux quant à cette loi, après nous avons signé
12 à 15 % des accords dits offensifs, qui avaient au moins
l'avantage de revoir l'organisation du travail.
Je reviens toujours à cet accord du 31 octobre qui était la
base de la loi de Robien. J'ai un cliché depuis des années :
tout commence par l'organisation du travail. Une fois ce discours tenu qui a
permis l'annualisation, nous sommes pour et nous avons déjà
signé des accords.
Dans ces contraintes de nouvelle organisation du travail, il y a un
problème de donnant, donnant. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent
du beurre, il faut bien que l'annualisation du temps de travail crée des
emplois.
Un exemple concret. Nous avons signé chez Kodak, à Châlons,
un accord sur l'annualisation du temps de travail, mais au bilan, il n'y a pas
eu de contrepartie d'embauches en regard.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Le salaire, gel, réduction, ajustement,
qu'en est-il ?
Mlle Laurence MATTHYS - La logique étant toujours l'emploi, la CFE-CGC a
toujours abordé la réduction du temps de travail comme un moyen,
pas du tout comme une finalité sociétale, de répondre
à une situation de crise, notamment pour l'insertion des jeunes. En
fait, c'est un des problèmes les plus criants actuels.
Pour avoir un impact sur l'emploi, la réduction du travail est un moyen,
mais il doit être accompagné d'autre chose. La question porte
notamment sur le salaire.
Que se passe-t-il ? Dégager du temps est une chose, mais comment
gérer la rémunération des personnes qui vont être
embauchées en contrepartie de cette réduction du temps de travail
au niveau de l'entreprise ? La position de principe est la suivante :
pas de perte de salaire.
Les cadres sont dans une situation particulière. Ils ont
déjà de longs horaires, avec un problème de
rémunération qui est émergeant. Longtemps les cadres ont
été un peu complices, toujours prêts à
dégager de la disponibilité de temps sans forcément
regarder leur salaire. Maintenant qu'il y a une prise de conscience - parce que
leurs enfants, leurs voisins, leurs neveux n'arrivent pas à trouver du
travail - ils voient la possibilité de réduire leur temps de
travail et se disent : très bien, je vais réduire mon
salaire de 2 %, je travaillerai 2 % en moins, mais comme je fais
déjà 50 heures, je ne m'y retrouve pas. C'est une approche
très simpliste mais très juste, elle est perçue de cette
manière
Le principe est donc : pas de perte de salaire.
La contrepartie est d'aborder la négociation sans baisse de salaire
a
priori
et de remettre à plat les heures supplémentaires
effectuées régulièrement par les cadres : comment
sont-elles gérées ? Eventuellement l'arriéré
n'est pas réclamé, mais il y a remise à plat
complète pour repartir sur des bases nouvelles ainsi qu'une étude
du forfait.
Nous avons signé des accords dans la loi de Robien. Le volet
défensif est un peu différent : pas de perte de salaire.
Quant au volet défensif (le projet de loi l'appelle autrement) pour
répondre à des problèmes de maintien de l'emploi, la
position est un peu en bémol dans la mesure où c'est la situation
de l'entreprise qui peut justifier un réalisme en matière du
salaire. La CFE-CGC a signé des accords comportant une baisse de salaire
en matière de plan défensif, avec le problème du suivi et
de l'effectivité de cette baisse de salaire. Tout problème de
structure de rémunération est complexe, notamment les cadres ont
des objectifs. Que baisse-t-on ? Baisse-t-on le salaire de base , la
rémunération annuelle ? C'est du cas par cas.
Le principe de fond de la CFE-CGC est que les cadres doivent
bénéficier de la réduction du temps de travail, sans
baisse de salaire. Il n'y a pas de raison qu'ils supportent, un peu plus que
les autres, le financement d'une réduction du temps de travail et de la
contrepartie d'embauche.
Je tiens à préciser la notion du temps de travail des cadres. La
CFE-CGC, depuis plus de dix ans, a développé un concept du temps
de travail spécifique aux cadres, qui s'éloigne de la notion
d'heures. Il s'est enrichi avec les dernières avancées de la
jurisprudence dans ce domaine. La CFE-CGC prône l'annualisation, dans un
premier temps, en heures, qui est plus facile à gérer et à
contrôler sur l'année.
En revanche, la CFE-CGC, elle l'a expliqué aussi bien à
l'Assemblée nationale qu'au Ministère du Travail, souhaite que
l'annualisation soit en jours.
En fait, on compte non pas un nombre d'heures sur l'année, mais on passe
à la notion de jours sur l'année. Il faudrait décliner une
durée légale du travail en jours, une durée maximale du
travail et une durée moyenne du travail en jours pour le cadre.
En fait, la proposition faite en son temps, et qui est toujours
d'actualité, est de convertir la notion de 39 heures, ce serait
éventuellement un étalon comptable, en semaines. Donc, combien de
temps par jour ? Combien sur l'année ?
Nous avons tiré une déduction toute simple : il y a
52 semaines, 5 semaines de congés payés, tout cela,
traduit en jours, donne 365 jours en moyenne ; Que
représentent cinq semaines de congés payés ? Selon
qu'il s'agit de jours ouvrés ou ouvrables, le nombre de jours est
différent. On obtiendrait ainsi une durée légale, en
nombre de jours. De mémoire, ce doit être 220 jours,
10 % de 220 jours, c'est 22 jours.
Gérer des jours pour le personnel d'encadrement est beaucoup plus simple
que gérer des heures. Cela ne remettrait pas en cause la durée
maximale du temps de travail par jour, soit 10 heures, et par semaine, soit 48
heures.
La gestion du temps de travail des cadres en jours et non en heures permet une
lisibilité sur l'année de la gestion du temps de travail du cadre
et oblige à revoir l'organisation du travail de l'entreprise. Donc c'est
un aspect pédagogique et de contrôle beaucoup plus efficace.
Pour finir sur l'inspection du travail, il faut reconnaître que la
CFE-CGC a été très frileuse face aux interventions de
l'inspection du travail quant au contrôle des horaires.
C'est culturel, la CFE-CGC le reconnaît, sa population n'aime pas compter
ses heures. Cela s'est révélé surtout dans l'industrie,
dans les services ce n'est pas encore aussi criant. Dans l'industrie, avec les
problèmes d'emploi et les plans sociaux à
répétition, il y a une prise de position très douloureuse.
Les personnels d'encadrement ont fait l'objet de licenciements comme les
autres, malgré toute la disponibilité qu'ils mettaient au profit
de leur entreprise.
Là, il y a vraiment une envie, elle est latente. Ils sont un peu
démunis et n'arrivent pas à se discipliner, en tout cas à
changer les habitudes qu'ils ont prises. L'inspecteur du travail, de ce point
de vue, peut être vraiment un tiers efficace.
Thomson a été cité, mais la FNAC a reçu aussi la
visite de l'inspecteur du travail et la CFE-CGC a été partie
prenante dans ce domaine. Elle a profité de la visite de l'inspecteur du
travail pour signaler à l'entreprise qu'elle ne voulait plus très
longtemps encore négocier le temps de travail de ce personnel
d'encadrement. L'intervention de l'inspecteur du travail a été
l'élément déclencheur. Ce dernier peut être un
élément très important pour faire avancer les choses. La
CFE-CGC ne va pas forcément le chercher, d'ailleurs elle pense que,
malheureusement, il a très peu de moyens.
Le temps de travail est d'une grande complexité, il exige de nombreuses
heures d'investigation et des opérations coup de poing pour obtenir des
effets. L'inspecteur du travail est une aide très précieuse,
malheureusement, à notre avis, il ne dispose pas de tous les moyens
nécessaires pour mener à bien les opérations coup de poing
qu'il pourrait faire sur le temps de travail, notamment sur celui des cadres.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Sur les négociations, j'ai bien compris
votre position : pas de réduction de salaire. Pas de gel non
plus ?
Mlle Laurence MATTHYS - Dans le principe, pas de baisse de salaire. Si on remet
à plat la rémunération des cadres, notamment le
problème des forfaits, des heures supplémentaires des cadres, si
cette situation est clarifiée sans trop de difficultés, la
CFE-CGC a signé des accords dans ce sens, elle est prête à
conduire une politique salariale modérée, avec
éventuellement un gel des salaires, mais pas de distinction avec celui
des autres populations de l'entreprise. Nous nous y opposons formellement. Dans
certains entreprises il y a eu des accords de hiérarchisation des
salaires, on ne baissait pas les salaires minima, mais on baissait, de
façon assez forte, pas strictement proportionnelle, les salaires les
plus hauts. Encore faut-il voir le problème de la base de la
rémunération. Que baisse-t-on ?
Sur le gel des salaires la CFE-CGC est d'accord, mais en dernier recours.
