D. LE DISPOSITIF PROPOSÉ NE RESPECTE PAS PLUSIEURS PRINCIPES DE BONNE LÉGISLATION
1. Un dispositif complexe
L'institution d'une contribution exceptionnelle sur
l'impôt sur les sociétés devrait avoir pour effet de
créer
trois taux d'imposition différents pour les
entreprises
: les petites entreprises qui font moins de
50 millions de francs de chiffre d'affaires continueront à
bénéficier du taux de faveur de 19 % (soit 20,9 %
si l'on ajoute la contribution Juppé de 10 %) si elles
réinvestissent leurs bénéfices à hauteur de 200.000
francs, conformément au " plan PME pour la France " ;
les
autres PME resteront imposées au taux de 36,66 % ; les
entreprises réalisant plus de 50 millions de francs de chiffre
d'affaires verront quant à elles leurs bénéfices
taxés au taux de 41,66 % si l'on inclut la contribution
exceptionnelle de 10 % instituée en août 1995 et la surtaxe
de 15 % prévue par le présent projet de loi (40 % en
1999).
Par ailleurs, en ne supprimant que partiellement le régime des
plus-values à long terme, l'article 2 du présent projet de loi ne
facilite pas la tâche des entreprises. En effet, ces dernières
devront déterminer l'origine de leurs plus ou moins-values pour savoir
quel régime de taxation appliquer. Les plus-values à long terme
provenant de la cession de titres de participation et le résultat net de
la concession de licences d'exploitation de brevets ou d'inventions brevetables
continueront à bénéficier du taux réduit de
19 % (avant les majorations additionnelles), tandis que les plus-values
à long terme afférentes à la cession des autres
éléments de l'actif (y compris les brevets), deviendraient
taxables au taux normal de 33,1/3 % (avant les majorations additionnelles).
En outre, compte tenu de sa date d'effet (plus-values dégagées au
cours des exercices ouverts à compter du 1
er
janvier 1997),
cette aggravation n'affecte pas l'impôt des exercices qui ont
été clos en 1996 ni celui des exercices de douze mois qui seront
clos en 1997 (jusqu'au 30 novembre) continueront elles aussi de relever du taux
de 19 %, mais sauf dans le cas de ces PME, cet impôt supportera
outre la contribution de 10 %, une majoration additionnelle de 15 %
d'où un taux effectif de 23,75 %. En revanche, celles
dégagées le 31 décembre 1997 deviendront passible de
l'impôt au taux normal de 33,1/3 %, d'où un taux effectif de
41,66 % en cas d'application simultanée des majorations de
10 % et de 15 %, ou de 36,66 % en cas d'application de la seule
contribution de 10 % (PME exemptées de la majoration de 15 %).
2. Un dispositif rétroactif à rendement immédiat
Le
caractère rétroactif de la suppression
partielle du régime des plus-values à long terme renforce la
caractère incertain de notre fiscalité, qui est, rappelons le, un
des facteurs de l'atonie des investissements En effet, la modification du
régime fiscal des plus-values à long terme s'appliquerait
à des
opérations réalisées
non
seulement depuis le 1
er
janvier dernier, mais également avant
cette date, si l'on considère les plus-values dont l'imposition a
été reportée.
Cette instabilité du droit fiscal
interdit à tout acteur économique de faire des prévisions
valables à moyen et long terme
.
Par ailleurs, pour assurer le rendement immédiat de l'accroissement de
l'impôt sur les sociétés, les entreprises verseraient
dès le 15 décembre 1997 un acompte sur les plus-values devenues
imposables au taux normal et réalisées au cours de l'exercice
ouvert à compter du 1
er
janvier 1997. Cet acompte serait
calculé d'après les plus-values de même nature
imposées au titre de l'année précédente, soit plus
de 40 milliards de francs en 1996. En outre, les entreprises devraient
désormais verser un acompte fixé à 19 % du
résultat net de la concession d'exploitation de brevets ou d'inventions
brevetables imposées au titre de l'exercice précédent.
