ANNEXE N° 6
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COMPTE RENDU DES AUDITIONS
I. SÉANCE DU MERCREDI 7 JANVIER 1998
A. AUDITION DE M. RAYMOND SOUBIE, PRÉSIDENT D'ALTÉDIA
(M. Raymond Soubie est introduit dans la salle)
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la
commission d'enquête et fait prêter serment à M. Raymond
Soubie.
Si vous en êtes d'accord , nous vous accordons dix minutes pour vous
exprimer librement sur le sujet. Le rapporteur vous posera ensuite des
questions, ainsi que l'ensemble des collègues. Vous avez la parole.
M. Raymond SOUBIE - Monsieur le président, il est extrêmement
difficile de dire toute la vérité sur les 35 heures ; je
dirai toute la vérité sur ce que je sais.
Je voudrais d'abord essayer de m'interroger devant vous sur l'origine de
" l'affaire des 35 heures " ou plus précisément encore,
sur les raisons qui justifient ou justifieraient le projet de loi et le
processus engagé sur les 35 heures. Ayant écouté ce
qui se disait ou ce qui s'écrivait, j'en ai trouvé trois. Je les
rappelle brièvement.
Il y a des raisons économiques, liées à la lutte contre le
chômage. Il y a des raisons, indépendamment de ce premier
argument, purement sociales, à savoir que réduire la durée
du travail ne peut que faire du bien. C'est un progrès social. La
troisième raison est d'ordre aristotélicien et s'appuie sur
l'argument d'autorité sur le thème : on va le faire, donc on le
fait.
Voilà ce que j'ai pu noter dans les raisons qui sont données sur
cette affaire des 35 heures et que je vais reprendre rapidement.
Tout d'abord, la raison économique. Premier argument qui est double en
réalité : tout d'abord, la réduction du temps de
travail telle qu'elle est engagée va permettre de créer des
emplois. Deuxièmement, toutes les politiques pour l'emploi ont
été essayées. Elles ont toutes échoué.
Celle-là n'a pas été essayée ; donc, essayons
la !
Quand on y regarde bien, ces deux arguments sont de nature différente.
Je commencerai par le premier, à savoir les raisons économiques.
Dans vos auditions, vous avez programmé -si j'ose ainsi m'exprimer-
plusieurs économistes. Vous en entendrez plusieurs éminents cet
après-midi. Je ne voudrais pas m'élever au-dessus de ma condition
en évoquant leurs thèses et encore moins en les contredisant. Ces
économistes sont de deux catégories : ceux qui y croient et ceux
qui n'y croient pas. Si on devait voter, ceux qui n'y croient pas sont en
majorité très nette par rapport à ceux qui y croient.
Ceux qui n'y croient pas disent qu'il y a un accroissement de coût
évident pour les entreprises. Ce seul effet est destructeur d'emploi.
Ils ajoutent que l'expérience menée en France à certaines
périodes montre que les créations d'emplois ont été
nulles ou, au mieux, faibles.
Ceux qui y croient -vous allez en entendre cet après-midi- disent que,
sous certaines conditions, la réduction du temps de travail,
accélérée, peut créer des emplois. Je prendrai
l'exemple donné par l'Observatoire français des conjonctures
économiques selon lequel des emplois peuvent être
créés 700.000 emplois sur cinq ans mais avec des conditions tout
à fait draconiennes de pleine utilisation des capacités de
production, et surtout, de modération salariale pendant des
années.
Il nous faut répondre à ces questions : si l'OFCE a raison,
le corps social français est-il prêt à accepter des
concessions ? Le processus engagé correspond-il à ces
concessions ? Enfin, dès lors qu'il doit y avoir des
négociations avec les syndicats dans les branches et dans les
entreprises, les syndicats sont-ils prêts à accepter ces
concessions ?
Dans l'état actuel du paysage syndical et des positions des uns et des
autres, la réponse est plutôt non. D'après ce qui s'est
passé dans certaines entreprises, nous savons qu'il n'y a pas eu amorce
de négociation, et s'il y en a eu, dès lors que les directions
d'entreprises ont évoqué le problème salarial, il y a eu
un retrait des partenaires syndicaux. Cela pour la raison économique
liée aux créations d'emplois.
La deuxième raison donnée est liée à la tendance
historique à la réduction du temps de travail. On dit que le
temps de travail n'a cessé de diminuer en France comme dans la plupart
des pays industrialisés. Il s'est arrêté de baisser pendant
douze ans, ce serait anormal. Il serait donc normal qu'il baisse à
nouveau.
Cet argument fréquemment donné mérite la remarque
suivante : ce sujet n'est pas le précédent. En admettant
même qu'on reprenne un mouvement de baisse, séculaire allais-je
dire, de la durée du travail, cette baisse séculaire ne
crée aucun emploi, historiquement, ni en France ni dans un aucun pays.
Autre fait : il ne faut pas se fixer sur la durée hebdomadaire
réelle du travail. Il faut raisonner en durée annuelle, voire
même en durée de vie, au travail. Si l'on prend le cas de la
France en durée de vie, on voit que ce pays a procédé
à un abaissement massif de la durée du temps de travail par
l'usage des préretraites. Le système de préretraite a
été plus utilisé en France que partout ailleurs. Lorsque
l'on regarde le nombre d'heures travaillées en moyenne dans une vie, il
a baissé en France plus vite et plus fort qu'ailleurs et il est
aujourd'hui en moyenne plus bas qu'ailleurs.
Quant au troisième argument que j'ai qualifié
d'aristotélicien, je ne m'y arrêterai pas, justement parce qu'il
est... aristotélicien.
J'ajouterai à cela quelques commentaires personnels sur le processus
engagé. Premièrement, je ne crois pas du tout que la France ait
essayé toutes les politiques pour l'emploi. Je crois même, pour
dire la vérité, qu'elle en a essayé fort peu. Lorsqu'on
regarde sur une durée de quinze ans, les politiques pour l'emploi
menées par les différents gouvernements des différentes
tendances, ce qui me frappe profondément, ce n'est pas la
diversité mais la continuité.
M. Philippe MARINI - Très juste !
M. Raymond SOUBIE - Je dirai donc que l'on n'a pas essayé les
différentes politiques possibles pour l'emploi. Peut-être qu'il
n'était pas utile ni opportun de les essayer, mais le fait est qu'on ne
les a pas réellement essayées. On est restés
modérés en tous domaines et de tous côtés.
Deuxième remarque : les pays qui ont réussi à
endiguer le chômage existent ; ce ne sont pas des mythes. Quand on
regarde les raisons pour lesquelles ils ont réussi à avoir des
taux de chômage très bas, de l'ordre de 5 % de la population
active, on voit -comme dirait M. la Palisse que cela vient du fait qu'ils ont
réussi à créer beaucoup d'emplois. S'ils ont réussi
à créer beaucoup d'emplois, c'est qu'ils ont réussi
à développer de nouvelles activités sous de nouveaux
créneaux dans de nouvelles PME.
Un universitaire français bien connu, Michel Crozier, s'étant
retiré de l'Université, est devenu consultant d'une grande
société internationale de
consulting,
a fait un tour aux
Etats-Unis où il a été professeur à Harvard. Il est
revenu dans les endroits où il avait enseigné. Qu'a-t-il
constaté ? Que 90 % des promotions de l'équivalent de nos
grandes écoles de gestion, à la question qui leur était
posée sur ce qu'elles voulaient faire à la sortie,
répondaient : " créer une entreprise ". Non
seulement elles le disaient mais le faisaient. Elles passaient parfois par
l'antichambre d'un cabinet d'audit ou de consulting, mais elles le
faisaient ! Le vrai problème du chômage est, je crois,
profondément un problème d'esprit d'entreprise, notamment dans
les parties les plus jeunes de la population.
Troisième remarque : on ne peut pas aborder cette affaire des
35 heures de manière homogène dans l'économie
française. De nombreuses entreprises industrielles y sont ; beaucoup n'y
sont pas et pourraient y être avec des gains de productivité
évidents et sans grands problèmes : il s'agit des grandes
entreprises industrielles.
A l'opposé du spectre, il y a les PME du secteur tertiaire et des
services qui elles, auront beaucoup de mal à s'adapter sans hausses de
coût et sans pertes de marchés aux 35 heures, d'abord en
raison des hausses de coûts qu'elles connaîtront et ensuite, parce
que les personnes qu'elles emploient, surtout dans les métiers
évolués, ne sont pas substituables et qu'on ne peut pas les
échanger.
Quatrième remarque : lorsque l'on parle du temps de travail et
qu'on en fait l'alpha et l'oméga d'une politique et d'un raisonnement
sur l'emploi, on raisonne en termes du passé et non pas en termes du
futur.
Tout d'abord, qu'est-ce que la durée du travail ? Que veut dire la
durée effective du travail ? Je ne lancerai pas un débat
dont on pourrait parler pendant des heures. Encore faudrait-il avoir une
conception homogène et réelle de la durée du travail.
Pire, je suis convaincu que dans un nombre de plus en plus grand de
métiers, les métiers du XXI
ème
siècle,
de demain, le concept de temps de travail n'a plus de sens. Le vrai concept est
le concept de la mission faite, notamment dans les métiers tertiaires et
non pas le temps passé dans l'entreprise. C'est d'autant plus vrai que
tous les moyens de transmission de l'information font que, aujourd'hui, les
gens ne sont plus dans l'entreprise.
Je parlais d'entreprises de consulting. A Paris, le siège d'Arthur
Andersen a supprimé les bureaux. Les consultants n'ont plus de bureaux.
A la rigueur, ils les louent pour recevoir l'un ou l'autre client à qui
ils veulent montrer leur éminence. Ils travaillent sur leurs portables,
là où ils se trouvent. Que veut dire la durée
réelle du travail ? Comment est-elle contrôlable ?
Comment est-elle appréhendable ? Je crois que c'est un concept du
passé.
Ma dernière remarque portera sur le processus de la loi sur la
durée légale et sur ce qui a été entamé.
Tout d'abord, la loi ne peut appréhender que ce qu'elle
appréhende, c'est-à-dire, en dehors des incitations, la
durée légale du travail. Cette durée légale du
travail est mécaniquement un système de majoration et de
contingentement d'heures supplémentaires. Ce système
n'entraîne pas obligatoirement une réduction de la durée
réelle. Celle-ci dépend, elle, des négociations dans les
entreprises.
S'agissant des négociations dans les entreprises, il est clair
aujourd'hui qu'il y a deux problèmes. Le premier, je l'ai
évoqué et je n'y reviens pas. Pour qu'une réduction du
temps de travail rapide entraîne des emplois, il ne faut pas trouver
seulement des compensations d'organisation mais aussi des compensations
salariales. On s'aperçoit, dans beaucoup d'entreprises en France que
là où il y a des problèmes de restructuration pendants,
cela peut être accepté et l'a été dans le
passé ; que là où il n'y en a pas, ce n'est pas
accepté et que les organisations syndicales ne sont pas prêtes
à s'engager dans cette voie.
Le deuxième point que je souhaitais souligner est que le système
de la loi tel qu'il a été engagé est - nous le savons tous
- très mal vécu, non pas tant par les grandes entreprises que par
beaucoup de petites et moyennes entreprises.
On dit aussi qu'il faut trouver des contreparties en termes de
flexibilité.
Je dirai ceci qui pourra vous paraître paradoxal. Je suis convaincu que
le droit du travail en France permet beaucoup plus de flexibilité qu'on
ne le dit. L'ennui, c'est qu'il faut être entouré d'excellents
conseils. Cela me ravit à titre personnel, mais cela me gêne pour
les entreprises. Autrement dit, on peut toujours monter ces systèmes de
flexibilité. Le droit a d'infinies facettes, mais ce n'est pas simple,
ce n'est pas clair, ce n'est pas visible.
En tout cas, cela ne peut s'appliquer aux petites et moyennes entreprises. Il y
a donc un problème spécifique de la flexibilité des
petites et moyennes entreprises. Sur les grandes entreprises, il faut constater
qu'en moyenne, par rapport à l'Europe continentale, les systèmes
français ne sont ni plus ni moins contraignants que la moyenne des
systèmes de l'Europe occidentale.
Je suis convaincu que s'il n'y a pas de signaux politiques donnés
à ces entreprises, aucun processus de négociation ne
s'enclenchera réellement dans les entreprises. Avec en outre, ce constat
que nous faisons aujourd'hui : une rétention des entreprises sur
les négociations salariales qui devaient avoir lieu. Les entreprises se
demandent ce qui va leur tomber dessus. Par conséquent, elles retiennent
les augmentations de salaires que, normalement, elles auraient
accordées. Il y a donc un vrai risque social si on laisse ce
phénomène se développer.
Je terminerai par un éloge de la loi sur un point. Cette loi est
fondée sur la négociation collective d'entreprise je crois
à cette négociation et permet enfin, là où il n'y a
pas d'organisations syndicales, d'engager la négociation collective par
le système du mandatement. Cela me paraît fondamentalement
positif. J'ai rêvé l'autre jour que ce qui resterait de la loi
serait cela. Ce ne serait pas un mince acquis qui, en outre, serait
historiquement très important.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous remercie.
Après le rêve, nous allons en venir aux questions de notre
rapporteur à qui je donne la parole.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Monsieur Soubie, merci pour
l'expression de votre opinion sur la problématique de la
réduction du temps de travail. J'ai un certain nombre de questions
à vous poser. Vous y avez implicitement répondu mais je voudrais
y revenir pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté.
Première question au coeur de ce projet : selon vous, la
réduction à 35 heures de la durée hebdomadaire de
temps de travail est-elle de nature à créer des emplois ?
C'est cela qui nous préoccupe ; c'est bien cela qui motive ce
texte. D'autre part, s'il y a un potentiel de création d'emplois,
pouvez-vous en faire une estimation ?
Ma deuxième question est liée aux conséquences de la
durée du travail sur la compétitivité des entreprises.
Quel peut être l'impact sur les coûts salariaux ? Vous avez
laissé entendre que certains experts favorables à cette mesure
l'assortissaient de conditions très strictes, notamment le gel des
salaires.
Avez-vous quelques hypothèses sur la variation et l'augmentation des
coûts du travail du fait de cet abaissement de la durée
hebdomadaire ? Enfin, quel peut être l'impact sur les
investissements, y aura-t-il substitution du capital au travail, et quel peut
être l'impact sur l'attractivité de la France comme territoire
d'enracinement d'entreprises ?
Peut-être aussi, quel est votre sentiment sur l'impact de ce projet par
rapport à la croissance de l'économie française ?
Enfin, quelles sont les alternatives à la réduction de la
durée du travail hebdomadaire, les impacts sur le fonctionnement du
marché du travail et sur le développement de l'emploi ? Vous
avez évoqué l'annualisation. Vous pourriez peut-être
revenir brièvement sur cette proposition.
M. Alain GOURNAC, président
-
Pouvez-vous
répondre au rapporteur ? Nous passerons ensuite aux questions de
nos collègues.
(assentiment de M. Soubie)
M. Raymond SOUBIE - Pour répondre à Monsieur le rapporteur, sur
la question de savoir si la réduction à 35 heures est susceptible
de créer des emplois et combien, je vous répondrai que la
réduction du temps de travail me paraît en effet capable, dans un
certain nombre de cas qui respecteront les critères que j'ai
indiqués tout à l'heure, de créer des emplois.
S'agit-il de beaucoup de cas et de beaucoup d'emplois ? Je ne le crois
pas. Si vous aviez à donner un chiffre, lequel donneriez-vous ?
Comme j'ai promis de vous dire la vérité, je n'ose pas donner de
chiffre ; mais comme je suis imprudent, j'en donnerai quand même un : je
ne crois pas que cela aboutirait à créer plus de
100.000 emplois dans l'économie française. C'est un chiffre
non nul mais faible par rapport à la réalité du
chômage.
La loi étant supposée votée, un certain nombre
d'entreprises se la voyant appliquée, que va-t-il se passer ?
Premièrement, un certain nombre d'entreprises vont vraiment essayer de
l'appliquer, dans son esprit en tout cas, c'est-à-dire de
négocier en attendant 1999. Ces entreprises vont essayer d'obtenir des
contreparties des organisations syndicales et du gouvernement. Des
organisations syndicales en utilisant les flexibilités autorisées
par le droit du travail actuel ; en obtenant non pas des baisses de
salaires, mais une quasi stabilité des salaires sur plusieurs mois ou
deux à trois ans. Je crois que s'ils ne l'obtiennent pas, ils ne
signeront pas les accords. Ils préféreront supporter
mécaniquement l'effet de la majoration des heures supplémentaires
de la loi sur la durée légale à 35 heures.
D'autres en revanche signeront des accords. Je crois que cela ne sera pas la
majorité. Parmi ceux qui signeront des accords, il me semble qu'une
partie aura la subtilité de prendre le dispositif de la loi à la
lettre et dans l'esprit, c'est-à-dire de faire des gains, et donc
d'avoir des systèmes d'organisation entraînant des gains de
productivité qui feront qu'il n'y aura pas d'emplois.
Par conséquent, entre ceux qui ne négocieront pas et ceux qui
négocieront de la manière la plus intelligente en faisant des
gains de productivité, ceux qui aboutiront réellement à
des créations d'emplois seront la minorité. Voilà pour
répondre à votre première question.
Sur l'influence sur la compétitivité des entreprises, j'ai deux
réponses. Tout d'abord, la modération salariale aujourd'hui dans
beaucoup de secteurs de l'économie française est un facteur de
conflit. En outre, quand vous menez des enquêtes spécifiques avec
entretiens qualitatifs dans des entreprises qui ne vont pas mal, comme
heureusement la grande majorité des entreprises, et que vous demandez
aux salariés ce qu'ils préfèrent en les amenant dans leurs
retranchements, il est évident qu'une grande majorité d'entre eux
opte pour des majorations salariales. C'est très clair. Et leurs
organisations syndicales ne pourront pas ne pas tenir compte de ce
problème. Je ne crois pas que le gel des salaires sera la règle.
Concernant l'influence sur la compétitivité des entreprises, je
suis d'un naturel assez optimiste. Pour jouer un peu à Mme Soleil, que
se sera-t-il passé dans un an ? Certaines entreprises auront conclu
des accords qui seront donc qualifiés d'exemplaires par tout le monde, y
compris leurs auteurs, dès lors qu'ils auront été conclus.
Tout le monde mettra sur le compte de ces magnifiques accords qui auront
été conclus les créations d'emploi liées à
ces accords. Des créations d'emplois seront donc affichées Tout
le monde sera satisfait. La grande majorité des acteurs de cette affaire
des 35 heures sera satisfaite. Les gens et les syndicats qui auront
signé, le gouvernement qui aura obtenu des résultats, le patronat
qui aura montré qu'il était moins borné que certains
veulent le dire.
Mon analyse est que dans un an, une fois qu'un certain nombre d'accords seront
signés, toute cette affaire aura tendance à se dissoudre quelque
peu. Pourquoi ? Parce que d'aller plus loin et de faire pression sur
d'autres entreprises pour qu'elles signent entraînera des
conséquences graves sur les autres sujets, c'est-à-dire la
confiance, l'investissement, la croissance. Personne ne prendra ces
risques-là.
Je peux me tromper, mais c'est un schéma que je vois dans ma boule de
cristal.
Dernière remarque. Profondément, je crois que cette affaire des
35 heures est, de la part de ses auteurs, une affaire de bonne foi. Je
connais ceux qui ont inspiré cette idée depuis deux ou trois ans.
Ce sont des hommes de bonne foi, très convaincus.
Sur le papier, ils n'ont pas tort. C'est-à-dire qu'on peut dire que si
toutes les conditions sont réunies, ils n'ont pas tort. Le
problème est qu'en France, nous n'avons pas un système de
relations sociales, de compromis social qui permette d'arriver à ce
résultat. On ne l'a pas au niveau national ; on l'a vu au moment de
la Conférence sur l'emploi : aucun syndicat ni aucun patronat n'est
prêt à s'engager sur ce point. On renvoie donc au niveau des
entreprises pour le laisser au bon vouloir de chacun.
L'idée en soi, dans l'absolu, telle qu'elle a été
montée n'est pas une idée absurde ; elle peut même
être considérée comme une idée intelligente si les
conditions sont réunies. Mais la grande difficulté dans le
modèle français est de réunir ces conditions. Le
problème est peut-être moins dans le concept de base que dans la
difficulté d'appliquer aujourd'hui on le voit tous les jours ce concept
de base.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous remercie
et passe la parole à nos collègues.
M. Paul GIROD
- Monsieur le président, trois questions
à M. Raymond Soubie.
Première question, le but de la commission d'enquête est de se
faire une opinion sur la manière dont ce slogan électoral a
été transformé en projet de loi. Gouverner un pays
implique de prendre des précautions. Le pays a-t-il été
consulté ? Lui qui est le président d'une organisation dont
l'autorité est reconnue, a-t-il été consulté par
quelqu'un dans la phase préparatoire ?
Deuxième question : je viens de représenter le
président Monory à un colloque international sur des questions
constitutionnelles en Italie. Les Italiens m'ont fait part d'un chiffre
très récent, que je n'ai pas pu vérifier, mais qui me
semble très important, à savoir que leur pays compte plus de
travailleurs indépendants que de salariés. Le basculement est
intervenu en décembre 1997. Plus de travailleurs à leur compte
que de salariés en Italie ! On connaît les Italiens : leurs
capacités à s'adapter aux réalités de la vie,
quelquefois en transgressant certaines réglementations. Peut-on avoir au
sein de l'Europe un pays réglementé selon le système de
Colbert, et en même temps, un pays qui ne serait constitué que
d'indépendants ?
Troisième question : il y a quelques instants, vous avez dit, Monsieur
Soubie, que dans la mesure où l'on sait très bien que l'on ne
peut pas régler le problème à l'échelon national,
on le renvoie au niveau de l'entreprise. Vous qui êtes un homme averti de
la vie politique et sociale française, pensez-vous que ce renvoi
à la décentralisation est compatible avec notre notion jacobine
de l'égalité de traitement des uns et des autres à
l'échelon national ? N'y a-t-il pas un risque de voir le
système exploser au bout d'une période d'adaptation et
d'exploration par retour de l'esprit jacobin sur cette égalité de
traitement ? Par conséquent, l'aspect souple de
l'expérience, que vous avez par ailleurs souligné, et
l'état actuel du droit du travail en France se trouveraient
contournés par les résultats de l'expérience qui sera
lancée.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Philippe Marini.
