Rapport n°72 - Proposition de loi de M. J. LARCHE tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme
M. Guy ALLOUCHE
Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale - Rapport n° 72 - 1997/1998
Table des matières
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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION - TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION
N° 72
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 5 novembre 1997
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de M. Jacques LARCHÉ tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme ,
Par M. Guy ALLOUCHE,
Sénateur,
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jacques Larché,
président
;
René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles
Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily,
vice-présidents
;
Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson,
secrétaires
; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert
Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl,
Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel
Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli,
Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel
Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault,
Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel
Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre
Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Voir le numéro
:
Sénat
:
56
(1997-1998).
Procédure pénale.
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 5 novembre 1997 sous la
présidence de M. Jacques Larché, la commission des Lois
a examiné, sur le rapport de M. Guy Allouche, la proposition de loi
de M. Jacques Larché tendant à faciliter le jugement des
actes de terrorisme.
M. Jacques Larché a tout d'abord indiqué que M. Michel
Dreyfus-Schmidt, initialement désigné comme rapporteur, lui avait
fait savoir qu'il se trouvait empêché de participer à la
présente réunion de commission pour un motif totalement
indépendant de sa volonté mais qu'il avait suggéré
qu'un membre de son groupe puisse présenter dès aujourd'hui ce
rapport, le texte ayant été inscrit à l'ordre du jour du
Sénat.
M. Guy Allouche a indiqué que ce texte avait pour objet de
résoudre une difficulté pratique tenant à l'absence de
salle d'audience suffisamment grande pour assurer, dans de bonnes conditions de
sécurité, le jugement à Paris de procès terroristes
susceptibles de mettre en présence des centaines de personnes
(accusés, prévenus, parties civiles, forces de l'ordre...).
Il a par ailleurs mis l'accent sur l'impossibilité d'aménager le
Palais de justice de Paris en raison du coût des travaux
nécessaires et surtout du classement de ce bâtiment comme monument
historique.
Il a fait observer que le renvoi à une autre juridiction dans
l'intérêt d'une bonne administration de la justice,
théoriquement concevable, paraissait contradictoire avec la
centralisation de la procédure à Paris.
Il a en conséquence approuvé dans son principe la solution
préconisée par M. Jacques Larché consistant à
permettre au premier Président de la cour d'appel de Paris de
décider que l'audience de la juridiction de jugement se tiendrait dans
tout autre lieu du ressort de ladite cour que celui où elle tient
habituellement ses audiences.
Se déclarant en parfait accord avec M. Michel Dreyfus-Schmidt, il a
estimé que ce dispositif pourrait être
généralisé dans la mesure où la perspective de
" méga-procès " n'était pas propre aux affaires
de terrorisme. La commission a cependant souhaité le limiter à
cette matière, en raison de la spécificité des actes de
terrorisme et de la centralisation à Paris de la procédure
engagée pour de tels faits.
Elle a adopté la solution de M. Larché après avoir
précisé, sur la proposition de son rapporteur, que la
décision de délocalisation ne pourrait être prise que pour
des motifs de sécurité et après l'avis du bâtonnier
de Paris.
Mesdames, Messieurs,
Par le dépôt de la proposition de loi n° 56 tendant à
faciliter le jugement des actes de terrorisme, M. le Président Jacques
Larché a souhaité répondre à une véritable
difficulté pratique : l'existence de procès susceptibles de
mettre en présence des centaines de personnes, pour lesquels le Palais
de Justice de Paris ne dispose pas de salle d'audience d'une capacité
suffisante pour assurer la sécurité des participants et des
assistants.
Le champ d'application de ce texte est toutefois doublement limité :
d'une part, il vise uniquement le jugement des actes de terrorisme ; d'autre
part, il concerne les seules affaires soumises aux juridictions de Paris.
Consciente de la réalité du problème soulevé par M.
le Président Jaques Larché, votre commission a approuvé
dans son principe la solution préconisée sur laquelle elle a
souhaité apporter deux précisions.
