B. LES VOIES DU CHANGEMENT
Les observations précédentes doivent permettre
de mieux discerner les orientations de la politique africaine de la France pour
les années à venir. L'enjeu est capital car
l'influence de la
France sur le continent constitue un élément décisif du
statut de grande puissance dont notre pays peut se prévaloir sur la
scène internationale.
Rappelons-le, 150 000 Français vivent
et travaillent en Afrique. La France demeure pour le continent le premier
pourvoyeur d'aide, mais aussi le premier investisseur. Elle est
représentée par 121 groupes industriels et 68 banques ou
compagnies d'assurances. Elle contrôle 21 % des parts du marché
africain. En 1996, ses exportations vers le continent ont progressé de
9,5 % et ses importations de plus de 6 %. Les échanges se sont
soldés par un excédent français supérieur à
11 milliards de francs.
La politique africaine de la France doit s'articuler autour des deux axes qui
font sa spécificité : une volonté de présence, une
coopération renouvelée.
1. Une présence renforcée dans une Afrique élargie
La présence de la France sur le continent africain soulève deux questions majeures : dans quel cadre géographique doit-elle s'inscrire ? Quels efforts doivent être accomplis en faveur de la communauté française ?
a) L'Afrique, partenaire privilégié
Selon votre rapporteur, l'aide publique doit se concentrer
sur
l'Afrique. Aussi la disparition de la notion de " champ " et
l'extension des attributions du secrétariat d'Etat à la
coopération à l'ensemble des pays en développement pouvait
faire craindre une dilution des concours publics sur un nombre excessif de
pays. Ce risque paraît conjuré. En 1997, l'Afrique
bénéficie de 72 % des ressources procurées par les
programmes de coopération destinés aux 34 nouveaux pays
d'Afrique, du Pacifique Sud et des Caraïbes.
La coopération avec les pays Caraïbe représente 8 % des
moyens engagés. Mais les programmes demeurent modestes. Le plus
important, destiné à la République dominicaine, ne
dépasse pas 7 millions de francs. En outre, un fonds Caraïbe
(doté de 7 millions de francs) dont les crédits sont
délégués au Préfet de la Guadeloupe finance des
projets permettant de favoriser l'insertion des départements d'outre-mer
dans la région.
La part dévolue aux pays du Pacifique Sud (20 % du financement au titre
des programmes attribués aux nouveaux pays du champ) peut surprendre au
regard des besoins de développement et du poids démographique de
ces micro-Etats.
Même si la présence de la France dans le Pacifique Sud
représente un enjeu géostratégique majeur, la
concentration de l'aide sur le Vanuatu (plus de 26 millions de francs -soit 72
% du montant des programmes bilatéraux) soulève quelques
interrogations.
La priorité dévolue à l'Afrique demeure cependant
préservée. De ce point de vue, les programmes de
coopération s'inscrivent dans la cohérence des choix retenus pour
l'attribution des aides au titre du Fonds d'aide et de coopération
(FAC). Toutefois, les programmes de coopération permettent d'ouvrir
notre aide à de nouveaux pays africains. Il convient de s'en
réjouir. Certes, les pays d'Afrique francophone doivent demeurer
privilégiés mais ils ne sauraient cependant, aujourd'hui,
recueillir l'exclusivité du soutien français en Afrique.
En effet, l'Afrique bouge. De nouvelles puissances régionales
émergent. Des perspectives de développement intéressantes
se dessinent. Or souvent, les autres anciennes puissances coloniales, longtemps
indifférentes, ne peuvent se prévaloir d'aucune " chasse
gardée ". Au contraire, dans de nombreux pays, la présence
française est sollicitée et notre aide présente un fort
impact en termes politiques, à la différence des pays
francophones où du fait de la fidélité de notre pays aux
liens tissés par l'histoire, l'appui de la France revêt presque un
caractère " normal ". Il y a donc là dans les pays du
champ des opportunités politiques et économiques dont il faut
jouer.
Les étapes retenues lors de la première tournée en Afrique
du ministre des affaires étrangères -du 8 au 11 octobre dernier-
apparaissent significatives à cet égard : au Gabon et à la
Côte d'Ivoire sont en effet venus s'ajouter l'Afrique du Sud et
l'Ethiopie. Il n'est d'ailleurs pas indifférent que ces deux derniers
pays, avec le Nigeria et le Kenya, figurent au premier rang des pays africains
bénéficiaires des programmes de coopération
destinés aux nouveaux pays du champ.