M. Philippe MARINI
- Monsieur le président, deux
questions à M. Raymond Soubie après lui avoir dit combien
j'ai trouvé lumineux son propos, comme toujours quand on a le plaisir de
l'écouter. En premier lieu, ma question serait de lui demander si,
à son avis, l'effet emploi du dispositif n'aurait pas des chances
d'être meilleur s'il n'était pas contraignant. En effet, dans ce
projet de loi, il y a un aspect incitatif et un aspect contraignant. En
matière de création d'emplois, chacun sait que les aspects
psychologiques ce qui va déclencher le ressort de l'embauche- jouent un
rôle essentiel.
En second lieu, et sur un autre plan, nous voyons des contrôles se
multiplier sur le temps de travail des cadres dans la législation
actuelle. Nous imaginons que ces contrôles seront encore plus
contraignants par définition au terme du processus annoncé.
Cela ne conduit-il pas, à son avis, à une réflexion de
portée quelque peu générale sur l'évolution de la
notion de cadre ? Ne sommes-nous pas en train de raisonner sur de
véritables fictions ? D'autre part, ne faudrait-il pas imaginer que
notre législation s'adapte et considère que certaines
tâches et certains niveaux de responsabilités ne sont plus de
l'ordre du quantitatif ?
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD
- J'aurai trois questions
à poser, Monsieur le président. A la question de savoir si cette
loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures
créera ou non de l'emploi, vous répondez :
" peut-être, peu, plutôt peu, mais sous certaines
conditions. " Dans les conditions, vous parlez de rapidité, de
maintien de la production et de la modération salariale.
Je m'étonne que dans le maintien de la production, vous n'ayez pas
mentionné l'importance du sujet valait en soi un développement la
nécessité d'une réorganisation du travail au sein de
l'entreprise. Il me semble que création d'emplois ne peut s'entendre
sans repenser l'organisation au sein des entreprises.
Deuxième question. Concernant le processus de la loi et la durée
légale, vous dites que cette durée légale des 35 heures
n'influera pas du tout sur la durée effective puisque les heures
supplémentaires y échappent. Or, il me semble avoir lu que les
heures supplémentaires étaient intégrées dans les
termes de la loi à hauteur de 130 heures supplémentaires
annuelles. Si besoin était, on peut tout de même intégrer
un quota d'heures supplémentaires à ne pas dépasser pour
aller effectivement vers une durée légale qui n'excède pas
ce que l'on décide.
Troisième point. Je vous ai trouvé quelque peu définitif
sur le refus des organisations syndicales et de la population d'aller vers une
modération salariale. Un certain nombre d'enquêtes récentes
ne sont pas aussi catégoriques. A savoir qu'en échange de
contreparties et d'un certain niveau de salaire, il n'est pas du tout exclu que
certaines organisations syndicales acceptent l'idée de négocier,
y compris là-dessus. Il ne faudrait pas aller trop vite sur cet aspect,
même s'il est difficile.
Enfin, une question d'importance concerne ce que vous avez dit de vos raisons
de trouver cette loi bonne et très positive, soit la relance de la
négociation collective, à savoir que l'on pourra négocier
dans les PME-PMI notamment par mandatement.
Il y a là un vrai problème de la négociation collective au
sein de l'entreprise. Je ne pense pas que l'accord d'octobre 1995, et la loi
qui a suivi, règlent tous les problèmes concernant les
négociations dans les petites entreprises. Auriez-vous un certain nombre
de suggestions à faire sur ce point.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Denis Badré.
M. Denis BADRE
- J'aurai deux questions à poser.
Tout d'abord, vous avez évoqué un effet pervers de l'existence
même du projet de loi qui serait une certaine rétention de la part
de certaines entreprises face aux négociations salariales en
général. Plus généralement et à terme, la
démarche dans laquelle le gouvernement engage le pays ne risque-t-elle
pas de déboucher sur un freinage du développement du temps choisi
?
Deuxième question : vous avez souligné le fait que la notion
de temps de travail était déjà quasiment obsolète.
Demain, dans l'Union européenne, on ira vers une harmonisation des
politiques de l'emploi. Dans ce contexte, si la France organise son corps de
doctrine sur l'emploi, notamment autour de cette notion de temps de travail, ne
risque-t-on pas de voir la France handicapée dans ce contexte
d'harmonisation qui s'imposera, soit au contraire d'aller vers un freinage dans
la construction de l'Union européenne du fait que la France,
élément moteur de cette construction, aura fait en quelque sorte
cavalier seul et choisi une autre voie ?
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Daniel Percheron.
M. Daniel PERCHERON
- Vous avez les idées très
claires, c'est une chance pour les sénateurs qui vous écoutent.
Ma première question, qui appelle des précisions de votre part,
est une argumentation qui portera sur le raisonnement paradoxal que vous avez
défendu sur la tendance historique, que je n'avais jamais jusqu'à
présent entendu. Vous nous avez clairement dit que la tendance
historique à la baisse de la durée du travail n'avait jamais
créé d'emploi. De manière scolaire, quelque peu primaire,
je vous poserai la question précise suivante : cela veut-il dire que si
l'on travaillait aujourd'hui autant qu'en 1936 et autant qu'en 1890, nous
n'aurions que 3 millions de chômeurs ?
Il me paraît très difficile
a priori
de vous accompagner
sur se raisonnement et sur ce postulat. Mais peut-être avez-vous
raison !
Deuxièmement, je pense que cela est dû à votre
expérience irremplaçable : vous avez un raisonnement d'homme
d'appareil au sens noble du terme. Vous écartez l'opinion qui, comme
vient de le rappeler ma collègue, au travers des sondages
répétés, au travers de photographies précises et,
à mon avis, indiscutables, admet la réduction du temps de
travail, envisage certains sacrifices et donne la priorité, soit au
temps choisi, soit à la baisse du chômage. Cela correspond au
choix démocratique que les Français ont fait en juin, même
si les 35 heures n'ont pas été seulement et uniquement au coeur
de leur décision.
Depuis une dizaine d'années, cette opinion ne dément pas sa bonne
volonté et son intérêt pour la réduction du temps de
travail, même contraignante en ce qui concerne l'évolution de son
pouvoir d'achat. Vous la mettez de côté et vous nous expliquez que
ce concept, après tout parfaitement intelligent -à la limite vous
instruisez à décharge, ce qui est très bien et très
sain au sein de cette commission- d'après votre expérience, peut
être en quelque sorte, non pas dévoyé mais freiné,
morcelé entreprise par entreprise.
Vous ajoutez que, les patrons et les 8 % de salariés
syndiqués français au coeur de cette cellule
privilégiée dans le monde clos de l'entreprise vont finalement
tourner le dos à l'opinion et à l'accord, et qu'il y aura
très peu d'accords.
Ma question sera donc la suivante : ne pensez-vous pas que dans ce débat
qui va occuper l'opinion française, l'opinion va jouer un
rôle ? A propos des mouvements de chômeurs aujourd'hui, compte
tenu de la médiation moderne telle qu'elle est pratiquée, nous
avons quand même le sentiment que l'opinion pèse
énormément.
Ou pensez-vous, en tant que praticien et théoricien du monde clos de
l'entreprise, que la négociation entreprise par entreprise pourrait
être une impasse pour ceux qui ont inventé et pris la
responsabilité du concept, et que la faiblesse du syndicalisme
français au sein du monde clos de chaque entreprise va peser très
lourd sur le résultat final ?
Troisièmement, à propos des conséquences sur la croissance
et sur les investissements, si l'investissement hésite compte tenu des
35 heures, comment expliquez-vous qu'il ait hésité de la
même manière après le transfert massif de charges en faveur
des entreprises ?
Au fond, les entreprises qui se sont adaptées à la mondialisation
sont devant la première mesure contraignante depuis 1983. C'est le
premier rendez-vous difficile et contraignant intellectuellement,
économiquement, syndicalement qui leur est proposé.
Dès lors, pourquoi l'investissement hésiterait-il puisque depuis
six mois, dans un contexte que beaucoup prévoyaient difficile, la
confiance semble enfin apparaître, la consommation semble enfin se
dégeler ?
Trente-cinq heures à l'horizon ou pas ? C'est l'une des questions
qui me semblent importantes. Vous n'envisagez pas le cercle vertueux. Vous avez
fait allusion au bilan d'une année qui pourrait être relativement
heureux. Vous n'envisagez pas, là non plus, le cercle vertueux qui
donnerait confiance et favoriserait la croissance.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. André Jourdain.
M. André JOURDAIN
- Monsieur le président, en dehors
des questions d'ordre général qui viennent d'être
posées, je voudrais ajouter une question plus précise. Monsieur
Soubie, vous n'avez pas parlé du temps partiel. Vous avez
évoqué la flexibilité. Or, il me semble que le texte qui
nous est proposé va vers un durcissement du temps partiel. Partagez-vous
mon sentiment ?
D'autre part, quand je pense aux petites entreprises qui auraient besoin de
cadres à temps partagé pour pouvoir se développer, j'ai
l'impression que l'on va tout à fait dans le sens contraire de leur
développement.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Bernard Seillier.
M. Bernard SEILLIER
-
J'aimerais que M. Soubie puisse nous
dire quelques mots de l'incidence du lien entre le taux horaire du SMIC et une
réforme de cette nature. J'ai l'impression que tout en approuvant la
clarté de son exposé, il y a un point majeur qui risque
d'être assez explosif, et en tout cas difficile à régler
légalement.
M. Alain GOURNAC, président
-
S'il n'y a plus de
questions, je demande à M. Soubie d'essayer de répondre
à l'ensemble de ces questions.
M. Raymond SOUBIE - Monsieur le président, plusieurs questions traitent
du même sujet. Je vais donc essayer d'y répondre de manière
groupée.
Pour répondre à la première question, au moment de
l'élaboration du projet de loi, il y a eu de nombreuses consultations.
Votre serviteur a été consulté. On ne peut donc pas dire
qu'il n'y a pas eu de consultations ; il y en a eu beaucoup.
Ce qui m'a frappé au cours de toutes ces consultations, ayant
participé à un certain nombre de réunions, c'est la bonne
volonté collective et générale de cette affaire, un
certain accord de fond, et une difficulté considérable à
mettre le tout en pratique. Si vous me permettez d'en faire le
résumé, je le crois profondément, ma réponse est
une introduction à tout ce que je vais dire.
Concernant l'Italie et les travailleurs indépendants, on va de plus, en
dehors de l'Italie, vers un accroissement des travailleurs indépendants.
Il y a même une nouvelle race de travailleurs indépendants sous
dépendance économique. C'est-à-dire notamment dans les
activités de services, des travailleurs indépendants qui sont
sous statut d'indépendants, mais qui sont en réalité
dépendants d'un employeur. Cela tendra à se développer
considérablement dans les nouveaux métiers que le droit
n'appréhende pas aujourd'hui. C'est un réel problème qu'il
convient de traiter. J'assistais récemment à un colloque
où le phénomène était expliqué.
J'étais assis à côté du patron d'une organisation
syndicale française. Je lui ai demandé si ce discours le
choquait. Il m'a répondu :
" Pas du tout, c'est
l'évidence. "
Cela montre que sur des sujet apparemment complexes, nombreux sont ceux
à être d'accord. C'est un vrai grand sujet d'avenir. Tout comme il
est clair qu'en Europe les diversités des systèmes sociaux de
droit social et de protection sociale dans les quinze ans ne tiendront pas la
route. Il y a là un problème de fond auquel il faudra bien un
jour également s'atteler.
Sur le renvoi à la négociation d'entreprise, c'est vrai qu'il y a
un risque considérable de disparité, mais je crois que c'est le
seul moyen. En effet, les sujets traités et les choix laissés aux
gens portent plutôt sur le temps de travail ou plutôt sur le
salaire. Ce choix ne peut être fait qu'au plus près du terrain.
Inéluctablement, on ira vers des négociations, avec certes des
disparités, mais cela me paraît plutôt un bien et il faut
continuer à y aller.
M. Marini m'a posé deux questions : l'une sur les cadres. Il est
clair que le concept des cadres est un concept franco-français. Quand
vous allez à l'étranger, les cadres, ils ne connaissent pas ! En
outre, en France vous avez diverses définitions des cadres. Par
conséquent, profondément je ne crois pas que le concept de
" cadre " soit le meilleur pour appréhender toute une
série de fonctions et de métiers.
Sur votre autre question, essentielle : n'aurait-ce pas été plus
efficace si cela avait été moins contraignant, je vous
répondrai oui et non. Je commencerai par justifier le non. Un accord a
été effectivement conclu qui prévoyait des
négociations de branches. Elles n'ont pas eu lieu. L'absence de
contraintes a donc fait qu'il ne s'est rien passé. Il faut bien dire la
vérité.
Inversement, il y a le fait que cette loi fixe une partie seulement -je ne l'ai
pas assez dit tout à l'heure de la règle du jeu. La grande
difficulté pour les entreprises aujourd'hui est qu'un projet de loi sera
sans doute voté. Ensuite, un second volet à ce projet de loi
interviendra dans deux ans. Elles se demandent toutes ce que contiendra ce
nouveau volet du projet de loi dans deux ans.
Le gouvernement a répondu, dans un souci de concertation avec les
entreprises : " Cela dépend de vos accords ". Les
entreprises
répondent alors : " Comment négocier des accords sans savoir
ce qui se passera dans deux ans ". C'est l'histoire du chat qui se
mord la
queue.
Un processus qui eût été meilleur aurait été
de dire à la collectivité des entreprises :
" Messieurs, vous négociez des accords, et dans un an, nous faisons
le projet de loi. " Il n'y aurait pas eu la contrainte juridique
-psychologiquement, cela aurait donc été différent mais il
y aurait eu une contrainte politique.
Ce que je dis est tellement vrai que c'est ce que j'avais cru comprendre. Je
m'explique : quand vous lisez les interventions des participants à
la conférence tripartite de l'emploi, et notamment celle du Premier
ministre à l'issue de la journée, c'est exactement ce qu'il a
écrit dans l'intervention qu'il avait préparée. Qu'y
disait-il ? :
" Vous allez négocier. Maintenant va
être retenu l'objectif cela figure dans son texte du passage de la
durée légale à 35 heures. Mais toutes les
modalités figureront dans la seconde loi. "
Au fond, il y a eu passage subreptice d'une intention clairement
exprimée dans son texte à un projet de loi qui ne correspond pas
exactement -et même sur un point fondamental psychologiquement à
ce qu'il a dit.
M. Philippe MARINI
- C'est de la tromperie !
M. Raymond SOUBIE - Cela tient en grande partie à la manière dont
s'est déroulée la conférence tripartite, que j'ai
appelée " une journée de dupes ". Parce que M. Gandois
croyait avoir convaincu le Premier ministre, et le Premier ministre croyait
avoir convaincu M. Gandois ! Le problème est que les deux
avaient raison et que tous les deux pensaient avoir eu tort. En clair, la
déclaration du Premier ministre était une vraie ouverture pour
les entreprises et elle a été prise comme une insulte par les
entreprises. Quelque chose ne s'est pas bien passé dans les
transmissions et explications. Tout est vraiment parti de là.
Madame, vous avez posé une série de questions. Si je n'ai pas
parlé de la réorganisation, c'est qu'elle me paraît
être au coeur de sujet. Je suis convaincu que dans de nombreuses
entreprises françaises, il y a des possibilités
considérables de réorganisation, de gains de productivité.
Je crois dès lors que l'on peut c'est bien de cela dont il s'agit
dégager du temps par les gains de productivité liés
à la réorganisation. Ce temps, on peut en faire ce que l'on veut.
On peut l'affecter à la réduction du temps de travail ou à
d'autres facteurs de production. Mais je ne suis pas convaincu que cela
aboutisse à créer des emplois. C'est cela que je crains.
Je crois que l'un des aspects très positifs du processus engagé
est d'obliger les entreprises à réfléchir sur la
réorganisation du temps de travail, mais je ne suis pas sûr que la
réponse qu'elles vont trouver aboutira à des créations
d'emplois. Cela dit, je suis totalement d'accord avec vous sur l'aspect de la
réorganisation.
Sur le processus de la durée légale, il est clair que l'un des
points fondamentaux est le contingent d'heures supplémentaires. Cela me
paraît tout fait évident.
Sur le problème, également évoqué par M. Percheron,
de l'opinion et de la négociation collective : deux remarques. Tout
d'abord, le dispositif implique des accords, des appareils, et des accords
d'entreprises dans une France où le syndicalisme est tombé si
bas, constitue un vrai problème, fondamental d'application.
M. Alain GOURNAC, président
-
8 % !
M. Raymond SOUBIE - C'est un vrai problème, fondamental d'application.
Personnellement, je n'ai pas la réponse.
Sur le problème de l'opinion que vous avez évoqué tous les
deux tout à l'heure, certes on connaît bien les enquêtes
d'opinion. Simplement, lorsqu'on fait un effet de zoom sur diverses
entreprises, on voit bien que si l'on demande aux gens un arbitrage entre le
salaire et la durée du travail, lorsqu'ils sont prêts à le
rendre, c'est pour voir des résultats visibles dans leur entreprise ou
autour d'eux.
Or, malheureusement et pour la raison qu'évoquait madame, liée
à la réorganisation- je ne suis pas sûr que les
résultats soient si visibles. Je ne suis pas sûr non plus que le
cycle vertueux de l'opinion puisse vraiment s'enclencher dans les entreprises.
D'autre part, en raison même de la faiblesse des syndicats, ils
hésiteront à s'engager dans ce contexte. Voilà ce que je
voulais exprimer.
La réponse à cela est qu'il faudrait qu'il y ait suffisamment
d'entreprises où des accords soient conclus.
Sur la remarque de M. Percheron sur la baisse tendancielle de la durée
du temps de travail, on peut dire que les baisses lentes de la durée du
travail ne créent pas d'emplois. Les gains de productivité
absorbent immédiatement tout cela. Si l'on veut vraiment créer
des emplois, M. Fitoussi l'expliquera tout à l'heure, il faut aller
rapidement dans la réduction du temps de travail. C'est une autre
opération répondant à d'autres logiques.
Sur le cercle vertueux de la croissance et de l'investissement, les
décisions en matière d'investissement relèvent des
entreprises. Il est tout de même caractéristique de la situation
française de constater qu'il n'a pas été brillantissime
depuis huit ou neuf ans.
M. Daniel PERCHERON
- Quels qu'aient été les efforts
dans leur direction !
M. Raymond SOUBIE - Oui. C'est donc quand même un comportement
des décideurs quelque part contraints, de non confiance. Ce n'est pas
seulement l'attitude des consommateurs, mais c'est aussi l'attitude profonde
des décideurs.
Un autre aspect que je n'ai pas évoqué : il ne faut pas
exclure que certaines négociations sur le temps de travail
débouchent sur des conflits. Des entreprises préviennent qu'elles
n'accorderont pas les augmentations de salaires ; les salariés et
les syndicats le prennent très mal. Une partie du processus risque donc
de déboucher sur des conflits, ce qui irait psychologiquement dans
l'autre sens.
Sur les questions de MM. Badré et Jourdain concernant le temps partiel,
c'est pour moi un mystère. Tout le monde était d'accord pour dire
que le temps partiel est la manière la moins conflictuelle, la plus
rapide et la plus massive de réduire le temps de travail sans
compensation salariale et de manière paisible.
C'est tellement vrai que M. Bérégovoy avait mis en place, puis
Martine Aubry, des dispositifs massifs d'aide au temps partiel qui ont
été remarquablement efficaces. Le projet de loi marque un coup de
frein à ce sujet. Pourquoi ? Parce que certains secteurs ont
abusé de cela, notamment la grande distribution pour appeler un chat un
chat. Cela dit, c'est grandement dommage car des secteurs entiers du tertiaire
ont utilisé très intelligemment cette mesure. Il ne faudrait donc
pas enterrer le temps partiel, tout en prenant des précautions dans
certains secteurs.
Je termine par la question sur le taux horaire du SMIC. C'est une vraie
question, mais vous me pardonnerez, Monsieur le sénateur, je n'ai pas de
vraie réponse.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je voudrais vous
remercier d'avoir répondu à toutes les questions et d'avoir
donné à votre propos beaucoup de clarté et ainsi
éclairé cette commission.
B. AUDITION DE M. JEAN-PHILIPPE COTIS, DIRECTEUR DE LA PRÉVISION AU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
(
M. Jean-Philippe Cotis est introduit dans la salle)
Je voudrais maintenant accueillir M. Jean-Philippe Cotis.
Le président lit la note sur le protocole de publicité des
travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à
M. Jean-Philippe Cotis, directeur de la direction de la prévision au
ministère de l'Economie, des finances et de l'industrie.
La parole est à M. Jean-Philippe Cotis
.
M. Jean-Philippe COTIS
- Monsieur le président, avant de
débuter mon intervention, j'ai deux ou trois points matériels
à porter à votre connaissance. Les notes qui doivent vous
parvenir le seront avec une lettre du ministre des Finances. Le Premier
ministre a adressé une lettre au Président du Sénat dans
laquelle il lui fait part d'un certain nombre de réflexions
générales et des instructions transmises aux fonctionnaires
appelés à déposer.
Le Premier ministre est soucieux d'informer le Parlement. Il a donné
l'ordre aux fonctionnaires de déférer aux convocations et leur a
demandé de veiller à ce que les documents nécessaires pour
éclairer la teneur et la portée du projet de loi vous soient
fournis.
Il nous a donné également pour consigne de ne pas donner suite
aux demandes de communication présentant un caractère
systématique ou portant sur des pièces destinées à
préparer les choix du pouvoir exécutif, et constituant de ce fait
des documents de travail internes au gouvernement.
Cette ligne de conduite a été portée à la
connaissance du Président de la République au titre de l'article
5 de la Constitution.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous en
remercie. J'ai en effet reçu le double de la lettre envoyée par
le Premier ministre.
M. Jean-Philippe COTIS
-
Monsieur le ministre, Monsieur le
président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis
très honoré de l'invitation qui m'est faite de
" plancher " aujourd'hui devant vous sur les conséquences du
passage aux 35 heures. Il s'agit d'un sujet difficile dont les ramifications
s'étendent très au-delà de la sphère
économique et qui invite les techniciens à la prudence et
à la modestie.
Au cours de cette intervention, j'aurai à coeur, en conséquence,
de faire la part entre ce que les experts connaissent mal, ce qui reste encore
incertain, et ce sur quoi l'on peut raisonnablement tabler.
