II. DES MODIFICATIONS DE PROCÉDURE SANS LIEN DIRECT AVEC L'INSTITUTION D'UN DOUBLE DEGRÉ DE JURIDICTION
A. LES MODIFICATIONS RELATIVES AUX DÉBATS D'ASSISES
1. La motivation des décisions des juridictions d'assises
a) Le choix de la motivation
La motivation des décisions des juridictions d'assises -que l'Assemblée nationale a souhaité dénommer " mise en forme des raisons "- constitue certainement, après l'institution d'un double degré de juridiction, l'innovation essentielle du projet de loi.
Cette innovation a été jugée nécessaire par le Garde des Sceaux au nom d'une meilleure transparence de la justice : " il est aujourd'hui indispensable que les raisons pour lesquelles le tribunal d'assises et, en cas d'appel, la cour d'assises se sont convaincus soient exposées à l'accusé, à la victime et, enfin, au public. Il n'est plus possible de se contenter des réponses aux questions posées à la cour d'assises, qui peuvent donner l'impression aux citoyens d'une justice aveugle, omnipotente ou arbitraire (...).
L'accusé et la victime, comme l'opinion publique elle-même (c'est-à-dire le peuple, au nom duquel la décision a été rendue), ignorent les motifs pour lesquels il a été répondu positivement ou négativement à chacune des questions, de même qu'ils ignorent les raisons du choix de la peine ".
Connaissant les raisons de la décision, les parties -et notamment l'accusé en cas de condamnation- seraient en outre mieux à même d'apprécier la nécessité d'un appel ou d'un pourvoi en cassation ; seraient donc évités des recours ab irato , intentés pour la seule raison que le requérant n'a pas compris -et donc n'a pas accepté- la décision de la juridiction.
De même, une décision mieux comprise par l'opinion publique pourrait éviter des réactions d'incompréhension, voire un sentiment de scandale qui, pour être fort rares, n'en portent pas moins atteinte à la sérénité de la justice.
Le Garde des Sceaux a par ailleurs considéré que la motivation serait utile tant à la cour d'assises saisie en appel -à laquelle elle fournirait " un cadre de référence "-qu'à la Cour de cassation -en lui permettant " de sanctionner une insuffisance ou une contradiction de motifs ".
Enfin, " la motivation a également pour effet de rationaliser le processus de décision de la juridiction d'assises, qui fait parfois une trop large part à l'émotivité ".
En dépit des réticences, de certains députés -et notamment de M. Raoul Béteille qui, jugeant irréaliste l'exigence d'une motivation littéraire, lui aurait préféré un dispositif de questions reflétant le raisonnement des membres du tribunal et de la cour-, l'Assemblée nationale a adopté le principe de la motivation sans pour autant retenir cette appellation.
En effet, selon M. Pascal Clément, " il faut un substrat rationnel : mais point trop n'en faut ! Il faut le minimum ".
De même, Mme Frédérique Bredin s'était ainsi exprimée : " Pour nous, la motivation est essentielle (...) Elle nous semble un gage de rigueur et de transparence. La proposition, faite par la commission des Lois, de résumer les principales raisons par lesquelles le tribunal d'assises s'est convaincu nous paraît une façon d'éviter la rédaction de longues pages compliquées dans lesquelles les jurés se perdraient ; elle permettra d'aboutir à ce que nous recherchons tous. De surcroît, une motivation écrite claire et juridique permettra à la Cour de cassation d'exercer son contrôle dans de bonnes conditions ".
Ainsi, afin de souligner que les juridictions d'assises ne sauraient motiver leurs décisions de manière aussi détaillée que les tribunaux correctionnels, l'Assemblée nationale a retenu non pas le terme " motivation " mais la notion de " mise en forme des raisons " du jugement ou de l'arrêt.
La mise en forme des raisons du jugement ou de l'arrêt pourrait nécessiter la consultation de pièces du dossier. C'est pourquoi, les magistrats et les jurés se retireraient désormais dans le chambre des délibérations avec le dossier de la procédure. Toutefois, dans le souci de préserver le principe de l'oralité, il ne pourrait être consulté au cours du délibéré que pour vérifier des éléments évoqués au cours des débats (futurs articles 231-126 et 355 du code de procédure pénale).