IV. DE NOUVELLES ORIENTATIONS POUR L'ENSEIGNEMENT SCOLAIRE
Plusieurs mesures annoncées par les deux ministres en charge de l'enseignement scolaire témoignent également du souci du gouvernement d'engager de nouvelles orientations pour alléger les programmes scolaires, aménager les rythmes éducatifs, développer les technologies nouvelles, diversifier l'apprentissage des langues étrangères et aussi remettre en cause certains aspects du statut des enseignants.
A. UNE RÉORIENTATION DES PROGRAMMES
1. Les indications apportées par les ministres devant la commission
Sur un plan général, un allégement des
programmes sera proposé pour substituer à un enseignement
" extensif " un enseignement intensif, sans doute moins
ambitieux,
mais plus accessible aux élèves.
L'enseignement des sciences dont les programmes se sont de plus en plus
alourdis en raison du caractère évolutif des disciplines devrait
être repensé, alors qu'il reste encore conçu davantage
comme un instrument de sélection que de culture.
Enfin, un enseignement consacré à la morale civique devra
être développé à partir de la dernière
année de maternelle et tout au long de la scolarité.
2. La rénovation des programmes actuellement engagée
a) La simplification des programmes dans le premier degré
Les nouveaux programmes de l'école primaire ont
été conçus pour répondre à un double
souci : simplification et recentrage sur l'essentiel, mise en
cohérence des contenus avec l'organisation de l'école en trois
cycles et avec les compétences de fin de cycle.
Les programmes pour l'école primaire ont été
réécrits et soumis à l'avis de tous les enseignants, lors
d'une consultation nationale sur le projet de programme publié le
1er septembre 1994.
Les observations des maîtres ont conduit à
rééquilibrer les horaires et à procéder à
des allégements significatifs. La pédagogie s'appuie
désormais sur l'expérience propre de l'élève,
l'objectif étant donc de rendre les contenus d'enseignement moins
théoriques.
Par rapport à ceux de 1985, les programmes ont été
modifiés dans chaque discipline pour privilégier l'observation et
l'expérience par rapport à la conceptualisation. Ainsi, dans le
cycle des approfondissements, en éducation civique, " le
système démocratique français " et la partie
" institutions " ont été jugés trop abstrait et
ambitieux pour le cycle des apprentissages fondamentaux : les services
publics sont donc restreints à un exemple et l'administration de la vie
locale, à la commune et au maire.
b) La rénovation des programmes dans le second degré
La réforme des programmes du collège constitue
un des aspects de la rénovation en cours et s'appuie sur la mise en
valeur de l'essentiel, sur la prise en compte des
complémentarités entre les disciplines et sur la rédaction
des contenus d'enseignement qui rendent ceux-ci accessibles, non seulement aux
professeurs de la discipline, mais aussi aux autres enseignants et aux parents
d'élèves.
Cette réforme vise différents objectifs et notamment :
- la maîtrise de la langue et l'éducation à la
citoyenneté ;
- les possibilités pour les enseignants de prendre en compte les
différences de rythmes et de modes d'apprentissage des
élèves. C'est pourquoi, les programmes sont prévus pour
80 % de l'horaire disponible.
3. Le développement de l'éducation civique
a) Dans l'enseignement élémentaire
A l'école primaire, l'éducation civique
bénéficie d'un horaire de quatre heures hebdomadaires
groupé avec celui de la " découverte du monde ",
c'est-à-dire l'histoire, la géographie, les sciences et la
technologie.
La réhabilitation de l'éducation civique, la rénovation de
ses enseignements et, par conséquent, la lutte contre
l'intolérance et la violence, constituent une des principales
orientations des nouveaux programmes de l'école primaire :
l'éducation civique doit assurer une véritable éducation
de la personne et du citoyen reposant sur une morale de la
responsabilité.
Face aux phénomènes de violence, l'école peut intervenir,
à titre préventif, en donnant des repères aux
élèves. Tout en précisant les notions essentielles sur les
institutions de la République, les programmes mettent l'accent sur le
respect des autres et des règles de la vie en commun.
A l'école maternelle, les enfants apprennent à " vivre
ensemble ", " à accepter et à respecter les
règles de la vie en société ", à
découvrir progressivement leur " métier
d'écolier ".
Dans le cycle des apprentissages fondamentaux, il s'agit de faire prendre
conscience des normes de la vie commune dans la classe et dans l'école.
Est également mentionné le respect du bien commun et du cadre de
vie et sont abordées l'éducation à la santé et
l'éducation à la consommation. Quelques éléments
essentiels de la vie civique sont évoqués : la
République et ses symboles, le président de la République.
Dans le cycle des approfondissements, les principes fondamentaux d'une morale
civique sont appréhendés à partir de l'analyse de faits de
la vie quotidienne et doivent imprégner toutes les activités de
l'école.
La connaissance des institutions est abordée à travers quelques
exemples tels que l'élaboration et le rôle de la loi, la justice,
le système démocratique français, la protection des
personnes, la protection sociale et la solidarité, la liberté
d'expression.