Je prie par avance les membres de la commission avec lesquels je me suis
déjà longuement entretenu du sujet avant-hier, dans des
conditions il est vrai quelque peu imprévues, pour les redites qui ne
manqueront pas d'émailler mon intervention.
Mon propos s'articulera autour de 3 grands thèmes :
- le premier concerne les difficultés et les limites qui s'attachent
à tout exercice de prévision ou d'évaluation
quantifiée des conséquences de la réduction du temps de
travail. Dans ce domaine l'expertise reste, par définition, très
incertaine ;
- dans un deuxième temps, j'insisterai plus particulièrement
sur l'apport de la théorie économique. Si l'analyse
économique reste, en effet, sans réponse à la
question : " la réduction de la durée du travail
est-elle, en soi, favorable ou défavorable à
l'emploi ? ", elle permet en revanche de définir, dans leurs
grandes lignes, les conditions du succès et de mieux cerner les
écueils à éviter;
- dans un dernier temps, j'essaierai de vous proposer une lecture du projet de
loi, à la lumière de cette grille d'analyse.
Les informations micro-économiques qui permettraient de procéder,
dès aujourd'hui, à une évaluation quantifiée, et
robuste, des conséquences de la réduction du temps de travail ne
sont pas encore disponibles. Elles ne le deviendront qu'au cours de la
période intérimaire, lorsque les négociations entre
partenaires sociaux auront pris corps.
Du point de vue de l'analyse macro-économique, la réduction du
temps de travail avec maintien du salaire et incitation publique se
ramène à la combinaison de trois phénomènes :
-
une hausse du coût salarial par unité produite, suivie
éventuellement d'une phase de modération ;
- un partage du travail plus favorable à l'emploi;
- une réduction des prélèvements pesant sur le travail.
Ces 3 types de " chocs ", dès lors que leur ampleur est
connue, peuvent servir d
'
"
inputs
" à des
simulations macro-économiques, dont les conclusions se
révéleront, malgré les incertitudes inhérentes aux
" modèles macro ", relativement robustes.
L'obstacle majeur, qui rend très difficile à l'heure actuelle
toute évaluation quantifiée, se situe en amont de l'analyse
macro-économique, dans la collecte de l'information
micro-économique.
Pour déterminer, par exemple, dès aujourd'hui l'ampleur de
l'effet de partage du travail ou du choc initial de coût de production,
il serait nécessaire de connaître une masse importante
d'informations " privées ", que seules les entreprises sont
en
mesure d'appréhender, et qui varient fortement d'un secteur, d'une
entreprise, voire d'un établissement à l'autre. Il s'agit, par
exemple, des gains de productivité latents dont disposent les
entreprises, de leurs coûts de réorganisation éventuels ou
encore de la capacité des partenaires sociaux à maîtriser,
dans une phase ultérieure, l'évolution des
rémunérations.
Ces " informations de terrain " ne peuvent être glanées,
pour l'heure, qu'à partir de précédents historiques. Les
deux expériences historiques qui viennent à l'esprit, le passage
des 40 aux 39 heures de 1982 et la mise en oeuvre de la loi de Robien, restent
cependant difficiles à mobiliser :
- le passage aux 39 heures s'était effectué dans un contexte
macro-économique particulièrement difficile et peu transposable
à la période actuelle. Il ne portait, en outre, que sur une
réduction d'une heure.
- l'expérience du " Robien " reste encore trop
récente et de courte durée pour en tirer des conclusions fermes.
Il convient de signaler, cependant, que la DARES publiera, demain, un premier
bilan de l'expérience Robien, qui fait apparaître de premiers
enseignements intéressants.
Pour l'heure, les économistes doivent donc se contenter pour l'instant
de scénarios illustratifs qui restent fragiles. Cette fragilité
est bien illustrée par les chiffrages, d'origines diverses, qui sont
recensés dans l'excellent rapport du Sénateur Barbier. Les effets
induits par une réduction échelonnée de 5 % du temps
de travail, avec compensation salariale, varient en effet de 250.000 à
620.000 emplois créés selon les équipes de recherche
concernées (INSEE, Ecole Centrale, OFCE). On passe donc du simple au
triple.
Le souci du Gouvernement de laisser se développer les
négociations au cours d'une période intérimaire trouve,
pour une part, son origine dans la nécessité de mieux
appréhender ces données de terrain, qui manquent encore largement
aux économistes.
J'en viens maintenant à mon deuxième point, qui concerne les
conditions de réussite de la RTT et les écueils à
éviter. Ces conditions du succès et ces écueils, l'analyse
économique peut utilement contribuer à mieux les cerner.
Il y a une " fausse question " que l'on peut évacuer
d'emblée : celle de savoir si la réduction du temps de
travail est intrinsèquement bonne ou mauvaise pour l'emploi. Sur ce
point, la théorie économique, comme d'ailleurs l'histoire
économique, sont totalement " agnostiques ".
Toute l'expérience de l'après-guerre montre, par exemple, que
dans un contexte de forte croissance de la productivité, permettant
à la fois une progression soutenue du pouvoir d'achat et un
accroissement du temps libre, une baisse régulière et
relativement spontanée de la réduction du temps de travail peut
être compatible avec le plein-emploi.
Par conséquent, la question de savoir si, dans l'absolu, c'est bon ou
mauvais pour l'emploi, est probablement une question qui ne se pose pas
exactement aujourd'hui.
La question qui mérite d'être posée aujourd'hui me semble
être d'une autre nature. On peut la formuler de la manière
suivante : une intervention publique visant à
" réenclencher " le mouvement de réduction du temps de
travail qui s'est interrompu au début des années 80, peut-elle
stimuler l'emploi ? Cette question prend une acuité
particulière dans un contexte où les gains de productivité
n'ont plus l'ampleur qu'ils connaissaient au cours des Trente glorieuses.
Pour qu'une intervention publique soit fondée, il faut :
-
mettre en évidence des défaillances de marché,
d'une part sur le marché du travail, ou sur l'économie dans son
ensemble ;
- montrer en quoi l'intervention publique peut atténuer ces
imperfections ;
- s'assurer, enfin, que cette intervention ne générera pas
d'effets pervers qui se révéleraient plus coûteux que les
imperfections de marché que l'on cherche à corriger.
Ces défaillances de marché, quelles sont-elles aujourd'hui en
France ? Elles sont à la fois macro-économiques et
structurelles.
Macro-économiques tout d'abord, avec l'existence d'un important volet de
chômage keynésien. La Direction de la Prévision l'estime
à près de 3 points de taux de chômage correspondant
à un " déficit " de demande globale de près de 4
points de PIB (en 1996). C'est-à-dire l'écart entre la demande
effective et le potentiel de production.
Ce diagnostic est plus ou moins partagé. Le FMI et l'OCDE estiment ce
déficit à près de 3 points de PIB, la Commission
européenne et la Banque de France à 1 point seulement.
Ce retard de demande est imputable au " policy-mix " très
déséquilibré (déficits budgétaires
excessifs, conditions monétaires très tendues), qui ont
caractérisé la politique économique en Europe Continentale
et en France durant la première moitié des années 90.
Ces évaluations mettent en évidence le " terrain
perdu " au cours de la grande récession des années 90, par
rapport à une situation où la conjoncture serait restée
normale. Elles ne garantissent pas, en revanche, que tout le terrain perdu sera
rattrapé. Les économies européennes ne sont pas
prémunies, en effet, contre d'éventuels " effets
d'hysteresis ". J'y reviendrai par ailleurs.
Les défaillances " structurelles " maintenant. Elles
concernent, pour une large part, le marché du travail :
- un coût du travail peu qualifié, qui reste sans doute encore
trop élevé, malgré les progrès accomplis ;
- des négociations entre partenaires sociaux, qui n'ont pas, du point de
vue de l'économiste, l'efficacité souhaitable ;
- des effets d'hysteresis, liés au phénomène du
chômage de longue durée.
Je reviendrai sur ces points plus longuement par la suite.
Quelques précisions, peut-être, sur ces deux derniers points.
Les négociations sociales, tout d'abord. Elles sont le plus souvent
focalisées sur les seuls salaires et portent plus rarement sur l'emploi,
sauf dans les situations de crise.
C'est un phénomène regrettable qui nous distingue des
économies d'Europe continentale qui ont réussi (Pays-Bas,
Danemark, Norvège, Autriche, Allemagne de l'Ouest jusqu'à la fin
des années 80). Dans ces pays, les négociations sociales portent
à la fois sur les salaires, l'emploi, voire même la durée
du travail. Elles débouchent généralement sur des accords
et des compromis plus favorables à l'emploi.
Si nous comparons, par exemple, la France et les Pays-Bas, nous constatons que
dans ces deux pays, la part des salaires dans la valeur ajoutée a
chuté de plus de 10 points depuis son " point haut " du
milieu des années 80. Dans le cas de la France, cette modération
salariale a été associée à une stagnation de
l'emploi. Aux Pays-Bas, en revanche, la modération salariale a
été de pair avec une amélioration de la situation de
l'emploi.
Il existe aujourd'hui un " espace " suffisant pour
permettre une
remontée de la part des salaires dans la valeur ajoutée (les taux
d'intérêt ont beaucoup baissé, la situation
financière des entreprises s'est améliorée). Il serait
donc souhaitable que, comme aux Pays-Bas au cours de ces toutes
dernières années, cette remontée de la part des salaires
profite en priorité à l'emploi.
Un mot, pour conclure ces développements théoriques, sur les
effets d'hysteresis. Ces effets, qui ont été initialement
observés dans les sciences physiques, décrivent des situations
dans lesquelles " les conséquences persistent alors même que
les causes ont disparu ".
En économie, on peut souvent observer des phénomènes de
cette nature. Une hausse du chômage peut trouver, par exemple, son
origine dans la faiblesse de la conjoncture et ne pas se résorber pour
autant, lorsque l'économie revient à une " conjoncture
normale ". Dans l'intervalle, en effet, la durée du chômage a
pu s'allonger, entraînant par là-même une
détérioration du " capital humain " des demandeurs
d'emploi et une perte de contact avec le marché du travail.
Ce risque d'hysteresis n'est pas absent en France où d'une certaine
manière nous assistons peut-être à une " course de
vitesse " entre, d'un côté, la reprise économique en
cours et, de l'autre, la démoralisation et la perte
d'employabilité des chômeurs.
Que peut alors apporter la RTT dans un tel contexte ?
Elle peut contribuer, tout d'abord, à endiguer les effets d'hysteresis
le plus tôt possible au cours de la phase de reprise. La RTT peut
contribuer à accélérer, dès le début de la
reprise, le rythme des embauches et à réintégrer au sein
des entreprises des demandeurs d'emploi avant que leur
" employabilité " ne soit dégradée de
manière irréversible.
L'autre apport de la RTT en termes d'amélioration du fonctionnement du
marché du travail est de déplacer le " centre de
gravité " des négociations sociales, en plaçant
l'emploi au coeur des discussions. Si elle s'accompagne d'une maîtrise
adéquate des évolutions salariales, la RTT peut contribuer
à créer les conditions d'un redémarrage de la masse
salariale tirée par l'emploi.
Les écueils à éviter.
On reproche parfois à la RTT de reposer sur des hypothèses mal
fondées. Au premier rang de celles-ci, l'hypothèse selon laquelle
le volume de travail serait fixé une fois pour toutes et pourrait
être partagé sans difficultés, ni précautions
particulières.
Cette thèse de la " quantité invariable " de travail
n'est, en effet, pas absente des débats. Prenant appui sur l'existence
d'un chômage keynésien, certains économistes soutiennent,
par exemple, l'idée qu'une RTT accompagnée d'une hausse des
coûts de production ne pèserait pas sur l'emploi, et pourrait
même le stimuler avec l'augmentation de la masse salariale qui
entraînerait celle de la demande globale et de l'emploi.
Sur la base d'une telle analyse, la pénurie d'emploi ayant pour origine
un manque de débouchés, il serait souhaitable de renchérir
vigoureusement le coût des heures supplémentaires, de façon
à partager le plus largement possible le travail disponible.
Il ne faut pas chercher dans cette direction les bases d'une réduction
réussie du temps de travail.
Nous vivons, en effet, dans une économie ouverte, dans laquelle la
demande étrangère, et donc la compétitivité des
entreprises, ont une importance cruciale. Une économie également
où le travail qualifié et le capital seront de plus en plus
mobiles. Ce qui impose de respecter certains impératifs de
rentabilité et d'efficacité.
Ces exigences, loin de se relâcher, se renforceront avec l'entrée
dans l'Union économique et monétaire.
Sur la base de cette analyse, la mise en oeuvre, réussie, de la RTT doit
s'efforcer d'éviter :
- la dégradation des coûts salariaux par unité
produite. Toutes les simulations de modèles, qu'ils soient de facture
néo-keynésienne ou plus néo-classique, montrent qu'en
économie ouverte et en changes fixes, une hausse des coûts
salariaux unitaires déprime assez rapidement la demande globale,
même si elle stimule dans un premier temps la consommation des
ménages ;
- le renchérissement des heures supplémentaires. En
période de reprise, avec le retour à une conjoncture normale,
c'est un facteur de tensions inflationnistes qui peut contribuer à
étouffer le redémarrage de l'activité. Le
renchérissement du prix des heures supplémentaires est
particulièrement nocif pour les petites entreprises qui n'ont pas,
physiquement, la faculté de substituer des embauches aux anciennes
heures supplémentaires ; ce que l'on appelle dans notre jargon un
" phénomène d'indivisibilité ".
-
les " effets d'aubaine " en matière de finances
publiques c'est-à-dire ne pas subventionner des créations
d'emploi qui auraient existé en tout état de cause, de
manière à préserver l'équilibre des finances
publiques.
Au total, l'analyse économique suggère, me semble-t-il, qu'une
mise en oeuvre efficace de la RTT passe par des incitations positives
plutôt que par des contraintes, par une négociation
décentralisée mais en même temps globale, portant à
la fois sur les emplois et sur les salaires, et par la prise en compte
spécifique des difficultés rencontrées par les petites
entreprises, par des incitations " bien calibrées ", qui
limitent au maximum les effets d'aubaine.
Très brièvement, comment peut-on lire le projet de loi à
la lecture de cette grille d'analyse ?
Le projet du Gouvernement est fondé pour l'essentiel sur une
démarche incitative.
Les changements apportés au cadre légal et réglementaire
dans lequel opèrent les entreprises resteront modérés.
Dans la période intérimaire 1998-2000, les changements seront
modestes (léger durcissement de régime du repos compensateur,
moralisation souhaitable du temps partiel, possibilité ouverte de signer
un accord, même en l'absence de syndicats dans l'entreprise).
En régime de croisière les " effets contraignants " du
passage aux 35 heures légales ne doivent pas être
surestimées. Comme le rappelle clairement le projet de loi, le
surcoût associé à l'utilisation des heures
supplémentaires ne dépassera en aucun cas les 25 % actuels.
Dans un tel contexte, les entreprises qui souhaiteraient rester à
39 heures ne subiraient qu'un surcoût modeste de l'ordre de + 2,5%.
En outre, une attention particulière devrait être accordée
aux petites entreprises, de manière à ce que leurs comptes
d'exploitation n'aient pas à souffrir de la RTT.
Je conclurai en signalant que les incitations positives seront puissantes.
Comparées au " Robien ", les aides à la RTT seront
certes un peu moins fortes mais il sera plus facile d'en
bénéficier (conditions de créations d'emploi de + 6% au
lieu de + 10% avec le Robien).
Compte tenu de l'aide accordée, et même avec une compensation
salariale totale, le surcoût pour les entreprises resterait
limité. Pour une entreprise caractérisée par une forte
proportion de salariés payés au SMIC qui appliquerait la RTT
aujourd'hui, les aides se révéleraient même avantageuses.
La mise en oeuvre d'un système d'incitation à la RTT ne devrait
pas entraîner de dégradation des soldes publics. Comme dans le
Robien, les conditions posées en termes de créations nettes
d'emplois limiteront nécessairement les effets d'aubaine et
entraîneront vraisemblablement de ce fait des effets de retour favorables
sur les finances publiques.
L'analyse des premiers accords Robien semble confirmer la faiblesse des effets
d'aubaine. Les projets de RTT apparaissent bien mûris et longuement
négociés : réorganisation importante, annualisation
fréquente, implication forte des syndicats, pause dans la progression
des rémunérations souvent prévue.
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur le
directeur, je vous remercie de votre propos et de bien vouloir nous remettre
une copie de votre exposé. Je donne immédiatement la parole
à notre rapporteur qui souhaite vous poser quelques questions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-
Je voudrais d'abord remercier
le directeur de la prévision pour l'éclairage qu'il a bien voulu
nous apporter. En cette matière, je comprends qu'il n'est pas
aisé de faire des projections et qu'il y a une démarche
expérimentale.
Il nous a rappelé les contraintes à respecter pour que cette
démarche soit couronnée de succès. Je voudrais revenir sur
quelques points particuliers et demander à M. Cotis s'il veut bien nous
faire part des conclusions auxquelles il aurait pu aboutir, ou en tout cas les
évaluations auxquelles pourrait aboutir telle ou telle simulation.
En supposant toutes les contraintes que vous avez bien voulu rappeler, ainsi
que les réserves que vous avez exprimées; peut-on faire des
hypothèses de création d'emplois sur la base de cette
réduction à 35 heures de la durée légale du
travail ? Si des évaluations ont été faites,
pouvez-vous nous indiquer les différentes hypothèses ?
Avez-vous pu chiffrer les conséquences de la réduction de la
durée du travail sur la compétitivité des entreprises,
leur impact sur les coûts salariaux, et donc sur le coût relatif du
travail ?
Egalement, l'impact que peuvent avoir ces mesures sur l'investissement des
entreprises et sur l'attractivité de la France pour les entreprises.
J'ai bien noté que vous avez souligné que l'économie
était dans un environnement ouvert sur le monde et que nous devions
être prudents.
Avez-vous pu évaluer l'impact du projet de loi sur la croissance
économique et avez-vous étudié les alternatives à
la réduction de la durée hebdomadaire du travail pour que le
fonctionnement du marché du travail contribue au développement de
l'emploi ?
Enfin, avez-vous fait des simulations sur l'annualisation du temps de
travail ?
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur Cotis, je
vous propose de répondre au rapporteur et ensuite nos collègues
vous poseront des questions.
M. Jean-Philippe COTIS
- J'ai peur d'apporter une
réponse partiellement décevante à la question qui vient
d'être posée. Dans le cadre de la préparation du projet,
nous avons fait toute une série de chiffrages qui portaient sur des
dispositifs qui ont varié dans le temps. Ces hypothèses ont
été faites avec des calibrages divers.
Nous n'avons pas encore d'estimation définitive du dispositif tel qu'il
vient d'être arrêté dans le projet de loi, mais
plutôt, d'une certaine manière, toute une gamme de
résultats dont j'évoquais la grande dispersion à propos du
rapport du sénateur Barbier.
Ce que je peux dire de manière plus globale, qui anticipe donc sur les
travaux en cours, sur les grands enseignements de ces estimations, c'est que
les résultats sont plus ou moins bons pour l'emploi en fonction des
paramètres. Plus la modération salariale est forte, plus les
résultats en matière d'emploi sont favorables. On retrouve cette
conclusion dans les simulations que le ministère du Travail a
demandées à l'OFCE. Les résultats sont meilleurs si les
coûts de réorganisation sont faibles et si les gains de
productivité sont élevés. L'autre point est la taxation ou
le renchérissement des heures supplémentaires qui a, a priori, un
effet défavorable.
Si les coûts sont mal maîtrisés, ce que montrent les
simulations c'est vrai pour toute hausse de coût quelle qu'en soit
l'origine il y a un risque pour les exportations et pour l'investissement. En
revanche, c'est bon pour la consommation des ménages s'il y a un peu
plus de masse salariale, mais l'effet net sur le PIB en général,
dans ce type d'estimation, est plutôt négatif.
C'est-à-dire qu'entre deux scénarios de réduction du temps
de travail celui où la modération salariale serait plus faible
n'aurait pas d'effet aussi positif sur l'emploi. Ces mêmes conclusions
s'appliquent aux gains de productivité qui sont favorables à
l'emploi à terme.
Ceci est d'ailleurs très proche des résultats de l'OFCE. Lorsque
l'on parle de réduction du temps de travail avec ou sans
modération salariale, le rendement en termes d'emploi est très
différent. Il est bien meilleur lorsque les rémunérations
sont maîtrisées ainsi que sur l'activité.
C'est-à-dire que les effets de compétitivité l'emportent
en quelque sorte sur les effets de revenu dans ces simulations.
Cela explique l'accent qui est mis dans ce projet de loi sur la
nécessité de stabiliser les coûts de production et de faire
en sorte que la RTT ne dérape pas. Cela étant, les travaux sont
en cours pour finaliser...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- L'enjeu est donc la modération
salariale et l'emploi !
M. Jean-Philippe COTIS - C'est l'enjeu macro-économique. Le
deuxième enjeu important est, je crois, le coût des heures
supplémentaires pris globalement.
Là, le problème n'est pas simple. La théorie
économique dit grosso modo que si vous êtes dans une situation de
chômage keynésien, c'est-à-dire avec une pénurie de
débouchés pour les entreprises, à ce moment-là
l'emploi est contraint, non pas par son coût mais par l'absence de
demande. Dans ce cas, si vous taxez les heures supplémentaires, ou si
vous les renchérissez, c'est bon pour l'emploi à très
court terme.
Mais dès que l'économie revient à conjoncture normale,
à ce moment-là, les coûts marginaux à la production
sont plus tendus. On a alors des conditions de production plus inflationnistes.
C'est de nature à contrarier le développement de la reprise. A
partir de là, ce qui compte, c'est de déterminer les bonnes
conditions sur le moyen terme plutôt que de se focaliser sur une
situation qui comporte une composante keynésienne forte.
A priori, c'est à la politique macro-économique de combler ce
déficit de demande keynésien. Ce que la RTT doit pouvoir faire,
de son côté, est d'aider à ce que le redémarrage de
la masse salariale passe plutôt par des créations d'emplois,
davantage que cela n'a été le cas en France dans le passé.
En effet, si on compare la France et les Etats-Unis sur les quinze
dernières années, on observe que pour une croissance de la masse
salariale réelle de l'ordre de 30 %, aux Etats-Unis, il y a
30 % d'emplois créés. Le partage est donc extrêmement
favorable à l'emploi. En France, il l'est moins.
Cela signifie que sur longue période, il y a eu peu de création
d'emplois. Pour le reste, l'accroissement de la masse salariale a pris la forme
d'une hausse du coût du travail. Cela ne veut pas dire que les salaires
nets ont augmenté mais que le coût du travail a absorbé
à peu près tous les accroissements de salaires.
