REPRÉSENTANTS DES AVOCATS
Me
Bernard Vatier, bâtonnier du Barreau de Paris,
Me Christophe Ricour,
président de la Conférence des bâtonniers,
Me Philippe
Leleu, président du Conseil national des barreaux,
Me Hervé
Temime, président de l'Association des avocats pénalistes
Me Bernard Vatier a fait part des quatre préoccupations essentielles du Barreau de Paris à l'égard du projet de loi, concernant l'obligation de motivation, le nombre des jurés, l'âge minimum des jurés et l'appel.
Il a tout d'abord considéré que l'obligation de motivation porterait atteinte à la souveraineté du jury populaire et au principe de l'intime conviction. Il a ajouté que la motivation n'avait guère de sens devant une cour d'assises, appelée par définition à juger des crimes graves, mais juridiquement simples, où les jurés devaient apprécier des faits et se prononcer sur la culpabilité. A cet égard, il a souligné qu'un juré pouvait parfaitement être juge sans devoir être juriste.
Il a également fait valoir que la motivation laisserait l'essentiel de la responsabilité à celui qui serait chargé de sa rédaction et qu'elle impliquerait de surcroît de remettre le dossier au jury, avec le risque que s'instaure en son sein un nouveau débat dont l'accusé serait absent, au détriment des droits de la défense.
Sur le nombre des jurés, Me Bernard Vatier a estimé que le chiffre " sept " représentait une formule idéale permettant la meilleure expression de la volonté populaire, impératif indispensable au sein d'une cour d'assises représentant, en définitive, le seul lieu où pouvait s'exprimer la conscience publique.
Il a vu dans le débat sur l'âge minimum des jurés une difficulté de principe mais aussi une fausse question, l'argument selon lequel la citoyenneté serait indivisible dès l'âge de 18 ans lui paraissant " un peu rapide ".
En fait, il a estimé qu'il existait des degrés dans la citoyenneté, 18 ans étant l'âge auquel un individu peut se juger lui-même -d'où sa responsabilité pénale- mais sans pour autant pouvoir juger les autres, surtout sur des sujets aussi graves qu'un crime.
De même qu'il existait des âges variables d'éligibilité aux différents mandats politiques, il a jugé souhaitable qu'il y eût un âge minimum particulier d'accès à la fonction de juré, le retour à 23 ans lui paraissant souhaitable.
Il a par ailleurs fait observer que faire siéger plusieurs jours, voire plusieurs semaines, des jeunes gens scolarisés ou poursuivant des études universitaires risquait de leur poser de nombreuses difficultés pratiques.
Enfin, Me Bernard Vatier a jugé préférable qu'en cas d'acquittement, le parquet ne puisse pas faire appel.
Me Christophe Ricour a approuvé l'économie générale du projet de loi mais a émis quelques réserves sur l'obligation de motivation.
Il n'a pas rejeté le principe même de la motivation, compte tenu de l'importance des décisions prises en matière criminelle, mais a estimé qu'il pouvait avoir de lourdes conséquences sur le fonctionnement et les modalités de délibération des cours d'assises. Aussi a-t-il indiqué que la Conférence des bâtonniers était très hostile à une obligation de motivation telle qu'on l'entendait ordinairement dans les jugements correctionnels.
Il a craint qu'une telle obligation, avec les délais de rédaction qu'elle impliquerait, ne change radicalement la nature du débat au sein du jury et ne confère un rôle trop important aux magistrats professionnels, avec le risque d'une dénaturation de la décision du jury, qui deviendrait " une sorte d'alibi ". Il a également considéré que la motivation imposerait de remettre le dossier au jury, en totale contradiction avec l'oralité et le caractère contradictoire des débats.
Pour surmonter ces difficultés, Me Christophe Ricour a préconisé d'améliorer le système actuel des questions, tant en nombre qu'en précision, ou de s'en tenir à une motivation succincte, suffisante dans un procès criminel tant pour l'accusé lui-même que, le cas échéant, pour la juridiction de second degré pour peu qu'elle souhaite s'intéresser aux motivations de la décision rendue en première instance.
Il a ajouté qu'attaché à l'unité de temps du procès criminel, il ne lui semblait pas possible de laisser 8 à 15 jours au jury pour rédiger ses motivations.
Il a par ailleurs déclaré qu'il resterait attentif aux moyens nouveaux accordés à la justice, faisant néanmoins confiance au Parlement à cet égard.
Sur l'appel, enfin, Me Christophe Ricour a souhaité qu'en l'absence d'un délai impératif pour rendre sa décision, la cour d'assises ne ralentisse le jugement définitif des affaires criminelles, qu'on s'efforçait d'accélérer durant la première phase devant le tribunal d'assises.
Me Philippe Leleu a souligné que, dans son ensemble, la profession avait bien accueilli la réforme envisagée et que, pour sa part, le Conseil national des barreaux proposait quatre amendements au texte en discussion, dont, pour mémoire, l'enregistrement sonore des débats, mesure qui avait déjà été approuvée par l'Assemblée nationale.
Il a préconisé, tant pour les tribunaux que pour les cours d'assises :
- que le dossier ne soit pas confié au jury lors de la délibération, quitte à ce qu'il s'y réfère à titre exceptionnel et si cela se révélait absolument indispensable, en présence dans ce cas de toutes les parties afin de préserver le caractère contradictoire de la procédure ;
- que soit supprimé le délai de 15 jours pour la mise en forme des motivations, le délibéré devant être immédiat et la décision devant se limiter à un inventaire séance tenante des raisons ayant emporté le jugement ;
- que les exceptions tirées d'une nullité concernant la procédure suivie devant le tribunal d'assises soient recevables devant la cour d'assises quand bien même elles n'auraient pas fait l'objet d'un incident contentieux.