Méthodologiquement, le préalable n'est pas la baisse des
salaires. Il faut examiner comment les cadres, dans leur ensemble, dans toutes
leurs diversités, sont rémunérés pour savoir ce que
l'on gèle et, au pire, ce que l'on baisse quand il s'agit du maintien de
l'emploi et de jouer la solidarité entre salariés.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Une deuxième question pour m'assurer
d'avoir bien compris.
Sur la durée du temps de travail, vous préconisez sa
détermination en nombre de jours. Implicitement, ne reconnaissez-vous
pas que, pour la journée, on ne sait pas très bien
apprécier le temps de travail ?
Ne compliquez-vous pas la tâche des inspecteurs du travail, que vous ne
sollicitez pas si j'ai bien compris ? A vous entendre, on a l'impression
qu'ils sont les activateurs de la négociation en quelque sorte.
M. Claude COMPANIE - Nous venons de rédiger notre lettre
confédérale, nous écrivons beaucoup, comme d'autres, en
évoquant le fameux retour de la bonne vieille pointeuse que ma
génération a connue. Sans rentrer dans le domaine technique, il y
a un article du Code du travail le D.-212.-21 qui, depuis 1992, permet
d'intervenir.
L'idée médiatique de 1996 et 1997 des inspecteurs du travail
était de donner un coup de projecteur sur le temps de travail de
l'encadrement. Maintenant que se passe-t-il ? Vous l'avez vu comme moi
dans la presse, chez Thomson, Synthélabo, on est revenu à cela
pour préparer l'application des 35 heures.
Nous ne faisons pas appel à l'inspecteur du travail, mais dans le
domaine des grandes industries comme les industries chimiques que je
côtoie toujours, nous avons été obligés d'y faire
appel. Nous sommes ici en commission d'enquête, chez Heineken, Cola, ELF,
Atochem, la CFE-CGC a fait appel à l'inspecteur du travail pour le
problème des horaires des cadres.
Pour répondre aussi au problème de l'annualisation, nous disons
qu'il nous permet un décompte en jours, mais c'est la seule solution que
nous avons trouvée jusqu'à présent. Nous ne l'avons pas
encore dit, mais nous avons un cheval de bataille qui s'appelle le
" compte épargne-temps ".
Un exemple, nous avons signé chez EDF-GDF, et cela a fait couler
beaucoup d'encre, un accord qui permet d'octroyer douze jours de congés
supplémentaires. Une des seules solutions est l'annualisation du temps
de travail.
Pour répondre à votre question, Monsieur le Rapporteur,
vous dites que le fait de faire un décompte en jours ne facilite pas le
travail de l'inspection du travail. Ai-je bien compris ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous parlez d'un décompte en jours, parce
qu'il est difficile de le faire en heures. Si on l'admet, il faut
peut-être renoncer à faire ces contrôles. Il y a là
une contradiction qu'il me paraît difficile de lever.
M. Alain GOURNAC, président - Rapidement, Mademoiselle, pour que nous
nous comprenions bien, je vous prie d'apporter une réponse
précise à la question posée, s'il vous plaît.
Mlle Laurence MATTHYS - Il y a un problème, il faut être
pragmatique. La législation depuis 1992 sur le contrôle des heures
de travail est violée dans 90 % des entreprises pour les cadres.
C'est un état de fait, les opérations coup de poing des
inspecteurs du travail et tous les procès-verbaux dressés, avec
des amendes d'un montant très élevé, montrent que cette
législation, pour une certaine population de salariés des
entreprises, n'est pas respectée.
La CFE-CGC veut qu'elle le soit. Toutefois, elle est consciente qu'il y a un
problème pour la respecter. Le système de comptage ou de
décompte du temps de travail des cadres n'est pas facile en nombre
d'heures.
En fait, certains cadres sont à la mission, d'autres aux objectifs,
d'autres encore complètement autonomes dans leurs temps de travail, dans
l'organisation de leur travail, notamment les VRP. Comment voulez-vous savoir
si le VRP va travailler 39 heures ? Il peut faire du
déclaratif, c'est lui qui tient son compte. L'entreprise peut le faire,
elle y est tenue. Il en est de même avec la pointeuse. Effectivement, il
va pointer, mais une fois que c'est écrêté, qu'est-ce qui
prouve qu'il n'a pas fait 50 heures, la machine écrêtant
automatiquement ?
Il existe de réels problèmes techniques de contrôle du
temps de travail. La CFE-CGC n'a pas la prétention d'y répondre
toute seule. En revanche, elle veut que la loi soit respectée, il faut
qu'il y ait un contrôle du temps de travail, que l'on arrête les
abus de disponibilités. Nous sommes dans une situation où nous ne
pouvons plus accepter les déséquilibres entre l'inactivité
des uns et le trop d'activité des autres.
La CFE-CGC a réfléchi à la gestion en jours. Il nous
semble que la porte est ainsi moins ouverte à la fraude, aussi bien
à travers les machines qu'en déclaratif et qu'il y a une
lisibilité aussi bien pour l'inspecteur du travail que pour le dirigeant
de l'entreprise et pour le cadre lui-même qui gère un peu en
liberté son temps.
Nous sommes conscients que cela ne va pas résoudre tous les
problèmes de contrôle de la durée du temps travail, mais
c'est une piste que nous lançons. Nous sommes vraiment persuadés
que nous sommes à l'aube d'une réflexion.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - N'êtes-vous pas en train d'instruire la
nécessité de trouver d'autres références que le
temps de travail ? Nous sommes complètement en porte-à-faux.
Mlle Laurence MATTHYS - Certainement, il y a une réflexion de fond sur
la façon dont le temps de travail est mesuré, nous en sommes
conscients, c'est criant pour le personnel d'encadrement.
Toutefois, il faut bien distinguer la définition de la durée
légale et la gestion de cette durée légale. Notre
proposition porte sur la gestion et non pas sur la définition.
Il faut un étalon, nous souhaitons qu'il reste l'heure, mais en
matière de gestion, il faut convertir. Nous restons sur les bases de
l'horaire, la définition légale étant 39 heures.
L'annualisation doit aussi permettre cette conversion d'heures en jours. C'est
tout à fait possible. Nous avons construit quelque chose que nous
soumettons à votre critique. Si nous ne savons pas vous convaincre,
à nous d'être plus pédagogues.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous n'avez pas une tâche facile.
La contribution des hommes aujourd'hui va se mesurer de plus à plus
difficilement en temps de travail. On note bien que l'on joue les prolongations
sur un registre qui ne correspondra plus à la vie économique et
au mode de collaboration.
J'enregistre votre contribution qui illustre la nécessité de
changement...
Mlle Laurence MATTHYS - Nous sommes persuadés qu'il faut évoluer
en ce qui concerne la mesure du temps.
La durée légale du travail en heures correspondait à une
définition à une époque donnée. Aujourd'hui,
l'évolution technologique est telle que cette référence
n'est plus bonne, ce n'est pas pour autant qu'il faut la jeter à la
poubelle. Il faut mener une réflexion de fond, la première porte
sur les jours, mais l'étalon doit rester petit, dans le sens de l'heure.
Beaucoup de personnes travaillent encore à l'heure. Il faut donc trouver
un étalon commun.
M. Alain GOURNAC, président - Y a-t-il des cadres qui travaillent
à l'heure ?
Mlle Laurence MATTHYS - Non, je parlais de la population en
général. Pour les cadres, il est criant que la
référence à l'heure pose problème.
Notre seul constat est la violation de la loi. Depuis 1992, l'intervention des
inspecteurs du travail, aussi médiatique soit-elle, montre la violation
totale de cette loi. Il faut trouver un moyen de contrôle. La gestion du
temps pose une question de la définition globale.
Pour rendre effectif le contrôle -car il en faut un en matière de
législation de la durée du travail, c'est une question de
santé publique- la CFE-CGC, par sa contribution modèle, a
essayé d'ouvrir la porte de la conversion des heures en jours pour le
personnel d'encadrement.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je remercie nos invités ; grâce
à eux, nous comprenons que le passage de 39 heures à 35 heures
n'a pas de sens pour les cadres.
M. Claude COMPANIE - Les interprétations sur la place du travail
divergent. J'en reviens toujours à ma démonstration, à ma
réflexion : la question de l'usage des temps individuels et des
temps sociaux est posée. Il n'y a pas, de tous les retours
d'expérience de terrain que nous avons vus, d'attente standard. On a
parlé du fameux temps choisi, convenu, subi. Chaque cadre est un cas.
Le sujet est très difficile, je ne vous apprendrai rien. On parle
souvent de l'amélioration des conditions de travail. Tous ces
problèmes sont à voir.
M. Alain GOURNAC, président - Nous avons bien compris votre propos qui
est d'ailleurs difficile à exprimer, pour les cadres ce n'est pas
facile, même en transformant des heures en journées.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Nous avons bien noté l'adhésion
de la CFE-CGC à la réduction du temps de travail, à
condition que l'emploi soit la contrepartie et, sous certaines conditions, vous
adhérez à cette idée. La création d'emplois est
l'objectif de la loi, donc il y a accord.