Dans le premier degré, l'analyse de situations vécues a pour
objet de favoriser l'émergence d'une citoyenneté qui encourage
les élèves à la responsabilité et à la
solidarité.
Dès la maternelle et tout au long de la scolarité, une inflexion
sera donnée pour que l'acquisition des connaissances relatives aux
institutions et à la vie démocratique viennent épauler
l'instruction et la morale civique.
A partir de la rentrée 1997, les premières instructions
pédagogiques nécessaires à cette orientation nouvelle de
l'éducation civique ont été communiquées aux
enseignants.
b) Au collège
Au collège, l'éducation civique répond
à plusieurs finalités : l'éducation aux droits de
l'homme et à la citoyenneté, la connaissance des institutions et
des lois, l'éducation au sens des responsabilités individuelles
et collectives, l'éducation au jugement.
En classe de sixième, une demi-heure hebdomadaire est prévue dans
le service des professeurs d'histoire-géographie, mais cet enseignement
est également de la responsabilité de l'ensemble de
l'équipe éducative.
L'horaire proposé pour le cycle central constitue un ensemble
" histoire-géographie-éducation civique " compris entre
trois et quatre heures hebdomadaires.
En classe de cinquième, la lutte contre les discriminations permet
d'appréhender le principe d'égalité. Les concepts de
solidarité et de sécurité sont étudiés
à partir d'exemples dans le cadre de la société et dans un
cadre de proximité. La connaissance des risques majeurs et l'examen des
problèmes de santé sont également abordés.
En classe de quatrième, différents droits sont
présentés et leur sens est explicité en relation avec les
libertés fondamentales. L'étude de la justice doit aussi conduire
les élèves à réfléchir à la place du
droit dans la vie sociale.
Enfin, l'étude de la défense des droits de l'homme en Europe
devrait permettre d'appréhender les fondements d'une citoyenneté
européenne. Les documents de référence proposés
à l'appui du programme sont les suivants : Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789, Déclaration universelle des
droits de l'homme de 1948, Constitution de 1958.
c) Au lycée
Au lycée, l'éducation civique ne fait pas l'objet d'un enseignement spécifique mais ses objectifs sont poursuivis à travers l'ensemble des disciplines, notamment, l'histoire et la géographie, les sciences de la vie et de la terre et la philosophie. Un module d'éducation à la citoyenneté sera introduit en classe de première à la rentrée de 1998, confié aux professeurs de philosophie, et s'appuiera sur l'histoire de la conquête de la démocratie. Dans cette perspective, le ministre a indiqué que les futurs enseignants devront passer une épreuve de morale civique dans les IUFM et que l'enseignement de l'histoire sera rénové.
4. Le projet d'ouvrage unique couvrant le champ de toutes les disciplines
La réflexion menée a mis en évidence l'ambiguïté de la place et de la fonction du manuel dans la classe et dans le travail personnel de l'élève. Si les contenus à inscrire dans un tel manuel ont pu être aisément cernés, la question du moment où il conviendrait de le donner aux collégiens est restée sans véritable réponse : en début de sixième, il pourrait devenir progressivement l'outil de travail privilégié des élèves ; en fin de 3e, il serait l'aboutissement de la scolarité obligatoire et donc le recueil des savoirs à partager par toute une classe d'âge.
5. La réforme annoncée de l'apprentissage de la lecture
a) Un constat inquiétant
Répondant à une déclaration du
président du conseil national des programmes qui estimait que 40 %
des enfants ne savaient pas lire, la ministre déléguée a
indiqué que l'estimation la plus crédible évaluait entre
10 et 20 % la proportion des élèves entrant en 6e qui
rencontrent des difficultés de compréhension.
Une étude de 1996 fondée sur les tests de lecture du service
national établit un bilan de l'illétrisme : 18,5 % des
appelés se situeraient en deçà du seuil de la lecture d'un
texte approfondi et parmi cette population non diplômée, 6 %
des jeunes n'auraient pas accès à l'écrit, 8 % ne
sauraient lire que des mots isolés, 14 % que des phrases
isolées et 22 % ne seraient capables que d'une lecture
superficielle de textes.
D'après une autre étude publiée le 10 septembre 1997
par l'INSEE, 10 % des jeunes hommes d'une classe d'âge ont des
problèmes de base en lecture. Chargé d'une mission sur ce
thème par le président de la République, M. Alain
Bentolila dénonce l'absence de politique cohérente contre
l'illétrisme, relève l'incapacité du système
scolaire à récupérer les élèves en grande
difficulté et évalue à 10 % les élèves
de CM2 en profonde détresse.
b) Les initiatives pédagogiques récentes
La maîtrise de la langue constitue une priorité
de l'action éducative depuis 1990 et celle-ci a été
réaffirmée en 1995 dans les nouveaux programmes pour
l'école primaire.
Ceux-ci mettent l'accent sur l'acquisition d'une bonne maîtrise de la
langue orale et écrite durant le déroulement de la
scolarité primaire.
