CHAPITRE II -
LES QUESTIONS NUCLÉAIRES
Avec 16,5 milliards de francs dans le projet de budget pour
1998, les
crédits consacrés à la dissuasion
nucléaire sont inférieurs de 2,3 milliards de francs, soit
près de 13 %, au niveau prévu par la loi de programmation
militaire 1997-2002.
La loi de programmation tirait les conséquences de la révision
à la baisse de notre posture nucléaire, fondée sur le
principe de suffisance, dans le cadre d'un nouveau contexte
géostratégique, qui se traduit par l'abandon de la composante
terrestre, l'arrêt de la production de matières nucléaires
militaires dans les usines de Pierrelatte et de Marcoule et l'arrêt des
essais nucléaires. Elle maintenait toutefois le
rôle central de
la dissuasion dans notre stratégie
et mettait en place les moyens
financiers permettant au pays de disposer d'un arsenal nucléaire
sûr et crédible, grâce à la modernisation des
composantes océanique et aéroportée et au
développement d'un programme de simulation, corollaire indispensable de
l'arrêt des essais.
Dans un domaine aussi essentiel, qui nécessite plus que tout autre le
meilleur niveau de crédibilité, les réductions de
crédits qui seront opérées en 1998 ne peuvent que susciter
l'inquiétude.
Votre rapporteur rappellera tout d'abord les deux impératifs qui
conditionnent la crédibilité de notre dissuasion future : le
programme de simulation et le maintien de deux composantes modernisées.
Il présentera ensuite les incidences du budget 1998 sur ces deux volets
de notre politique, qui risquent d'être fragilisés par
l'incertitude qui pèse sur le financement des programmes
nucléaires
au cours des années prochaines.
I. LE PROGRAMME DE SIMULATION ET LA MODERNISATION DE NOS DEUX COMPOSANTES : UN DOUBLE IMPÉRATIF POUR LA CRÉDIBILITÉ A LONG TERME DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE
Le rapport annexé à la loi de programmation
militaire 1997-2002, tel qu'il a été approuvé par le
Parlement rappelle que
" la dissuasion reste l'élément
fondamental de la stratégie de défense. Elle demeure la garantie
contre toute menace sur nos intérêts vitaux, quelles qu'en soient
l'origine et la forme. Elle reste nécessaire dans un monde où la
vigilance continue de s'imposer ".
Il ajoute que
" sur le plan des moyens, notre politique de
dissuasion
doit tenir compte à la fois de la permanence de certains risques et des
évolutions favorables de l'environnement international ".
Aussi a-t-il été décidé de revoir la situation et
le niveau de la force de dissuasion
" dans le strict respect des
principes de suffisance et de crédibilité ".
Cette doctrine débouchait sur
deux impératifs :
. après l'abandon de la composante sol-sol, la
modernisation
programmée des composantes océanique et aéroportée
qui doivent offrir
" la souplesse et la diversité qui
permettront à la dissuasion française de rester pertinente et
crédible en toutes circonstances ",
. après l'arrêt des essais, la
poursuite du programme de
simulation
qui permettra
" de garantir, dans l'avenir,
la
sûreté et la fiabilité de nos armes
nucléaires ".
Lors du vote de la loi de programmation, votre commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées
avait souligné qu'elle considérait que ces deux axes majeurs
constituaient le
seuil incompressible
en-deçà duquel la
dissuasion nucléaire perdrait sa crédibilité. Ainsi
reste-t-elle particulièrement vigilante sur la poursuite de ce double
objectif et sur le respect des engagements financiers indispensables à
leur réalisation.
A. LE PROGRAMME DE SIMULATION
Le programme de simulation est le corollaire indispensable de l'arrêt des essais et du démantèlement des installations d'expérimentation car lui seul permet de garantir la fiabilité et la sûreté des armes futures.
1. L'arrêt des essais et le démantèlement des installations du centre d'expérimentations du Pacifique
En signant le
traité d'interdiction complète
des essais nucléaires (CTBT) et en supprimant de manière
irréversible ses capacités d'expérimentation,
la
France a pris deux décisions majeures qui pèsent lourdement sur
les nouvelles orientations des programmes nucléaires.
Votre rapporteur ne reviendra pas longuement sur ces deux décisions
qu'il a largement commentées dans son avis budgétaire de l'an
passé.
S'agissant du traité d'interdiction complète des essais
nucléaires, rappelons simplement qu'il interdit
" toute
explosion expérimentale d'arme nucléaire, ou toute autre
explosion nucléaire ",
formule qualifiée d'option
zéro car elle prohibe tous les essais, y compris ceux de faible
puissance. Elle n'exclut pas cependant les programmes de simulation tels que
ceux mis en oeuvre par la France et les Etats-Unis.