Une question précise : vous avez signé l'accord d'octobre
1995, et notamment sa deuxième partie concernant les
négociations. Ne pensez-vous pas, compte tenu de ce que vous avez dit,
auquel j'adhère, que l'efficacité en termes de créations
d'emplois de cette loi, dépendra de la qualité des
négociations et notamment de la responsabilité des
négociateurs ?
Ne pensez-vous pas que, dans certaines entreprises, peut-être les moins
importantes, les petites et moyennes, ce sera un maillon faible dans la
chaîne des négociations que de s'appuyer sur l'accord de personnes
mandatées ?
Vous avez parlé du mandatement, avec des faiblesses et peut-être
pas suffisamment ce souci de négocier avec la perspective fermement
affirmée de créer des emplois coûte que coûte dans le
cadre de la négociation, que ce soit par rapport à la
réorganisation, à l'utilisation des équipements, aux
heures supplémentaires, à tout ce dont vous avez parlé.
Je me demande s'il ne faudrait pas travailler sur cet aspect
négociation : validée par qui ? A quel niveau ?
L'entreprise certainement, le niveau de l'entreprise est indispensable, mais,
par qui ?
Mlle Laurence MATTHYS - Cet aspect a été longuement
évoqué dans l'audition que nous avons eue devant
l'Assemblée nationale.
La CFE-CGC est signataire des deux accords du 31 octobre 1995, l'un sur
l'emploi, concernant l'aménagement du temps de travail avec l'objectif
emploi ; l'autre avait trait à la reconnaissance des interlocuteurs
en tant que négociateurs ainsi que l'articulation entre les niveaux de
négociations.
Dans ce deuxième accord, les signataires ont voulu prévoir le cas
d'absence des délégués syndicaux, d'interlocuteur syndical
dans les entreprises et la possibilité, malgré tout, de signer
des accords.
C'est ce que l'on appelle la base du mandatement, c'est un terme très
générique.
Cet accord n'est pas né comme cela, il est né parce qu'il voulait
donner une sécurité juridique, c'est-à-dire la
reconnaissance de l'interlocuteur, ses modalités de désignation,
de protection et de suivi de l'accord signé. Il voulait arrêter et
encadrer tout cela, ce que ne faisait pas une jurisprudence de Cour de
cassation qui l'avait déjà permis, mais qui ne donnait pas la
sécurité juridique aux accords.
Les partenaires sociaux signataires de l'accord du 31 octobre 1995 ont voulu
tirer les leçons de cette jurisprudence et l'encadrer juridiquement.
La clef de cet encadrement est la qualité de la négociation et
des interlocuteurs. Dans le projet de loi, le retentissement est d'autant plus
grand que se pose le problème du suivi des accords parce que justement
il y a un objectif emploi.
L'emploi va se mesurer sur un an, deux ans, plusieurs années. Or, s'il
n'y a pas d'interlocuteur syndical présent dans l'entreprise, comment
suivre ? Les partenaires sociaux signataires de l'accord du 31 octobre ont
apporté une réponse à cette question.
Le fait que le projet de loi justement ne tienne pas compte de cette loi du
12 novembre 1996, qui reprend l'accord du 31 octobre 1995 et permet de
légaliser le mandatement, dit jurisprudentiel, c'est-à-dire sans
aucune sécurité juridique, nous interpelle de la même
façon que vous. Quelles vont être la qualité du suivi de
l'accord et la qualité des interlocuteurs ? Nous sommes convaincus
que la qualité des interlocuteurs va être déterminante pour
les résultats en matière d'emploi et de suivi des accords et des
sanctions notamment.
Nous partageons votre préoccupation, nous l'avons dit à la
commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, la CFE-CGC
l'a répété devant le Ministre. Elle a bien dit que la
qualité des négociateurs et le suivi des accords étaient
déterminants dans les objectifs. L'accord du 31 octobre 1995,
repris par la loi du 12 novembre 1996 prévoit une période
d'expérimentation, mais elle est fondamentale pour assurer un minimum de
résultats en matière de création d'emplois.
Le fait de laisser la désignation d'interlocuteurs dans les petites
structures à des organisations syndicales, sans aucune certitude quant
à la sécurité juridique du mandat et à la
protection de ces personnes, incite à être très dubitatif
sur l'indépendance de l'interlocuteur, sa liberté de manoeuvre et
son accessibilité aux documents pour éventuellement
évaluer la création d'emplois, en contrepartie de la
réduction du temps de travail.
Cela rejoint l'articulation branche, entreprise. Bien sûr, cela va se
passer au niveau de l'entreprise, mais la branche a un rôle important
à jouer.
Nous sommes aussi très défavorables, c'est la leçon que
nous avons tirée de la loi de Robien, au fait que cette loi, en voulant
légitimement mettre l'accent sur les entreprises, a complètement
vidé la négociation collective de branche de sa substance et a
mis à mal ce problème de négociation sur la base du
mandatement.
Elle a complètement court-circuité la négociation de
branche par rapport à la négociation d'entreprise, en
privilégiant l'une par rapport à l'autre. Nous craignons, dans le
nouveau projet de loi, d'arriver à la même situation.
Nous disons : oui l'entreprise est le niveau déterminant, mais elle
doit être accompagnée et encadrée par la branche. Le
mandatement est le point le plus fondamental de cet accompagnement. C'est au
niveau de la branche que cela doit se régler. Si c'est au niveau de la
branche et de l'encadrement, nous sommes convaincus que la qualité des
accords dans les entreprises sera à la hauteur des engagements.
M. Claude COMPANIE - Pour compléter ce que vient de dire ma
collègue, je répète ce qui figure dans le préambule
de notre audition : la CFE-CGC examine ce projet de loi, dont on parle
tant, avec intérêt car certaines leçons ont
été tirées du passé. Il relance une dynamique de
négociation avant d'imposer la nouvelle règle. Cependant, il est
loin d'être idéal.
Nous avons fait de nombreuses remarques. Vous verrez tout cela dans le
détail. Je ne vais pas revenir sur ce que nous venons de dire sur le
mandatement qui est un problème très important.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Merci.
M. André JOURDAIN - Vous avez dit, Monsieur le
Délégué, que toute RTT devait être
accompagnée d'embauches. Je vois des détracteurs qui disent que
la RTT, pour eux, sera accompagnée d'automatisation et pas
forcément d'embauches.
Quelle va être l'attitude des cadres face à de telles
situations ?
Une question que le rapporteur a posée : y aurait-il perte de
salaire ou pas ? Vous avez été très affirmatif sur le
fait qu'il n'y en aurait pas.
Si nous comprenons bien, pour les employés qui sont déjà
dans l'entreprise, cela implique-t-il que les nouveaux embauchés auront
des salaires calculés comme les anciens dans l'entreprise ? Ou bien
pensez-vous que les salaires des nouveaux embauchés seront
différents des anciens, après l'application des 35 heures ?
M. Alain GOURNAC, président - Je vais passer la parole à mon
collègue M. BECOT.
M. Michel BECOT - Peut-être n'ai-je pas très bien compris, mais
parler de la durée du temps de travail pour les cadres me paraît
aujourd'hui un peu hors du temps.
Tout à l'heure vous avez pris un exemple que je reprends volontairement,
celui du VRP. Il prend la route le mardi matin pour visiter ses clients et
rentre le vendredi soir. Vous savez ce que fait un cadre VRP sur la route, je
comprends bien qu'il soit intéressé par son chiffre d'affaires,
par l'intéressement de l'entreprise, mais je ne le vois pas faire ce
décompte de temps.
Ne sommes-nous pas en train de faire fausse route ?
Je voudrais y voir plus clair dans votre approche.
M. Alain GOURNAC, président - Merci mon cher collègue.
Allez-vous négocier ? Dans quelles conditions ? Dans quel
cadre ? Allez-vous demander des contreparties ?
J'aurais souhaité, Monsieur, Madame, que vous répondiez
rapidement aux trois questions que je viens de vous poser, ainsi qu'à
M. André Jourdain et à mon collègue M. Michel
Bécot.
Mlle Laurence MATTHYS - Sur le temps de travail des cadres, pour les VRP, il
faut bien voir que la RTT est un objectif emploi. Emploi signifie
solidarité, bien sûr le VRP qui va travailler trois jours au lieu
de cinq risque de perdre par rapport à son chiffre d'affaires. Mais la
solidarité passe aussi par là. En réduisant son temps, il
permet aussi à un jeune de débuter. C'est la logique, elle est
globale.
Quand on parle de l'objectif emploi, il ne faut pas se leurrer. En
matière de réduction de salaire, il faut savoir de quoi on parle
et ce qu'on baisse. La structure des rémunérations et
l'expérience des accords défensifs de Robien ont posé
très crûment cette question : que baisse-t-on ? Quand il
y a baisse de salaire, baisse-t-on le salaire de base ? Le salaire
annuel ? Commissions comprises ?