- Afin de renforcer la continuité de l'action des enseignants et de
multiplier les échanges, des
coordinateurs " maîtrise de
la langue "
ont été désignés dans chaque
département durant l'année scolaire 1996-1997 ; avec l'appui
des inspecteurs d'académie, ces coordinateurs développent des
projets, valorisent les réussites et concourent aux actions de formation
et d'information.
- Pour favoriser le travail des enseignants, des outils ont été
élaborés :
le répertoire des
" 1001 livres pour les écoles
",
tiré à 125.000 exemplaires, a été, à la
fin de l'année scolaire 1996-1997, adressé gratuitement dans
toutes les écoles et aux responsables de la formation initiale et
continue. Il constitue un outil pédagogique qui permettra d'aider les
maîtres dans le choix des fonds de livres, dans l'élaboration de
projet de lecture ou de modalités d'apprentissage de la langue en classe
ou en bibliothèque.
- Le
Cédérom sur la pédagogie de la lecture
est une
base de données facilitant l'accès aux informations et
établissant des relations entre les pratiques, les savoirs et leur
contexte historique et documentaire. Il présente des expériences
innovantes, des références documentaires ainsi que les textes
officiels de 1791 à 1995.
Le service sur Internet "
Pédagogie de la lecture à
l'école
", destiné à compléter le
Cédérom, a été ouvert à titre
expérimental en mai 1997.
-
L'observatoire national de la lecture
est chargé de recueillir
et d'analyser les données sur les pratiques pédagogiques en
s'appuyant sur les travaux des chercheurs. Les thèmes de
réflexion porteront durant l'année scolaire sur une analyse des
manuels de lecture et des ouvrages de littérature de jeunesse pour un
apprentissage de la lecture au cycle II, ainsi que sur la formation des
formateurs.
- La formation initiale et continue
représente un autre outil
essentiel pour soutenir l'action des maîtres, compte tenu de ses
incidences sur leurs pratiques pédagogiques et sur la réussite
des élèves. C'est pourquoi le plan national de formation
comporte, pour l'année scolaire 1997-1998, 30 % de stages
consacrés à la maîtrise de la langue orale et écrite.
c) Vers de nouvelles orientations en faveur de la lecture
Rappelant que l'apprentissage du langage et de la lecture
constituait un objectif fondamental de l'école primaire et de
l'égalité des chances, la ministre déléguée
à l'enseignement scolaire a notamment indiqué que les maternelles
doivent être le premier lieu d'initiation, et en particulier la classe de
grande section qui doit avoir des objectifs de vraie préparation
à l'entrée en CP.
Souhaitant que les évaluations périodiques des
élèves soient utilisées comme moyens de dépistage,
elle a estimé que le débat sur la technique de la lecture
était moins important que la recherche d'une approche plus ludique de
l'apprentissage et que la définition d'itinéraires
individualisés.
Elle a également rappelé que l'usage du multimédia rendait
encore plus indispensable l'apprentissage de la lecture.
Un colloque international centré sur les inégalités devant
la lecture devrait être organisé au début de 1998 avant que
le gouvernement fixe ses nouvelles orientations.
6. Les interrogations de la commission sur la réforme des programmes
En dépit des indications fournies à la
commission et à son rapporteur, certaines mesures évoquées
dans le domaine des programmes scolaires n'ont pas encore reçu de
réponses précises du gouvernement.
Votre commission s'interroge notamment sur :
- la mise en place éventuelle d'une polyvalence disciplinaire des
enseignants en classe de 6e afin d'atténuer la rupture avec la classe de
CM2 et de remédier à l'échec scolaire ;
- l'élaboration d'un corps de savoirs concentré dans deux
manuels ;
- la redéfinition des champs disciplinaires permettant de créer
un grand enseignement des sciences ;
- un allégement spécifique des programmes qui concernerait
d'abord certains collèges et qui pourrait aboutir à une certaine
forme de discrimination entre les établissements.
Elle se demande si l'évocation de ces thèmes n'annonce pas une
remise en cause générale de la réforme actuellement
engagée au collège et l'instauration d'un collège à
deux vitesses qui se ferait au détriment de certains
établissements classés en zones difficiles et dont tous les
élèves n'auraient pas vocation à poursuivre des
études générales, technologiques ou professionnelles
ultérieures.
Elle évoquera également le récent rapport de l'Institut de
recherche sur l'économie de l'éducation (IREDU) qui estime que
80 % des collèges abritent " clandestinement " au moins
une classe de niveau. L'enquête révèle que la moitié
des élèves sont scolarisés dans des classes qui ont
été hiérarchisées (20 % des collèges
ont les trois quarts de leurs classes hiérarchisées et 40 %
la moitié), que l'organisation interne aux établissements est
plus importante que la différenciation entre les collèges et que
les contraintes de la carte scolaire doivent être relativisées.
Devant la commission, la ministre déléguée a
indiqué que la réforme en cours des collèges fera l'objet
d'une évaluation mais devrait comporter des inflexions dès la
prochaine rentrée : elle a dénoncé notamment un taux
de redoublement excessif en classe de 6e et une dérive des classes de
consolidation vers la constitution de " ghettos ".