Il met également en place un régime de vérification qui
s'appuie sur plusieurs éléments : un système international
de surveillance constitué de 321 stations de mesures réparties
d'une manière globalement uniforme sur les continents et les
océans, de laboratoires et d'un centre international de recueil, de
stockage et de gestion de données, un régime d'inspection sur
place, des procédures d'échange d'informations entre les
Etats-parties et l'organisation internationale du traité. Cette
dernière comprend une conférence des Etats-parties, un conseil
exécutif et un secrétariat technique qui, sous la supervision du
conseil exécutif, assume la responsabilité d'ensemble du
système de vérification. L'organisation doit progressivement se
mettre en place à Vienne, sous l'égide d'une commission
préparatoire installée depuis mars dernier et qui poursuivra sa
mission jusqu'à l'entrée en vigueur du traité.
Il reste désormais à rendre effective l'application de ce
traité, dont l'entrée en vigueur nécessite la ratification
par 44 Etats-membres de la Conférence du désarmement
possédant des capacités nucléaires de recherche ou
industrielle, ce qui permet d'inclure sans les viser expressément les
cinq puissances nucléaires déclarées et les trois Etats du
seuil : l'Inde, le Pakistan et Israël. Si cette condition n'est pas
atteinte au bout de deux ans, une conférence des Etats ayant
déjà ratifié devra se réunir pour statuer sur
l'entrée en vigueur sans attendre que la condition inscrite dans le
traité soit totalement remplie.
Cette hypothèse est aujourd'hui la plus probable dans la mesure
où l'Inde s'oppose toujours à la signature du traité.
L'application effective du traité d'interdiction des essais et la mise
en oeuvre de vérifications efficaces sont d'autant plus importantes pour
notre pays que
la France a non seulement renoncé aux essais, mais
également aux capacités matérielles
d'expérimentation
dont elle disposait dans le Pacifique, alors que
des puissances nucléaires comme les Etats-Unis, la Russie et la Chine
ont conservé leurs sites d'essais.
En effet, le démantèlement des installations des centres d'essais
du Pacifique à Mururoa et Fangataufa a commencé dès 1996.
Au 1er juillet dernier, près de 60 % de la surface construite avait
été traitée.
Cette opération représente un coût global de 130 millions
de francs.
Une partie des équipements scientifiques a été
ramenée au CEA en métropole alors que l'essentiel des
matériels sont récupérés par les armées,
notamment au profit du 5e Régiment étranger stationné sur
l'atoll de Hao. Les matériels restants ont été
cédés aux communes et au territoire de Polynésie
française ou vendus.
Par ailleurs, l'Agence internationale de l'énergie atomique doit rendre
en fin d'année ses conclusions sur les conséquences des essais
effectués et la surveillance des atolls de Mururoa et Fangataufa
reposera désormais sur un système de mesures et de
détection automatiques, dont le gardiennage sera assuré par une
section du 5e Régiment étranger.
La totalité des opérations de démontage devrait être
achevée en 1998, année au cours de laquelle disparaîtra la
Direction des centres d'expérimentations nucléaires (DIRCEN).
En résumé, la France qui a pris l'engagement juridique de
renoncer aux essais en signant le traité, ne dispose plus aujourd'hui
des moyens techniques nécessaires à la réalisation des
expérimentations nucléaires.
Au-delà de l'ultime campagne d'essais qui a permis de certifier les
têtes nucléaires TN75 qui équipent désormais les
missiles M45 des SNLE de nouvelle génération, d'étudier le
comportement d'amorces robustes, plus tolérantes aux variations
technologiques, et d'acquérir de nouveaux éléments
indispensables de mesure des phénomènes physiques,
la
simulation constitue désormais un moyen nécessaire pour
pérenniser la capacité de dissuasion nucléaire de la
France.
2. La garantie de la fiabilité et de la sûreté de la dissuasion repose désormais sur le programme de simulation
Votre rapporteur croit utile de revenir cette année
encore sur les enjeux et le contenu du programme de simulation.
Il faut en effet rappeler que le programme de simulation répond à
la nécessité de
garantir à la fois la
sûreté et la fiabilité des armes actuelles et de celles qui
les remplaceront,
mais aussi d'assurer à plus long terme la
fiabilité de la dissuasion :
- les armes subissent des phénomènes de vieillissement des
charges qu'il importe de surveiller et dont il faut mesurer les incidences pour
y remédier. En l'absence d'essais, la simulation permettra
d'évaluer les conséquences du vieillissement des charges et
contribuera au maintien de la durée de vie des armes actuelles, telle
qu'elle est prévue jusqu'à leur remplacement.