M. Marcel-Pierre CLEACH
-
En raison des cotisations sociales.
M. Jean-Philippe COTIS
-
A cause des cotisations sociales.
En même temps, la part des salaires a baissé. Il est un peu
paradoxal qu'avec la même baisse de la part des salaires dans la valeur
ajoutée que les Néerlandais, nous n'ayons pas pu conduire des
négociations en " face à face ", porteuses d'un
deal
emploi-salaire, ce que font bien les pays scandinaves et que nous avons des
difficultés à réussir.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-
Une question
complémentaire : le potentiel d'emploi est surtout le fait des
petites et moyennes entreprises. Dans vos simulations, avez-vous pu faire
tourner vos modèles par rapport à ce type d'entreprises, et aux
conséquences que la baisse de la durée hebdomadaire du travail
aurait sur l'emploi dans les petites entreprises ?
M. Jean-Philippe COTIS - Les modèles macro-économiques ne
distinguent malheureusement pas les tailles d'entreprise. Les instruments qui
existent sont plutôt des maquettes globales où l'on raisonne sur
le bouclage macro-économique.
Il est clair que dans les petites entreprises, en raison des
" indivisibilités ", du fait que chacun est très
spécialisé dans son domaine, il paraît difficile de
recruter 10 % d'une secrétaire, d'un contremaître, etc.
Là, les risques de hausse des coûts sont plus
élevés, incontestablement, que dans les entreprises de moyenne et
grande tailles.
C'est cela qui motive aujourd'hui l'attention particulière que le projet
de loi porte aux petites entreprises. Si vous réduisez le temps de
travail de 10 % dans une entreprise de moins de dix salariés, il
paraît difficile de recruter de tous petits segments de travail. On
recrute des personnes par unité complète.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Il y a les PME, mais il y a
également les très grandes entreprises qui fonctionnent avec des
réseaux de tout petits établissements.
M. Alain GOURNAC, président
-
Comme les banques
par exemple.
M. Jean-Philippe COTIS
- L'interprétation que j'ai du projet
de loi de ce point de vue est qu'à l'automne 1999, un examen très
attentif sera fait sur ce qui se sera passé dans les petites
entreprises. L'idée que le coût des heures supplémentaires
ne dépassera pas 25 % concerne notamment ce qui peut se passer du
côté des petites entreprises.
Le texte tel qu'il est là est surtout orienté vers des
incitations positives pour les entreprises qui basculent dans la
réduction du temps de travail. L'idée n'est pas de faire
l'impossible, c'est-à-dire de renchérir les heures
supplémentaires là où à l'évidence, la
substitution entre les hommes et les heures n'est physiquement pas possible.
Ces difficultés ont été clairement identifiées et
tout le monde en est bien conscient.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
M. Marie-Madeleine DIEULANGARD
-
Monsieur le directeur,
votre propos est d'une extrême prudence, et bien qu'il était
quelque peu difficile, je souhaiterais vous poser quelques questions.
La personne qui vous a précédé a parlé d'une
réorganisation du travail au sein de la cellule entreprise si on veut
effectivement qu'en termes de création d'emplois, cela puisse porter des
fruits, avec une réserve cependant, en précisant que l'on peut
gagner en compétitivité dans les entreprises en
réorganisant et en regardant de près. Si bien qu'au total, cela
peut être dangereux en termes de créations d'emplois que de
réorganiser l'entreprise de façon très efficace.
Je voudrais avoir votre sentiment à ce sujet. Voilà une
première question autour de la réorganisation du travail dans
l'entreprise.
Une deuxième question concerne le coût du travail. Vous avez bien
mis en évidence que le coût du travail pesait et que, notamment
les cotisations sociales la protection sociale pouvaient être un
élément important dans la structure des salaires.
On n'a pas encore parlé d'une piste qui consisterait à examiner
de plus près les cotisations versées par l'employeur à
l'Unedic et qui pourraient peut-être être retravaillées en
fonction de la création d'emplois au sein des entreprises.
La troisième question concerne les heures supplémentaires. Je
considère pour ma part que le texte laisse peut-être des
ouvertures sur les heures supplémentaires, notamment la tarification. Je
crains tout de même que de ne pas toucher aux quotas des 130 heures
supplémentaires annuelles, maintienne un quota élevé
d'heures supplémentaires possibles et n'intervienne pas dans les heures
effectives travaillées au sein de l'entreprise, puisqu'on ne touche pas
à ces 130 heures.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Daniel Percheron.
M. Daniel PERCHERON
- A propos d'une question posée par
M. Arthuis, je suppose que vos services ne découvrent pas les
35 heures. Et comme M. Arthuis est ministre sortant et qu'il a
accompagné la loi de Robien, j'aimerais qu'il nous fasse part de ce que
disaient, de son temps, les simulations des services de la prévision.
Nous ne voulons pas jouer au chat et à la souris avec le directeur et
découvrir d'un seul coup la réduction du temps de travail.
Vous aviez tous les éléments que vous aviez certainement
étudiés. Cela vous a sûrement amené à
préférer la méthode de Robien à la loi actuelle qui
n'a pas votre appui. Vous pourriez donc éventuellement nous donner votre
sentiment sur les prévisions qui étaient déjà
vraisemblablement réalisées. Sinon, je n'aurais pas le sentiment
d'une rigueur absolue dans ces débats et je me sentirais quelque peu
frustré.
M. Alain GOURNAC, président
-
En l'occurrence,
nous sommes dans le cadre de l'audition de M. Cotis. On a bien noté
votre demande.
M. Daniel PERCHERON
- Vous avez bien fait de la noter. Ma
liberté de ton existe comme la vôtre. Deuxièmement, une
idée m'intéresse beaucoup avec l'esquisse que vous venez de
donner en conclusion sur la loi de Robien. Car elle s'oppose totalement aux
craintes de M. Soubie.
Vous avez expliqué en gros que le premier bilan semble faire état
d'accords mûrement réfléchis, sérieusement
discutés, avec des effets d'aubaine pratiquement nuls. Bref, vous avez
tracé un tableau très positif.
Or, votre prédécesseur nous a dit que sa crainte, à partir
d'un concept qu'il acceptait et qu'il jugeait aussi intelligent qu'un autre
était que le niveau d'application, c'est-à-dire l'entreprise,
débouche sur un échec et sur des arbitrages plus
égoïstes que mûrement réfléchis.
Je voudrais que vous redisiez, avant que la publication en soit donnée
à tous, ce que vous venez de dire sur ces deux aspects tout à
fait intéressants de cette première journée. Ce qui s'est
passé avec la loi de Robien plaide en faveur de la responsabilité
au niveau de l'entreprise et sans déboucher sur le succès au
niveau de cette entreprise, alors que pour votre prédécesseur qui
est tout à fait reconnu dans le domaine social, la faiblesse du
mouvement syndical et le fait que, même si c'est inévitable, la
discussion se fasse par entreprise, ce serait plutôt de mauvais augure
pour un succès global.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. André Jourdain.
M. André JOURDAIN
- Monsieur le président, je
voudrais revenir sur deux points développés par M. Cotis. Il
a dit que le coût du travail peu qualifié était encore trop
élevé malgré les efforts faits au cours de ces
dernières années ; efforts qui ont été
stoppés par la loi de finances pour 1998.
Pourrait-il nous dire quel est le nombre d'emplois qui ont été
créés ou maintenus grâce à ces allégements de
charge sur le travail peu qualifié ?
Deuxième remarque pour aller dans son sens sur le fait d'éviter
l'alourdissement du coût des heures supplémentaires en particulier
pour les petites entreprises. C'est vrai qu'elles ont des difficultés
à transformer une augmentation de leur production par des emplois
aussitôt, et qu'elles ont besoin d'adaptation. Par conséquent, ces
adaptations ne peuvent se faire qu'en pratiquant des heures
supplémentaires. Si ces heures supplémentaires sont d'un taux
plus lourd, cela risque de casser leur développement.
Dans le projet de loi, le repos compensateur interviendrait dès la
41
ème
heure, alors qu'actuellement, elle intervient pour la
42
ème
heure, et cela au 1er janvier 1999, sans attendre le
1er janvier 2000.
Troisième observation que je partage avec Mme Dieulangard quand elle dit
qu'elle souhaiterait que les cotisations d'assurance-chômage ou
cotisations ASSEDIC soient peut-être activées en créations
d'emplois par les entreprises. Je rappelle que j'ai déposé une
proposition de loi dans ce sens. Cela dit, pour ma part, je ne l'envisage pas
avec une réduction du temps de travail. Au contraire, je souhaite qu'on
aide, par cette application, les entreprises qui ont des perspectives de
développement.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Michel Bécot.
M. Michel BECOT
-
Monsieur le directeur, j'attends
simplement une confirmation sur les enjeux macro-économiques. Vous les
avez évoqués tout à l'heure. Ne craignez-vous pas en effet
que si nous réduisons le temps de travail il faut se placer dans
l'hypothèse de la loi : les entreprises ont commencé ou vont
négocier avec les syndicats sur le maintien, voire la diminution des
salaires ou le gel des salaires sur deux ou trois ans cela constitue une
réduction du pouvoir d'achat ? Malheureusement, je crains fort que
cela crée un chômage supplémentaire, c'est-à-dire
l'inverse de ce que nous souhaitons.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Denis Badré.
M. Denis BADRE
- Deux questions, Monsieur le directeur : une
question centrale de notre débat est de savoir quel serait l'impact de
la RTT en termes d'emplois. Cet impact est-il fonction des conditions
économiques du moment, de la mise en oeuvre ou non du texte ? Si
oui, dans quelle mesure ?
Deuxième question : la transposition des conditions de mise en
oeuvre du texte dans la Fonction publique nous imposerait quel type
d'adaptation ou de précautions ? Avez-vous des
éléments de réponse sur cette importante question ?
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Franck Sérusclat.
M. Franck SERUSCLAT
- Monsieur le directeur, on a dit qu'en
France tout au moins, tout ce que l'on avait fait pour créer des emplois
n'avait jamais réussi à en créer. En revanche, il a
été fait référence à des pays qui ont pu
créer des emplois, en particulier l'Amérique.
J'aimerais savoir si, selon vous, les conditions dans lesquelles se
créent des emplois aux Etats-Unis sont compatibles avec nos conceptions
sociales, de précarité ou non de l'emploi et de la valeur du
salaire ? Pourquoi, si l'Amérique fait si bien selon M. Soubie, ne
ferions-nous pas comme l'Amérique ?
M. Alain GOURNAC, président
-
S'il n'y a plus
d'autres questions, je vous poserai deux questions, Monsieur le directeur.
Premièrement, à votre avis, les salariés sont-ils
prêts à accepter l'annualisation du temps de travail ? Quels
seraient les effets à attendre d'une flexibilité accrue ?
Deuxièmement : Sommes-nous en mesure actuellement de distinguer l'impact
en fonction des différents secteurs économiques ?
Je vous remercie d'apporter des réponses à toutes ces questions.
M. Jean-Philippe COTIS
- Je commencerai par la fin si vous le
permettez. Sur la comparaison France-Etats-Unis et sur le diagnostic
très pessimiste de M. Soubie que je ne connais pas personnellement mais
dont les publications sont réputées.
M. Daniel PERCHERON
- La dernière étude de Thomas
Piketty semble donner des clefs, sur l'hôtellerie et la restauration.
M. Jean-Philippe COTIS
-
En effet. Ce que l'on peut dire sur
la France est qu'un changement y est intervenu au début des
années 90 en matière de contenu en emplois de la croissance. On
ne peut pas passer cela par profits et pertes. Dans les années 80, on ne
commençait à créer des emplois en France qu'à
partir de 2,5 % de croissance, et à réduire le chômage
qu'à partir de 3,5 %.
Aujourd'hui, le seuil de croissance du PIB annuel à partir duquel on
crée des emplois est de 1,5 %. On est donc en bien meilleure
situation de ce point de vue. Ces progrès sont malheureusement
passés inaperçus. Pourquoi ? Parce que nous avons
changé notre dosage des politiques monétaire et
budgétaire. En effet, alors même que nous avions des conditions
macro-économique très mauvaises en Europe occidentale, nous avons
eu objectivement, un dosage des politiques macroéconomiques
inadapté avec un laxisme budgétaire et des conditions
monétaires inadaptées à la conjoncture européenne
pour des raisons diverses - réunification allemande, etc. alors
qu'aujourd'hui, nous sommes en position raisonnablement favorable pour profiter
de conditions macroéconomiques plus saines.
Si nous avions eu le même fonctionnement du marché du travail
depuis 1993 que dans le passé, avec les conditions
macroéconomiques médiocres que nous avons subies depuis lors,
nous aurions perdu 400.000 emplois de plus !
La bonne surprise, on ne la trouve pas dans l'industrie mais dans les services.
En effet, une moitié de ces créations d'emploi inattendues est
liée au développement du temps partiel dont le coût a
été réduit à partir de 1992. Nous attribuons
l'autre moitié à la baisse des charges sociales sur les bas
salaires. On peut dire à cet égard qu'il y a consensus assez
fort, même si ce n'est pas une majorité absolue, dans la
communauté des économistes pour estimer que les deux causes sont
celles-là.
Les secteurs de services étaient justement ceux où la France
était en déficit par rapport à ses partenaires du G7.
Lorsque l'on compare la France et ses partenaires du G7 -mettant de
côté le Japon qui est un peu particulier entre 1980 et 1995, nous
avons connu un même taux de croissance du PIB que les autres, mais les
créations d'emploi étaient en retrait d'un gros demi-point par
rapport à la moyenne du G7. C'est donc vraiment ce
déficit-là qui est en train de disparaître.
Dès lors, par rapport à ce que dit M. Soubie, je suis beaucoup
plus confiant dans notre capacité à profiter d'une croissance
plus forte pour créer des emplois. Encore faut-il que l'on soit en
situation ce qui semble être le cas maintenant de profiter enfin d'une
reprise robuste et d'un environnement favorable.
M. Daniel PERCHERON
- Robuste dites-vous ?
M. Jean-Philippe COTIS
-
Il s'est donc passé quelque
chose qu'il faut poursuivre. Le partage de la masse salariale a
été plus favorable à l'emploi au début des
années 1990 qu'il ne l'était dans le passé. On se
rapproche donc des pays européens qui réussissent. Ensuite, toute
la question de la RTT est de savoir comment elle s'insère dans la
stratégie économique d'ensemble et quel rôle on veut lui
faire jouer.
Les Etats-Unis ont créé beaucoup plus d'emplois, quel que soit le
niveau de qualification. Le taux de croissance de l'emploi qualifié
reste très supérieur aux Etats-Unis par rapport à la
France. Nous avons été surclassés partout. La
différence entre la France et les Etats-Unis n'est pas qu'ils aient
créé plus d'emplois chez Mc Donald. Aux Etats-Unis, le stock
d'emplois peu qualifiés n'a pas baissé comme il a pu baisser en
Europe continentale. Il ne s'est pas beaucoup accru pour autant. Le volume
d'emplois disponibles pour les salariés les moins qualifiés est
resté à peu près stable, alors qu'en Europe continentale,
il a continué à baisser. La différence est là.
Mais les Etats-Unis ont créé énormément d'emplois.
Pour autant, la situation du travail peu qualifié aux Etats-Unis n'est
pas bonne. Les plus pauvres ont perdu 20 points de pouvoir d'achat en vingt
ans. Le salaire médian a perdu du pouvoir d'achat également
En Grande-Bretagne, cela a été un peu mieux. Les salaires des
plus pauvres ont plus ou moins stagné. L'éventail des revenus
s'est fortement élargi. On ne sait d'ailleurs pas très bien dire
pourquoi. Nos amis anglo-saxons disent que c'est l'impact des nouvelles
technologies de l'information qui ont biaisé les choses. Pour ma part,
je n'y crois pas beaucoup. J'ai présidé un groupe de travail
à l'OCDE pendant un an et demi sur le sujet ; nous ne retrouvons
pas ces effets en France. Nous n'avons pas l'impression que l'ordinateur soit
responsable grosso modo de la baisse des salaires réels des Noirs
américains dans le Bronx. Il y a d'autres explications, d'autres
idiosyncrasies américaines.
M. Daniel PERCHERON
- Il y a également la baisse du
syndicalisme aux Etats-Unis qui est considérable.
M. Jean-Philippe COTIS
-
Par ailleurs, le commerce Nord-Sud
a été sous-pondéré par les économistes
américains aussi. Ils ont tendance à laisser cela de
côté pour des raisons
pro domo
. Toutes les nations gagnent
à l'échange international ; mais à l'intérieur de
chaque nation, il peut y avoir des perdants, qu'il faut dédommager,
sinon cela ne fonctionne pas. Ce qui est crédible, c'est que l'espace
économique de libre échange profite à tous les pays
participants. Mais il faut dédommager ici aussi de manière active
les perdants de l'échange, et il y en a dans au moins un pays. C'est
exactement ce que dit l'analyse économique.
Voilà ce que l'on peut dire sur la comparaison entre la France et les
Etats-Unis. Aux Etats-Unis, les salaires ont tellement baissé qu'il a
fallu subventionner par voie budgétaire les "
working
poors "
chargés de famille, ce qui nécessite un budget
considérable. Cela ne fonctionne donc pas bien.
Nous, partant d'une situation opposée, nous réduisons les
cotisations sociales sans toucher au pouvoir d'achat du SMIC même. Dans
les deux cas, on essaie en quelque sorte de faire la même chose,
c'est-à-dire que l'on essaie de faire en sorte que le coût du
travail ne soit pas une barrière à l'entrée pour les moins
qualifiés. Mais en même temps, on essaie de faire en sorte que les
moins qualifiés puissent toucher des rémunérations
suffisamment conséquentes par rapport aux revenus de remplacement pour
faire en sorte que le retour à l'emploi soit possible. Car, dans le cas
de " parents isolés ", même en France, on peut perdre de
l'argent quand on reprend un travail. C'est difficile quand on n'en a
déjà pas beaucoup. Mais ceci est un autre sujet.
Il y a un problème commun aux grands pays industriels sur l'emploi peu
qualifié. Mais comme les situations sont extrêmement divergentes,
les moyens sont différents. La solution serait que le coût du
travail peu qualifié baisse, non pas sous la forme d'une baisse des
salaires nets, mais plutôt par le biais d'une solidarité nationale
plus forte. C'est en tout cas mon avis d'économiste.
M. Daniel PERCHERON
- Vous vous libérez quelque peu,
Monsieur le directeur, vous parlez. C'est très bien !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Nous en sommes ravis. Et cela a
marché.
M. Jean-Philippe COTIS
-
Il y a eu une question très
intéressante, si je peux contribuer à éclairer les choses,
sur la flexibilité, l'annualisation, la productivité et leurs
effets en matière d'emploi. En fait, tout dépend de la situation
macro-économique dans laquelle vous vous trouvez et du rôle que
vous voulez faire jouer à la réduction du temps de travail. Si
vous êtes dans une situation de chômage keynésien,
conjoncturel et que vous n'en sortirez jamais, alors tout ce qui fait augmenter
la productivité est mauvais puisque vous avez un volume limité de
débouchés. Donc, plus vos salariés sont productifs, moins
il y a d'emplois. Dans ce cas-là, il faut donner des augmentations
salariales, il ne faut pas chercher des gains de productivité, etc. Il
ne faut rien faire pour maîtriser les coûts.
En revanche, si vous vous placez dans une situation où l'économie
est à conjoncture " normale ", concept difficile à
définir, et où ce qui compte essentiellement est la
compétitivité, la profitabilité des entreprises qui
peuvent alors recruter, vous avez alors intérêt à mettre en
place une réduction du temps de travail qui ne dégrade pas la
compétivité, qui ne dégrade pas -je n'aime pas beaucoup le
mot " flexibilité " la souplesse, l'efficacité de
l'entreprise.
Aujourd'hui, il peut y avoir la tentation de faire jouer à la
réduction du temps de travail un rôle de relance de la demande,
visant à éponger le chômage " keynésien ".
Je pense qu'il vaut mieux avoir une stratégie macroéconomique
dans laquelle la politique macroéconomique elle-même se charge de
résorber le chômage conjoncturel. La réduction du temps de
travail sert à améliorer le contenant emploi de la masse
salariale et à augmenter la masse salariale que nous anticipons dans les
années à venir ; que cela se fasse par l'emploi
plutôt que sans l'emploi.
On ne peut donc pas répondre à la question de savoir si
l'annualisation, c'est bon ou mauvais. Tout dépend du cadre dans lequel
on se situe. Je crois qu'il faut se placer dans le cadre d'une économie
qui sera revenue à une conjoncture normale après deux ans de
bonne croissance et faire un raisonnement sur le long terme en pensant que la
politique macro-économique sera capable de nous ramener à une
conjoncture normale.
L'idée selon laquelle le taux de croissance moyen de l'économie
française, de 1 % depuis cinq ou six ans, est appelé
à se prolonger ne fait pas sens. L'estimation du potentiel de croissance
de l'économie française se situe entre 2,25 et 2,5. Les
estimations fluctuent quelque peu.
Il n'y a donc pas de raison pour que l'on n'ait pas une situation normale
lorsque l'on passera aux 35 heures en l'an 2000. Dans ce cas, l'idée est
plutôt d'améliorer l'efficacité de l'entreprise et de
laisser jouer l'annualisation dans la mesure où elle constitue un moyen
de faire en sorte que le coût de l'heure supplémentaire baisse. Si
vous pouvez gérer cela en fonctionnement de pointe, cela peut aller
mieux.
Enfin, une question visait à savoir si la modération ou le gel
des salaires pouvaient éventuellement déprimer la demande. A
priori, ce qui compte dans le revenu des ménages, c'est la masse
salariale totale, c'est-à-dire à la fois les effectifs et le
salaire par tête.
Dès lors, si une entreprise bascule dans la réduction du temps de
travail, c'est parce qu'elle aura créé 6 % d'emplois
supplémentaires en réduisant la durée effective à
35 heures. En tant que tel, c'est une augmentation forte de la masse salariale.
Après, ce que l'on peut obtenir en matière de modération
des salaires n'empêchera pas que la masse salariale totale a priori
devrait augmenter, et donc, plutôt soutenir le revenu que le
déprimer.
