B. LA NÉCESSAIRE REDÉFINITION DE LA POLITIQUE DE COOPÉRATION EUROPÉENNE
La convention de Lomé n'a pas vraiment enrayé le phénomène de marginalisation économique de l'Afrique subsaharienne. Par ailleurs les instruments mis en place ne se sont pas toujours montrés pleinement efficaces comme en témoigne la consommation ralentie des crédits. Il convient de s'interroger dès lors sur les raisons de ces insuffisances avant de prendre la mesure des adaptations nécessaires dans la perspective de la négociation d'un nouvel accord à l'horizon 2000.
1. Les raisons d'une déception
Certes les difficultés de la coopération européenne ne sauraient être mises sur le seul compte des instruments mis en place par la convention de Lomé.
a) Un environnement difficile
L'évaluation des politiques d'aide conduites par la
Communauté le montre, le contexte institutionnel et la politique
économique dans le pays bénéficiaire, ont souvent
représenté une contrainte majeure. Le livre vert ajoute :
" Même si un grand nombre de projets financés par l'UE se
révèlent pertinents et efficaces, comme c'est le cas pour la
plupart des projets d'infrastructures ainsi que pour les interventions dans les
secteurs sociaux, ils ne conduisent pas automatiquement à une
amélioration des indicateurs de développement au niveau national
(...). Ce constat, qui concerne tous le bailleurs de fonds, s'est traduit par
une tendance de l'aide internationale à se concentrer sur les pays
démontrant une capacité à l'utiliser de la manière
la plus efficace, c'est-à-dire actuellement dans les pays sous
ajustement structurel ".
Quels sont les facteurs déterminants de la croissance et les fondements
d'une confiance retrouvée chez les opérateurs économiques
? Un environnement politique et social stable, une gestion rigoureuse, un
système fiscal équilibré, le respect de l'Etat de droit :
autant de choix dont la responsabilité incombe principalement aux Etats
en développement.
Toutefois l'UE a-t-elle suffisamment cherché à agir sur ces
différents éléments dont la prise en compte apparaissait
nécessaire à une coopération équilibrée ?
Une vision d'ensemble des problèmes de développement a sans
doute manqué
, même si la Commission n'est pas, et de loin, le
seul bailleur de fonds à encourir ce reproche.
En outre,
l'impact des préférences commerciales
accordées par la Communauté s'est érodé
, non
pas du fait d'une insuffisance du dispositif de Lomé, mais bien
plutôt en raison de la libéralisation des échanges
organisée dans le cadre du GATT (Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce) d'abord, et depuis 1995 de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC). Dans ce contexte, le maintien d'un régime,
fondé d'une part sur la non-réciprocité -interdisant
d'assimiler la convention à un accord de libre-échange-, et
d'autre part sur la discrimination vis-à-vis d'autres pays, ne repose
que sur une dérogation reconnue en 1994 par le GATT et applicable
juqu'au 29 février 2000, date d'expiration de la convention de
Lomé.
L'évolution des règles relatives au commerce mondial impose
d'ores et déjà une réflexion sur la définition des
nouvelles conditions nécessaires à la sauvegarde d'un
régime préférentiel -indispensable pour votre rapporteur-
en faveur de la zone ACP.
b) Les faiblesses du dispositif européen
Cependant la politique d'aide de l'UE n'est pas exempte de
reproches. La complexité des procédures, l'absence d'une vision
cohérente de l'aide au développement, l'insuffisance de la
coordination avec les autres bailleurs de fonds constituent les principaux
défauts du dispositif européen et de son application.
La complexité du dispositif européen
ne favorise
guère la transparence : avant sa révision, la convention de
Lomé ne comprenait pas moins de 369 articles et de 9 protocoles. Les
Etats ACP peuvent se trouver relativement démunis devant un tel
" maquis " : certaines ONG ont d'ailleurs développé une
activité de familiarisation des pays intéressés aux
instruments de la convention, ainsi qu'une aide à la mise en forme des
projets.