Trois programmes méritent à cet égard
l'intérêt :
-
le développement du français au Nigeria
pour
répondre au souhait manifesté par ce pays de développer
l'enseignement de notre langue (devenue deuxième langue officielle de ce
pays qui compte 112 millions d'habitants) à travers le renforcement des
actions en cours (écoles pilotes, alliances françaises, centres
de formation) mais aussi une initiative plus originale à laquelle le
Togo et le Bénin ont été associés (envoi
d'enseignants béninois en français et utilisation pour la
formation des maîtres nigérians de structures béninoises et
togolaises) ;
-
l'amélioration de l'élevage
(situation sanitaire des
troupeaux, modernisation des structures d'encadrement, organisation des
éleveurs)
dans la Corne de l'Afrique
(Djibouti, Erythrée
et Ethiopie) ;
-
la
coopération avec la Communauté de
développement de l'Afrique australe
avec pour premier axe, une
assistance technique auprès de l'unité chargée du
problème de l'eau (localisée au Lesotho).
La coopération privilégie l'Afrique du Sud qui, avec une dotation
de 36 millions de francs en 1997, apparaît comme notre premier partenaire
parmi les pays africains non francophones. Les enjeux commerciaux sont ici de
première importance et les échanges entre nos deux pays ont
d'ailleurs progressé de 20 % sur les six premiers mois de l'année.
b) Appuyer la présence française en Afrique
Notre influence en Afrique repose principalement sur cette
communauté de Français -chefs d'entreprises, salariés du
secteur privé, coopérants et leurs familles- qui oeuvre au
quotidien et parfois dans des conditions très difficiles au
développement, et à la pérennité de la
solidarité entre la France et l'Afrique. C'est pourquoi il convient de
donner à ces Français les moyens d'exercer leur activité
dans les meilleures conditions. Votre rapporteur insistera en particulier sur
trois aspect.
.
Un effort nécessaire en faveur des PME-PMI françaises
En premier lieu, les crédits aux petites et moyennes entreprises
françaises installées en Afrique devraient faire l'objet d'une
attention particulière. Or, la Caisse française de
développement ne met aucune ligne de crédit particulière
à disposition de cette catégorie d'entreprises -alors même
qu'à l'instar des sociétés africaines analogues, elles
vivifient et renforcent le tissu industriel d'un pays.
.
Un socle de garanties pour les travailleurs français en Afrique
Un socle de garanties doit être apporté aux travailleurs
français en Afrique. A cet égard, une réponse enfin
satisfaisante à la question des retraités pensionnés par
les caisses de retraites d'Etats africains de la zone franc pourrait avoir une
valeur exemplaire. On le sait, après avoir accompli tout ou partie de
leur carrière professionnelle en Afrique, les Français
rencontrent des difficultés récurrentes pour percevoir leurs
droits à pension acquis auprès des régimes locaux
d'assurance vieillesse. Surtout, la valeur de ces pensions s'est trouvée
réduite de moitié à la suite de la dévaluation du
franc CFA. Une mission tripartite dirigée par l'inspection
générale des affaires sociales, menée avec les services du
ministère des affaires étrangères et de la
coopération a certes reconnu que la France ne pouvait se substituer
à des Etats souverains pour garantir la valeur des prestations servies
par leurs régimes de sécurité sociale et libellées
dans leur monnaie nationale. On peut toutefois objecter que la
dévaluation du franc CFA est intervenue sur une initiative
française. Notre pays, qui a apporté une aide importante aux pays
africains, doit assumer sa part de responsabilité vis à vis de
ses propres ressortissants. Du reste, afin de tenir compte du préjudice
subi en 1994, la France avait institué une aide exceptionnelle
plafonnée et versée sous condition de ressources. Le gouvernement
a décidé de réexaminer, sans tenir compte de la date
limite, les quelques dossiers de demandes d'aide exceptionnelle au titre du
dispositif pour 1994 qui avaient été déposés hors
délai.
La mission tripartite a également formulé cinq propositions
intéressantes sur le versement des retraites par les régimes de
pension africains : une centralisation par le centre de sécurité
sociale des travailleurs migrants -l'organisme de liaison français- des
dossiers des personnes rencontrant des difficultés ; l'évocation
systématique de cette question lors des rencontres bilatérales ou
multilatérales entre le gouvernement français et ses homologues
africains ; une aide, dans le cadre de la politique de coopération, au
fonctionnement des caisses de retraite en complément de l'action
déjà menée au sein de la Conférence interafricaine
des institutions de prévoyance sociale en matière de
contrôle de gestion et d'assistance technique ; en cas de
carrière mixte accomplie en France et dans un Etat lié à
la France par une convention libérale de coordination, une liquidation
autonome et sans délais des pensions, afin que les retards ou les
carences des institutions étrangères ne se traduisent pas
également par des retards du côté français ; les
moyens de favoriser la preuve de leurs activités en Afrique pour les
personnes ayant cotisé à des caisses locales afin
d'améliorer la prise en compte de ces périodes pour le calcul des
pensions françaises.
Il faut espérer que ces propositions puissent se concrétiser
rapidement. Votre rapporteur, pour sa part, y apportera une attention vigilante.
Il ne faut jamais l'oublier, l'expatriation demeure en particulier pour tous
les travailleurs indépendants, un choix risqué mais aussi un
choix coûteux. Elle conduit à renoncer au double avantage que
représentent la gratuité de l'enseignement et une protection
sociale nationale généreuse.