Là où réside peut-être une inquiétude
éventuelle est que le pouvoir d'achat par tête diminuant, cela
peut générer des comportements d'épargne et de
précaution. Cela nuance quelque peu mon raisonnement. Néanmoins,
je pense que l'effet de premier rang est qu'une entreprise qui bascule, qui
crée effectivement 6 % d'emplois nets voit a priori sa masse
salariale progresser, y compris avec une modération des salaires
Sur le bilan de la DARES, je pourrais faire mention des principaux
résultats mais j'ai plutôt souhaité approfondir avec vous...
M. Alain GOURNAC, président
-
Il y a encore la
semaine prochaine.
M. Daniel PERCHERON
- Ce qui me paraît intéressant,
c'est l'opposition dans le temps, immédiate, entre le jugement de M.
Soubie qui ne doit pas être pris à la légère et les
conclusions que vous donnez sur la loi de Robien. C'est cela qui me parait
intéressant.
M. Jean-Philippe COTIS
-
Le ministère des Finances
avait une vue très prudente de la loi de Robien. Ce que l'on constate
dans le bilan est donc une surprise agréable. Mais n'ayant pas conduit
le bilan, je ne peux pas ...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- M. Percheron, je vous rappelle que
nous entendons M. Cotis, mais si vous souhaitez auditionner l'ancien ministre
de l'économie, cela ne pose pas de problème. On y consacrera le
temps qu'il faut. Il n'est pas question de ne pas avoir cet échange !
M. Daniel PERCHERON
- C'est intéressant.
M. Alain GOURNAC, président
-
Il n'y a pas de ma
part ni de la part de chaque membre de cette commission le moindre a priori.
M. Daniel PERCHERON
- Je n'en ai jamais douté.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-
Nous sommes confrontés
à un vrai problème de société. La différence
entre la loi de Robien et celle qui va être examinée dans quelques
semaines est que la loi de Robien j'y reviendrai quand l'occasion m'en sera
donnée.
M. Alain GOURNAC, président
-
La semaine
prochaine si vous le souhaitez.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- ...ne comportait pas de volet
contraignant de la réduction obligatoire du temps de travail.
M. Alain GOURNAC, président
-
Une question n'a
sans doute pas encore obtenu de réponse.
M. Jean-Philippe COTIS
- A la question de M. Badré sur la
Fonction publique, je ne peux pas vous répondre. De fait, ce n'est pas
dans le champ de la loi. Vous m'excuserez !
M. Denis BADRE
- C'est précisément parce que ce n'est
pas dans le champ de la loi que je posais la question de savoir si
c'était transposable.
M. Jean-Philippe COTIS
- C'est sans doute pour cela que j'avais du
mal à répondre. D'autre part, l'impact de la réduction du
temps de travail varie-t-il en fonction du moment ? Oui, d'une certaine
manière. Il vaut mieux lancer le mouvement au début d'une
période de reprise de manière à essayer de maximiser les
effets de la création d'emplois, et de ne pas attendre. L'idée
d'accélérer les créations d'emplois en début de
reprise est une bonne chose, afin d'éviter ce mouvement d'allongement de
la durée du chômage. Plus on peut aller vite de ce point de vue,
mieux c'est.
La théorie économique dit aussi que,
a priori
dès
lors qu'il y a plus de salariés dans l'entreprise, si les
représentants du personnel sont de " vrais
représentants ", ils seront aussi plus modérés par la
suite sur l'évolution des rémunérations puisqu'il y a
davantage d'emplois à défendre. C'est d'ailleurs ainsi que l'on
explique la réussite des économies dites nordiques. Les grands
syndicats qui se sentent responsables de l'ensemble de l'économie ne se
comportent pas du tout de la même manière dans l'arbitrage
emplois-salaires.
Cela dépend aussi des partenaires sociaux dans chaque pays, dans les cas
où cela fonctionne bien.
M. Alain GOURNAC, président
-
En avez-vous ainsi
terminé ? (
assentiment de M. Cotis)
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Un dernier mot, Monsieur le
président. Monsieur le directeur, vous faites l'hypothèse que les
salaires ne seront pas affectés. J'ignore le contenu du rapport de la
DARES, mais j'imagine mal que cela soit autre chose que l'inventaire des termes
des protocoles.
Il n'y aura pas d'appréciation sur la mise en oeuvre. Autrement dit, on
aura le catalogue des intentions manifestées par ceux qui ont
signé ces accords de loi de Robien. Il y a deux types d'accords qui se
répartissent à peu près à parité : les
accords offensifs d'une part créateurs d'emplois, et les accords
défensifs.
Je crois que dans les accords défensifs, dans la plupart des cas, il y a
réduction des salaires. C'est-à-dire qu'en contrepartie de
l'abaissement de la durée du travail, il y a une baisse du salaire.
Autrement dit, on répartit une masse de salaires entre un plus grand
nombre de personnes, mais globalement l'entreprise ne subit pas un
supplément.
M. Daniel PERCHERON
- Mais on sauve des emplois !
M. Jean-Philippe COTIS
- Si mon souvenir est exact, mais je ne
voudrais pas dire de sottise, il doit y avoir dans le bilan des
réductions de rémunération. Mais les accords offensifs
prévoient aussi des pauses. Il y a là une matière
concrète que je n'arrive pas à appréhender
complètement. Cela étant dit, il y a eu des entreprises dans
lesquelles il n'y a pas eu d'accord de modération.
M. Alain GOURNAC, président
-
Nous remercions M.
le directeur d'avoir répondu à l'ensemble de nos questions.
C. AUDITION DE M. JEAN-PAUL FITOUSSI, DIRECTEUR DE L'OBSERVATOIRE FRANÇAIS DES CONJONCTURES ÉCONOMIQUES (OFCE)
M. Fitoussi est introduit dans la salle
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la
commission d'enquête et fait prêter serment à M. Jean-Paul
Fitoussi.
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur Fitoussi,
je vous propose de vous entendre pendant une dizaine de minutes. Ensuite, le
rapporteur vous posera quelques questions auxquelles nous vous demanderons de
répondre ; puis mes collègues vous poseront des questions
avant d'entendre vos réponses à l'ensemble de leurs questions.
Vous avez la parole.
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Merci, Monsieur le président,
je vais essayer de vous dire toute " ma " vérité sur
les 35 heures, étant donné que, comme je l'imagine, les
vérités en la matière sont multiples.
Nous terminons une étude importante sur les conséquences des
35 heures. Je serai donc amené à vous donner quelques
chiffres qui ne sont pas encore définitifs ; il peuvent subir
encore quelques révisions. Mais ce sont des ordres de grandeur qu'il est
bon d'avoir à l'esprit car les équipes de l'OFCE ont tenté
d'évaluer, aussi complètement qu'il était possible, les
conséquences diverses selon les hypothèses que pouvait avoir sur
l'emploi le passage aux 35 heures.
Il convient de considérer les résultats de ces études avec
la plus grande des modesties. Il s'agit d'explorations d'un continent nouveau
le partage du travail dans une société moderne, riche de
surcroît dans un contexte nouveau pour un pays industrialisé,
celui du chômage de masse. Le comportement des acteurs n'est donc pas
extrapolable à partir du passé. Confronté à cette
radicale nouveauté, il n'est pas d'autres méthodes pour le
chercheur que de procéder par hypothèses, dont chacune est
forcément simplificatrice et dont la conjugaison ne peut que conduire
à un résultat fragile. Mais le doute n'implique pas la paralysie
car il n'est de science que d'hypothèses. Il faut donc en permanence
garder à l'esprit la nature exploratoire de ces travaux dont les
conclusions valent davantage par leur vertu pédagogique que par leur
capacité prédictive.
Par rapport à nos études antérieures sur le sujet, il
convient cependant de souligner que l'éventail des possibles s'est
notablement restreint. Il existe, en effet, un projet de loi dont les
modalités constituent autant de points de repères dans ce
territoire inconnu. Nous avons alors tenté d'établir les
conditions qui peuvent conduire à l'échec ou au succès des
35 heures, car pour les raisons précédemment soulignées,
aucune prévision n'est possible. En effet, " les
probabilités de réalisation des jeux d'hypothèses les plus
favorables ou défavorables sont, dans l'état de nos connaissances
des comportements individuels et collectifs, non quantifiables ".
Le passage aux trente-cinq heures pour les entreprises de plus de vingt
salariés (70 % de l'ensemble des salariés du secteur
marchand) peut contribuer significativement à la création
d'emplois (plus de 400.000) s'il s'effectue dans des conditions qui ne
conduisent pas à la dégradation des équilibres
macro-économiques, c'est-à-dire s'il n'a aucune
conséquence sur les coûts du travail ou du capital. Cela implique
" un effort " réciproque des différents acteurs, de
réorganisation pour les entreprises et d'acceptation d'une compensation
salariale non intégrale pour les salariés. Il est possible de
parvenir à un tel résultat de différentes manières
selon la répartition " des efforts " consentis. Ces derniers
peuvent porter de façon privilégiée sur les salaires les
plus élevés ou sur les nouvelles embauches.
L'effort de réorganisation est nécessaire pour que la
durée d'utilisation des équipements soit maintenue et non
réduite en proportion de la baisse de la durée du travail. La
compensation salariale ne doit pas dépasser initialement l'augmentation
de la productivité du travail (environ 30 % de la RTT)
abondée par les subventions des pouvoirs publics, c'est-à-dire
par une baisse des cotisations sociales correspondant aux 5.000 Fr. de
subvention par salarié prévue par la loi.
L'un des intérêts de l'étude est de montrer que d'une part,
" l'effort " demandé collectivement aux salariés n'est pas
considérable -les 35 heures ne seraient pas payées 39, mais un
peu plus de 37- et que " cet effort " pourrait encore être
réduit si les entreprises profitaient de la loi pour augmenter la
durée d'utilisation de leurs équipements. On devrait mettre le
mot effort entre guillemets. Car il pourrait s'agir de fait non pas d'un
sacrifice, mais d'un investissement dont la rentabilité pourrait
être beaucoup plus élevée qu'on ne le croit. Les
salariés ont collectivement intérêt à la croissance
de l'emploi car elle réduit la précarité de leur condition
et qu'elle est donc promesse de revenus plus élevés dans
l'avenir. Les entreprises ont intérêt à repenser leur
gestion, car cela est gage d'une plus grande efficacité future et
producteur d'une externalité sociale positive. Le scénario choisi
est favorable parce qu'il ne coûte pas un sou supplémentaire aux
entreprises. En d'autres termes, les acteurs réalisent un échange
inter-temporel profitable qui accroît le bien-être de chacun.
Evidemment, si les conditions favorables énumérées par
l'étude n'étaient pas réunies, l'effet sur l'emploi des
35 heures en serait amoindri, et les conséquences
macro-économiques en seraient défavorables au point que l'on peut
se demander si le jeu en vaudrait la chandelle.
Parmi les différents scénarios envisageables, je n'en citerai que
deux.
Le premier suppose qu'il n'y ait ni réorganisation, ni compensation
salariale, ni baisse des cotisations sociales. Il en résulte une baisse
du revenu des ménages. L'absence de recyclage des économies
réalisées du fait de la baisse du chômage équivaut
à une politique restrictive. L'absence de réorganisation diminue
la productivité moyenne du capital, ce qui pèse à terme
sur les coûts de production du fait des investissements
supplémentaires nécessaires pour compenser la baisse des
capacités de production.
Dans ce scénario, au bout de trois ans, l'emploi augmente, certes
d'environ 400.000, ce qui suscite une certaine tension sur les salaires, et de
fait une compensation salariale ex-post du fait de cette tension. Mais les
effets défavorables conduisent à une baisse du PIB d'environ
2 %, qui rétroagit négativement sur l'emploi. Cette
évolution de la production entraîne également une baisse
des recettes fiscales qui conduit à une hausse des déficits
publics.
Ce scénario illustre le fait que les 35 heures, même non
compensées, et donc a priori neutres sur les coûts salariaux, ont
potentiellement des effets négatifs sur la croissance, l'inflation et
les grands équilibres macro-économiques si elles ne sont pas
accompagnées d'un effort de réorganisation des entreprises.
Le second scénario ajoute au premier l'hypothèse d'une
compensation salariale intégrale. L'emploi n'augmenterait quasiment pas,
un peu plus de 100.000 à long terme. Mais les équilibres
macro-économiques seraient profondément dégradés.
Le PIB baisserait de près de quatre points à long terme, et
l'inflation serait beaucoup plus importante. Les prix à la consommation
seraient plus élevés d'environ 8 points au bout de trois ans.
Mais il dépend de la bonne tenue de la négociation sociale et de
l'intérêt bien compris des acteurs collectifs qu'il n'en soit pas
ainsi. Pour les économistes habitués à raisonner en termes
d'agents micro-économiques rationnels surtout en ces temps de
montée de l'individualisme la seule chose qu'il soit possible d'affirmer
est que la loi sera d'autant plus efficace qu'elle mettra en place un
système d'incitations et de contraintes tel que les choix individuels
égoïstes conduisent spontanément au bien commun. Elle
jouerait alors le rôle de la main invisible qui harmonise les
intérêts individuels, selon la métaphore d'Adam Smith.
A moins encore que le modèle pertinent dans la société
française aujourd'hui soit celui du " fou rationnel ", qui
selon la conceptualisation de Sen, désigne l'individu calculateur mais
non dépourvu de sentiments altruistes, en ce qu'il attache de
l'utilité au bonheur des autres. Pour cela, il serait disposé
à partager son travail et son revenu de façon suffisante pour que
chacun trouve un emploi. Il serait alors théoriquement possible de fixer
la durée du travail pour qu'à tout moment, toute la population
active disponible soit employée à temps partiel,
c'est-à-dire que le déséquilibre du marché du
travail soit partagé entre tous et non pas supporté par
quelques-uns.
En elle-même l'idée est généreuse. Elle revient
à partager de façon beaucoup plus équitable le fardeau du
chômage, sans le réduire globalement. On sent percer chez les
économistes de l'OFCE qui ont procédé à
l'étude une pointe de regret. La loi sur les 35 heures est
crédible parce qu'elle est réaliste. Mais,
précisément pour cela, le partage du travail ne décrit
plus l'utopie d'une société devenue si solidaire qu'elle fournit
un travail à chacun et à laquelle ils avaient rêvé
dans un précédent travail. En devenant loi, l'utopie devient
réaliste, mais divise par presque cinq leurs espérances : 400.000
emplois au lieu des 2.000.000 auxquels ils avaient rêvé lors d'une
précédente simulation. Ils sont cependant suffisamment rompus
à l'analyse macro-économique pour reconnaître que pour
limité qu'il soit " il s'agit d'un résultat
intéressant que peu de politiques peuvent égaler ".
Je ne suis pas loin de partager leur sentiment, mais pour d'autres raisons. La
réduction du temps de travail est un objectif en soi de toute
société humaine. Il témoigne de ce que la lutte contre la
rareté, qui est le contenu même de l'activité
économique, est victorieuse. La " fin du travail " est
éminemment désirable car elle signifierait alors que nous aurions
trouvé le secret de l'abondance. Ce qui est gratuit n'a, du moins en
économie, pas de valeur, et il n'est nul besoin de travailler pour
l'obtenir. Mais on ne peut sérieusement soutenir que tel est le cas
aujourd'hui, en raison même de l'immensité des besoins non encore
satisfaits.
L'histoire de la croissance est
l'histoire de la réduction de la
durée du travail, car la croissance économique rend solvable
" la demande " de loisirs. C'est parce que nos sociétés
ont aujourd'hui un niveau de vie incomparablement plus élevé que
celui qui les caractérisait il y a 50 ans que l'on y travaille beaucoup
moins. Et il est presque de l'ordre de la certitude -sauf accident de
l'histoire que l'on travaillera encore beaucoup moins dans cinquante ans. C'est
que l'arbitrage entre travail et loisir devient de plus en plus favorable au
loisir à mesure que les niveaux de vie s'élèvent.
Mais une chose est de constater une évolution spontanée, la
réduction de la durée du travail, lorsqu'elle se déroule
dans un contexte de progrès économique et social ; une autre est
de vouloir contraindre cette évolution, en justifiant cette contrainte
par l'absence même de perspectives de progrès. La réduction
du temps de travail est une fin en soi de l'activité économique,
mais il me paraît improbable qu'elle constitue un remède à
la pénurie d'emplois en période de crise.
Il est une seconde raison pour laquelle la réduction de la durée
du travail peut être considérée comme un objectif
désirable en soi. Dans une économie caractérisée
par un chômage de masse, les rapports de force entre acteurs sont
profondément déséquilibrés au détriment du
travail. La baisse du temps de travail est alors conquête sociale si elle
rétablit un espace de négociations entre salariés et
entrepreneurs que le déséquilibre des rapports de force entre
acteurs avait réduit à sa plus simple expression.
Par contre, la réduction du temps de travail comme moyen de lutte contre
le chômage, m'apparaît beaucoup moins fondée si elle est
conséquence d'un renoncement, consenti ou contraint, à des
politiques de croissance. Elle est alors une solution de résignation
dont le bon côté est qu'elle repose sur la solidarité, mais
dont le risque est qu'elle accrédite l'idée que l'offre de
travail est devenue surabondante et qu'il n'est d'autre solution d'avenir que
de la rationner. On sait à quels errements une telle philosophie peut
conduire.
L'étude de l'OFCE montre certes que la loi des 35 heures peut
contribuer, dans les conditions les plus favorables, à la
création d'emplois. Mais elle montre aussi qu'il ne faut en attendre
qu'une réduction d'un point du taux de chômage. C'est
évidemment important, mais -on le concevra aisément- pas vraiment
à la hauteur du déséquilibre de l'emploi en notre pays.
" Tout ça pour ça " pourrait-on dire.
En bref, la réduction du temps de travail est un objectif souhaitable
pour les deux premières raisons. D'une part, nos sociétés
sont suffisamment riches pour que le gouvernement soit fondé à
les inciter à modifier leur arbitrage entre travail et loisir en
anticipation de la croissance à venir, à condition que celle-ci
advienne vraiment ; d'autre part elle accroît le pouvoir de
négociation des salariés qu'une trop longue période de
stagnation avait considérablement affaibli. Mais elle ne doit en aucun
cas être considérée comme un substitut à une
politique d'expansion qui, seule, permettra de retrouver vraiment le chemin de
la croissance et de la réduction spontanée de la durée du
travail. Les gouvernements ne devraient pas définitivement renoncer
à l'usage des instruments de la politique économique pour vaincre
le chômage.
M. Alain GOURNAC, président
- Je donne la parole au
rapporteur qui va vous poser quelques questions
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Je remercie M. Fitoussi pour sa
communication et de nous livrer les éléments d'une étude
qui va être prochainement publiée.
Votre prédiction reste relativement optimiste même si elle est
seulement autour de 400.000 créations d'emplois, ce qui, dans le
contexte actuel est toutefois un acquis très significatif. Vous
évoquez la nécessité de la croissance. Comment situez-vous
cette croissance par rapport aux contraintes budgétaires ? Cela
vous mène-t-il à des préconisations de rupture par rapport
à la politique budgétaire ?
Autrement dit, le cadre plus général dans lequel se trouve la
France aujourd'hui constitue-t-il à vos yeux le principal frein à
la croissance et à la création d'emplois ?
En second lieu, je voudrais vous demander si dans votre étude vous avez
pu scinder les comportements d'entreprises par rapport à la
réduction du temps de travail selon qu'il s'agit de grandes ou de
petites entreprises dans lesquelles la flexibilité, en tout cas la
réduction, est beaucoup moins évidente et la
réorganisation très difficile. De même, la situation
d'entreprises qui comptent des effectifs par dizaines de milliers mais qui
répartissent leurs effectifs par petites unités au sein
desquelles il est difficile de procéder à des réductions
substantielles de la durée du temps de travail.
Je voudrais vous demander si cette voie réglementaire et l'accroissement
du coût des heures supplémentaires ne risquent pas, à
l'heure de la mondialisation, de freiner l'attractivité du territoire
économique français ? Autrement dit, ne risque-t-on pas de
subir des délocalisations ou de ne pas être en mesure d'attirer
des entreprises. Je sais que Toyota s'installe en France, il faut s'en
réjouir, mais je ne suis pas sûr que les salaires
représentent une part significative dans la valeur ajoutée de ce
groupe.
Accessoirement, au-delà des délocalisations territoriales, n'y
a-t-il pas des risques de délocalisations dans des activités
clandestines qui commencent à prendre de la substance dans notre
économie ?
Enfin, peut-on imaginer des alternatives à la réduction de la
durée hebdomadaire du travail ? Qu'est-ce qui vous paraîtrait
le plus satisfaisant en terme de flexibilité et peut-être
d'annualisation du temps de travail ?
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur Fitoussi,
vous pourriez peut-être répondre immédiatement à
notre rapporteur.
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Monsieur le président, il
s'agit d'une liste de questions importantes. Sur la première question
qui concerne la conception que j'ai de ce que devrait être la politique
économique aujourd'hui et des contraintes qui pèsent sur elle, je
commencerai par une remarque. Ce que l'expérience des dix ou quinze
dernières années suggère est qu'une trop grande contrainte
sur le maniement des instruments de la politique macro-économique,
à savoir les politiques monétaire et budgétaire,
s'accompagne généralement d'un très grand degré
d'interventionnisme. à savoir que la passivité
macro-économique a pour coût un certain activisme structurel. La
raison en est que les gouvernements ne peuvent pas rester passifs devant la
montée d'un déséquilibre tel que le chômage et
qu'ils sont contraints de trouver des solutions de résignation, telles
que le traitement social du chômage ou les subventions à l'emploi.
Finalement, en termes de bien-être, cela n'est pas nécessairement
favorable. Je crois qu'une politique structurelle n'est pas un substitut
à une politique macro-économique.
Dans quelle mesure ? On le voit bien pour la loi des 35 heures : les 35
heures sont un substitut à la possibilité de pratiquer une
politique de relance si on veut faire quelque chose pour l'emploi.
Il est curieux de constater que nous avons atteint un résultat assez
paradoxal : plutôt que, par exemple, de baisser les
prélèvements obligatoires d'un point ou de permettre une
augmentation d'un quart de point du déficit budgétaire, on
préfère réorganiser l'ensemble de la société
en réduisant la durée du travail. Cela étant il existe des
contraintes pour la politique macro-économique, contraintes que
génère la construction européenne.
Ces contraintes notamment le pacte de stabilité pourraient être
mieux comprises si elles l'étaient collectivement par l'ensemble des
gouvernements européens puisqu'on peut aisément montrer qu'une
politique de baisse des prélèvements obligatoires à
l'échelle européenne ne conduirait à aucun déficit
supplémentaire au bout d'un an en raison de l'élargissement de la
base fiscale qu'implique le supplément de croissance que cette politique
susciterait.