Pour le VRP ou pour n'importe quel salarié directement
rémunéré sur ses commissions, sans avoir forcément
le statut de VRP, se pose le problème de la réduction du temps de
travail. Il ne va pas le vivre comme quelqu'un qui a un salaire fixe. Si l'on
demande à un VRP de passer de cinq ou six jours à trois ou quatre
jours, il se posera la question suivante : comment vais-je atteindre le
même chiffre en un minimum de temps ? C'est évident.
A côté de cela, pour la secrétaire de direction, le cadre,
qui sont complètement fonctionnels, la problématique est
différente. Le fait de réduire leur temps de travail ne se posera
pas dans les mêmes termes.
C'est vraiment du cas par cas, compte tenu de la complexité de la
rémunération des cadres, tellement l'implication sur les
objectifs ou sur la production du chiffre d'affaires découle de leur
disponibilité. On peut avoir une position de principe, mais quand on la
décline on s'aperçoit qu'en matière de structure de
rémunération la question se pose : que baisse-t-on ?
Que gèle-t-on ?
La CFE-CGC veut-elle négocier ? Oui, car elle est convaincue que la
négociation collective a prioritairement sa place dans le domaine de la
réduction du temps de travail. Elle associe complètement la
démarche de la proposition de loi, à savoir : on
négocie d'abord et il y aura une loi, type balai, qui tirera les
enseignements de la négociation.
Oui, pour l'expérimentation pendant ces trois ans.
Oui, pour la négociation collective, parce qu'il appartient aux
partenaires sociaux de s'occuper de l'organisation du travail, ce qu'ils
veulent faire au sein de l'entreprise. Oui, elle est complètement partie
prenante.
Quelle est la contrepartie pour les cadres ? Ils ne sont pas exclus de la
réduction du temps de travail. Celle-ci doit se convertir par des
modifications spécifiques pour les cadres, des jours de congés
supplémentaires. Il n'y a qu'en matière de jours que le cadre
pourra voir la réduction de son temps de travail effective. Il ne faut
pas se leurrer, il a déjà du mal à prendre cinq semaines
de congés payés, s'il en a huit, il n'en prendra pas plus. Le
compte épargne-temps peut être un bon outil pour permettre au
cadre de garder ses droits à la conversion en congés de son temps
de travail.
Tout un système d'outils peut permettre la gestion prévisionnelle
des emplois, de même en formation.
Plusieurs facettes sont à expérimenter. Nous sommes au
début de cette conversion, il existe des outils. Il faut des
contreparties spécifiques en matière de charge de travail.
Voilà pourquoi le point emploi est si important. C'est bien de
réduire le temps de travail et d'accorder des jours de congés aux
cadres, mais si sa charge de travail ne change pas, il n'y aura aucun impact.
Voilà pourquoi la réduction du temps de travail, notamment des
cadres, passe par une réorganisation du travail et une sorte de revisite
de la hiérarchie, du concept de management, etc. C'est un travail
colossal.
Si l'on veut avoir un effet sur l'emploi, avec une diminution de la charge de
travail, ces exigences doivent être respectées.
Dans quel cadre ? Le niveau national interprofessionnel en ce qui concerne
la négociation collective, a effectué son travail. Un accord a
été signé le 31 octobre 1995. Il y a des
difficultés de relais dans les branches. La CFE-CGC a toujours dit
qu'elle était prête à négocier dans les branches.
Ces dernières n'ont pas eu la dynamique nécessaire, l'attrait de
l'entreprise est très prégnant.
Dans quel cadre ? Au niveau de la branche, le niveau interprofessionnel
ayant rempli ses fonctions, ce que n'a pas fait la branche. La CFE-CGC est
prête à négocier dans les branches et même dans les
entreprises où il n'y a pas de présence syndicale CFE-CGC
M. Claude COMPANIE - La réduction du temps de travail peut se
décliner sous des formes diverses, nous parlons toujours de la formation
sur toute une vie. Dans mon entreprise on appelait cela le " capital
temps
formation ", le " passeport pour la formation ".
C'est une des
formes pour conserver son travail, il faut se former sur toute une vie.
Une autre précision sur l'accord du 31 octobre. Beaucoup de
branches, et particulièrement celle dont je faisais partie, ne voulaient
négocier qu'un des aspects, c'est-à-dire d'un côté
le temps partiel, d'un autre, de manière différenciée, le
compte épargne-temps.
Il n'y avait pas de négociations globales avec les quatre composantes de
cet accord. Voilà pourquoi cela ne marchait pas.
Nous avons une réponse à donner à M. André
Jourdain qui parlait d'automatisation. Le fait d'automatiser n'entraînera
pas des contreparties d'embauches.
(Rires)...
Mlle Laurence MATTHYS - C'est une préoccupation, de même que ne
pas maintenir les salaires ou les baisser. Pour les nouveaux embauchés,
les contreparties d'embauches, quelles seront les conditions ?
Ce sont des questions de principe. Pour que la réduction du temps de
travail ait un impact sur l'emploi, elle ne doit pas se convertir uniquement en
optimisation de la productivité qui se traduirait non pas par des
embauches, mais par substitution au travail par le capital.
Il est clair que la CFE-CGC fait partie de ceux qui revendiquent depuis
très longtemps le partage des fruits de l'expansion, aussi bien
auprès des salariés que des détenteurs du capital. La
réduction du temps de travail en fait partie. L'emploi passe par un
autre partage de ce qui pourrait découler, en matière de
productivité, de cette réduction du temps de travail.
Quant au statut des nouveaux embauchés, la question est
complètement ouverte. Bien sûr, si l'on respecte le principe de
maintenir le salaire, le problème des nouveaux embauchés
reçoit une réponse claire.
Si les salaires sont gelés, cela devient plus nébuleux. Tous les
accords signés par la CFE-CGC concernant la baisse des salaires,
étaient surtout défensifs, donc le problème de l'embauche
se posait différemment.
Malheureusement, nous n'avons pas réussi à avancer suffisamment
d'arguments pour qu'il n'y ait pas de baisse de salaire. Quand il y a eu baisse
de salaire et démarche offensive création d'emplois, les
nouvelles embauches se sont faites aux nouvelles conditions salariales, avec
tout le problème à gérer d'une dualité au sein de
l'entreprise, entre ceux qui ont joué la solidarité, qui ont
accepté de baisser, mais pas beaucoup, et ceux qui sont
rémunérés sur la base 35 heures et pas sur celle de
37 heures.
La question est ouverte. Pour nous, il n'est pas question de faire de
différence. C'est hypothétique dans l'entreprise en
matière de gestion. Ou tout le monde baisse et les nouveaux entrants
sont au même niveau que les personnes présentes dans l'entreprise,
ou personne ne baisse et il faut trouver le juste milieu pour trouver les
ajustements et la négociation à maille à faire...
M. Alain GOURNAC, président - Merci.
Monsieur le Délégué, avant de partir, pouvez vous me dire
si la réduction du temps de travail est une revendication des cadres
aujourd'hui ?
M. Claude COMPANIE - Nous travaillons tous les deux de concert sur ce point.
Mlle Laurence MATTHYS - Une réponse en deux temps. Les cadres ont subi
de plein fouet les licenciements économiques et, à partir de
1992, il y a eu une prise de conscience et un ras-le-bol général,
très clairement.
Les cadres se sont aperçus qu'ils pouvaient être licenciés
comme les autres malgré tout le temps qu'ils consacraient à leur
entreprise. D'un seul coup ils ont pensé qu'il n'y avait pas de raison
de passer autant de temps dans leur entreprise, puisqu'ils étaient
traités de la même façon.
Premier élément : ils ne s'agissait même pas de la
réduction du temps de travail, mais de respecter la durée
légale du travail. Revendication est peut-être un peu fort comme
terme, mais prise et conscience et un ras-le-bol par rapport au
dépassement d'horaire. Donc, revenir à des horaires normaux est
une réalité et une demande très forte.
Deuxième élément : la prise de conscience du
problème du chômage et de l'intégration, notamment des
jeunes diplômés qui ont une très bonne formation et qui
n'arrivent pas à s'intégrer parce que la fonction n'émerge
pas ou qu'il y a un problème d'emploi.
Par ailleurs, beaucoup de personnes, excusez l'expression, se
" défoncent " et par peur d'un problème de
qualification, compte tenu des jeunes qui rentrent, surgit un conflit de
génération de par la conception même de la mission et dans
la façon de vivre sa vie au travail.
Alors le raisonnement suivant vient à l'esprit : oui j'ai
peut-être travaillé, je me suis donné beaucoup et le petit
jeune, mon voisin ou mon neveu n'arrivent pas à s'intégrer. Si je
réduisais mon temps de travail immédiatement, cela ne
créerait peut-être pas un poste, mais ils pourraient être
intégrés et prendre en partie ma charge de travail ou entrer
à un autre niveau.
