II. LA DÉRIVE DU CLASSEMENT DES AFFAIRES SANS SUITE
En 1996, 5.185.000 plaintes, dénonciations et
procès-verbaux sont parvenus aux parquets, soit un chiffre à peu
près équivalent à celui de 1995. Toutefois,
l'évolution du taux global de classement sans suite au cours de la
dernière décennie se caractérise par sa forte progression.
Alors que ce taux s'élevait à 69 % en 1987, il a atteint
près de 80 % au cours des trois dernières années
recensées
Sur ce nombre total de saisines des parquets, environ 3.189.000 (soit
61,5 %) concernent des auteurs inconnus. La tendance au gonflement
croissant du poids de ces procédures contre auteurs inconnus (42 %
en 1990, 54 % en 1992) a donc repris, après une interruption en
1995.
Le nombre de procédures classées sans suite (4.115.000, soit
79,3 % des plaintes parvenues aux parquets) est en légère
diminution de 1,1 % par rapport à 1995.
A. UN NOMBRE TROP ÉLEVÉ DE CLASSEMENTS D'AFFAIRES SANS SUITE
Certes, il appartient aux procureurs d'apprécier
l'opportunité des poursuites et dans de nombreux cas, le classement sans
suite apparaît justifié : absence d'infraction ou infraction non
caractérisée, retrait de plainte du justiciable, affaire relevant
du tribunal civil (litiges sur les loyers, les procédures de divorce,
des querelles de voisinage, médiation (arrangement entre l'auteur d'une
infraction et la victime) ou bien injonction thérapeutique (contrat
passé avec un toxicomane qui accepte de suivre des soins sous le
contrôle d'organismes sociaux). Une réforme de la statistique
pénale est en cours et devrait permettre de circonscrire strictement le
champ des affaires pénales pouvant donner lieu à des poursuites.
Toutefois, le classement sans suite est également utilisé pour
pallier l'incapacité de certaines juridictions à traiter
l'ensemble des affaires dont elles sont saisies. Ainsi, certains procureurs
choisiront de classer sans suite pour ne pas aggraver davantage l'encombrement
de ces dernières. Il semble d'ailleurs que plus la masse de contentieux
est importante, plus le taux de classement sans suite est fort. Or, de telles
pratiques sont en contradiction avec le principe d'égalité des
citoyens devant la loi.
B. DES SITUATIONS DISPARATES QUI ENTRAÎNENT UNE INÉGALITÉ DES CITOYENS DEVANT LA JUSTICE
Parce que faute d'effectifs suffisants, certaines
juridictions
ne sont pas capables de faire face à l'afflux des dossiers et de traiter
les affaires qui leur incombent dans des délais raisonnables,
le
principe d'opportunité des poursuites est utilisé pour
réguler les flux, ce que condamne votre rapporteur.
Dans les juridictions très encombrées (à savoir celles des
grands centres urbains), le taux de classement s'établit à des
niveaux très supérieurs à la moyenne nationale
(53 %). Ainsi, il s'élevait en 1995, pour les plaintes dont les
auteurs étaient pourtant identifiés, à 82 % à
Lyon, 77 % à Toulouse et 65 % à Lille.
Au contraire, dans de petites juridictions ou dans des juridictions rurales, il
est plus réduit (30 % à Saverne).
Or, ces disparités remettent en cause le principe de
l'égalité des citoyens devant la loi. Elles risquent en outre
d'affaiblir encore davantage la confiance des Français dans leur
justice. Par exemple, pour le vol dans les magasins, le parquet ne poursuivra
pas si le préjudice est inférieur à 1.000 francs
à Strasbourg, 500 francs à Mulhouse mais 200 francs
seulement à Saverne. Que penser d'une justice qui, de part ses
dysfonctionnements, assure à tout voleur qu'il pourra agir
impunément sans risque de sanction s'il choisit bien le lieu de ses
délits? Il apparaît donc urgent de réaffirmer très
fermement les frontières entre le droit et l'illégalité et
de réhabiliter la Loi et l'ordre républicain.
C. DES DÉCISIONS DE JUSTICE INÉGALEMENT EXÉCUTÉES
Pour que la justice retrouve la confiance des citoyens, il ne
suffit pas que les plaintes soient instruites et qu'une décision de
justice intervienne. Il faut par ailleurs que cette dernière soit
exécutée. Or, à ce sujet, le juge de l'application des
peines dispose d'une très large marge de manoeuvre, qui l'amène
à adopter des positions très différentes selon les
juridictions. Votre rapporteur a par exemple appris que dans les juridictions
du ressort de la cour d'appel de Lyon, la plupart des peines d'emprisonnement
inférieures à un an n'étaient jamais
exécutées dans les termes fixées par les juridictions
correctionnelles. Une telle évolution apparaît d'autant plus
regrettable que les peines répondent à ce vieux réflexe
culturel selon lequel seule la crainte d'être punis oblige les citoyens
à respecter la loi. Si les peines ne sont plus appliquées, ce qui
devait être une garantie pour l'application des lois devient un facteur
d'affaiblissement inquiétant de la norme.
Votre rapporteur tient à souligner qu'il fera, au premier trimestre
de l'année prochaine, une communication sur le classement des affaires
sans suite et les problèmes engendrés par la dérive de
cette procédure.