C. LA FORMULE DU BUDGET ANNEXE APPARAÎT DE PLUS EN PLUS INADAPTÉE
1. Les sérieux problèmes posés par l'affectation de la taxe de sécurité et de sûreté au budget annexe
La formule du budget annexe constitue une exception
à la règle de non-affectation des recettes posée à
l'article 18 de l'ordonnance n° 59-2 portant loi organique relative
aux lois de finances
. Ce même article dispose en effet que certaines
recettes pouvant être directement affectées à certaines
dépenses, ces affectations spéciales "prennent la forme de
budgets annexes, de comptes spéciaux du Trésor ou de
procédures comptables particulières au sein du budget
général ou d'un budget annexe."
La formule du budget annexe permet donc deux formes d'affectation distinctes :
celle qu'elle réalise par elle-même, soit l'affectation
directe de certaines recettes à certaines dépenses ;
l'affectation par procédure particulière qui ne se
distingue pas des affectations qui peuvent être réalisées
dans le cadre du budget général.
Cette deuxième catégorie d'affectation est décidée
par voie réglementaire dans les conditions prévues à
l'article 19 de l'ordonnance. Ce dernier article précise que les
procédures particulières d'affectation sont la procédure
de fonds de concours et la procédure de rétablissement de
crédits.
Des définitions précises de ces procédures sont
données à l'article 19. Elles encadrent et limitent les
procédures particulières d'affectation et, par conséquent,
l'entorse qu'elles apportent au principe général de
non-affectation des recettes.
Il va de soi que la taxe de
sécurité et de sûreté n'entre pas dans ce cadre
normalement réservé aux ressources non fiscales
.
Il reste à définir précisément quel est le champ
de l'affectation directe de recettes à certaines dépenses
qu'ouvre la formule du budget annexe. Cette tâche n'est pas aisée
compte tenu du laconisme de l'ordonnance sur ce sujet. Son article 21
précise toutefois que "
les budgets annexes comprennent, d'une part,
les recettes et les dépenses d'exploitation, d'autre part, les
dépenses d'investissement et les ressources spéciales
affectées à ces dépenses".
A la lecture de cet article, deux types de ressources semblent pouvoir
être affectées au BAAC : les ressources d'exploitation, les
ressources spéciales. Mais aucune définition explicite de ces
ressources n'est donnée par le texte. Il faut donc tenter une
exploration de la logique particulière du budget annexe pour comprendre
ce que peuvent être ces ressources.
L'article 20 dispose que "
les opérations financières de
services de l'Etat que la loi n'a pas dotés de la personnalité
morale et dont l'activité tend essentiellement à produire des
biens ou rendre des services
donnant lieu au paiement de prix, peuvent
faire l'objet de budgets annexes
."
L'article 20 invite donc à considérer que les recettes
d'exploitation sont les recettes perçues en contrepartie de la
tarification d'un prix censé rémunérer l'exploitation du
service rendu aux bénéficiaires des prestations de la DGAC.
Il s'agit donc principalement des redevances de navigation aérienne,
d'autres ressources tirées de l'exploitation entreprise par la DGAC
pouvant y être ajoutées comme les recettes issues des autres
prestations de service.
Une telle assimilation semble en revanche exclue pour la taxe de
sécurité et de sûreté.
Cette taxe constitue,
à l'évidence, un élément de fiscalité et non
une redevance pour services rendus. Au demeurant, si elle devait être
assimilée à une redevance l'ensemble de son régime
juridique devrait être modifié tandis que, sur le fond, son tarif
devrait être invalidé par les juges alors compétents comme
entièrement dépourvu du nécessaire élément
de proportionnalité avec le soi-disant service rendu dont elle
deviendrait la contrepartie.
En tout cas, le produit de la taxe ne pouvant
être considéré comme une recette d'exploitation, il ne
saurait couvrir les dépenses d'exploitation du BAAC.
Deux questions se posent donc : d'abord celle de savoir si tel est bien
le cas et, dans un deuxième temps, celle de savoir si l'affectation de
la taxe de sécurité et de sûreté au budget annexe
peut être justifiée.
Pour répondre à la première question, le problème
majeur consiste à savoir ce que sont les dépenses d'exploitation
du budget annexe.
Car l'article 21 de l'ordonnance est clair sur ce point lorsqu'il distingue
les dépenses d'exploitation des dépenses d'investissement pour
indiquer quelles recettes peuvent être affectées à un
budget annexe. Malheureusement, l'ordonnance organique si elle s'y
réfère n'en donne pas de définition.
