B. DES ÉVOLUTIONS INDISPENSABLES
En mai 1997, le Conseil économique et social de la Réunion a élaboré une étude très intéressante sur le logement social, valable pour l'ensemble des DOM et qui dresse un constat critique de la politique menée dans ce domaine. Elle contient des propositions concrètes auxquelles votre rapporteur adhère pleinement et souhaiterait qu'elles inspirent le nouveau Gouvernement.
1. Le constat
La situation actuelle en outre-mer se caractérise par une inadaptation de l'offre aux besoins, la mise en place de dispositifs aux effets pervers, l'inadéquation des produits aux demandes des ménages et une solvabilité insuffisante de ces derniers.
a) Une réponse inadaptée aux besoins
Les besoins en matière de logement social dans les DOM
sont considérables : 30 % des logements sont précaires ou
dépourvus d'éléments de confort (environ 120.000 logements
sur 400.000) et 15 % sont insalubres (soit 60.000 logements). La demande
en logements sociaux est évaluée à 17.000 environ par an
alors que ces crédits permettent d'en financer environ 12.000 par an.
A la Réunion, l'évolution démographique et sociale
amène chaque année de nombreux nouveaux ménages à
rechercher un logement. Or, actuellement la construction de nouveaux logements
sociaux atteint à peine la moitié des besoins recensés.
b) Des dispositifs aux effets pervers
Trois facteurs expliqueraient une grande partie des blocages
actuels rencontrés en matière de logement social.
Premièrement, le fort endettement des communes a des conséquences
importantes.
De 1978 à 1986, la politique de l'Etat en faveur de l'accession à
la propriété très sociale s'est appuyée sur les
communes et a contribué à la détérioration des
finances de ces collectivités. Cette période a vu le
développement des logements très sociaux (LTS), maisons
individuelles à coût très réduit, en accession
à la propriété dont les terrains continuent à
appartenir à la commune. Les communes ont été souvent
maîtres d'ouvrage de ces opérations et ont pris en charge les
prêts complémentaires, nécessaires pour la viabilisation
des parcelles et la construction des logements.
Les municipalités ont alors contracté des emprunts à long
terme sur trente ans (horizon 2005-2010). Malgré les subventions de
l'Etat, les charges d'emprunts mobilisées notamment à une
période d'inflation soutenue, sont demeurées fortes et continuent
à peser sur les finances des communes qui ne peuvent plus concourir
aussi fortement à l'aide à l'habitat.
Deuxièmement, la situation financière délicate de
nombreuses communes a déclenché un " durcissement " des
mécanismes de garantie dont l'incidence a été directement
ressentie sur le coût des logements et des loyers.
Enfin, on a constaté un renchérissement du coût du foncier
lié à la conjonction de plusieurs facteurs comme les mesures de
défiscalisation des investissements (développement de la
construction de résidences et spéculations sur un foncier de plus
en plus rare) ou l'attitude des communes tentées d'adopter une attitude
plus spéculative dans un souci d'équilibre budgétaire.
c) Des produits inadaptés
La gamme des produits proposés a fait apparaître
des dysfonctionnements.
Ainsi, par exemple, pour le logement évolutif social (LES), les
accédants sont souvent insatisfaits des prestations rudimentaires
proposées alors que l'obtention d'un logement est fréquemment
considérée comme un dû. Cette catégorie de logement
de type " maison individuelle " est fortement consommatrice
de
foncier, déjà rare, et apparaît davantage adaptée
aux zones rurales.
Pour le logement locatif social (LLS), les loyers proposés restent trop
élevés pour y loger les familles les plus démunies et les
" opérateurs " privilégient les familles moyennes
solvables qui à leur tour refusent de libérer ce type de logement
pour un logement ILM qui leur revient plus cher à prestations
pratiquement identiques.
d) Une solvabilité insuffisante des ménages
En outre-mer, l'aide personnalisée au logement n'existe
pas. Quant à l'allocation logement, de nombreuses conditions limitent
l'extension de son bénéfice.
Ainsi pour percevoir une allocation logement, le logement concerné doit
répondre à certaines normes d'hygiène, de salubrité
et d'occupation. Or la mauvaise qualité du parc et la cohabitation de
plusieurs ménages dans un même lieu écartent beaucoup de
familles du bénéfice de cette allocation.
2. Les propositions
L'amélioration du système de financement du
logement social, tant au niveau des aides à la pierre et des produits
que des conditions d'intervention de l'aide à la personne est une
priorité.