C'est pourquoi il importe de soutenir nos compatriotes quand ces derniers se
trouvent confrontés à des situations difficiles comme ce fut le
cas à la suite de la dévaluation du franc CFA en 1994 ou encore
dans des périodes de trouble telles que la crise congolaise. Dans ces
circonstances il conviendrait d'examiner de façon
urgente
les
conditions d'une indemnisation directe ou indirecte. Ainsi au Congo, une
formule adéquate reposerait sur l'exonération de droits de douane
ou des dégrèvements d'impôt pour les opérateurs
français installés dans ce pays.
Certes, ces mesures dépendent avant tout du gouvernement congolais.
Mais,
dans le contexte actuel,
la France apparaît en mesure
d'obtenir des autorités de Brazzaville des initiatives en faveur des
Français du Congo.
.
Le dispositif militaire français en Afrique : un
élément essentiel pour la sécurisation de la
communauté française
La pérennité de notre présence en Afrique dépend du
maintien d'un dispositif militaire propre à sécuriser nos
concitoyens dans un environnement régional souvent marqué par
l'instabilité. Les événements du Congo Brazzaville ont
souligné tout l'intérêt d'une présence militaire
française. En juin dernier, dans le cadre de l'opération
Pélican, l'armée française a déployé
à Brazzaville 1 250 soldats et procédé à
l'évacuation en quelques jours de 5 700 personnes dont 1 523
Français. A cette occasion les militaires français ont, une fois
de plus, montré leur efficacité et leur courage. Il convient ici,
de leur rendre un nouvel hommage.
Ce n'est donc pas sans une profonde inquiétude que votre rapporteur
envisage les redéploiements de notre dispositif militaire sur le
continent.
Le dispositif militaire actuel
Pays |
8 125 hommes |
SENEGAL |
1 265 hommes/évolution possible : 1 100 hommes
Bataillon à 2 unités de combat
|
COTE D'IVOIRE |
580 hommes/maintien
Bataillon à 1,5 unité de combat
|
GABON |
600 hommes/évolution possible : 550 hommes
Bataillon à 2 unités de combat
|
TCHAD |
840 hommes/évolution possible : 550 hommes
Groupement Terre à 2,5 unités de combat - 1
détachement ALAT
|
RCA
|
1 390 hommes/évolution attendue : 0
Terre : 4 unités de combat - 1 détachement ALAT
|
DJIBOUTI |
3 450 hommes/évolution possible : 2 800 hommes
Terre : 8 unités de combat - 1 détachement ALAT
|
Le dispositif actuel s'articule autour de 6 bases, fortes de
quelque 8 000 hommes -dont 5 000 en zone subsaharienne. Il
développe capacité de prévention (fondée sur les
forces prépositionnées et la synergie avec la coopération
militaire technique) et capacité d'action avec une panoplie de moyens
peu nombreux mais facilement projetables et les possibilités de
renforcement du dispositif par des forces de métropole grâce aux
plates-formes portuaires ou aéroportuaires protégées par
nos éléments stationnés.
Dans le cadre de la réforme des armées, les travaux du
comité stratégique ont conduit à un réexamen de
l'ensemble de notre dispositif outre-mer et à une réduction des
effectifs prépositionnés. Les capacités
opérationnelles reposeront dès lors sur un dispositif
resserré constitué à terme par des unités
entièrement professionnalisées, composées, pour les deux
tiers, de personnels d'unités détachées en renfort de la
métropole pour une durée de 4 à 6 mois et pour le reste,
de personnels affectés sur le territoire.
La révision du dispositif devait également entraîner la
fermeture d'une base. Le choix s'est porté sur les bases
centrafricaines. Choix surprenant au regard de l'importance des infrastructures
concernées et surtout de la position centrale particulièrement
adaptée au déploiement de nos forces sur l'ensemble de la zone
Afrique centrale. Certes les ambiguïtés du Chef de l'Etat
centrafricain expliquent en partie la solution retenue. Mais ces
considérations politiques sont-elles à la mesure des enjeux
stratégiques que présente le dispositif militaire français
en Centrafrique ?
Si la rationalisation de notre présence militaire apparaît
inévitable dans le contexte actuel, trop d'incertitudes demeurent encore
sur les moyens de préciser nos capacités opérationnelles.
La sécurisation de nos compatriotes ne suppose pas nécessairement
un déploiement de forces considérables. Mais il faut au moins une
présence qui soit dissuasive.
A titre d'exemple, il aurait sans doute suffi de compléter l'effectif de
douze soldats affectés à la surveillance de notre Consulat
à Pointe-Noire, par un nombre équivalent de militaires
chargés de patrouiller en ville pour intimider les fauteurs de troubles
et rassurer ainsi la communauté française restée sur place
pendant les événements.