Me Hervé Temime a constaté que, fait exceptionnel, le projet de réforme avait réuni un consensus, voire l'unanimité, en particulier sur le principe d'un double degré de juridiction criminelle.
Il a estimé que la consécration du principe d'un jury dans les deux degrés de juridiction constituait un acquis essentiel.
Il a également considéré que la composition proposée pour le jury de premier degré -5 jurés et 3 magistrats professionnels- était équilibrée la décision défavorable étant prise par 6 voix sur 8, soit une proportion légèrement supérieure aux deux tiers.
En revanche, il a souhaité qu'en appel, la décision soit prise à un coefficient de majorité équivalent, soit 9 voix sur 12, et non pas à 8 voix sur 12 qui représentaient une majorité légèrement inférieure à celle exigée en première instance. Il a estimé à cet égard qu'élever la majorité qualifiée requise en appel représentait la meilleure garantie du respect du principe selon lequel le doute doit bénéficier à l'accusé.
Sur l'âge minimum des jurés, Me Hervé Temime a reconnu qu'il était quasiment impossible d'avancer des raisons déterminantes pour ou contre tel ou tel âge, la conception de chacun étant fondée sur une sorte d'intime conviction, toujours difficile à justifier. Il s'est néanmoins déclaré fermement partisan du maintien de l'âge minimum à 23 ans, convaincu que tous ceux qui fréquentaient régulièrement les cours d'assises devaient partager son point de vue. Sans chercher à argumenter cette position, il a estimé que 23 ans représentait déjà un âge à peine suffisant pour comprendre et assumer tous les enjeux et la gravité des décisions d'une cour d'assises. En définitive, il a considéré que si tous les arguments méritaient d'être discutés, le mieux était de laisser en l'état le texte actuel.
Il a toutefois jugé que le problème essentiel posé par le texte résidait dans l'obligation de motivation, proposant quant à lui de la supprimer sans, là encore, pouvoir argumenter précisément cette position. Il a souligné qu'elle traduisait un sentiment unanime des adhérents de son association, toutes tendances et toutes sensibilités confondues.
Il a estimé que la motivation représenterait un faux progrès n'apportant rien et se révélant inconciliable avec le principe d'intime conviction.
Il a réfuté la thèse de Me Bernard Vatier selon laquelle la cour d'assises n'aurait à connaître que d'affaires graves mais juridiquement simples, évoquant la complexité des points de droit relatifs à certains crimes, les empoisonnements par exemple. Pour autant, il a considéré que la motivation comporterait de nombreux inconvénients -le délai de rédaction, la remise du dossier au jury, etc... - qui ruinerait l'oralité et, en définitive, le principe même du jury.
Tout au plus, s'est-il déclaré prêt à admettre de diversifier et de préciser quelque peu le système des questions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a fait valoir certains avantages de l'obligation de motiver, qui imposerait peut-être aux jurés d'estimer les preuves plutôt que de se prononcer sur de simples impressions.
Me Christophe Ricour y a vu une raison supplémentaire pour améliorer le système des questions.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur , a rappelé que la décision de culpabilité ou d'acquittement intervenait la première, le questionnement ne servant qu'à préciser les raisons ayant pu conduire à cette décision. Il s'est néanmoins déclaré perplexe sur la possibilité de motiver une décision d'acquittement lorsque celle-ci serait obtenue simplement grâce à trois bulletins blancs.
Me Hervé Temime n'a rien vu de dirimant dans cette éventualité, la motivation indiquant dans ce cas qu'il y avait eu doute dans l'esprit du jury.
En revanche, il a craint que la motivation ne soit souvent qu'un simple résumé de la délibération, avec de surcroît le risque de trahir le secret de la délibération pour peu que la motivation soit parfaitement fidèle aux débats du jury.
Me Philippe Leleu a estimé que la question essentielle tournait autour de la conception qu'on avait du double degré de juridiction criminelle : soit deux procès distincts devant deux juridictions différentes et donc deux chances pour l'accusé, soit au contraire un véritable deuxième degré de juridiction prenant en compte les considérations de la première.
Me Bernard Vatier a souligné que l'obligation de motivation n'était qu'une règle de forme et qu'il serait très dommageable qu'un jury se voit empêché de prendre en toute liberté une décision pour la simple raison qu'il ne parviendrait pas à la motiver. Il a estimé qu'au contraire le jury devait demeurer libre de sa décision.
Il a par ailleurs craint que les magistrats professionnels, chargés de rédiger la motivation, se livrent à une sorte de " formatage " des décisions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a pris le contre-pied de cette approche, jugeant qu'au contraire un jury ne devait pas pouvoir prononcer une condamnation qu'il ne parviendrait pas à motiver précisément.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur, a noté que, statuant sur une même condamnation, chacun des jurés pouvait se prononcer sur la base de motivations très différentes les unes des autres. Aussi a-t-il craint que les jurés ne se retrouvent pas nécessairement dans une motivation rédigée de façon uniforme. Il a pareillement estimé que la signature de la décision motivée par le premier juré ne devait en rien faire présumer de sa décision propre.
Il a reconnu sa perplexité sur ce sujet, le débat sur la motivation ne lui paraissant pas clairement engagé.