Trois objectifs doivent être recherchés :
- recréer des parcours résidentiels cohérents : la
réforme des produits doit permettre d'offrir un parc locatif
conséquent, de bonne qualité et de recalibrer le mode de
financement de l'accession à la propriété à
destination des catégories moyennes ;
- maîtriser les coûts des constructions et les loyers de
sortie : cette maîtrise devrait être facilitée par la
création d'un établissement public foncier. Des prescriptions
techniques devraient être prises pour tenir compte
d'éléments qualitatifs dans l'octroi de l'aide à la pierre
;
- mieux solvabiliser les ménages en locatif et en accession
intermédiaire.
a) Recréer des parcours résidentiels cohérents
Ceci suppose que le parc de logements soit suffisamment diversifié et ceux-ci se distinguent davantage en termes de caractéristiques physiques et de niveau de prestations. Ainsi, pour justifier un loyer plus important, le logement social doit-il se distinguer du logement très social (logements locatifs très sociaux -LLTS-/logements locatifs sociaux -LLS-). De même, il serait souhaitable que la politique du logement social privilégie les produits locatifs pour permettre l'accès à des ménages à très faibles revenus et l'amélioration du locatif intermédiaire (immeuble à loyer moyen -ILM-) en termes de qualité. Parallèlement, une réforme des produits pourrait s'articuler autour de la redéfinition de l'attribution des loyers évolutifs sociaux (LES), la maîtrise des coûts des LLS, la relance de l'accession intermédiaire et la refonte du produit ILM qui pourrait être rendu plus attractif en jouant sur divers paramètres (la durée du prêt, le taux d'intérêt et le niveau des plafonds de ressources).
b) Maîtriser les coûts de construction
La création d'un établissement public foncier
entre l'Etat, la région, le département et les communes
constituerait un outil privilégié d'une politique foncière
à moyen ou long terme. Cette structure aurait la charge de
l'acquisition, de la conservation et de la rétrocession des terrains.
L'établissement public foncier aurait donc au moins deux missions :
1) une mission à court terme : par sa puissance, son savoir-faire
et sa capacité à mettre un certain nombre d'acteurs du foncier
face à leurs responsabilités, il devrait avoir un effet
modérateur sur les prix ;
2) une mission à long terme : constituer des réserves
foncières pour le moyen et le long terme, avec comme objectifs de
compléter les actions communales et de structurer les zones urbaines.
c) Mieux solvabiliser les ménages
Une plus grande équité pourrait être
recherchée entre les ménages percevant le RMI et ceux ayant de
faibles revenus d'activité, souvent pénalisés dans
l'attribution de l'allocation logement.
Une réforme de cette allocation pourrait être également
envisagée pour l'accession intermédiaire avec une modification du
barème pour l'accès aux prêts sociaux immédiats
(PSI). Cette mesure permettrait de relancer l'accession sociale, en faisant
bénéficier, comme en métropole, les ménages
à revenus intermédiaires d'une aide à la personne pour
l'accès au logement en accession.
*
Compte tenu de l'ampleur des réformes à entreprendre, votre commission des Affaires sociales, sur la proposition de son rapporteur, suggère que soit organisée rapidement une mission sur le thème du logement social en outre-mer, afin d'étudier en profondeur les modalités d'une telle réforme.
*
En conclusion, votre commission se félicite des
éléments de
continuité
contenus dans le
présent projet de budget.
Elle rappelle en particulier qu'il faut mettre à l'actif du
précédent gouvernement la mise en oeuvre de
l'égalité sociale dans les départements d'outre-mer. Cette
politique a conduit à l'alignement de la quasi-totalité des
prestations sociales sur celles de la métropole, sous réserve de
trois allocations spécifiques (l'allocation au premier enfant, le
complément familial, la prestation spécifique de restauration
scolaire).
Toutefois, si le Gouvernement actuel n'a pas manifesté l'intention de
remettre en cause ces spécificités, aucune précision n'a
été donnée quant à l'impact qu'auront les mesures
prévues en métropole, notamment en matière de plafonnement
des allocations familiales. D'une manière générale, votre
commission souhaite que le Gouvernement expose clairement, lors des
débats au Sénat, la politique qu'il entend mener en
matière de protection sociale en outre-mer.
En tout état de cause, votre commission donne acte au Gouvernement de la
progression non négligeable des crédits consacrés à
l'outre-mer et des objectifs qu'il s'est fixés en matière
d'emploi et de logement.
Elle vous propose, dans ces conditions, d'émettre un avis de sagesse
sur les crédits consacrés à l'outre-mer pour 1998.