En outre, comme le soulignait d'ailleurs notre collègue Michel Charasse
dans son rapport sur le projet de budget du ministère de la
coopération pour 1997, il convient de déplorer l'absence d'une
politique communautaire d'aide au développement réellement
planifiée. Soumises aux pressions souvent divergentes des Etats-membres,
les instances communautaires tendent à ajouter les mesures
particulières les unes aux autres au risque de compromettre la
cohérence de son action. Aussi apparaît-il indispensable de
définir des orientations politiques précises à
l'échelle du conseil européen et de fixer " des directives
claires et détaillées aux services de la Commission afin ensuite,
de pouvoir contrôler la mise en oeuvre de l'aide accordée par
l'Union européenne ".
Cette clarification des objectifs devrait favoriser par ailleurs une meilleure
coordination entre les différents bailleurs de fonds. Aujourd'hui cette
coordination indispensable en particulier entre l'UE et les principaux Etats
européens, apparaît globalement insuffisante. Elle est encore trop
laissée au hasard de la bonne entente -heureusement souvent
vérifiée- entre les représentants sur place des
différent contributeurs.
2. Quelle coopération pour l'an 2000 ?
A la faveur de la redéfinition d'un nouveau partenariat
à l'horizon 2000, les pays ACP et l'UE doivent tirer parti des
enseignements fournis par l'application de la convention de Lomé IV.
Dans cette perspective, il leur faut également tenir compte du contexte
international et de ses évolutions : la
mondialisation des
économies
mais aussi, fait décisif, la
différenciation croissante entre les pays en développement
au sein même du groupe des Etats ACP. Comme votre rapporteur l'a souvent
observé à l'occasion de l'examen du budget du ministère de
la coopération, l'image d'un continent africain à la
dérive ne reflète plus guère une réalité
devenue beaucoup plus complexe. Si l'Afrique centrale connaît encore une
situation très instable, la plupart des pays d'Afrique occidentale
-ceux, d'ailleurs où l'influence française apparaît la plus
forte- se sont engagés sur la voie des réformes et de
l'assainissement économique. Ces efforts ont porté leurs fruits :
le retour de la croisssance dans les pays de la zone franc l'atteste.
Le " Livre vert " élaboré par un groupe de
réflexion au sein de la Commission européenne en novembre 1996 a
permis d'esquisser quelques pistes intéressantes pour définir un
partenariat UE-ACP réformé. Ce document servira de base au projet
soumis par la Commission au Conseil dans la perspective de la
négociation d'un mandat, au premier semestre 1998, sous
présidence britannique.
a) Les orientations proposées par la Commission
Le Livre vert retient quatre orientations majeures :
- la recherche d'une
dimension politique forte
; le dialogue avec les
Etats ACP doit contribuer d'une part, à répondre aux objectifs de
la politique étrangère et de sécurité commune
(PESC), en particulier dans le domaine de la prévention des conflits et
d'autre part, assurer la cohérence du cadre politique et des actions
conduites en faveur du développement économique ;
-
le recentrage des politiques communautaires sur la lutte contre la
pauvreté
à travers un effort accru en faveur des politiques
sociales et en direction des acteurs de la société civile et du
secteur privé ;
-
une meilleure prise en compte des spécificités
régionales
avec la conclusion d'accords régionaux ou
sous-régionaux fondés sur la mise en place progressive, sur trois
ans d'avantages commerciaux réciproques dans la perspective d'une
libéralisation à terme des échanges (la
différenciation entre ACP recherchée par la Commission reposant
alors essentiellement sur le niveau de réciprocité
concédé).
-
la simplification des instruments de l'aide
par la constitution de
trois enveloppes regroupant plusieurs instruments existants (en particulier, la
compensation des pertes de recettes à l'exportation -Stabex- dont le
principe pourrait être préservé), et une mise en oeuvre
dans le cadre d'une
programmation glissante
pour tenir compte à
la fois de l'évolution des besoins et des orientations adoptées
par les pays bénéficiaires.
b) L'aide : dimension indispensable du nouveau partenariat
Si la nécessité d'une réforme du
dispositif de Lomé ne fait pas de doute, elle ne doit toutefois pas
conduire à renoncer à la dimension essentielle de notre
partenariat : l'aide au développement.