Ces deux réflexions se cumulent et font en sorte qu'à ce jour le
cadre est prêt à jouer la solidarité de l'emploi à
ce niveau. Quand on est cadre, l'avenir de l'entreprise est très
prégnant dans sa logique. Il passe par les jeunes, par le renouvellement
des compétences, par le dynamisme de sa main-d'oeuvre. Si l'on reste en
déséquilibre des âges, l'automobile est le meilleur
exemple, ce n'est pas ainsi que se construira l'avenir. Les cadres en ont pris
conscience.
Maintenant, vont-ils lever le pied ? Si nous mettons tous les outils pour
les convaincre, s'ils ne sont pas lésés, s'ils ne se sentent pas
les laissés pour compte de la réduction du temps de travail, nous
sommes convaincus qu'ils suivront.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie beaucoup Madame et
Monsieur le Délégué.
C. AUDITION DE M. JEAN-PAUL PROBST, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CFTC
Le président rappelle le protocole de
publicité des travaux de la commission d'enquête et fait
prêter serment à M. Jean-Paul Probst.
M. Jean-Paul PROBST - Puis-je faire une remarque, monsieur le
président ?
Bien évidemment, je jure de dire toute la vérité rien que
la vérité, en sachant que vous m'interrogez sur un sujet relatif
à un projet de texte et que les analyses dont je vous ferai part ne sont
que celles de mon organisation syndicale. Je raisonnerai à
éléments connus et à contexte connu.
M. Alain GOURNAC, président - C'est tout à fait ce que nous vous
demandons, nous vous demandons les positions actuelles de votre syndicat, sur
la base des éléments que vous avez, concernant cette
décision du Gouvernement.
Je vais vous donner la parole pendant dix minutes pour vous exprimer, puis je
donnerai la parole à notre rapporteur qui vous posera quelques questions
auxquelles vous répondrez directement et ensuite je passerai la parole
à nos collègues.
M. Jean-Paul PROBST - Lorsque j'ai été invité à
cette commission d'enquête, mon organisation n'avait pas porté
attention au libellé de l'enquête. En fait, je ne suis pas le
véritable spécialiste des problèmes d'emploi dans mon
organisation, je suis vice-président et j'ai en charge la protection
sociale.
Cela étant, pour la plupart des événements importants
touchant la vie sociale de notre pays, bien évidemment nous avons des
réflexions en commun au sein d'instances comme le bureau
confédéral et le conseil.
C'est donc le point de vue de cette organisation que je transmettrai ici, mais
peut-être ne suis-je pas le meilleur spécialiste de ces
problèmes.
Nous nous sommes aperçus tardivement de cette méprise et il nous
a semblé préférable de venir au rendez-vous convenu,
plutôt que de convenir d'une autre date.
Je rappelle que notre organisation syndicale était favorable à la
loi de Robien qui envisageait un dispositif entre une entreprise et ses
salariés, moyennant une aide de l'Etat. Lors de l'analyse de ce
dispositif, nous avions fait un certain nombre de remarques critiques sur la
disparité de durée entre l'aide de l'Etat et l'engagement que
devait prendre l'entreprise par rapport aux salariés qu'elle embauche ou
conserve.
Je fais cette remarque préalable pour montrer que la position que nous
prendrons dans ce projet de loi concernant les 35 heures, n'est pas
novatrice au regard de celle que nous avions prise sur la loi de Robien.
Quant au projet de loi sur les 35 heures, je ferai quelques commentaires
et une analyse en point d'interrogation. Nous nous sommes interrogés sur
son l'impact, en termes d'emploi, pour les entreprises et pour les
salariés. Si l'ensemble des réponses apportées à
ces questions était négatif, bien évidemment notre
conclusion en tiendrait compte.
Quel est l'impact en termes d'emploi ? Plusieurs études, notamment
d'économistes, sont assez sceptiques sur l'impact, les premières
années, de la mise en oeuvre d'une loi définissant la
durée légale du travail à 35 heures. Nous lisons avec
attention ces commentaires, mais nous ne nous y arrêtons pas. Nous
pensons qu'un certain nombre de pistes méritent d'être
explorées et, qu'en matière d'emploi, nous n'avons certainement
pas encore imaginé toutes les solutions.
J'ai une remarque à faire à votre commission, qui n'est pas
directement liée à ce projet de loi, cependant elle peut
être intéressante dans le cadre de l'approche des problèmes
d'emploi. Je la ferai à la fin, en conclusion ou, le cas
échéant, après vos remarques et vos questions.
En termes d'emploi, nous considérons que la situation actuelle n'est pas
satisfaisante. Ce ne sont pas les réactions d'associations ou de
chômeurs révoltés qui nous incitent à le dire. Je
crois que la situation n'est pas satisfaisante sur beaucoup de plans.
Sur le plan du traitement social du chômage, certes, des partenaires
sociaux ont imaginé des dispositifs, tels que ceux transitant par
l'UNEDIC, mais c'était à une époque où la situation
de chômage était relativement courte et devait déboucher
sur une situation de reprise du travail. Juxtaposer des dispositifs disparates
pour laisser des ex-salariés dans une situation de fragilité
financière et sociale, n'a jamais été l'objectif final des
partenaires sociaux.
Dans un pays important comme le nôtre, une frange de population
considérable, le dernier rapport du Commissariat au Plan parle de
quelque sept millions de personnes, est touchée de près ou de
loin, par le chômage. Certes, dans cette population sont
intégrés les chômeurs déclarés, tous ceux qui
sont lassés de cette situation et qui ont opté pour d'autres
solutions, à savoir celles qui consistent à ne plus être
déclaré à l'ANPE ni à l'ASSEDIC puisque plus aucun
droit n'est ouvert.
Dans ces sept millions, il faut compter le million de Rmistes, ceux qui sont
considérés comme stagiaires en stages professionnels et ceux qui
ont une activité inférieure à celle qu'ils souhaiteraient
obtenir. Il y a donc des salariés qui travaillent dans des conditions
très précaires, difficiles et qui n'ont pour autant ni la
rémunération liée à leur fonction, ni certainement
la durée nécessaire pour obtenir l'ensemble des droits, notamment
des droits sociaux.
Cette population de sept millions de personnes représente un chiffre
important ; bien évidemment nous ne pouvons pas nous contenter de nous
résigner, donc nous devons trouver, organisations syndicales, patronales
et formations politiques confondues, une ou des pistes pouvant modifier cette
situation.
La piste qui nous est proposée, consistant à rendre légal
un horaire de 35 heures, moyennant une aide de l'Etat étalée
dans le temps, dégressive et également un engagement des
entreprises, nous semble être une piste parmi d'autres.
C'est un impact sur le plan de l'emploi, certes. A court terme, nous pensons
que les entreprises qui auront recours à cette disposition vont se plier
aux contreparties demandées en termes d'emploi, mais quelle sera la
garantie de ces emplois sur le moyen et le long terme ? Pour l'instant,
cela n'est qu'un point d'interrogation.
L'impact pour les entreprises se traduira par une réorganisation
très importante en termes d'organisation des ressources humaines de
l'entreprise, de réponses possibles sous forme d'ouverture des locaux,
de moyens pouvant être mis en place pour répondre, le cas
échéant, à des préoccupations purement
professionnelles. Sur le plan de la réorganisation des entreprises, il
s'agira, pour le management des principales d'entre elles, de
reconsidérer plus ou moins totalement la façon dont on
gère les ressources humaines.
Enfin, l'impact pour les salariés. Je représente une organisation
syndicale, mais
a priori
, toutes souhaitent que l'on s'achemine
plutôt vers une réduction du temps de travail, notamment pour
permettre à un certain nombre de non-salariés de retrouver une
forme d'emploi. Toutefois, l'appréciation est différente selon
que l'on est cadre ou non-cadre, que l'on a un revenu proche ou
éloigné du SMIC.
Notre organisation syndicale insiste sur les points suivants :
Pour tous les salaires relativement proches du SMIC, inférieurs au
plafond de la sécurité sociale, nous aimerions que cela ne se
traduise pas par une diminution de salaire et de revenu.
Nous souhaiterions que, si ce dispositif entre en vigueur, il y ait un suivi
très particulier de la situation des cadres. En effet, en
général ils ont un comportement très particulier en termes
d'engagement professionnel. Il est clair que cela se traduira par des
difficultés dans certaines entreprises. Nous pensons que, dans certaines
d'entre elles, la solution passe par une activité étalée
sur quatre jours au lieu de cinq, sachant notamment, pour un cadre, que si
d'aventure on lui impose de travailler 35 heures sur cinq jours, cela ne
changera pas grand-chose par rapport à la situation d'aujourd'hui.