Elle tend même à brouiller l'intelligence du problème
puisque la distinction qu'elle opère entre les dépenses
d'exploitation et les dépenses d'investissement donne à penser
que les charges d'investissement seraient à exclure du champ des
dépenses d'exploitation des prestations de navigation aérienne.
Dans cette hypothèse, elles devraient être financées par
les ressources spéciales qu'évoque l'ordonnance.
On sait bien qu'il n'en est rien
. Les crédits budgétaires
d'investissement de navigation aérienne sont bien des dépenses
nécessaires à l'exploitation de cette activité.
D'ailleurs, si les règles qui gouvernent les redevances interdisent de
percevoir des recettes d'exploitation à due concurrence, elles
permettent de financer une partie des investissements par redevances,
c'est-à-dire au moyen des recettes d'exploitation que vise
l'article 21 de l'ordonnance. Or, les recettes d'exploitation paraissent
effectivement permettre de financer les dépenses de fonctionnement et
une partie des dépenses d'investissements liées à
l'exploitation. Le complément est trouvé dans les ressources
d'emprunt qui peuvent être analysées comme des "ressources
spéciales" au sens de l'article 21.
Il apparaît ainsi que le produit de la taxe de sécurité
et de sûreté ne finance pas les dépenses d'exploitation
retracées par le BAAC.
Que finance-t-elle alors et son affectation au BAAC peut-elle être
justifiée ?
Avec cette question, on aborde une difficulté considérable,
sur le plan des principes. On ne peut en effet considérer que les autres
opérations financières actuellement retracées par le
budget annexe correspondent à une quelconque exploitation.
Ce problème lassant avait été perçu lorsque le
BANA avait été transformé en BAAC.
Dans l'avis du Conseil d'Etat du 17 juillet 1990, la Haute
Assemblée avait considéré que :
"
Si, en revanche, les missions de la Direction Générale, en
ce qui concerne la sûreté des passagers dans les aéroports,
ne peuvent être regardés comme tendant à rendre des
services donnant lieu au paiement d'un prix, dès lors qu'en ce domaine
le législateur a créé la taxe définie à
l'article 302 Bis K du Code Général des Impôts, ces
activités ne représentent, du point de vue tant des moyens en
personnel que des charges financières,
qu'une part très faible
de l'ensemble de l'activité
de la direction générale
de l'aviation civile qui serait reprise dans le budget annexe ;
il s'ensuit
que, même en tenant compte de cette part des missions de la direction
générale les conditions définies à
l'article 20 resteraient remplies
; par suite, il est loisible au
législateur de créer un budget annexe pour les opérations
financières de la direction générale de l'aviation civile
correspondant à l'ensemble des missions ci-dessus rappelées et de
décider que les recettes correspondant au produit de la taxe de
sûreté sur les aéroports seront affectées à
ce budget".
Dès l'origine, l'avis du Conseil d'Etat pouvait ne pas emporter
complètement la conviction.
Le Conseil se réfère en effet à l'article 20 de
l'ordonnance et laisse de côté l'article 21. Or, si son
interprétation de l'article 20 peut satisfaire, notamment lorsqu'il
confère à l'adverbe "essentiellement" le sens de l'adverbe
"principalement" plutôt que celui, plus philosophique de
"naturellement",
le défaut de référence à l'article 21 pose
problème. Le Conseil s'abstient de dire ce qu'est la taxe de
sécurité et de sûreté -recette d'exploitation ou
ressource spéciale affectée aux dépenses d'investissement-
et fait fi des dispositions qui définissent le contenu des
dépenses qui figurent dans un budget annexe et qui sont les
dépenses d'exploitation
et les
dépenses
d'investissement. Comme aucune des dépenses régaliennes
assumées par le budget annexe ne peut être assimilée soit
à une dépense d'exploitation, soit à une dépense
d'investissement nécessaire à l'exploitation d'un service, ces
dépenses ne peuvent être retracées par le budget annexe que
moyennant "l'oubli" des dispositions de l'article 21 de
l'ordonnance.
Il y a sans doute une contradiction entre cet article et l'article 20
que le Conseil a alors choisi de résoudre en privilégiant
celui-ci plutôt que celui-là.
Toutefois, dans son avis, le Conseil avait considéré qu'une
telle solution ne pouvait valoir que pour autant que les activités
autres que de prestations de service conservent une place très faible
dans l'ensemble de l'activité de la DGAC et que, parallèlement,
la taxe de sûreté procure une part très faible des recettes
du budget.
Ce n'est évidemment plus le cas et, par conséquent, l'entorse
au principe de non-affectation des recettes pourrait bien
dégénérer en une fracture du BAAC.
