CHAPITRE III -
L'ESPACE ET LE RENSEIGNEMENT MILITAIRES

Cités par le livre blanc sur la Défense au premier rang des nouvelles capacités prioritaires de nos forces armées, le renseignement et le commandement sont désormais reconnus comme des fonctions déterminantes pour la prévention et la gestion des conflits. Le renforcement de ces fonctions se traduit par une priorité affichée en faveur du développement des programmes spatiaux militaires et des moyens humains du renseignement.

I. L'ESPACE MILITAIRE : UN DOMAINE STRATÉGIQUE QUI POURRAIT SOUFFRIR D'UNE INSUFFISANTE COOPÉRATION EUROPÉENNE

La loi de programmation a reconnu le rôle essentiel des programmes spatiaux militaires de communication et d'observation, à la fois pour garantir l'autonomie et la fiabilité des décisions et pour assurer l'efficacité des actions de projection.

De fait, tout en ne représentant qu'un peu moins de 4 % des dépenses d'équipement des armées, l'effort de la France dans le domaine spatial militaire est très significatif, notamment par rapport à celui des autres pays européens, même s'il reste sans commune mesure avec le budget spatial militaire des Etats-Unis, environ vingt-cinq fois supérieur.

La suprématie américaine dans ce domaine crucial souligne avec plus d'acuité encore la nécessité pour la France de maintenir son effort si elle souhaite préserver, pour elle-même et pour l'Europe, l'autonomie que procurent les équipements spatiaux.

Rappelons que la loi de programmation préservait l'enveloppe consacrée à l'espace, représentant 20,7 milliards de francs sur six ans soit près de 3,5 milliards de francs par an, et retenait un double objectif : la poursuite et le perfectionnement du programme de communication SYRACUSE d'une part, et d'autre part, le développement en coopération d'un système d'observation global et cohérent, efficace de jour comme de nuit et par tous temps, grâce à l'association d'un satellite d'observation optique plus performant (HÉLIOS II) et d'un satellite d'observation radar (HORUS).

Au regard de ces objectifs et du caractère stratégique de l'équipement spatial, le projet de budget pour 1998 apparaît comme un signe inquiétant . En effet, les crédits relatifs à l'espace se montent à 3,1 milliards de francs et régressent de près de 200 millions de francs par rapport au budget voté de 1997. Ils se situent également nettement en retrait du niveau envisagé par la loi de programmation.

En dépit du caractère stratégique des programmes spatiaux et du rôle moteur de la France pour leur développement en Europe, l'espace n'est pas épargné par la réduction générale des crédits d'équipement des armées.

Cette contraction de l'enveloppe se traduit inévitablement par des mesures de moratoire ou d'étalement des programmes, mesures qui reflètent aussi très largement les difficultés de la coopération avec nos partenaires européens. A ce titre, l'absence d'engagement allemand sur HÉLIOS II et surtout sur HORUS s'avère gravement préoccupante pour l'avenir des programmes spatiaux militaires d'observation.

Avant d'analyser les conséquences de la réduction des crédits affectés à l'espace pour 1998, votre rapporteur souhaite en effet rappeler l'absolue nécessité de parvenir à poursuivre et à développer la coopération européenne dans le domaine spatial militaire.

A. UN ENJEU MAJEUR DE SOUVERAINETÉ QUI PASSE PAR UNE COOPÉRATION EUROPÉENNE ACCRUE

L'acquisition de moyens spatiaux militaires constitue pour la France, et au-delà pour l'Europe, un enjeu majeur de souveraineté qui implique une coopération européenne beaucoup plus active. Cette dernière paraît aujourd'hui très affaiblie en raison du caractère de plus en plus hypothétique de la participation allemande aux programmes spatiaux d'observation .

1. Un enjeu majeur de souveraineté

Le rôle croissant des équipements spatiaux dans la prévention ou la gestion des crises les rend indispensables à tout pays ou tout ensemble de pays soucieux de préserver une capacité d'action autonome.

Ceux-ci sont en effet nécessaires aux communications à longue distance lors d'opérations de projection, les besoins spécifiquement militaires concernant la couverture géographique, la protection contre les agressions, le brouillage ou les interceptions exigeant des moyens adaptés, même s'ils peuvent en partie reprendre les caractéristiques des satellites civils.

Ils permettent surtout un développement considérable des capacités d'observation, grâce à la liberté de survol, à la faible vulnérabilité, à l'ampleur du champ observé et à la fréquence élevée d'observation. Ils améliorent la qualité de la documentation militaire (cartographie et surtout sites sensibles et objectifs militaires) et favorisent la surveillance d'un territoire que ce soit en temps de paix ou en temps de crise. Ces observations sont rapidement remises à jour. Elles permettent de connaître le positionnement des forces, de repérer les objectifs et de guider les armes à longue portée.