Enfin, deux dernières remarques :
La première concerne la protection sociale. Il est prévu dans le
projet de loi, en tout cas dans l'exposé des motifs
présenté aux différentes caisses nationales de
sécurité sociale, un dispositif qui nous semble
inquiétant. Nous avons fait connaître notre réaction au
ministère des Affaires sociales et à Matignon. Pour l'instant,
nous n'avons obtenu aucun commentaire sur notre réaction.
Vous le savez comme moi, les dispositifs de protection sociale sont largement
fondés sur des cotisations qui, elles-mêmes, sont largement
tributaires de la masse salariale. Si d'aventure la masse salariale est
modifiée, les cotisations le sont également.
Il est prévu, dans l'exposé des motifs, qu'à court terme,
en 1998, il n'y aura pas d'incidences en termes de financement de la protection
sociale. En effet, tout dispositif faisant entrevoir une exonération de
charges sera intégralement compensé par l'Etat selon
l'application de la loi de juillet 1994 qui prévoyait qu'il ne pouvait
plus y avoir de dispositif d'exonération non pris en charge par l'Etat.
Toutefois, dans cet exposé des motifs il est rappelé que les
pouvoirs publics ne s'interdisent pas de revoir le dispositif
d'exonération des contributions sociales à partir de 1999. Donc,
si à partir de 1999 il y a une embellie économique liée
à l'application de cette loi ou à d'autres motifs, elle se
traduira par une augmentation des ressources de la sécurité
sociale et pourra être mise à profit par les pouvoirs publics pour
diminuer d'autant les mécanismes de compensation auxquels ils se sont
astreints dans les années écoulées.
Pour nous, c'est inacceptable. En fait, cela signifierait que les ressources de
toutes les branches de sécurité sociale, aussi bien maladie et
vieillesse que politique familiale, vont être gelées sur la base
des ressources de 1998.
C'est inacceptable car il n'y a aucune raison de penser que nous puissions nous
en sortir sur le plan de l'équilibre des différentes branches
à partir de 1999, sur le simple maintien des ressources 1998. Si
d'aventure l'idée était acceptée de ne pas faire
évoluer les ressources des différentes branches à partir
de 1998, elle ne pourrait que se traduire par des diminutions successives de
prestations et de niveaux de couverture dans les différentes branches.
Voilà une remarque incidente par rapport au dispositif sur la loi de
35 heures, qui semble important à notre organisation syndicale.
Certes, elle vise essentiellement les problèmes d'emploi, mais les
problèmes de protection sociale sont tout aussi importants pour notre
organisation que ceux de l'emploi.
Dernière remarque, monsieur le président, il est concevable
d'imaginer autre chose. Je suis légèrement hors sujet en abordant
ce point. Ici, ce n'est pas une réflexion de mon organisation syndicale,
mais de certains parmi elle. Plusieurs personnes, hors de mon organisation
syndicale, commencent aussi à entrevoir cette idée.
Pour l'instant, tous nos dispositifs d'aide transitent par des
mécanismes d'aide aux entreprises, que ce soit des exonérations
de charges patronales ou des aides mises en place par le biais de la loi de
Robien ou de la loi sur les 35 heures, aides aux entreprises moyennant des
contreparties.
Pourquoi ne pas imaginer qu'un jour les pouvoirs publics passent à une
logique d'aide directe aux salariés qui acceptent de se retirer
progressivement ou partiellement du marché du travail ? On pourrait
très bien imaginer qu'à tous ceux qui acceptent volontairement de
travailler à mi-temps, par exemple, la collectivité assure un
complément de revenus.
Cela aurait plusieurs avantages : le premier, de ne rien demander aux
entreprises ; le deuxième, de se fonder sur les volontaires qui
acceptent ce mécanisme ; le troisième, celui d'avoir une
aide strictement proportionnelle à ceux qui acceptent cet engagement. En
fait, si un million de salariés acceptaient de travailler à
mi-temps, cette aide serait directement liée à ces personnes. Si
ce dispositif ne fonctionnait pas, l'aide serait nulle puisque strictement
proportionnelle à cet engagement.
Je suis prêt à répondre sur ce volet, sachant que je suis
hors sujet. Cependant, dans la mesure où nous nous interrogeons
aujourd'hui sur le problème de l'emploi, il me semblait
intéressant d'aborder également cette problématique.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie. Je passe la parole
à notre rapporteur.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Merci monsieur le président,
merci à vous, monsieur le Secrétaire
général, pour les précisions apportées.
Votre organisation est-elle prête à signer les accords qui
prévoiraient, en contrepartie de l'abaissement à 35 heures
de la durée du temps de travail, des gels ou des réductions de
salaire ?
Comme vous, nous avons consulté quelques économistes et certains
parmi eux considèrent que, s'il n'y a pas une modération
salariale, une autre répartition des revenus, l'objectif de
création d'emplois peut être compromis.
Dans les accords que vous envisagez de signer, y a-t-il des dispositions
relatives à la flexibilité, notamment d'annualisation, en
contrepartie de la réduction du temps de travail ? Le cas
échéant, seriez-vous favorable à l'inscription de ces
contreparties dans le projet de loi ?
De votre point de vue, compte tenu de votre présence dans les
entreprises, à quelle proportion situez-vous celles qui sont
prêtes à entrer dans cette voie ? Quels pourraient être
les salariés susceptibles d'en bénéficier ?
Sur le travail des cadres, vos interrogations ne remettent-elles pas en cause
la notion même de temps de travail ? Cela a-t-il encore du
sens ? En légiférant sur la durée du temps de travail
et sa réduction, n'est-on pas dans un exercice déjà
quelque peu périmé ?
Enfin, dans votre contribution personnelle, à la fin de votre propos,
vous avez parlé des aides qui seraient versées aux personnes qui
accepteraient de travailler moins, ne craignez-vous pas que la gestion d'un tel
dispositif finisse par poser des problèmes ?
Nous notons aujourd'hui que ceux qui ne travaillent pas du tout ont du mal
à obtenir les fonds versés par la collectivité. Si demain
il fallait verser des fonds à ceux qui travaillent en partie, qui
seraient payés par l'entreprise et par l'Etat ou les organismes sociaux,
ne serait-ce pas la création d'une étrange
société ?
M. Jean-Paul PROBST - Vos questions sont difficiles, monsieur le rapporteur.
Mon organisation est-elle prête à signer des accords
intégrant des situations comportant des gels ou des réductions de
salaire ? Pour mon organisation, la réponse ne peut pas être
oui ou non.
Dans nos réflexions, nous intégrons celles de nos principales
fédérations et tous ces dispositifs feront l'objet de discussions
très fortes au sein de chacune d'elles et des syndicats les plus
importants.
A priori
, nous n'écartons pas la possibilité de signer des
accords, en sachant que nous n'accepterons certainement pas de signer ceux qui
se traduiront par des réductions pour les plus bas salaires.
Quand nous discutons avec nos collègues syndicalistes d'entreprises
où les salaires sont relativement modestes, l'une de leurs craintes est
que le fait de passer de 39 à 35 heures s'accompagne d'une
diminution de salaire. Cette situation est ingérable pour les
salariés dont le salaire est modeste.
Certes, poser le problème du gel des salaires, pourquoi pas ? Sur
un an ou deux, il serait plus facilement accepté qu'une réduction
de salaire, notamment pour les personnes dont le salaire est proche du SMIC.
Faut-il ou peut-on parler de flexibilité et d'annualisation ? Tous
les collègues représentant les organisations syndicales et
patronales qui vont défiler sont tous devant la même
problématique. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi ce genre de
question n'est pas facile pour nous.
Certes, d'une part je suis syndicaliste et bien évidemment j'ai pris
l'engagement tout à l'heure de vous faire part de l'analyse de ma
confédération ; d'autre part, il se trouve qu'au titre des
accords entre partenaires sociaux, je suis président de la Caisse
nationale des allocations familiales, et il est prévu que ce texte
s'applique également aux organismes sociaux.
Or, quand on analyse l'application de ce texte sur les 35 heures à
la branche qui gère les allocations familiales, des problèmes
insurmontables vont se poser. Si nous observons les différentes
branches, celle qui au cours des dernières années a obtenu le
plus de gains de productivité, malgré l'effort
considérable réalisé en termes de modification de
logiciels informatiques, se trouve devant des défis considérables
pour traiter la précarité, la pauvreté, certains minima
sociaux et certaines politiques du logement (nous ne traitons pas que la
politique familiale).
Autant nous pouvons imaginer que, dans les années à venir, nous
nous acheminerons vers des gains de productivité importants en
matière d'assurance maladie, certainement vers une stabilisation des
situations en termes d'assurance vieillesse, autant nous sommes dans une
logique d'augmentation de la charge de travail dans la branche famille. S'il
fallait appliquer demain la loi sur les 35 heures, nous aurions
nous-mêmes une pression de la part des organisations syndicales y compris
la mienne, pour nous rallier à ce dispositif. Nous ne pourrons nous en
sortir qu'à condition de trouver les ressources, notamment
financières, nécessaires au redéploiement et à
l'intégration de nouveaux salariés.