Pour votre rapporteur, cet impératif suppose le maintien des trois
éléments dont l'union fait à la fois l'originalité
et la force de Lomé : un dialogue politique étroit, un
régime commercial préférentiel et une aide publique au
développement importante. Il n'est sans doute pas inutile de rappeler ce
principe au moment où certains de nos partenaires européens
pourraient être tentés par une " banalisation " de la
relation UE-ACP, considérée sous le seul angle commercial. Or le
volet commercial, certes essentiel, n'a pas vocation à éclipser
les deux autres dimensions de l'accord de Lomé. En outre, l'approche
commerciale, elle-même, ne saurait se résumer à la
recherche exclusive du libre-échange.
La sauvegarde d'un élément préférentiel en
particulier pour les pays les moins avancés apparaît primordiale.
L'approche intégrée propre à l'accord de Lomé
répond aux besoins des économies en développement et
à ce titre, elle mérite de perdurer.
Par ailleurs, la cohésion du groupe formé par les Etats ACP doit
être préservée. En effet, ces Etats ont pris
progressivement conscience de leurs intérêts communs. Le sommet
ACP de Libreville en novembre 1997 en a apporté le témoignage.
Cette cohésion constitue incontestablement un facteur d'influence dans
les négociations commerciales à l'échelle mondiale
où les intérêts des pays en développement ne sont
pas toujours reconnus. L'Europe peut se flatter d'avoir favorisé une
telle évolution. Cet acquis doit être sauvegardé. C'est
pourquoi il est important d'inscrire le partenariat UE-ACP dans le cadre d'un
accord global commun. Ce cadre commun ne fait pas obstacle à la
signature d'accords complémentaires négociés sur une base
régionale dont la nécessité s'impose au contraire pour
tenir compte des différences de situations économiques des pays
bénéficiaires de l'aide européenne.
D'une manière différente, mais avec un résultat
comparable, l'extension du champ géographique de la convention pourrait
provoquer un effet de dilution et menacer l'esprit de cohésion
indispensable au partenariat UE-ACP.
Votre rapporteur insistera sur deux autres orientations. La dimension politique
du partenariat doit, certes, être renforcée mais elle suppose
parallèlement une révision des conditions de mise en oeuvre de
l'aide. Actuellement, en effet, la communauté verse l'aide en plusieurs
tranches accordées sur la base d'indicateurs de performance très
détaillés et surveillés sur des périodes
rapprochées. Souvent, les gouvernements des Etats ACP souhaitent avant
tout satisfaire de façon formelle les conditions sans s'approprier
réellement les réformes entreprises. Par ailleurs comme le notait
l'étude sur Lomé précédemment citée, une
conditionnalité trop pesante place les bailleurs devant un dilemme :
" interrompre l'aide en raison d'un écart mineur par rapport au
programme convenu ou renoncer aux conditions ". Il ne s'agit certes
pas de
renoncer aux conditions mais d'en renforcer la crédibilité en
subordonnant les versements d'aide non aux engagements formels mais aux
résultats passés appréciés dans un équilibre
d'ensemble et évalués à des échéances
pertinentes pour prendre la mesure des efforts accomplis par le pays
bénéficiaire.
En second lieu, si la simplification des instruments et des procédures
de l'aide suggérée par le Livre vert apparaît en effet
nécessaire, elle doit s'accompagner d'un effort d'évaluation de
la coopération européenne et aussi et surtout, d'une meilleure
coordination de l'aide au sein de l'Union européenne (entre aides
bilatérales d'une part et aide bilatérale et multilatérale
d'autre part).
Telles sont les orientations qui, pour votre rapporteur, doivent guider la
négociation d'un nouveau partenariat.