On voit bien qu'il y a un blocage ici qui est d'ordre institutionnel et
politique davantage que d'ordre économique, parce que jamais les
conditions de réussite d'une politique expansionniste n'ont
été aussi favorables.
D'une part, il n'y a pas de contrainte extérieure c'est le moins que
l'on puisse dire puisque les échanges extérieurs dégagent
un excédent considérable. D'autre part, il n'y a pas de risque
d'inflation c'est le moins que l'on puisse dire on est systématiquement
en-dessous, en termes d'objectifs d'inflation, de ceux que se fixent les
autorités monétaires. Les entreprises sont globalement,
même si leur situation est diverse, dans une situation de bonne
profitabilité puisque la part de profit dans le revenu national est
important. Elles ont la capacité financière d'investir puisque le
secteur des entreprises pour la quatrième année
consécutive dégage un excédent financier, ce qui est un
comble pour un investisseur, pour l'agent en charge de l'investissement.
Que l'agent en charge de l'investissement soit créditeur net de la
nation apparaît extraordinairement paradoxal, quasiment non
répertorié dans les manuels de macro-économie. Toutes ces
conditions font qu'une politique d'expansion économique peut être
efficace. Mais cette politique est empêchée et il dépend de
la bonne intelligence entre les gouvernements européens que cet obstacle
puisse être surmonté. Mais en l'absence de cette
possibilité, on voit bien que, dans ce cas, les gouvernements sont
contraints à l'action structurelle.
Pour répondre à votre deuxième question les entreprises
ont-elle les mêmes marges de réorganisation selon qu'elles sont
grandes ou petites ? nous n'avons simulé que l'effet pour les
entreprises de plus de vingt salariés. Evidemment, nous n'avons pas une
très grande expertise en termes de réorganisation des
entreprises. Il existe cependant des expériences de conduite de
réduction du temps de travail dans le passé. Notamment, des
expériences de réduction du temps de travail qui ont
été menées dans le cadre de la loi de Robien. Ces
expériences ont été étudiées,
intégrées ; nous avons essayé d'en tirer la
substance. L'une des conclusions de l'étude est que
généralement, la durée effective du travail converge
autour de la durée légale je suppose que votre question devient
beaucoup plus complexe pour les entreprises très petites parce que l'on
passe au-dessous du seuil de vingt salariés. En tout cas, pour les
entreprises de vingt salariés je parle bien ici des entreprises et non
pas des établissement que vous avez évoqués tout à
l'heure, et il se peut qu'une entreprise de plus de vingt salariés ait
plusieurs établissements qui fait que chaque entité ne compte
finalement que 7 ou 8 salariés...
M. Alain GOURNAC, président
-
Les banques par
exemple.
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Dans ce cas, on voit bien que la
réduction du temps de travail peut poser de graves problèmes,
mais qu'elle peut aussi en résoudre si elle s'accompagne d'une
flexibilité de la durée annuelle du travail.
Il y a donc là une possibilité d'échange profitable entre
salariés et entrepreneurs pourvu que les intérêts de chacun
soient préservés, et que la flexibilisation du temps de travail
annuel ne soit pas trop grande. Tout est affaire de degré, de bonnes
négociations, et les pouvoirs publics ont un rôle à jouer.
Quant à votre question sur la voie réglementaire, il y a deux
solutions concernant la réduction du temps de travail. Il y a la voie
incitative, qui est coûteuse même si elle est efficace. On l'a vu
pour la loi de Robien. La voie réglementaire ne l'est pas, en principe.
Sur les conséquences en terme d'accroissement du coût des heures
supplémentaires, je vois plusieurs scénarios : celui que je
vous ai présenté en premier qui est dessiné pour qu'il
n'en coûte rien aux entreprises. Pas d'augmentation du coût du
travail en France. Et donc, il n'y a pas d'effet sur la profitabilité et
la rentabilité des entreprises du fait du passage aux 35 heures.
Pour cela, il faut que tout se passe bien. Dans ce cas, si le scénario
favorable prévaut, ce n'est que ce scénario qui aboutit à
la création de 400.000 emplois, au bout de 3 à 4 ans ! C'est
pourquoi je dis " tout cela pour cela ". Ce ne sont pas
400.000
emplois qui se produiraient au second semestre 1998 !
Il dépend des acteurs d'avoir une bonne intelligence de la
négociation pour qu'il n'y ait pas de conséquences
défavorables en termes de choix de localisation, ni sur les
activités clandestines. Je ne sais pas si ainsi j'ai répondu
à votre question.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous remercie.
La parole et à M. André Jourdain.
M. André JOURDAIN
- Monsieur le président, lorsque je
me suis manifesté pour poser une question, j'étais en fait
resté sur ma faim après l'exposé de M. Fitoussi. Mais
suite aux questions du rapporteur, M. Fitoussi vient d'apporter quelques
précisions.
Néanmoins, sur le scénario qui l'amène à des
créations d'emplois, vous aviez précisé que 400.000
emplois dans trois ou quatre ans s'accompagneraient quand même de
problèmes sur les déficits, si j'ai bien compris ?
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Dans le scénario favorable, le
gouvernement se contente de recycler en termes de baisse des cotisations
sociales ce qu'il payait en termes d'indemnisations du chômage, de sorte
qu'il n'en coûte pas un sou au budget de l'Etat. Et il n'y a aucun effet
sur le déficit budgétaire. Il y a même un léger
excédent puisqu'on a calculé dans le scénario favorable
que 5.000 francs par salarié représentait moins que
l'économie réalisée du fait de la baisse des
indemnités de chômage.
Par contre, dans le scénario défavorable, il y a augmentation du
déficit public, non pas du fait de la subvention à l'emploi de la
part du gouvernement mais du fait de la baisse de la production - du taux
de croissance - qui réduit les recettes fiscales et qui
génère donc le déficit public. Voilà pour le
scénario défavorable.
M. André JOURDAIN
- Excusez-moi d'avoir mal compris. Je
souhaiterais, Monsieur le président, que l'on nous transmette le texte
de l'intervention.
M. Alain GOURNAC, président
-
Nous l'avons
photocopié pour vous le remettre. La parole est à M. Yann
Gaillard.
M. Yann GAILLARD
- Vous nous avez dit que le
bénéfice attendu en termes d'emplois serait au mieux de 400.000
emplois dans un délai dont la longueur m'a étonné. Vous
conditionnez ce résultat favorable à un certain nombre de
facteurs difficiles à réunir.
Avez-vous un chiffre sur les bénéfices minimums que l'on peut en
attendre ? Au mieux, c'est 400.000. Au pire, y aura-t-il quand même
100.000 emplois, ce qui était à peu près le chiffre que
nous a donné M. Soubie, ou cela peut-il être zéro ?
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole et
à Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
M. Marie-Madeleine DIEULANGARD
- Une question très simple
sans être simpliste : vous avez dit que la réduction du temps de
travail ne pouvait pas représenter un remède au chômage.
C'est bien un objectif mais elle ne peut représenter un remède au
chômage d'autant moins qu'elle s'accompagnerait d'un refus de certaines
contraintes et d'un renoncement à la croissance.
Est-ce qu'il y a des solutions plus favorables que le scénario qui nous
est proposé à travers ce texte de loi qui, bon an mal an et en
acceptant certaines contraintes et certains efforts, pourrait aller
jusqu'à 400.000 créations d'emplois, et est-ce que d'autres
scénarios ont été élaborés qui pourraient,
selon vous, mieux correspondre à un remède au
chômage ? C'est tout simple.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Michel Bécot.
M. Michel BECOT
- Ma question est similaire à celle de
Mme Dieulangard. La réduction du temps de travail a pour objectif
de faire diminuer le chômage et donc de provoquer une création
d'emploi. A-t-on exploré d'autres solutions ? Vous l'avez
certainement fait, mais a-t-on exploré la possibilité qu'en
diminuant les charges sociales des entreprises, on arrive à un
résultat bien supérieur ? Cela a-il été
exploré ?
M. Alain GOURNAC, président
-
S'il n'y a pas
d'autres questions, je voudrais pour ma part revenir sur trois points. Premier
point : le seuil de vingt salariés ? Ne pensez-vous pas qu'il y
aura des effets de seuil ? Aujourd'hui, déjà nos entreprises
rencontrent de grandes difficultés quand il y a des obligations
au-dessus de X salariés au niveau syndical, comité d'entreprise,
etc.
Deuxième souci : vous parlez de 400.000 emplois. Dans votre
étude, avez-vous une première approche différenciée
selon les secteurs économiques ? Dernière réflexion
qui contient une question : S'il doit y avoir réorganisation -vous
avez dit que pour réussir cette réduction, il faut envisager la
réorganisation au sein de l'entreprise ainsi que respecter une certaine
modération salariale- pendant combien de temps pensez-vous que les
salariés vont accepter une modération salariale ?
M. Jean-Paul FITOUSSI
- A la question combien d'emplois on
pourrait créer dans le pire des scénarios, la réponse est
un peu plus de 100.000, mais avec une baisse de croissance, avec une inflation
plus élevée, avec peut-être des problèmes de
contraintes extérieures qui émergeraient à nouveau. Ce
n'est pas un partage à somme constante, c'est un partage d'un
gâteau qui se réduit.
Sur ce que sont les autres remèdes, j'insiste sur ce que je disais
initialement, à savoir que si les instruments de la politique
économique ne sont pas disponibles, il faut bien que le gouvernement
fasse quelque chose. Excusez-moi d'être aussi franc, parmi ces mesures,
on ne voit guère autre chose que le traitement social du chômage
l'expérience passée n'a pas produit de résultats
très probants ou le partage du travail.
Il y avait d'ailleurs un certain consensus entre l'ensemble des partis
politiques responsables en France pour penser que le partage du travail
était une solution. La loi de Robien figurait au programme du
précédent gouvernement, et la loi sur les 35 heures fait partie
du programme de ce gouvernement.
Pour les autres remèdes, il y en a. Je viens de réaliser une
étude qui n'est pas encore publique avec un économiste
américain du MIT
(Massachussets Institute of Technology)
. sur la
question de savoir quel taux de croissance serait nécessaire en France
pour que, dans un horizon de 5 ans, on revienne à un taux de
chômage de 7,5 %, soit - 5 points de chômage en moins par
rapport à aujourd'hui. On aboutit au résultat que le taux de
croissance nécessaire serait de l'ordre de 3,6 à 3,8 % par
an. Ce n'est pas extraordinaire, c'est à portée de main. Surtout
dans les conditions favorables que j'ai soulignées. Mais pour
débloquer la croissance, il faut bien qu'il y ait une action des
pouvoirs publics. Cette action, nous l'avons imaginée comme
résultant d'une politique concertée à l'échelle
européenne. Elle consisterait à baisser les cotisations sociales
payées par les salariés.
Pourquoi les cotisions sociales payées par les salariés ?
Parce que cela aboutit à une augmentation de salaire net, et donc
à un effet de demande important. Mais c'est l'intérêt de la
mesure à terme, qu'il s'agisse d'une baisse des cotisations sociales
salariés ou d'une baisse des cotisations sociales employeurs, c'est la
même chose puisque cela réduit le coût du travail à
moyen terme.
Si cette politique était conduite à l'échelle
européenne, elle impliquerait une baisse des cotisations sociales
salariés équivalant à 2 points de PIB en 5 ans, dans ce
cas on atteindrait effectivement cette croissance de 3,8 - 4 %.
Il pourrait donc y avoir une solution au problème de chômage.
L'intérêt de cette mesure est qu'elle n'engendre aucun
déficit budgétaire supplémentaire parce que toute
politique de relance conduite à l'échelle européenne a un
effet multiplicateur beaucoup plus grand sur l'activité, qui fait
croître beaucoup plus rapidement la base fiscale. Dans notre jargon
économiste, on dit que le multiplicateur à l'échelle
européenne est beaucoup plus élevé que le multiplicateur
à l'échelle nationale.
On voit donc bien qu'il y a une possibilité de solution par le haut au
problème du chômage. Il ne faut pas renoncer à la
croissance. La croissance est quand même l'objectif naturel de
l'activité économique.
Sur les effets de seuil, je ne sais pas y répondre. Il y aura
probablement des effets de seuil. On peut supputer qu'ils seront d'autant moins
importants que l'on connaîtra rapidement les conditions du passage aux
35 heures des entreprises de moins de vingt salariés. Il y a
là un problème d'information important à prendre en compte.
Sur les conséquences différenciées, il est évident
que la création d'emplois nette est de 400.000 c'est un ordre de
grandeur j'y insiste, ce ne sont pas des chiffres définitifs lorsque
toutes les conditions favorables sont réunies.
La tendance générale est celle d'une baisse des effectifs dans le
secteur industriel et d'une augmentation des effectifs dans les secteurs des
services. Il y a une aide à la création d'emplois un peu plus
importante dans les secteurs des services qui compense une réduction des
effectifs dans le secteur industriel. Mais à part cette grande division
en secteurs, nous ne savons pas aller plus finement dans le détail.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-.Je voudrais revenir sur le rapport
introductif de M. Fitoussi. Vous dites que nous n'avons pas de marge de
manoeuvre macro-économique ou budgétaire. On fait donc du
structurel. Je voudrais lui demander si le structurel que l'on fait depuis dix
ans est vraiment du structurel ? En effet, on corrige à la marge
par des opérations qui ont sans doute un impact social et surtout
médiatique important. Mais je ne suis pas sûr que l'on assiste
à une vraie réforme de l'Etat et aux transformations que l'on
attend.
Lorsque l'on s'interroge sur le temps de travail que chaque citoyen va
effectuer au cours de l'ensemble de sa vie, on découvre que la France
est déjà dans une situation très allégée
compte tenu des préretraites et de l'entrée tardive dans le monde
du travail. Il y a de ce fait plus que des interrogations sur la
pérennité des systèmes de financement des retraites dans
notre pays. Je voudrais donc être sûr de me pas me méprendre
sur la qualification de structurel que vous avez donnée aux politiques
conduites depuis une dizaine d'années, et je me demande si c'est
vraiment à la mesure des problèmes structurels et de quelques
archaïsmes que nous avons du mal à déverrouiller.
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Je vous répondrai en
étant encore plus franc. Pour moi, le mot structurel n'a aucune
connotation positive ou négative d'emblée. Il peut y avoir de
bonnes ou de mauvaises réformes structurelles. Comment décrire
une action gouvernementale qui, au lieu de s'exercer au niveau de la
régulation globale, essaie de faire de l'interventionnisme pointu ?
On peut la qualifier de " structurel désordonné ". Ce
serait la qualification du structurel des dix dernières années.
On voit bien que ce " structurel désordonné " est
appelé à croître du fait du mouvement des chômeurs.
Il s'agira bien d'y répondre.
Il ne s'agit pas de jeter la pierre au gouvernement. Il faut bien
répondre aux situations d'urgence. De sorte que plutôt que
" structurel désordonné ", ce serait plutôt du
" structurel sans projet ", du structurel en réponse aux
souffrances de la société qui apparaissent plus visibles selon
les moments et les époques. Cela dit, il ne s'agit pas de vraies
réformes structurelles. Une vraie réforme structurelle implique
que l'on ait des marges de manoeuvre au niveau macro-économique. Par
exemple, on a rarement vu une réforme fiscale à
périmètre constant parce qu'elle est généralement
alors inacceptable.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- L'exercice est difficile.
M. Jean-Paul FITOUSSI
- Elle est généralement
inacceptable. Une vraie réforme fiscale se fait d'autant mieux qu'il est
possible d'accroître le déficit budgétaire. Mais alors le
déficit qui résulte de cette réforme fiscale est un
investissement sur l'avenir puisque l'on attend de la réforme fiscale
structurelle, globale, une vraie réforme fiscale, des
bénéfices importants dans l'avenir. Voilà.
Je n'ai jamais pensé qu'il y avait une relation de
substituabilité entre la politique structurelle et la politique
macro-économique. Pour conduire à bien une politique
structurelle, il faut que l'on ait une bonne politique macro-économique.
Si la politique macro-économique n'est pas idéale, les
réformes structurelles s'en ressentiront et ne seront pas idéales
non plus.
M. Alain GOURNAC, président
-
S'il n'y a pas
d'autres questions à M. Fitoussi qui a répondu à
l'ensemble de nos demandes, nous allons le remercier.
M. Paul Girod, vice-président, prend la présidence.
D. AUDITION DE M. JEAN MARIMBERT, DIRECTEUR DES RELATIONS DU TRAVAIL AU MINISTÈRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ
M. Marimbert, directeur des relations du travail au
ministère de l'emploi et de la solidarité, est introduit dans la
salle
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la
commission d'enquête et fait prêter serment à M. Jean
Marimbert.
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur Marimbert
nous vous demanderons de parler dix minutes, après quoi notre rapporteur
vous posera quelques questions auxquelles vous répondrez avant
d'entendre la suite des questions de nos collègues pour vous permettre
d'apporter une réponse globale à l'ensemble des interventions.
Vous avez la parole.
M. Jean MARIMBERT
- J'ai donc préparé la trame
d'une intervention de présentation liminaire. Je ferai tout d'abord
quelques observations de portée générale en
commençant par la dimension historique du sujet. Je voudrais rappeler
que la durée du travail a toujours été au coeur de la
construction du droit du travail dans notre pays, et plus récemment des
rapports entre loi et négociation. Quand on jette un regard sur
l'histoire sans entrer dans le détail puisque tel n'est pas le propos
aujourd'hui jusqu'au XIX
ème
siècle, la durée du
travail a été le premier si ce n'est le premier sujet
traité dans le cadre de la construction du droit du travail. Cela
dès le milieu du XIX
ème
siècle. La
première loi importante à cet égard est la loi du 22 mars
1841 qui, pour la première fois, a introduit une notion de durée
maximale de durée du travail.
Je ne rappellerai pas toutes les étapes mais je voulais souligner qu'au
fil du temps, cette caractéristique, cette importance de la durée
du travail, conçue au départ comme une norme de la protection de
la santé des salariés, s'est perpétuée dans le
temps avec les changements importants que nous avons vécus. Le plus
important est que le cadre temporel dans lequel a légiféré
le législateur s'est déplacé. A l'origine, c'était
la journée. Petit à petit, cela a glissé vers la semaine.
Au fil du temps, et notamment avec l'apparition des congés payés
dont la durée a varié, la notion de durée du travail s'est
plutôt portée sur l'année. Cela n'enlève rien
à la place de la durée du travail.
Je voudrais également souligner un élément
générateur de beaucoup de confusion parfois dans les
débats. Alors qu'au départ, le législateur traitait
exclusivement de la durée maximale du travail, au fil du temps -il a
fallu attendre le milieu de XX
ème
siècle il s'est
intéressé à la notion de " durée
légale " du travail, indépendamment de la durée
maximale. Ce dont il sera question prochainement dans le cadre des travaux des
deux Assemblées porte bien sur la durée légale du travail
en tant qu'elle sert de point de référence pour déclencher
le régime des heures supplémentaires d'une part, et en dessous,
le régime du chômage partiel. Il ne s'agit donc pas des
durées maximales ; ce n'est pas enfoncer une porte ouverte que de
le souligner car cela permet de rappeler que la durée du travail
effective qui peut être pratiquée dans telle ou telle entreprise
peut s'écarter de la durée légale qui n'est pas une
durée d'ordre public absolu, mais qui a une autre utilité.
Je voudrais rappeler que plus récemment, dans les vingt à
vingt-cinq dernières années, la durée du travail a
été un enjeu privilégié de l'interaction entre la
loi et la négociation. Je n'infligerai pas à votre commission un
rappel détaillé des allers-retours entre lois et
négociations sur ce sujet puisque cela sera un élément de
discussion dans le cadre des débats sur le projet de loi. Pour prendre
des exemples récents, on s'aperçoit que le législateur a
été amené assez souvent à intervenir, soit pour
remédier à des échecs partiels ou des insuffisances de la
négociation, soit au contraire pour étendre ou
généraliser par la loi des éléments relatifs
à la durée du travail introduits par la négociation.
Exemples concrets : l'ordonnance de 1982 ou la loi du début de
l'année 1986 font suite à des phases de relatif échec de
la négociation. En sens inverse, les troisième et
quatrième semaines de congé, en leur temps, ont été
étendues après des avancées qui, au départ, avaient
été négociées au niveau de telle ou telle
entreprise précise ou de telle ou telle branche. Voilà pour la
dimension historique que je souhaitais rappeler.
Deuxième grande remarque, la conception de la réduction de la
durée du travail actuellement développée me paraît
se distinguer assez nettement des visions de la réduction du temps de
travail qui avaient pu exister et être professées dans les dix ou
quinze dernières années.
Je m'explique : tout part d'une analyse macro-économique - que je ne
suis pas le plus qualifié pour apprécier dans mes fonctions de
directeur des relations du travail -qui doit être rappelée parce
qu'elle est centrale dans le raisonnement. L'analyse macro-économique,
qui a été développée au moment de
" l'après-conférence de l'automne " part de
l'idée que les tendances spontanées de l'évolution
économique sur les années à venir, telles qu'on peut les
prévoir, ne permettent pas de mordre significativement sur le
chômage, même en faisant des hypothèses de croissance
relativement optimistes de l'ordre de 2,5 - 3 % qu'on aimerait
bien voir se réaliser. Et même en tenant compte de ce que -fait
plutôt positif ces dernières années- il semble que le seuil
de croissance à partir duquel on se met à créer des
emplois nets dans ce pays, se soit quelque peu abaissé. Autrement dit,
le contenu en emploi de la croissance se serait quelque peu
amélioré au cours de ces dernières années.
Malgré cela, nous disent en effet les macro-économistes, les
prévisions spontanées mènent en fait au mieux à une
stabilisation du chômage, ou à une réduction comprise entre
60 et 70.000 chômeurs.
Dans ce contexte, d'un point de vue strictement intellectuel, on est
amené à se dire qu'on peut difficilement se passer d'une variable
comme le temps de travail si l'on veut dépasser cette contradiction et
développer des politiques structurelles en faveur de l'emploi. On est
amenés à considérer que la variable temps de travail est
un des éléments incontournables d'une panoplie d'actions
structurelles en faveur de l'emploi.
J'oppose les actions structurelles aux actions classiques d'intervention
à court terme sur le marché du travail. Loin de moi l'idée
que ces actions sont inutiles. Elles sont très utiles, ne serait-ce que
pour améliorer les chances d'insertion d'un certain nombre de
salariés particulièrement fragiles et, comme disent les
spécialistes, pour " changer l'ordre dans la file
d'attente ".