I. LES DONNÉES DU PROBLÈME
A. LA PERSPECTIVE DE " MÉGA-PROCÈS " SOUMIS AUX JURIDICTIONS PARISIENNES
Selon la définition donnée par
l'article 421-1du code pénal, les actes de terrorisme sont des
infractions "
en relation avec une entreprise individuelle ou
collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par
l'intimidation ou la terreur
".
Parce qu'elles ont pour objectif de répandre la terreur, les entreprises
terroristes se caractérisent fréquemment par une
réitération d'attentats, faisant chacun de nombreuses victimes.
Parce qu'elles relèvent le plus souvent de la grande criminalité
organisée, ces entreprises résultent d'actions concertées,
menées souvent par des dizaines de personnes. Il n'est d'ailleurs pas
rare que les enquêtes ou les informations ouvertes pour terrorisme
conduisent à la découverte de véritables réseaux,
parfois transnationaux.
Aussi le jugement de ces affaires peut-il mettre en présence des
dizaines, voire des centaines de parties, qu'il s'agisse d'accusés, de
prévenus ou de parties civiles. A ces personnes s'ajoutent les effectifs
de sécurité, d'autant plus nombreux que, en raison de la nature
de l'affaire, pèse inéluctablement la menace d'une nouvelle
action terroriste lors du déroulement du procès.
Dans ces conditions, les juridictions parisiennes, en pratique
compétentes puisque la poursuite, l'instruction et le jugement de ces
affaires peuvent être centralisés, risquent de ne pas disposer de
salle d'audience suffisamment vaste.
B. L'IMPOSSIBILITÉ PRATIQUE DE JUGER CES PROCÈS DANS PARIS INTRA-MUROS
1. L'aménagement du Palais de justice : une solution à écarter
La construction d'une salle d'audience suffisamment grande
est
bien évidemment la première solution qui vient à l'esprit.
Toutefois, comme le fait fort justement observer M. le Président
Jacques Larché dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi,
l'aménagement du palais du justice de Paris représenterait un
coût considérable, tout particulièrement dans un contexte
souvent dénoncé d'insuffisance des moyens de la justice, et se
heurterait en tout état de cause au classement de ce bâtiment
comme monument historique.
C'est en conséquence dans un autre endroit que devrait se
dérouler de tels procès.
2. La tenue d'audiences foraines : une solution difficile à mettre en oeuvre
L'article L. 7-10-1-1 du code de l'organisation judiciaire,
issu de la loi du 8 février 1995, permet aux juridictions de tenir des
audiences foraines en dehors du Palais de Justice. La décision
relève du Premier Président de la Cour d'appel, après avis
du Procureur général.
Toutefois, le lieu choisi pour l'audience doit se situer dans le ressort
géographique de la juridiction, c'est-à-dire, en l'espèce,
à Paris. Or, il se pourrait qu'aucun local ne soit trouvé
à Paris permettant de recevoir l'ensemble des personnes tout en
garantissant de bonnes conditions de sécurité.
Certes, la capitale n'est pas dépourvue en locaux à forte
capacité d'accueil, mais imagine-t-on que Bercy ou le Parc des Princes
soient occupés pendant des mois par un procès ?
C'est donc en-dehors de Paris que l'audience pourrait être amenée
à se tenir. Dès lors, le recours à l'audience foraine ne
suffirait plus.
3. Le renvoi d'une autre juridiction : une solution peu satisfaisante
L'article 665, alinéa 2, du code de
procédure pénale permet bien le renvoi d'une juridiction à
une autre dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
Mais un tel renvoi a pour effet de dessaisir les magistrats de la
première juridiction, ce qui est impossible en la matière s'il a
été décidé que le procès devait être
centralisé.
Aussi, M. le Président Larché propose-t-il une modification
législative, qui paraît en effet inévitable tant pour
économiser les moyens de la justice que pour respecter notre patrimoine
culturel.
II. LA SOLUTION PROPOSÉE PAR M. LE PRÉSIDENT JACQUES LARCHÉ
Le dispositif proposé par M. Jacques Larché se
limite strictement au jugement des actes de terrorisme.