Nous sommes conscients de cette nécessité de flexibilité.
Pour certains salariés, il peut être question d'annualisation,
mais il faudrait des garanties, des horaires minimum et maximum.
L'annualisation du temps de travail n'implique pas, dans notre esprit, des
semaines de zéro heure et d'autres de 70 heures. De toute
façon, il faudra, dans ce cadre, redéfinir des limites
acceptables et non transgressables.
Sommes-nous favorables à l'inscription de ce dispositif dans le projet
de loi ? Cette disposition ne figure pas dans le projet de loi, la
négociation entre organisations syndicales et patronales risque
d'être très dure pour faire accepter, par les organisations
syndicales, des contreparties en termes de flexibilité.
En tant que syndicalistes, nous sommes conscients de cette difficulté,
mais nous souhaitons préserver un minimum de vie familiale.
Au-delà de la réorganisation des horaires de travail, il faudrait
insister sur le fait de préserver une vie familiale et notamment de
laisser la possibilité à chaque salarié de ménager
son dimanche et éventuellement un deuxième jour accolé au
dimanche (le samedi pour les uns, le lundi pour les autres). La vie familiale
ne doit pas être perturbée par une volonté de
réorganisation de la part de l'entreprise.
Faut-il intégrer des dispositifs relativement contraignants en termes de
contrepartie ? Dans un premier temps, ils pourraient ne pas être
intégrés pour laisser le champ libre aux négociations avec
les employeurs et connaître les contreparties que souhaitent les
entreprises. En effet, la situation sera différente selon que l'on est
dans une entreprise du secteur bancaire, de la métallurgie ou du grand
commerce.
Pourquoi ne pas attendre les propositions des négociateurs en termes de
contrepartie, plutôt que de vouloir calquer un même dispositif sur
l'ensemble des entreprises ?
Faut-il traiter différemment les cadres ? Cette notion de temps de
travail a-t-elle encore un sens ? Ces questions rejoignent l'idée
que j'évoquais tout à l'heure, à savoir qu'au-delà
des 35 heures, il nous semble que l'une des approches, qui pourraient
être un facteur déterminant en termes d'embauches, serait
plutôt de raisonner sur quatre jours que sur 35 heures.
Je vais peut-être choquer certains, mais raisonner sur quatre jours aura
un impact très fort pour les cadres et non-cadres car, quel que soit
l'horaire demandé, on n'ira pas au-delà. Le cadre pourra donc
utiliser le cinquième jour pour imaginer différemment son temps
de vie. Nous craignons que faire l'impasse sur les quatre jours
n'entraîne que peu de perspectives d'amélioration de la situation
pour les cadres.
Enfin vous avez évoqué, Monsieur le Rapporteur, les
conséquences et la possibilité d'imaginer un dispositif d'aide
directe aux personnes.
Que ce soit par l'UNEDIC ou les CAF, nous arrivons à gérer des
populations proches de 10 millions de personne et il nous est possible
d'appliquer un dispositif d'aide très fin, aussi bien une prestation
logement qu'une prestation familiale. Il s'agit plutôt d'une
difficulté politique que technique.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie.
M. Franck SERUSCLAT - Une question sur la dernière partie de votre
intervention que vous avez considérée un peu comme annexe,
n'étant pas celle de votre syndicat.
Dans une certaine mesure, lors du débat de la loi Giraud, une
hypothèse de ce genre avait été soulevée, à
ma demande, par le groupe socialiste.
Entendez-vous par là une possibilité de partage, pour le temps de
vie, d'une activité marchande et non marchande ?
Autrement dit, cette deuxième partie serait, comme le sont aujourd'hui
les activités de caractère social, humanitaire ou autres, prise
en compte par les collectivités et par ceux qui les utilisent. On arrive
ainsi à une situation où l'on a deux revenus provenant de deux
activités différentes.
C'était une des propositions présentées à cette
époque et qui a été rejetée par le projet Giraud.
Je souhaitais savoir si c'était à cette formule que vous pensiez
dans votre présentation, qui me paraît importante pour une
réorganisation du temps de vie et, de façon
générale, du temps de travail.
M. Daniel PERCHERON - Monsieur le Secrétaire
général, vous avez dit que, pour votre organisation, l'emploi
était important, mais que la protection sociale était aussi
importante.
Nous pourrions donc résumer votre pensée en disant que c'est un
peu le modèle français, le modèle européen ou le
modèle social-démocrate qui vous semble un tout. Par
conséquent, vous n'envisagez pas, semble-t-il, de revenir à
l'emploi au détriment de la protection sociale.
Le passage aux 35 heures, qui n'a pas de précédent dans les
démocraties industrielles récentes, vous semble-t-il possible en
dehors d'une tradition de cogestion qui existe chez certains de nos
voisins ?
M. Raymond Soubie que nous avons entendu, a été d'une
clarté remarquable et a considéré qu'après tout
l'idée était peut-être bonne, mais que, à coup
sûr, elle échouerait compte tenu de l'incapacité des
acteurs sociaux à la faire vivre au niveau des branches ou à
celui des entreprises.
Partagez-vous cette idée qui semble au coeur de cette volonté de
mettre en mouvement la société française un peu
malgré elle ?
Une autre question qui a un peu le même sens. Pensez-vous,
personnellement, puisque vous êtes à la tête du paritarisme
français, que la négociation des 35 heures, compte tenu
notamment du contexte de la révolte des chômeurs, est une chance
pour le syndicalisme français ?
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie. Encore une question,
Monsieur le Secrétaire général. Je voudrais
avoir votre sentiment, votre perception sur le déroulement de la
Conférence sur l'emploi. Pouvez-vous nous dire comment cela a
été perçu à la CFTC ?
M. Jean-Paul PROBST - Si vous êtes d'accord, je vais répondre dans
l'ordre des questions.
Pour répondre à M. Franck Sérusclat, dans mon idée,
l'hypothèse que j'ai abordée en dernier, à savoir pourquoi
ne pas imaginer qu'il y ait un revenu complémentaire par rapport au
revenu professionnel, il ne s'agissait pas de lier une activité non
marchande à une activité marchande. C'est possible, mais il n'y a
pas d'obligation.
Il s'agit simplement de lancer un signal fort à tous ceux qui occupent
un emploi actuellement et de leur dire : vous avez la possibilité
d'afficher un effort en termes de retrait partiel du monde du travail, la
collectivité vous en sait gré et complète votre revenu par
un revenu complémentaire d'environ 3 000 F par mois, dans
notre idée imposable, puisque c'est un revenu de substitution.
Il s'agirait de débaucher très rapidement, sur la première
année, au moins un million de personnes qui pourraient être
intéressées par ce dispositif. La deuxième année,
cela ne peut que se conforter. L'idée nous paraît
séduisante, ce n'est pas un million de postes créés
à Paris, mais en faisant appel aux volontaires, ce million de postes se
répartit dans toute la France. Si nous tenons compte de l'actuelle
géographie, des fonctions et des postes de travail, nous participons en
plein à l'aménagement du territoire puisque seront
créés ainsi des emplois aussi bien dans telle petite ville que
dans telle bourgade.
Dans notre idée, il s'agissait, pour partie, d'améliorer la
qualité de vie pour certains, et pour d'autres, d'afficher un signe de
partage d'activité. Certes, nous pensons que nous ne pouvons pas trouver
du travail salarié pour l'ensemble de la population française,
malheureusement, car nous sommes tributaires du taux de croissance, de nos
normes de productivité. Même avec beaucoup d'imagination, nous ne
voyons pas comment et avec quelle baguette magique nous pourrions nous en
sortir et laisser entrevoir une activité salariée pour tous ceux
qui le souhaiteraient.
En revanche, pourquoi ne pas nous engager sur le fait de donner une
activité à chacun et, dans ce cadre, une activité
même non salariée, mais rémunérée.
Dans ce cadre de réflexion, pourquoi ne pas offrir des demi-postes
à ceux qui le souhaitent. Bien évidemment, chaque fois qu'un
salarié acceptera de travailler à mi-temps, cela créera un
demi-poste dans l'entreprise. Notre intérêt est de nous adresser
aux salariés et non aux entreprises, celles-ci ayant pour charge de
gérer le fait qu'un salarié veuille travailler à mi-temps.
Alors, comment utiliser ce temps dégagé ? Il peut
l'être par des activités non marchandes, mais pour l'instant, dans
notre esprit, il n'y avait pas d'obligation d'aller dans ce sens.
M. Franck SERUSCLAT - Une brève remarque. Je ne pense pas que l'on
puisse demander à l'Etat et aux collectivités de donner 3.000 F
sans rien en échange.