Elles sont donc très utiles mais incontestablement insuffisantes.
Il faut des politiques structurelles au nombre desquelles la politique du temps
de travail, sachant qu'il en existe d'autres -ce n'est pas le propos
aujourd'hui qui doivent certainement être tout autant
développées : l'allégement du poids indirect du
travail non qualifié, le développement continu des
compétences par l'amélioration de l'accès à la
formation tout au long de la vie, la promotion des nouvelles activités
dont les récents emplois jeunes se veulent un outil, et certainement
bien d'autres dont je n'établirai pas la liste.
Si je souligne cette analyse, c'est pour indiquer qu'aujourd'hui, on prend la
réduction du temps de travail comme un outil au service de l'emploi
principalement. Cela n'allait pas forcément de soi. Le temps n'est pas
encore très loin où, quand on parlait " réduction de
temps de travail ", on pensait surtout " objectif temps
libre ".
On avait donc une conception sociétale de la réduction du temps
de travail.
Je ne dis pas que cet objectif a disparu. Il est toujours très
présent, c'est l'un des effets de la réduction de temps de
travail que d'ouvrir des espaces de temps libre. Encore faut-il bien les
occuper. Mais aujourd'hui, ce n'est pas l'objectif dominant qui est poursuivi.
Je soulignerai également que vouloir prôner ou vouloir mettre en
oeuvre la réduction du temps de travail n'implique pas -pour autant que
je comprenne bien- de jeter la valeur "travail" aux oubliettes. Les
deux ne
sont pas liés. On peut vouloir la réduction du temps de travail
et considérer que le travail est toujours un élément
d'intégration centrale dont on ne peut se passer. C'est sans doute un
objet de débat.
Ce n'est pas non plus cultiver une vision malthusienne qui considérerait
que l'on doit s'accommoder de la baisse d'activité et que la
réduction du temps de travail serait un palliatif à une maigre
croissance dont on devrait s'accommoder. Au contraire, elle doit avoir comme
pendant la recherche, par tous les moyens, de marges de développement de
la croissance et de l'activité. Sinon, on tombe dans une
réduction " stagnationniste " et de pur partage de la
réduction du temps de travail.
Cette priorité à l'emploi, cette réduction du temps de
travail est aussi une vision actuelle qui se distingue d'une autre conception
où la réduction du temps de travail est simplement un
sous-produit de la flexibilité. C'est d'ailleurs assez largement ce qui
a pu se passer sur le terrain au cours de ces dernières années.
Les négociations sur l'organisation du travail cela n'a rien de
scandaleux en soi ont été tirées par la demande de
flexibilité des entreprises. Dans le cours de la négociation est
apparue l'idée que la réduction pouvait représenter en
quelque sorte une contrepartie le cas échéant, pas toujours
d'ailleurs.
C'est ce que j'essaie d'exprimer en expliquant qu'il s'agissait d'un
sous-produit de l'aménagement du temps de travail.
Or, l'approche actuelle dépasse également cette approche en
mettant l'emploi au premier plan, comme levier, comme ressort de la
démarche de réduction du temps de travail.
Je m'empresse d'ajouter que dans ma perception en tous cas, cela ne veut pas
dire qu'une démarche de réduction de temps de travail qui veut
produire des effets favorables à l'emploi pourrait ignorer la dimension
" conditions de travail " et les exigences de
réactivité des entreprises. Ce sont deux dimensions qui doivent
être prises en compte si l'on veut que la réduction du temps de
travail produise les bienfaits que l'on attend d'elle aujourd'hui.
Pour prendre un exemple concret, imagine-t-on que les gains de
productivité que l'on peut attendre dans une entreprise du fait d'une
réorganisation du temps de travail soient durables si elle
s'accompagnait d'une détérioration des conditions de travail des
salariés ? On risquerait de voir apparaître bien vite les
effets pervers du point de vue de l'efficacité de l'entreprise,
liés à l'absentéisme, aux maladies professionnelles, aux
accidents du travail et à bien d'autres phénomènes. C'est
dire que la dimension " conditions de travail ", si elle ne
vient
pas, a priori, en premier lieu dans le raisonnement doit, bien entendu,
être prise en compte.
Troisième idée que je souhaitais développer à titre
liminaire : il faut réunir les conditions nécessaires pour
que la réduction du temps de travail soit bien créatrice
d'emplois puisque c'est l'objectif poursuivi aujourd'hui. De ce que nous disent
les modèles macro-économiques je n'y insisterai pas, sachant que
d'autres sont plus compétents que moi je retiens globalement que la
réduction du temps de travail, pour être créatrice
d'emplois, ne doit pas diminuer les capacités de production mais au
contraire, de préférence, les augmenter et ne doit pas
dégrader les coûts de production des entreprises. C'est ce que
disent les macro-économistes. Les coûts de production incluent le
coût du travail mais aussi le coût du capital. Il convient de
l'introduire dans le raisonnement.
Cela implique que toute négociation décentralisée sur le
temps de travail ce dont il est question aujourd'hui dans la foulée du
projet de loi dont vous aurez à débattre doit satisfaire ce
cahier des charges. Cela implique d'abord que la réduction du temps de
travail doit s'accompagner dans les entreprises d'une démarche globale
d'une réorganisation du travail. On doit poser les problèmes
d'organisation du travail dans leur globalité, et non pas se contenter
de raisonner mécaniquement en appliquant une réduction.
Pourquoi ? Sans y insister, je dirai que c'est la condition d'une
utilisation plus efficace de l'outil de production. On peut dire aussi que
c'est la condition pour que les entreprises réduisent un certain nombre
de coûts liés à l'utilisation des souplesses les plus
rudimentaires les plus utilisées aujourd'hui. Quand je dis
" rudimentaires ", je ne dis pas qu'elles sont inutiles mais
rudimentaires par rapport à une organisation du travail. L'utilisation
structurelle des heures supplémentaires, le recours, pour faire face aux
à-coups, à l'intérim de façon permanente sont
certes nécessaires, mais ne doivent pas être la source permanente
de flexibilité de l'entreprise. La flexibilité doit venir de
l'organisation du travail elle-même. Or, le recours massif aux
flexibilités telles que les heures supplémentaires ou
l'intérim est générateur de surcoûts pour
l'entreprise.
Ce qui paraît intéressant dans les démarches des
entreprises qui ont réduit la durée du temps de travail, avec ou
sans aide les années précédentes, est que l'on se rend
compte parfois que grâce à une organisation du travail
intrinsèquement plus souple, ces entreprises peuvent stabiliser les
emplois transformés. Par exemple transformer les contrats à
durée déterminée ou des intérimaires en contrats
à durée indéterminée dans le cadre d'une
organisation générale plus souple et réduire leurs
coûts de temps. C'est-à-dire stabiliser à la fois l'emploi
et réduire les coûts. On voit là que la
réorganisation du travail peut permettre de concilier à la fois
des éléments de sécurité, de moindre
précarité et des éléments de souplesse, de
flexibilité qu'attendent les entreprises.
Deuxième condition importante à remplir pour que la
réduction du temps de travail soit créatrice d'emplois d'autres y
insisteront sans doute : une maîtrise de l'évolution des salaires.
Pour les années à venir, les économistes nous disent en
effet que le bouclage du financement des opérations de réduction
du temps de travail, compte tenu de l'aide que l'Etat peut apporter par
ailleurs, implique néanmoins une certaine modération salariale au
moins pendant deux ou trois ans. Cela signifie, non pas que les salaires soient
abaissés ce qui aurait de nombreux effets pervers mais que
l'évolution des salaires sur les deux ou trois années suivantes
soit moins forte qu'elle ne l'aurait été, toutes choses
égales par ailleurs, s'il n'y avait pas eu la réduction du temps
de travail. C'est un enjeu essentiel de la négociation et qui n'est pas
que technique.
Quatrième grande série de remarques par rapport à
l'impératif de réorganisation que j'évoquais à
l'instant : la réduction du temps de travail, pour être vraiment
créatrice d'emplois durables, doit s'accompagner d'une
réorganisation, d une remise à plat de l'organisation de
l'entreprise. Or, on peut s'appuyer sur des tendances de fond plutôt
favorables.
Cela signifie tout d'abord que sur la longue période, sur les quinze
dernières années, la législation sur la durée du
travail a évolué. Le cadre de la durée du travail s'est
diversifié et assoupli. On pourrait mettre beaucoup de dispositifs
derrière mon propos : les modulations, les équipes de
suppléance... De fait, pour qui veut aujourd'hui, dans le cadre
légal prévu par le code du travail, adapter son organisation, de
sérieuses possibilités sont offertes, à condition
toutefois de négocier.
En tant que directeur des relations du travail, je ne méconnais pas
d'ailleurs que cet assouplissement du cadre légal de la durée du
travail a eu pour contrepartie une complexité croissante du droit de la
durée du travail. C'est plus souple qu'il y a quinze ans, mais c'est
aussi plus complexe. Le droit de la durée du travail était plus
simple, plus robuste, mais aussi plus rigide il y a quinze ans.
L'évolution de la législation permet donc aujourd'hui de faire
beaucoup de choses en matière d'organisation du travail.
Enfin, plus important que l'évolution de la législation, une
évolution des esprits est entamée depuis quelques années.
Cela signifie que sur le terrain, la négociation des entreprises sur le
temps de travail s'est développée. Elle s'est aussi
développée au niveau des branches de façon sans doute
moins spectaculaire. Par exemple, on compte 112 accords de modulation conclus
dans les branches entre 1992 et 1997 portant sur 75 branches.
Ensuite, au niveau national, on peut remarquer notamment l'accord national
interprofessionnel du 31 octobre 1995 qui traduit une certaine
maturité des esprits de la part des partenaires sociaux. Je parle du
premier des deux accords qui ont eu lieu le même jour, même si les
suites de cet accord interprofessionnel au niveau des branches ont
été en retrait par rapport aux attentes que l'on pouvait fonder
en lui.
Enfin, pour terminer, la réduction du temps de travail est un enjeu
majeur pour le développement du dialogue social. C'est plus
particulièrement de mon domaine de compétences. C'est un enjeu
majeur pour le développement du dialogue social sur l'organisation du
travail. Autrement dit, cela implique une multiplication, un
développement considérable de la négociation collective.
Là encore, on ne part pas de zéro, tant s'en faut. La
négociation collective, notamment au niveau de l'entreprise sur le temps
de travail s'est développée depuis une dizaine d'années.
On en est aujourd'hui à un peu plus de 4.000 accords sur le temps de
travail, qui ne couvrent qu'une petite proportion sans doute, guère plus
de 10 à 12 % de l'ensemble des salariés, du champ du code du
travail. Aujourd'hui, le thème du temps de travail au sein des
entreprises est même passé légèrement devant les
salaires.
Cela étant dit, on ne peut pas ignorer qu'aujourd'hui, le chantier de la
réduction du temps de travail implique un changement de
" braquet ". On peut considérer qu'indépendamment de
l'aide financière dont vous aurez à débattre, la
réussite dans ce changement de braquet de la négociation
collective sur l'organisation du travail à partir de sa réduction
implique certainement que l'on réunisse les conditions favorables, le
renforcement des outils juridiques de négociations collectives,
probablement un développement de la capacité d'aide au diagnostic
et au conseil, notamment aux PME dans ce domaine ; une négociation
collective plus globale qu'elle n'a été pratiquée
jusqu'à présent, c'est-à-dire qui mette en relation les
questions d'emploi, de temps de travail, de salaires, parfois même les
questions de compétences puisque toute réflexion sur
l'organisation du travail amène à tirer tous ces fils en
réalité. Il est assez difficile de négocier sur tous ces
sujets, même si de nombreux exemples ont montré que c'était
possible au cours de ces dernières années.
Enfin, cela suppose certainement un développement de la capacité
de suivi et d'évaluation de la mise en oeuvre des accords et de l'impact
de ces accords en général et sur l'emploi en particulier. Cet
enjeu du développement de la capacité de suivi concerne
certainement les services de l'Etat, mais aussi les partenaires sociaux qui
doivent être attachés à suivre la mise en oeuvre et l'effet
des accords qu'ils passent, que ce soit au niveau des branches ou des
entreprises. C'est certainement l'un des points sur lesquels l'effort devra
être développé. Voilà, Monsieur le président,
les quelques considérations liminaires que je souhaitais exposer devant
vous.
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur le
directeur, je vous remercie de la densité et de la clarté de
votre exposé. Je vous livre au rapporteur de la commission qui aura de
nombreuses questions à vous poser. Nous passerons ensuite aux questions
de nos collègues.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Je remercie M. Marimbert, directeur
des relations du travail pour la clarté de son exposé et
l'objectivité qu'il y a mise en situant bien cette démarche dans
les perspectives et le prolongement d'une évolution et d'une
construction.
Première question : ma préoccupation fondamentale, Monsieur
le directeur, est de savoir si ce dispositif est de nature a créer des
emplois. Nous avons entendu ici certains économistes dont les
appréciations sont nuancées. En vous écoutant, je me
demandais si ce projet n'est pas d'abord un instrument au service de la
négociation plutôt que contre la chômage. Avez-vous des
estimations en la matière ? Si vous en avez, quelles sont les
différentes hypothèses et leur transcription dans le temps ?
A propos des conséquences sur les entreprises, vous avez cité des
cas d'entreprises qui appliquent des mesures très novatrices dans la
réduction du temps de travail. Mais ne s'agit-il pas de grandes
structures et ne sont-elles pas de grandes entreprises qui pratiquent tout
à la fois le progrès social en France mais aussi la
délocalisation d'activité, qui bien souvent jouent habilement
d'opérations qu'elles qualifient d'exemplaires pour mieux dissimuler
tous les transferts d'activités sur d'autres territoires que le
nôtre ?
Quel est votre perception de ce qui se passe dans les petites
entreprises ? Vous avez dit que l'on pouvait tout faire pratiquement. Vous
confirmez ce que nous disait un consultant éminent cet après-midi
et qui avait presque mauvaise conscience en disant que l'on pouvait tout faire,
mais que cela coûtait très cher. Il faut en effet recourir aux
meilleurs experts pour appliquer le droit du travail et la jurisprudence.
Bien souvent aussi, on insiste sur la nécessité de simplifier la
fiscalité. Je constate que le problème est le même en droit
du travail. N'avez-vous pas quelques idées sur les simplifications qui
pourraient être introduites dans le droit du travail ? Comment
expliquez-vous la prospérité des agences d'intérim ?
Et n'y a il pas une situation de rente pour la plupart d'entre elles,
liée à la difficulté que nous éprouvons à
réformer notre droit du travail ? Est-il possible de penser que
telle mesure, qui avait été conçue pour protéger
l'emploi et les salariés, est devenue un instrument de propagation du
chômage ? Ou bien cela est-il excessif ?
Enfin, je voudrais vous demander pour quel motif la participation suscite
autant de réserve en France. Quand on parle de projet d'entreprise, non
pas de " flexibilité ", - le terme anglo-saxon
"
flexibility
" n'ayant pas son équivalent en
français les éléments de souplesse d'adaptation de
l'annualisation et de la négociation ne pourraient-ils pas trouver toute
leur place dans le cadre d'accords de participation ?
M. Alain GOURNAC, président
-
Monsieur le
directeur, je vous suggère de répondre d'abord au rapporteur
avant d'entendre les questions des autres collègues.
M. Jean MARIMBERT
- Plusieurs fils ont été
tirés par M. le rapporteur. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit
à propos des conditions sous lesquelles la réduction du temps de
travail peut produire les effets que l'on en attend sur l'emploi. Les
estimations des macro-économistes à partir de modèles
macro-économique, dont on connaît également les limites,
nous disent que la réduction du temps de travail doit remplir tels types
de conditions pour être créatrice d'emplois, notamment par la
négociation concrète, dans les unités de travail. Ils nous
disent aussi que l'effet emploi est réel une fois que les modèles
ont fonctionné et si l'on considère que les conditions sont
remplies. Il y a convergence des modèles pour produire un effet emploi
réel qui n'est pas mécaniquement et à cent pour cent en
proportion de la baisse de la durée du travail. Cela veut dire que
l'emploi ne va pas augmenter exactement à concurrence de la baisse de la
durée du travail, ne serait-ce que parce que la réduction
entraîne des surcroîts mécaniques de gains de
productivité sur l'évaluation desquels je ne m'aventurerai pas.
Cela dit, je sais que les économistes eux-mêmes partent de ce
point de vue et l'on entend souvent le chiffre d'une déperdition de
l'ordre de 30 %, ce qui signifie que, si vous diminuez la durée du
travail de 10 %, vous obtenez non pas 10 % d'emplois
supplémentaires, mais seulement 7 %.
En revanche, sur la question des petites structures, je vous livre une
réflexion que je me suis faite très récemment, plus
particulièrement d'ailleurs à l'occasion de la mise en oeuvre de
la loi de Robien. L'année dernière, on pouvait se dire, a priori,
que ce dispositif ne serait utilisé que par de grosses ou moyennes
structures parce que c'est compliqué, que cela implique une
réorganisation, parce que l'aide elle-même suppose un
conventionnement... bref, parce qu'il existe une série d'obstacles
psychologiques dont on pouvait penser qu'ils bloqueraient l'accès des
petites entreprises à ce dispositif.
Or, nous avons été démentis par les faits. On a, en effet
constaté qu'en fait un nombre très conséquent de demandes
émanait de petites, voire même de très petites entreprises,
parfois de moins de dix et vingt personnes. La majorité des conventions
de Robien ont été passées avec des entreprises de moins de
50 personnes. L'ordre de grandeur est réel. Nous avons donc
été surpris de voir à quel point il y avait un effet
déclencheur, y compris dans les petites structures. Il ne faudrait donc
pas considérer a priori qu'il ne pourrait pas y avoir de
réorganisation du travail avec réduction dans les petites
structures qui ont quand même des problèmes pour mettre en oeuvre
la négociation collective.
En revanche, il est apparu clairement que dans ces petites structures où
le chef d'entreprise n'a pas des services du personnel très
développés, la possibilité de donner un appui pour faire
le diagnostic de la situation et gérer en quelque sorte
l'opération complexe que représente une réorganisation,
est tout à fait importante et essentielle.
Comme je l'indiquais dans mon exposé liminaire, il est probable que l'on
devra monter en régime dans ce type d'aide. Les services
déconcentrés du ministère du Travail, le réseau de
l'ANACT qui a des compétences dans le domaine, peuvent aider à
cette montée en régime.
Sur la simplification concernant surtout les PME, j'ai dit dans mon
exposé liminaire qu'il me paraissait indiscutable -c'est le paradoxe de
l'histoire- qu'en matière de durée du travail, la flexibilisation
croissante, sans doute nécessaire, s'est faite par sédimentation,
de strates successives qui se sont greffées, depuis quinze à
vingt ans, sur le socle existant ce qui aboutit aujourd'hui à une
construction complexe. C'est indéniable. La plupart des observateurs le
reconnaissent. Encore une fois, je tiens à souligner que la
complexité n'est pas venue de la rigidité mais de l'ouverture
à la " flexibilité ", ce que l'on oublie souvent de
souligner.
Pour l'avenir, il convient certainement de réfléchir à des
simplifications en la matière. La phase de négociation qui devra
s'ouvrir de façon beaucoup plus intense que par le passé si la
loi est adoptée pourrait d'ailleurs nous donner des enseignements pour
savoir dans quelle direction on peut simplifier.
Pour prendre un exemple qui est de notoriété publique, un des
points sur lesquels, à terme même si cela ne se fait pas dans
cadre de la loi qui sera soumise aux deux assemblées et qu'il faudra
certainement simplifier : la modulation. En effet, aujourd'hui, du fait de
l'histoire, notre code compte trois types de modulation du temps de travail. Il
faut évidemment être un bon spécialiste pour s'y retrouver.
On se dit qu'intellectuellement, il ne serait pas plus mal de simplifier tout
cela et d'avoir un système général unique, avec
évidemment des négociations pour sa mise en oeuvre. Voilà
le type de piste auquel on peut penser.
Autre exemple : le régime des heures supplémentaires qui pourrait
également être simplifié dans le futur. Nous avons
plusieurs types de repos compensateurs dans notre système actuel : le
repos compensateur dit " légal ", le repos compensateur de
" remplacement ", des majorations pour heures
supplémentaires.
Le système diffère selon que cela concerne les entreprises de
plus de dix ou de moins de dix personnes. Cela fait partie des
éléments du droit de la durée du travail qui pourraient
certainement être simplifiés. Mais encore une fois, il
apparaît plus logique de laisser la négociation se déployer
comme elle devra le faire, si la loi est adoptée, dans les deux ans
à venir pour tirer les enseignements en termes de simplification pour le
futur.
Monsieur le rapporteur vous avez évoqué l'intérim et son
succès, alors que l'intérim est coûteux. Quand on voit les
statistiques sur l'utilisation de l'intérim, on se rend compte que la
tranche des petites et moyennes entreprises n'est pas trop utilisatrice de
l'intérim globalement. La petite entreprise utilise plus le contrat
à durée déterminée (CDD), pas beaucoup
l'intérim, alors que la moyenne/grosse entreprise utilise davantage
l'intérim et moins les CDD. C'est en tout cas ce que
révèlent les statistiques.
Cela étant, je ne voudrais pas que l'on se méprenne sur mon
propos liminaire. Quand je parlais des expériences
négociées d'entreprises qui montrent qu'avec une
réorganisation du travail, on peut réduire la part des contrats
d'intérim et stabiliser l'emploi, cela ne veut pas dire pour autant que
l'on peut se passer totalement de l'intérim. Ce serait
déraisonnable ; il y a des utilisations tout à fait
légitimes de l'intérim. Ce que je voulais indiquer, c'est que ces
formes d'emploi sont génératrices de surcoûts pour les
entreprises. Lorsqu'une organisation du travail permet d'internaliser la
souplesse et la réactivité, comme on en a la preuve par des
exemples d'entreprises, on peut alors arriver à réduire le
recours à ces formes d'emplois tout en en conservant un peu, et avec une
réduction des surcoûts. Cela fait donc partie de ces fameux gains
d'efficience et de productivité qui peuvent contribuer au financement de
la réduction du temps de travail.