De la même manière, les sociétés assujetties
à la contribution temporaire de 15 % devraient acquitter à
la même date un acompte sur cette contribution, sur une base provisoire
1996 tenant compte de la réduction du champ d'application du
régime des plus-values à long terme.
Bien que le projet de loi prévoie que la surtaxe de 15 % ne
s'applique qu'aux seuls profits réalisés au cours de
l'année 1997 et suivantes, la majoration devrait également
toucher certains des profits réalisés en 1996 par les entreprises
dont l'exercice fiscal n'est pas calqué sur l'année civile (soit
environ un quart des entreprises). En contrepartie, ces entreprises sortiront
du système plus tôt que celles dont l'exercice fiscal correspond
avec l'année civile. La surtaxe serait acquittée pour la
première fois avec l'acompte d'impôt sur les
sociétés appelé le 20 novembre 1997.
3. Un dispositif fondé sur la discrimination
La fixation d'un seuil de 50 millions de chiffre
d'affaires comme plafond d'exonération appelle plusieurs remarques.
En premier lieu, votre rapporteur général avait
déjà émis des réserves lors de l'institution d'un
taux de taxation réduit pour les bénéfices des PME
réinvestis. En effet, il ne lui semblait
pas de bonne
législation d'introduire ainsi une discrimination entre petites et
moyennes entreprises et grandes entreprises
, ces dernières
étant toujours exclues des mesures de faveur, ou ici en l'occurrence,
frappées prioritairement par les appels à la solidarité
nationale. En outre, ce type de conditions donne prise à des effets de
seuil néfastes et source de contentieux.
En deuxième lieu, le chiffre d'affaires ne reflète pas vraiment
la taille d'une entreprise. Tout dépend en effet du secteur
d'activité dans lequel elle exerce. Ainsi, de même que le seuil de
chiffre d'affaires donnant droit au bénéfice du forfait varie
selon que l'activité de l'entreprise est la vente de marchandises,
l'exploitation d'hôtels de restaurants ou de cafés ou la
prestation de services,
il conviendrait, pour être juste, d'adapter le
plafond de chiffre d'affaires aux différents secteurs
.
Enfin,
votre rapporteur général déplore vivement qu'un
tel mécanisme pénalise en dernier ressort les entreprises
moyennes
. En effet, la plupart des grandes entreprises et multinationales
françaises réalisent aujourd'hui plus de la moitié de leur
chiffre d'affaires à l'étranger. En conséquence, et compte
tenu des règles de territorialité de l'impôt,
l'augmentation de l'impôt sur les sociétés aura un impact
probablement atténué pour elles. En revanche, les entreprises
moyennes et ne possédant qu'une assise française subiront
intégralement l'accroissement de la pression fiscale, sans que leur
taille leur permette d'envisager une installation à l'étranger ni
de songer à des montages fiscaux sophistiqués.
En outre, la suppression partielle du régime des plus-values à
long terme ne concerne que les entreprises assujetties à l'impôt
sur les sociétés, ce qui induit une rupture de
l'égalité des entreprises devant l'impôt, les entreprises
assujetties à l'impôt sur le revenu demeurant taxées au
taux de 19 % pour les plus-values à long terme provenant de leurs
cessions d'actifs.
Ainsi, il apparaît que les
entreprises moyennes
, souvent
localisées dans les villes moyennes de province, les plus
exposées et fragiles qui ne peuvent réduire leur imposition ni
par l'assiette (en agissant sur leurs bases imposables), ni par le taux (seules
les entreprises réalisant moins de 50 millions de francs de chiffre
d'affaires, peuvent jouir du taux réduit de taxation des
bénéfices en cas d'incorporation des bénéfices au
capital)
sont les mal aimées du système fiscal français
alors même que ce sont probablement les plus créatrices
d'emplois.