On ne pourrait "sauver" l'affectation à ce budget annexe de la
taxe
de sécurité et de sûreté qu'en considérant
celle-ci comme une de ces ressources spéciales que vise
l'article 21 de l'ordonnance organique.
Mais, il faudrait alors que son produit soit affecté aux seules
dépenses d'investissement -ce qui est loin d'être le cas-, ce qui
supposerait, au demeurant, que le budget annexe puisse abriter des
dépenses d'investissement conséquentes destinées à
autre chose qu'à l'exploitation d'un service faisant l'objet de
prestations donnant lieu au "paiement de prix".
On l'a compris, l'affectation de la taxe de sécurité et de
sûreté au BAAC soulève un problème constitutionnel
substantiel.
2. La nécessité de créer un compte spécial du Trésor dédié à la sûreté.
Instituée en 1987, au taux de 5 francs par passager de
vols internationaux et de 3 francs par passager de vols commerciaux
domestiques, la taxe de sûreté est devenue, en 1992, ce qu'elle
est aujourd'hui : la taxe de sécurité et de
sûreté.
Entre-temps, son tarif avait été doublé en 1990.
En son temps, la commission des finances avait exprimé les plus grandes
réserves sur la transformation opérée en 1992, craignant
un certain mélange des genres. En effet, la décision alors prise
conduisait à ce que la taxe désormais prélevée
cesse de ne financer que ce pourquoi elle avait été
créée, à savoir la mise en place d'équipements
servant à assurer la sûreté dans les aéroports.
L'évolution ultérieure de la taxe devait confirmer le
bien-fondé de ces alarmes. Le produit de la taxe a
considérablement augmenté. Il est passé, entre 1987 et
1995, de 62 à 652,5 millions de francs, soit plus qu'un
décuplement. Cette tendance s'est poursuivie ces dernières
années à mesure que des relèvements de son taux
étaient proposés.
Produit estimé de la taxe de sécurité et de sûreté
(en millions de francs)
1996 |
1997 |
1998 |
Ecarts |
728,6 |
848 |
1.182,8 |
+ 454,2 |
En deux ans, le produit de la taxe croîtrait de
62,3 %. Peu de prélèvements obligatoires paraissent aussi
dynamiques. Les investissements réalisés en matière de
sûreté n'ont pas évolué parallèlement et sont
très inférieurs au niveau atteint par les recettes issues de la
taxe.
C'est donc l'équilibre financier du budget annexe qui
nécessite principalement l'alourdissement de cet élément
de fiscalité.
Cette situation, outre les problèmes juridiques sérieux qu'elle
entraîne, n'est pas satisfaisante.
Elle se traduit par une dilution des actions destinées à
améliorer la sûreté du transport aérien. Or, ces
actions devraient constituer une priorité.
C'est pourquoi votre rapporteur suggère tous les ans que le
gouvernement, qui en a seul le droit, prenne l'initiative d'isoler les
dépenses devant concourir à la sûreté
aéroportuaire en créant un fonds spécial voué
à cela
. Que tout aussi régulièrement, les ministres
successifs se refusent à satisfaire ce souhait ne l'empêchera pas
de le réitérer cette année.
Ce fonds serait financé partiellement par une taxe de
sûreté et partiellement par une contribution du budget
général qui manifesterait l'engagement financier de la
collectivité nationale au service d'une cause qui la concerne,
puisqu'elle dépasse la seule collectivité des usagers du
transport aérien. Il comporterait un chapitre destiné au
financement des équipements et un chapitre regroupant des moyens servant
au soutien du fonctionnement des systèmes.
Cette solution apporterait une clarification bien nécessaire qui
permettrait à l'Etat d'afficher sans détours sa volonté de
conduire une politique volontaire d'amélioration de la
sûreté aéroportuaire.
Il permettrait, en outre, d'éviter certaines dérives actuellement
constatées, au terme desquelles les exploitants d'aéroports
lèvent des redevances destinées à financer des
équipements de sûreté qu'ils mettent en place dans un
contexte de dispersion des initiatives.
Il s'agit bien là de dérives puisque l'usage de redevances pour
services rendus devrait être exclu lorsqu'il s'agit de financer des
dépenses qui sont effectuées essentiellement dans
l'intérêt général des usagers du transport
aérien, des populations survolées et, au fond, de la
collectivité nationale toute entière.
Elles sont d'autant moins acceptables que l'amélioration de la
sûreté aéroportuaire suppose, à l'évidence,
une action coordonnée et des solutions financières
réalistes.