Ayant eu l'occasion d'aller sur le terrain, pas seulement avec les services du
travail mais aussi au contact de chefs d'entreprises, de DRH, de chefs du
personnel, de représentants du personnel et de
délégués syndicaux, j'ai été très
frappé, notamment dans les témoignages des représentants
du personnel par ce qu'ils répondaient lorsqu'on les interrogeait sur
les motivations de leur signature :
" Vous avez signé un
accord qui comporte une réduction du temps de travail mais qui comporte
aussi une annualisation, un assouplissement de l'organisation du travail.
Pourquoi l'avez-vous signé ? "
L'une des premières
réponses des représentants du personnel était de dire :
" Certes, il y a des plus et des moins, mais je l'ai signé
d'abord parce qu'il y a création d'emplois, notamment des emplois qui
vont bénéficier aux jeunes de la région. Mais aussi parce
que la réorganisation, dont je n'approuve pas tous les aspects, a permis
de transformer 20 à 30 contrats d'intérim en contrats à
durée déterminée ",
et donc de
" déprécariser " -terme quelque peu technocratique.
J'ai été frappé par le fait que ces motivations revenaient
très souvent dans leurs propos.
C'est aussi ce que je voulais dire dans mon exposé liminaire lorsque je
disais que les esprits ont évolué de tous les
côtés ; du côté des représentants du
personnel mais aussi du côté de certains chefs d'entreprise.
Sur la participation, j'aurai une réponse très prudente. Vous
évoquiez les réticences, réelles, à la
participation je l'ai constaté de la plupart des partenaires sociaux
à l'idée d'utiliser la participation financière pour
faciliter toutes les opérations de réorganisation, notamment la
compensation salariale, dans le cadre d'opérations de
réorganisation du temps de travail. L'argument très souvent
employé pour justifier cette réticence consiste à dire que
la participation financière est par définition aléatoire
cela fait partie de sa nature en particulier l'intéressement. Mais
même la participation obligatoire dépend des résultats.
Au fond, l'idée qu'une partie de la non compensation salariale pourrait
être gagée dans le futur par le truchement d'un
intéressement supplémentaire, c'est en quelque sorte troquer du
certain aujourd'hui contre de l'aléatoire demain. Il y a donc une forte
et réelle réticence à ce sujet. Pour autant j'ai pu le
constater l'an dernier, puisque l'un des groupes de travail sur la
participation a été amené à plancher sur le sujet
il y a quand même quelques exemples d'entreprises dans lesquelles, de
façon plus positive, il est arrivé que l'on réorganise le
temps de travail et que l'accord d'intéressement soit modifié
voire créé pour essayer de faire bénéficier les
salariés des gains de productivité et d'efficience liés
à la réorganisation du travail, dans une optique plus
constructive. Les exemples existent, même s'ils ne sont pas très
nombreux, il faut le reconnaître.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous remercie.
Y a-t-il des questions ?
M. André JOURDAIN
- En dépit des réponses que
vient d'apporter M. Marimbert aux questions de notre rapporteur, je reste
quand même sceptique sur l'application aux petites entreprises entre 20
et 50 salariés. Cela posera beaucoup de difficultés et de
problèmes. D'autre part, je regrette qu'une mesure autoritaire soit
envisagée.
M. Jean MARIMBERT
- L'intervention de M. André Jourdain
est une appréciation qui en fait n'appelle pas de réponse. Le
rôle des services du ministère, si la loi est votée par le
Parlement, sera de faire en sorte que les conditions du succès soient
réunies, que la réduction soit effectivement créatrice
d'emplois. Je peux dire d'ores et déjà qu'un travail
considérable a été entrepris pour mobiliser sur ce sujet
les responsables déconcentrés du ministère. Le reste n'est
pas de ma responsabilité, car il y a un rôle des partenaires
sociaux, qui sont les acteurs de la négociation et qui ont leurs propres
responsabilités.
M. Alain GOURNAC, président
-
La parole est
à M. Yann Gaillard.
M. Yann GAILLARD
- Dans un ministère comme celui auquel
vous participez, il y a toujours des projets dans les cartons. On
prévoit sur plusieurs années certaines évolutions de la
réglementation, de la législation. J'ai été
moi-même directeur de cabinet dans cette maison.
Avant que l'affaire des 35 heures arrive, comment l'administration que vous
dirigez entrevoyait-elle l'évolution de la législation en
matière de durée du travail, selon quel calendrier etc. ?
Aviez-vous un quelconque projet administratif
revolving
en cours ?
M. Jean MARIMBERT
- Le droit de la durée du travail est
le type même de droit à propos duquel interviennent constamment
des rédactions ou des projets. Depuis une quinzaine d'années, on
peut dire qu'il ne s'est pas passé plus de deux ans sans voir
éclore un texte sur la durée du travail. Chaque gouvernement est
amené à légiférer sur le sujet ou à inviter
les partenaires sociaux à se pencher sur le sujet, puis à
légiférer. Il y a donc toujours des projets de cette nature.
L'année 1996, indépendamment de la loi de Robien, issue
d'ailleurs d'une initiative parlementaire...
M. Alain GOURNAC, président
-
Le Parlement n'a
pas que des défauts.
M. Jean MARIMBERT
- Le parlement est un élément
essentiel de la démocratie, Monsieur le président.
M. Alain GOURNAC, président
-
Je vous remercie
de le dire !
M. Jean MARIMBERT
- C'était donc une époque de
pause législative tout à fait volontaire de la part du
Gouvernement, l'idée de laisser libre cours à la
négociation à l'époque puisque 1996 était une
année de négociation. Evidemment dès la fin de
l'année 1996 se profilait la nécessité d'un bilan de cette
négociation. Il est vrai que nous avions constaté à
l'époque que la dynamique de négociation qui avait semblé
s'engager début 1996 s'était quand même fortement assoupie
au second semestre. Fin 1996, la question de savoir s'il fallait
légiférer sur le temps de travail, de toute manière,
commençait à pointer sérieusement, avec les
problématiques évoquées tout à l'heure et touchant
au temps partiel, aux heures supplémentaires, à la
simplification ; tout cela est constamment présent. Ces
problématiques étaient déjà présentés.
M. Paul GIROD - Je voudrais pour ma part vous poser trois questions, Monsieur
le directeur. Vous avez dit tout à l'heure que 112 accords en
matière de modulation étaient intervenus dans 75 branches.
Pardonnez le côté quelque peu béotien de ma question, mais
combien de branches y a-t-il au total ?
M. Jean MARIMBERT
- La question est d'importance concernant le
chiffre en valeur absolue. Nous comptons dans nos classements 214 branches de
plus de 10.000 salariés. On ne répertorie pas les micro-branches.
Les branches qui pèsent sont celles comptant plus de
10.000 salariés. Je vous ai volontairement cité ce chiffre
du fait que la modulation est l'un des deux ou trois thèmes les plus
négociés.
Sur quinze ans, 112 accords sont intervenus concernant 75 branches. C'est donc
à la fois un nombre significatif qui n'est pas du tout
négligeable. Mais en même temps, ce n'est qu'un tiers des branches
de plus de 10.000 salariés, ce qui relativise bien son importance.
M. Paul GIROD
-
Deuxième question :
à part le travail posté lié à une installation
fixe, la notion de temps de travail, dans cette période d'expansion des
activités de services a-t-elle encore une signification
quelconque ? Je rentre d'Italie où je représentais M. le
Président René Monory à un colloque de droit
constitutionnel. La nouveauté du jour était moins le fait que les
juristes italiens sont plus capables que les juristes français de couper
les cheveux en quatre, notamment en 1997 sur un sujet aussi important que
l'élection du Président de la République au suffrage
universel, sujet intéressant s'il en est ! La grande nouvelle du
jour était que depuis quelques semaines, on avait constaté qu'en
Italie, il y avait moins de salariés que de travailleurs
indépendants exerçant leur activité à titre
personnel et individuel.
Je rapproche cela d'une information qui circule en ce moment sur le nombre de
contrôles en matière de temps d'emploi des cadres que,
paraît-il, on traque à la sortie des entreprises, et notamment des
banques. On regarde les fiches de pointage pour voir s'ils respectent ou non la
réglementation sur le temps de travail. Peut-on sérieusement
penser que compte tenu de l'évolution de notre société, et
en dehors du travail posté, la notion juridique de temps de travail
comporte encore une réalité ? Entre nous, beaucoup de candidats
aux concours des grandes écoles seraient-ils titulaires d'un poste
quelconque si on limitait leur travail hebdomadaire de préparation
à 35 heures ?
Autrement dit, quelle est la part de volontarisme de l'individu dans son temps
de travail dans une société souple comme celle qui s'ouvre devant
nous ? Ne sommes-nous pas en train de négocier ou de
légiférer sur du vent ? Excusez la brutalité de ma
question.
M. Jean MARIMBERT
- Monsieur le président, il est
certain qu'aujourd'hui il y a des débats théoriques autour de
l'actualité du temps de travail. Pour ma part, je pense que l'on ne peut
jeter aux oubliettes la notion du temps de travail. Vous avez
évoqué les travailleurs salariés en les opposant aux
travailleurs indépendants dont je rappelle qu'ils n'entrent pas dans le
champ du projet de loi. Cela dit, il y a encore près de 85 % de
salariés, et même s'il y a des situations intermédiaires
qui se développent c'est exact aux franges du salariat et du travail
indépendant, l'un des problèmes qui risque de se poser à
l'avenir n'est pas tant de considérer que les protections
accordées traditionnellement aux salariés seraient
désuètes mais de se demander s'il ne convient pas de
réfléchir à des modes de protection adéquats pour
ces travailleurs qui sont aux franges du salariat et du travail
indépendant, et qui souvent sont juridiquement indépendants mais
économiquement très subordonnés. Je me demande s'il ne
conviendrait pas de renverser l'approche.
Je soulignerai également qu'il n'y a pas nécessairement liaison
entre l'efficacité d'un travail et sa durée. Les cadres, y
compris ceux du public, ont été formés dans l'idée
que plus on est sur son lieu de travail, plus on en fait, plus on est
présent et plus méritant et meilleur on est. Ce n'est sans doute
pas aussi évident. Je suis très frappé quand je vais
à l'étranger, et que je rencontre des collègues, notamment
allemands ou nordiques, de constater qu'ils ont le teint frais. C'est une
boutade. Mais j'ai le sentiment que leur temps de présence sur leur lieu
de travail est bien moindre que le nôtre à responsabilités
équivalentes. Sont-ils pour autant plus inefficaces et moins à la
hauteur de leurs tâches que nous ?
En s'interrogeant sur l'organisation du travail et la façon dont on
travaille, on se rend compte parfois que l'on peut être aussi efficaces
et performants en étant moins présents et en travaillant moins
sur la durée. Je suis intimement persuadé de ce que je vous dis.
Cela n'implique pas pour autant que tout le monde doive être assujetti de
la même façon aux mêmes règles de la durée du
travail.
Vous avez fait allusion au problème particulier des cadres. Je rappelle
que d'ores et déjà dans la jurisprudence puisqu'à cet
égard, il n'y a pas grand chose dans la loi il est admis que les cadres
supérieurs sont en dehors du régime des heures
supplémentaires. En revanche, cette jurisprudence ne s'étend pas
à tout le personnel d'encadrement ou intermédiaire. Il faut faire
attention : sans nier l'existence de problèmes réels
d'application de la réglementation de la durée du travail
à des salariés intermédiaires et à des cadres non
supérieurs, il convient de se garder de l'idée qu'un cadre, parce
qu'il est cadre, devrait rester à l'écart du mouvement
général de réduction de la durée du travail. Ce ne
serait pas rendre un bon service aux entreprises de ce pays que de
perpétuer cette idée.
J'ajoute que si les contrôles auxquels vous faites allusion
contrôles d'initiative décentralisée ont eu lieu, c'est que
dans bon nombre de cas, les agents de contrôle ont été
appelés. Cela signifie que ce qui était supporté, admis,
bien toléré socialement par la communauté des
salariés intermédiaires en question pendant des années se
trouvent l'être beaucoup moins à l'heure actuelle. Il faut
s'interroger à ce propos.
Ces affaires montrent que la question des horaires des cadres mérite
d'être traitée avec beaucoup de sérénité et
avec le souci de trouver des solutions qui ne partent pas de l'hypothèse
que les cadres doivent travailler beaucoup plus que les autres et ne doivent
pas bénéficier de la réduction de la durée du
travail. Il est certain néanmoins que les formes de la réduction
du temps de travail pour le personnel d'encadrement ne sont pas
forcément les mêmes que pour l'ensemble des salariés.
Probablement, la réduction de la durée du travail sous forme de
jours de congé bloqués est certainement, pour les personnels
d'encadrement, plus adaptée que la réduction de la durée
du travail sous forme de réduction horaire hebdomadaire. C'est sans
doute une piste à explorer davantage.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Sur ce sujet, vous avez en quelque
sorte répondu à la question que je souhaitais vous poser, mais je
la pose quand même. Vous êtes directeur des relations du travail.
Les inspecteurs du travail ne sont pas sous votre autorité ; ils
sont indépendants. Cela dit, peut-être leur donnez-vous des
priorités de la même façon que le Garde des Sceaux donne
des priorités en matière criminelle et de politique
pénale. Leur avez-vous donné instruction pour qu'ils se rendent
attentifs aux horaires des cadres ? On nous signale de toutes parts que
les contrôles se multiplient. Est-ce parce que les cadres ont
alerté, de l'intérieur, les inspecteurs du travail pour qu'ils
viennent procéder à des contrôles, ou est-ce une
instruction émanant du ministère ?
M. Jean MARIMBERT
- A question précise, réponse
précise ! Sur cette question particulière des horaires des
cadres, il n'y a pas eu d'instruction générale donnée aux
services déconcentrés. Comme je le signalais tout à
l'heure, certaines initiatives décentralisées ont
été prises, souvent en réponse à un certain nombre
d'appels venant de l'intérieur même des entreprises.
En revanche, pour revenir à ce que vous disiez au début de votre
intervention, Monsieur le rapporteur, de manière générale,
si les inspecteurs du travail bénéficient des garanties
d'indépendance, notamment par les textes tels que les textes
internationaux (Convention de l'OIT), cela signifie que je ne suis pas
habilité à leur donner des instructions sur telle ou telle
affaire individuelle en exigeant ou non de verbaliser, de constater ou non tel
ou tel fait. Il résulte donc des textes que cela n'entre pas dans mes
pouvoirs.
En revanche le ministre, en tant qu'autorité centrale, dont je suis le
représentant, l'émanation, est parfaitement habilité
à donner des orientations de portée générale. Vous
preniez l'exemple du parquet tout à l'heure ou,
mutatis mutandis,
c'est assez comparable. Il est tout à fait normal que le ministre
donne des orientations de portée générale aux inspecteurs
du travail pour l'exercice de leurs attribution et leur demande d'être
plus attentifs à tel ou tel phénomène, notamment en
matière de durée du travail. Mais cela n'a pas été
le cas pour les horaires des cadres. Je suis formel : il n'y a pas eu de
consignes en cette matière.
M. Alain GOURNAC, président
-
Que peut-on dire de l'impact
du télétravail sur la durée du travail ?
M. Jean MARIMBERT
- La technique fait des miracles. Certains
systèmes télématiques permettent, le cas
échéant si on le souhaite, de réduire la durée de
travail des gens qui travaillent en liaison avec l'entreprise en utilisant leur
ordinateur mais chez eux. Il n'y a pas incompatibilité absolue entre
l'application d'un régime de durée du travail et la situation de
télétravailleurs. C'est plus complexe à contrôler
que lorsque l'ensemble des salariés d'une entreprise est sur un
même site géographique. C'est tout à fait indéniable
du point de vue du contrôle de l'effectivité. Mais il y a des
systèmes informatiques qui, si on s'en donne les moyens, permettent de
gérer les durées de travail.
Cela étant, je ne nie pas pour autant que le télétravail
nous confronte à des problèmes d'adaptation du droit du travail.
Ces problèmes sont réels. Je voudrais simplement les relativiser
sans pour autant les nier. Il y a quinze ou vingt ans, des rapports nous
annonçaient une explosion du télétravail,
déjà en 1979-1980. Or, cette explosion n'a pas eu lieu. Ne
serait-ce pas une Arlésienne ?
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Quand même ! Le
télétravail s'est développé au Maroc, en Inde. Avec
le télétravail, on est allé en temps réel là
où ce n'est pas cher, là où il n'y a pas de contraintes.
M. Alain GOURNAC, président
-
Où est le
centre de réservation de Lufthansa ?
M. Jean MARIMBERT
- Je vous laisse le soin de donner la
réponse.
M. Alain GOURNAC, président
-
A Karachi !
M. Jean MARIMBERT
- Quand je dis que cela n'a pas
été l'explosion, je veux parler de l'ensemble des pays
industrialisés. Le télétravail en Allemagne par exemple ne
s'est pas formidablement développé. Par contre, qu'il ait
été utilisé dans le cadre de stratégies de
délocalisation est tout à fait plausible.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Mais M. Marimbert quand vous faites
appel au télétravail, vous ne restez pas en France ! Vous
déménagez carrément les services.
Tout à l'heure, vous avez dit quelque chose d'inquiétant : vous
avez parlé des salariés qui sont protégés et de
ceux qui ne sont pas salariés et qui peuvent être dans une
situation un peu précaire malgré tout. Dois-je entendre par votre
observation que l'agriculteur qui est dans un processus d'intégration et
qui doit de l'argent au Crédit Agricole, qui est donc très
contraint, va devenir salarié du Crédit Agricole ? Dois-je
entendre qu'il faut rendre rigide ce qui ne l'est pas encore ?
M. Jean MARIMBERT
- Loin de moi l'idée de remettre en
cause le régime des travailleurs indépendants ou même du
travailleur agricole. Je faisais allusion à autre chose, à des
situations qui se développent dans la sphère de l'entreprise
traditionnelle et dans lesquelles des personnes qui, juridiquement, ne
remplissent pas les critères classiques, sont placées dans des
situations de dépendance économique vraiment fortes :
externalisation, sous-traitance. J'indique simplement que c'est une
problématique discutée depuis plusieurs années
déjà. Il faut parfois s'inquiéter du report de charge.
Quand on améliore les conditions de travail à certains endroits,
mais au prix d'un report des contraintes dans des conditions mal ou pas
réglées du tout vers des personnes, des groupes ou des petites
sociétés extérieures qui, elles, sont mises en situation
de ne pas pouvoir respecter les règles protectrices les plus
essentielles, j'estime qu'il y a là un vrai problème. C'est ce
à quoi je faisais allusion et pas à autre chose ; et
certainement pas à l'idée de transposer ou d'imposer ce
régime juridique aux agriculteurs indépendants.
M. Alain GOURNAC, président
-
Ne craignez-vous
pas qu'une loi sur les 35 heures appliquée à de petites
unités risque d'être extrêmement difficile à mettre
en oeuvre ? Ne craignez-vous pas que l'application en l'an 2000 de la loi
sur les 35 heures n'aboutisse à sauter des frontières et que l'on
aille directement travailler à Karachi, comme on l'a
évoqué tout à l'heure en parlant de la centrale de
réservation de la compagnie Lufthansa ?
M. Jean MARIMBERT
- Le projet de loi dont vous aurez à
débattre prévoit le cas des petites entreprises de moins de vingt
salariés.
M. Alain GOURNAC, président
-
Pour les petites
entreprises, une adaptation de cette ampleur, ce n'est pas rien ! Je sors
de mon rôle de président, mais nous sommes en train de
légiférer contre la vie !
M. Jean MARIMBERT
- Il y a ce premier argument que je combine
avec les mesures comme la nécessité absolue du
développement de l'aide au diagnostic pour les petites et moyennes
entreprises. Il est évident que les PME ont des barrières
particulières à franchir pour entrer dans une logique de
réorganisation. C'est réel.
Tout à l'heure, je voulais introduire une note d'optimisme
inspirée notamment par la loi de Robien, dont la surprise,
agréable, a été de voir à quel point ces petites
unités de moins de dix salariés, acceptaient d'entrer dans cette
démarche.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Quand vous prenez votre calculette
concernant la loi de Robien, les conditions sont telles
qu'économiquement vous y avez intérêt. J'ai répondu
à la question que M. Percheron a posée tout à
l'heure. Les gens font leurs comptes et s'aperçoivent qu'avec
l'exonération accordée sur sept ans et les obligations
imposées sur deux ans, c'est très tentant. Certaines entreprises,
certains salariés n'ont pas compris pourquoi ils étaient
écartés de ces mesures, et essayaient de rencontrer des
représentants de syndicats.
J'ai découvert récemment une convention collective. Mon conseil
général était à la veille de lancer des appels
d'offre pour les marchés de nettoiement. Or, les conventions collectives
précisent que celui qui reprend le marché s'engage à
reprendre tout le personnel. Ce type d'articulation pourrait-il concerner
d'autres activités ?
Mme Dinah DERYCKE
- Notamment dans la restauration collective.
M. Jean MARIMBERT
- Ce sont des conventions collectives. Je
peux aussi vous citer le secteur de la propreté qui a une clause de ce
type. La logique des partenaires sociaux a été de vouloir traiter
ce qui n'est pas dans le champ de l'article 122-12 du Code du travail. En
cas de transfert d'une entité sous forme de cession-reprise, il y a
reprise automatique des travailleurs. Cette loi n'est applicable que dans le
cadre d'un transfert. Il y a aussi certains cas où ces conditions ne
s'appliquent pas, par exemple
grosso modo
dans le cadre de prestations
de services pour lesquels il n'y a pas de matériel transmis. C'est le
cas de la propreté, et tant le patronat que les syndicats sont
très attachés à ces règles. Je n'ai pas
l'impression que le patronat de la propreté veuille dénoncer quoi
que ce soit en la matière.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- C'est extraordinaire. Le seul qui n'y
trouve pas son compte finalement est peut-être le client car il
s'aperçoit, quand il lance un appel d'offre, que cela ne sert à
rien puisque celui qui va se substituer reprend tout l'effectif. Cela peut lui
jouer de mauvais tours !
M. Alain GOURNAC, président
-
Il reprend tout
le mauvais personnel. Cela m'est arrivé.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- En effet, je ne suis pas du tout
étonné maintenant que le patronat et le syndicat des
salariés aient signé cette convention avec une belle
unanimité. On pourrait imaginer que cela s'applique à tous les
secteurs de la vie économique.
M. Alain GOURNAC, président
-
Tout cela
étant dit, je voudrais vous remercier, Monsieur le directeur, d'avoir
répondu à des questions qui, par essence étaient
quelquefois abruptes, et vous remercier d'avoir bien voulu contribuer à
cette opération d'enquête du Parlement.