Les équipements spatiaux militaires connaissent en outre d'autres applications telles que l'écoute électromagnétique, qui permet de détecter une activité militaire avant l'éclatement d'une crise ou d'un conflit, la détection des tirs de missiles (alerte avancée), les systèmes de localisation et de navigation.

En raison de la capacité de décision et de l'autonomie d'action qu'ils confèrent, les moyens spatiaux militaires constituent un enjeu majeur de souveraineté. La France a pu en faire l'expérience depuis le lancement de ses satellites d'observation HÉLIOS I en 1995, car elle a pu se livrer à sa propre appréciation de certaines situations, sans dépendre exclusivement de sources d'information extérieures.

Toutefois, bien que sans équivalent en Europe, les moyens spatiaux militaires français restent très modestes au regard de ceux des Etats-Unis. On rappellera que le budget spatial militaire américain représente annuellement environ 15 milliards de dollars, soit un niveau 25 fois supérieur au budget français. La politique américaine vise aujourd'hui à multiplier la puissance et l'efficacité des moyens satellitaires en envisageant, au début du siècle prochain, la mise en orbite de "constellations" de satellites de communication, d'observation ou d'écoute électromagnétique qui amélioreront considérablement les performances dans le domaine du renseignement et des transmissions.

Face à la puissance américaine dans le domaine spatial, il importe de développer des capacités françaises et européennes propres qui, sans rivaliser avec le niveau atteint par les Etats-Unis, doivent permettre de préserver une certaine autonomie stratégique. Malheureusement, l'association de l'Allemagne aux efforts entrepris par la France et certains de ses partenaires européens, paraît aujourd'hui compromise à court terme.

2. Une coopération européenne en panne faute d'engagement allemand

Votre rapporteur a souligné à plusieurs reprises par le passé la nécessité d'une coopération européenne accrue dans le domaine spatial, à la fois pour des raisons financières (le coût des équipements, difficilement supportés par un seul Etat), pour des raisons industrielles (le renforcement de la synergie entre programmes civils et militaires dans le cadre d'une industrie spatiale européenne consolidée) et pour des raisons politiques (le rôle que peut jouer l'espace dans la concrétisation d'une Europe de la défense).

En dehors du centre expérimental satellitaire de Torrejon (Espagne), créé dans le cadre de l'UEO, il n'existe pas pour l'instant d'initiative européenne d'envergure dans le domaine spatial militaire.

En revanche, plusieurs initiatives nationales ont débouché vers des solutions de coopération bilatérale ou multilatérale de nature à faciliter le financement et la mise en oeuvre des programmes.

Ainsi, le système d'observation optique HÉLIOS I, lancé par la France en 1986, a-t-il été rejoint par l'Italie en 1987 et l'Espagne en 1988.

Dans le domaine des satellites de télécommunication, le programme SYRACUSE III, qui succédera à SYRACUSE II en 2005, devrait être conduit en coopération franco-britannique, avec éventuellement une participation allemande.

Enfin, l'accord intervenu le 7 décembre 1995 lors du sommet franco-allemand de Baden-Baden devait jeter les bases d'une importante coopération entre la France et l'Allemagne dans le domaine des satellites d'observation. Outre une participation dans le programme HÉLIOS II, l'Allemagne devait assurer la maîtrise d'oeuvre et prendre en charge la plus grande part du financement du satellite d'observation radar HORUS, complément indispensable des satellites d'observation optique pour obtenir une capacité d'observation par tous les temps.

L'accord de Baden-Baden revêtait une portée politique importante, car il rattachait l'Allemagne à l'Europe dans le domaine du renseignement satellitaire, domaine dans lequel elle entretenait une relation privilégiée avec les Etats-Unis. Il ouvrait par ailleurs de vastes perspectives pour le développement futur de moyens spatiaux européens, l'apport industriel et financier de l'Allemagne apparaissant décisif, aux côtés de celui de la France, pour enclencher une dynamique dans ce domaine.

Depuis lors, et malgré l'engagement personnel du chancelier allemand, aucune décision concrète de confirmation de la participation allemande à nos grands programmes spatiaux n'est intervenue.

Les implications financières de ces programmes et la possibilité de recours aux moyens américains ont incité certains responsables publics allemands à remettre en cause l'opportunité de construire un système d'observation radar européen.

Officiellement, l'Allemagne n'a pas renoncé à s'associer aux programmes HÉLIOS II et HORUS mais force est de constater qu'aujourd'hui sa participation s'avère de plus en plus hypothétique.

Cette probable défection allemande rend désormais plus lointaines les perspectives d'une Europe spatiale militaire et fragilise la possibilité pour les européens d'acquérir des capacités propres leur conférant une certaine autonomie stratégique. Elle renforce au contraire l'hypothèse d'une domination américaine plus affirmée encore.

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