Il confère au premier président de la cour d'appel de Paris la
faculté de décider, à titre exceptionnel, que l'audience
de la juridiction de jugement (tribunal correctionnel, cour d'appel ou cour
d'assises) se tiendra dans tout autre lieu du ressort de ladite cour d'appel
que celui où elle tient habituellement ses audiences.
Cette décision prendrait la forme d'une ordonnance prise sur les
réquisitions du procureur général, après avis des
chefs des tribunaux de grande instance intéressés, à
savoir celui de Paris et celui dans le ressort duquel le procès serait
appelé à se dérouler. En matière criminelle, il
conviendrait également de recueillir l'avis du président de la
cour d'assises de Paris.
Cette ordonnance devrait être portée à la connaissance des
tribunaux intéressés par les soins du procureur
général. Elle constituerait une mesure d'administration
judiciaire insusceptible de recours.
III. LES CONCLUSIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS
Votre rapporteur constate que le terrorisme n'est pas le seul
domaine susceptible de donner lieu à ce que l'on pourrait appeler des
" méga-procès ". Récemment encore, une affaire
d'escroquerie a été jugée, dans le sud de la France, en
présence de plusieurs centaines de victimes. Demain peut-être, des
procès liés à l'amiante ou à la " vache
folle " pourraient réunir de nombreuses parties civiles.
Votre rapporteur s'est même interrogé sur l'opportunité
d'aller au-delà en étendant ce dispositif aux affaires civiles.
Il lui semble toutefois que le problème ci-dessus évoqué
tienne dans une large mesure aux spécificités du procès
pénal : nécessité de la présence du
prévenu ou de l'accusé, recours aux forces de l'ordre...
Pour sa part, votre commission n'a pas souhaité étendre le
dispositif de la proposition de loi n° 56. M. Paul Masson a notamment
insisté sur la spécificité des actes de terrorisme qui
donnent lieu à une procédure particulière, le plus souvent
centralisée à Paris.
Aussi votre commission a-t-elle préféré s'en tenir au
champ d'application du dispositif proposé par le Président
Jacques Larché, limité en l'état au jugement des seuls
actes de terrorisme.
Elle a en revanche apporté deux modifications concernant les conditions
de la décision de délocalisation :
- d'une part, elle a ajouté le bâtonnier de Paris aux
autorités consultées par le Premier Président de la Cour
d'Appel de Paris, afin que celui-ci soit pleinement informé des
conséquences que sa décision pourrait avoir pour l'organisation
de la défense (des prévenus ou accusés comme des parties
civiles) ;
- d'autre part, insistant sur son caractère exceptionnel, votre
commission précise que la délocalisation sera
décidée pour des motifs de sécurité. Cette notion
autorisera le premier président à faire application du dispositif
proposé lorsque la capacité du palais de justice ne permettra pas
d'accueillir un effectif suffisant de forces de l'ordre ou d'assurer le
déroulement du procès sans risque pour la sécurité.
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des
Lois propose au Sénat d'adopter la proposition de loi dans la
rédaction suivante :
TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION
PROPOSITION DE LOI
TENDANT À FACILITER LE
JUGEMENT
DES ACTES DE TERRORISME
Article unique
Il est inséré, après l'article 706-17 du
code de procédure pénale, un 706-17-1 ainsi rédigé :
" Art. 706-17-1.- Pour le jugement des délits et des crimes
entrant dans le champ d'application de l'article 706-16, le premier
président de la cour d'appel de Paris peut, sur les réquisitions
du procureur général, après avis des chefs des tribunaux
de grande instance intéressés, du bâtonnier de Paris et, le
cas échéant, du président de la cour d'assises de Paris,
décider que l'audience du tribunal correctionnel, de la chambre des
appels correctionnels de Paris ou de la cour d'assises de Paris se tiendra,
à titre exceptionnel et pour des motifs de sécurité, dans
tout autre lieu du ressort de la cour d'appel que celui où ces
juridictions tiennent habituellement leurs audiences.
" L'ordonnance prise en application du précédent
alinéa est portée à la connaissance des tribunaux
intéressés par les soins du procureur général. Elle
constitue une mesure d'administration judiciaire qui n'est pas susceptible de
recours. "