Dans les communes, nous connaissons bien les besoins en matière sociale,
scolaire, de bibliothèque. Beaucoup d'activités peuvent
être rémunérées par les deux voies que
j'évoquais : une participation de la collectivité qui
crée, comme nous l'avons fait, des activités
périscolaires ; par exemple, il peut y avoir
rémunération dans le périscolaire, l'école
étant gratuite, pour certains besoins comme les aides familiales.
On ne peut pas demander à l'Etat, aux collectivités de payer les
personnes pour aller pêcher, à moins qu'elles ne nourrissent la
communauté avec leurs poissons !
M. Alain GOURNAC, président - Non, le mieux c'est la ligne plutôt
que le poisson...
M. Jean-Paul PROBST - Il s'agissait plutôt d'inciter les personnes, mais
on pourrait imposer des contreparties en termes d'engagements civiques
auprès des communes, des associations, des organisations ayant une
finalité sociale ou humanitaire.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est la disparition des bénévoles,
alors.
M. Franck SERUSCLAT - Il n'y a plus de bénévoles, c'est fini.
M. Jean-Paul PROBST - Ce serait une forme de substitution au
bénévolat.
M. Alain GOURNAC, président - Il y avait près de 1.200 personnes
dans ma salle des fêtes au moment des voeux, dont au moins 150
étaient bénévoles.
M. Franck SERUSCLAT - Le bénévolat a beaucoup diminué.
M. Alain GOURNAC, président
-
Oui, mais il existe toujours.
M. Jean-Paul PROBST - M. Daniel Percheron me fait dire que je ne souhaiterais
pas qu'il y ait développement de l'emploi au détriment de la
protection sociale. Oui, c'est ce que j'ai essayé de faire comprendre.
Dans notre dispositif, certes, il faut un certain nombre d'emplois mais surtout
une bonne couverture sociale. Sans couverture sociale ou avec des couvertures
trop disparates, vous ne permettez pas à certains de mener d'autres
projets, aussi bien professionnels qu'éducatifs. Au contraire, nous
essayons de garder ce lien le plus fortement possible, d'où ma remarque
précédente.
M. Daniel PERCHERON - C'est l'une des rares fois où la CFTC exprime
aussi fortement la globalité de sa vision.
M. Jean-Paul PROBST - Peut-être suis-je plus sensible aux
problèmes de protection sociale ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Comment va-t-on pouvoir durablement rendre
compatible le souci que nous avons d'aller faire nos courses en Chine ou
ailleurs et de préserver cette protection sociale ?
M. Daniel PERCHERON - Le jour où l'Europe, qui ne dépend
qu'à 10 % de ses échanges avec le monde, se dotera d'un
pouvoir politique et le jour où ce dernier sera choisi par les
électeurs en fonction de leur volonté de conjuguer la main
invisible du marché et la protection sociale. Qu'en pensez-vous ?
M. Alain GOURNAC, président - Nous n'allons pas faire de débat.
Nous recevons un invité...
M. Daniel PERCHERON - 1.200 personnes d'un côté et vous
régnez et, là, 5 ou 6 passionnées, il faut que
vous interveniez...
M. Alain GOURNAC, président - La passion est aussi quelque chose
d'intéressant, je ne le regrette pas.
M. Jean-Paul PROBST - C'est un sujet intéressant et je pense qu'à
terme nous irons vers un socle de protection sociale, au moins pour un certain
nombre de pays européens, pas forcément élargi aux 23
pays, mais aux pays rhénans. Nous n'accepterons pas de descendre
en-dessous de ce socle social.
M. Daniel PERCHERON - Si le marché le tolère, l'accepte,
aurons-nous le choix ?
M. Alain GOURNAC, président - D'autres questions ?
M. Jean-Paul PROBST - Une question a été posée sur la
capacité ou l'incapacité des acteurs sociaux à faire vivre
certains accords. J'ai la même interrogation. Il n'y a pas les purs et
les bons d'un côté et les moins bons de l'autre.
M. Daniel PERCHERON - C'est le système français, en fait.
M. Jean-Paul PROBST - Oui, le système français est
compliqué. Il est fondé sur les capacités de
réponse des individus. Bien évidemment, quand vous mettez autour
d'une table des négociateurs relevant du monde patronal et de toutes les
organisations syndicales, il y a une difficulté à trouver des
accords.
Moi-même, pour mon organisation, j'ai conduit un certain nombre d'accords
dans le domaine de la protection sociale, de la retraite complémentaire,
etc. Tout accord implique un compromis et ce dernier contient des points sur
lesquels on n'est pas d'accord, mais qu'il faut accepter, donc peser. Certains
articles, contreparties que l'on veut nous faire accepter, supposent une
maturité, une expérience de syndicaliste, une gymnastique
intellectuelle relativement forte et, ce, avec un taux de syndicalisation
relativement faible dans notre pays.
M. Daniel PERCHERON - Dérisoire.
M. Jean-Paul PROBST - Nous sommes mal préparés pour gérer
ce genre d'exercice.
Certes, il y a deux extrêmes. L'un est une juxtaposition de discours
démagogiques et de surenchère : il n'y a qu'à...
L'autre est une surenchère de contreparties complètement
inacceptable. Entre les deux, nous pouvons déplacer un peu le curseur
pour trouver le point d'équilibre, cela se fera dans certaines
entreprises mais pas dans toutes.
Donc cette inquiétude concernant l'incapacité ou la
difficulté pour certains acteurs sociaux de mener cette gymnastique, je
la partage également.
Quant à savoir si les négociations sur les 35 heures sont
plutôt une chance pour le syndicalisme, nous sortons des Prud'hommes,
c'est une difficulté pour les syndicalistes, je ne dirais pas que c'est
une chance. Sur le terrain, ce sera beaucoup plus difficile que vous ne le
pensez dans cette salle.
Il sera difficile de faire comprendre aux organisations professionnelles que,
par le biais de la réorganisation des équipes dans telle ou telle
industrie, par le biais des contreparties, de l'annualisation et
éventuellement par le gel des salaires, nous puissions nous en sortir.
L'une des difficultés consiste à amener un certain nombre de
partenaires, aussi bien politiques que sociaux, à envisager des fils
conducteurs sur le moyen terme.
Pour le syndicaliste que je suis, ce qui compte n'est pas seulement le fait de
se mettre d'accord aujourd'hui, mais de voir quelle va être
l'évolution de cet accord au cours du temps. Si les choses sont claires,
s'il n'y a pas d'arrière-pensées et si nous nous mettons d'accord
sur une démarche étalée sur cinq ou dix ans, largement
acceptée par les partenaires politiques et sociaux, ce sera un facteur
qui pèsera dans la capacité de négociation.
En revanche, s'il y a méfiance parce que nous ne savons pas de quoi sera
fait l'avenir, si nous ne savons pas si l'accord passera par un gel, par une
réduction de salaire, par des contreparties plus ou moins fortes, si ce
n'est qu'une étape dans un autre plan qui nous échappe, vous
comprendrez que ce dispositif peut mettre mal à l'aise plusieurs
négociateurs.
Donc, je ne dirai pas que ce dispositif est une véritable chance, c'est
une étape dans les négociations. Au-delà, il me semblerait
intéressant de formaliser les principes et pas leurs relations sociales
dans ce pays.
Enfin, sur votre dernière question,
Monsieur le président, quant à la perception de notre
organisation syndicale sur cette Conférence sur l'emploi, surtout avec
le recul, la façon dont nous constatons les conséquences,
notamment les relations un peu difficiles avec le monde patronal, avec la
juxtaposition des différentes déclarations syndicales sur le
bien-fondé de cette disposition, il nous semble que c'est un peu un
échec dans la mesure où on aurait pu préparer, de
façon plus longue et précise, les termes de cette
Conférence sur l'emploi.
Notamment sur des sujets difficiles, on ne peut pas se contenter d'avoir des
discours qui frappent l'opinion, qui marquent un certain nombre de processus.
Il faut d'abord vérifier si les moyens envisagés pour la mise en
oeuvre permettent de tenir le cap sur des longues distances.
Cette étape a été quelque peu négligée ou
bâclée, sans prendre les précautions nécessaires
quant à son déroulement. Pour tous ceux qui ont aidé
à préparer cette Conférence de l'emploi, le champ de
vision a été limité lors de la soirée même de
cette Conférence. On aurait dû envisager déjà le
côté opérationnel et aller au-delà de l'étape
liée à la simple annonce de la mesure.
Il aurait fallu mettre au point un mode opératoire pour les deux ou
trois ans qui viennent, avec un engagement respectif de l'ensemble des
partenaires sociaux. Je crois que, sur ce point, ce n'était pas
satisfaisant non plus.
M. Alain GOURNAC, président - Monsieur le Secrétaire
général, je vous remercie. Vous nous avez dit tout à
l'heure que vous n'étiez pas le premier spécialiste à la
CFTC, je vous remercie parce que vous avez été très clair.
Merci beaucoup.