- les têtes nucléaires appelées à remplacer les
charges actuelles bénéficieront des concepts
" robustes " testés lors de la dernière campagne
d'essais, qui devraient limiter les modifications par rapport aux engins
testés. Mais seule la simulation permettra de garantir la
fiabilité et la sûreté de ces charges nouvelles, garantie
sans laquelle la dissuasion perdrait une part de sa crédibilité.
- enfin, à plus long terme, les concepteurs des armes qui assureront le
renouvellement appartiendront à une génération n'ayant pas
été confrontée aux essais en grandeur réelle.
Au-delà des données recueillies lors de ces essais, la simulation
leur fournira des calculateurs et des moyens expérimentaux
adaptés (la machine radiographique AIRIX et le laser Mégajoule)
leur permettant d'apporter la garantie de la fiabilité et de la
sûreté des armes.
En résumé, le maintien de la dissuasion nucléaire suppose
non seulement un arsenal d'armes nucléaires mais aussi une
garantie
permanente de la fiabilité et de la sûreté de ces armes
qu'en l'absence d'essais, seule la simulation peut apporter.
La mise en oeuvre du programme de simulation repose sur de
puissants moyens
de simulation numérique
fournis par des ordinateurs beaucoup plus
performants que ceux actuellement en service, et sur des
installations
expérimentales
permettant de valider les modèles physiques
décrivant les phénomènes essentiels du fonctionnement des
armes nucléaires : la
machine radiographique AIRIX
pour la
visualisation détaillée du comportement dynamique de l'arme, et
le
laser Mégajoule
pour l'étude des
phénomènes physiques, notamment thermonucléaires.
La
machine radiographique AIRIX
, en phase de construction à
Moronvilliers, en Champagne, sera vouée à l'analyse de la
dynamique des matériaux et elle permettra d'étudier le
fonctionnement non nucléaire des armes, à l'aide
d'expériences au cours desquelles les matériaux nucléaires
sont remplacés par des matériaux inertes. Elle devrait être
opérationnelle dès 1999 et succéder à l'actuelle
machine GREC.
Projet de plus grande ampleur, le
laser Mégajoule
qui sera
installé au Barp, en Gironde, est pour sa part destiné à
l'étude du domaine thermonucléaire. Il permettra de
déclencher une combustion thermonucléaire sur une très
petite quantité de matière et de mesurer ainsi les processus
physiques élémentaires. Le développement du projet doit
s'effectuer en plusieurs étapes, avec tout d'abord la construction d'une
ligne d'intégration laser (LIL) qui devra valider et qualifier la
définition de la chaîne laser de base du laser Mégajoule.
Le
calendrier du programme de simulation
a été
arrêté en fonction de
plusieurs critères
: d'une
part,
la relève des équipes de concepteurs actuels
par des
équipes n'ayant pas connu les essais nucléaires, qui implique la
mise à disposition de ces dernières de moyens de simulation, et
d'autre part les
échéances de remplacement des charges
nucléaires actuelles
.
Les principales phases de ce calendrier sont :
. 1999 : premier tir de démonstration sur AIRIX et début de la
construction du bâtiment du laser Mégajoule,
. 2000 : recette finale de l'installation d'AIRIX,
. 2001 : qualification de la ligne d'intégration laser,
. 2006 : premières expériences sur le laser Mégajoule avec
un tiers des faisceaux,
. 2010 : premières expériences sur le laser Mégajoule avec
la totalité des faisceaux.
Le respect de ce calendrier implique celui des enveloppes financières
affectées au programme, dont les investissements ont été
évalués à 6,5 milliards de francs pour le laser
Mégajoule, 500 millions de francs pour la construction d'AIRIX et 170
millions de francs pour la première génération
d'ordinateurs.
Au-delà des exigences liées à la garantie de nos armes
nucléaires, votre rapporteur souhaiterait également souligner
l'importance du programme de simulation pour le maintien en France d'une
très forte capacité scientifique dans le domaine du
nucléaire militaire, qui place nos chercheurs, avec les
Américains, au plus haut niveau de compétence. Il importe de
préserver ce potentiel scientifique exceptionnel
qui, par
ailleurs, ne manquera pas de favoriser des
retombées positives dans
la recherche civile
, que ce soit dans le domaine des lasers ou par l'apport
de la méthodologie de la simulation pour des domaines tels que la
sûreté nucléaire ou la biologie.