III. LE PROJET DE LOI PORTANT RÉFORME DU SERVICE NATIONAL ENTRE LE NÉCESSAIRE RESPECT DES COMPÉTENCES DU LÉGISLATEUR ET L'AMÉNAGEMENT D'UNE MARGE DE MANOEUVRE LIÉE À L'EXPÉ-RIMENTATION D'UN SYSTÈME INÉDIT
Tel qu'il se présente dans son texte initial, le projet de loi portant réforme du service national est composé de deux grandes parties. La première met en place les nouvelles formes que revêtira le service national : recensement, rendez-vous citoyen et volontariat. La deuxième introduit des modifications dans le code du service national issu de la loi n° 71-424 du 10 juin 1971, afin de ménager les conditions de la transition qui doit conduire, jusqu'en 2002, à la disparition du système actuel fondé sur l'obligation.
Le présent projet de loi tend également à tirer les conséquences des modalités nouvelles d'accomplissement du service national sur le code du travail, le code de procédure pénale et le code civil (en ce qui concerne plus particulièrement, sur ce dernier point, l'incidence de la réforme du service national sur l'accès à la nationalité française).
A. LE TEXTE INITIAL DU PROJET DE LOI
1. La mise en place du nouveau service national
Le projet de loi distingue les aspects obligatoires du futur service national, qui sont le recensement et le rendez-vous citoyen, de sa forme facultative qui consistera en un service volontaire.
Comme l'article L.1 de l'actuel code du service national, le premier article du code à venir souligne l'universalité du service national. Précisons toutefois que l'universalité ne sera véritablement acquise qu'avec la nouvelle loi, celle-ci étendant aux filles les obligations du service national que sont le recensement et le rendez-vous citoyen.
a) Le contenu des obligations
(1) Le recensement
Comme votre rapporteur l'a fait observer à l'occasion de son analyse de la réforme à venir (voir supra, II), le recensement a pour objet de permettre la planification du rendez-vous citoyen , ce qui motive l'abaissement de l'âge du recensement à seize ans au lieu de dix-sept. L'âge du recensement doit, en effet, être cohérent avec celui du rendez-vous citoyen, effectué à partir de dix-huit ans.
. L'obligation du recensement est assortie de sanctions . Le " certificat de recensement " que le projet de loi envisage de faire remettre aux jeunes lors de l'accomplissement de cette démarche sera donc exigé pour " s'inscrire aux examens et concours soumis au contrôle de l'autorité publique ", et pour " souscrire un contrat ayant pour but de faciliter l'accès des jeunes à l'emploi ". La catégorie des " concours et examens soumis au contrôle de l'autorité publique " renvoie notamment aux permis de conduire, de pêche et de chasse, ainsi qu'au baccalauréat, aux diplômes universitaires, aux concours d'entrée aux grandes écoles et aux concours d'accès à la fonction publique.
Le projet de loi autorise toutefois les jeunes ayant négligé de se faire recenser à régulariser leur situation jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. La limite d'âge supérieure du recensement est, en effet, alignée sur celle du rendez-vous citoyen. Le risque de sanctions tombe donc à l'âge de vingt-cinq ans.
. La valeur juridique du " certificat de recensement " n'est pas anodine, puisque la présentation de celui-ci permettra au mineur ayant fait l'objet d'un jugement d'admonestation (c'est-à-dire d'un blâme prononcé par le juge des enfants) de demander que la fiche concernant cette mesure soit retirée de son casier judiciaire.
. Par ailleurs, le projet de loi soumet à l'obligation de recensement les étrangers devenus français par naturalisation, réintégration, déclaration, manifestation de volonté ou par option. Cette obligation ne concerne toutefois, pour les raisons précédemment expliquées, que les étrangers entre seize et vingt-cinq ans (alors que l'article L.17 du code actuel du service national fait valoir cette obligation entre dix-huit et cinquante ans), ce qui correspond à la durée des obligations du service national.
. Enfin, les jeunes étrangers nés en France de parents étrangers, et justifiant d'une résidence habituelle en France depuis cinq ans, pourront se faire recenser s'ils le souhaitent, de manière à pouvoir être définitivement inscrits sur les listes de recensement après enregistrement, par le juge, de la manifestation de volonté permettant à ces jeunes étrangers de devenir Français.
(2) Le rendez-vous citoyen
. Ainsi que votre rapporteur l'a déjà relevé, la logique du rendez-vous citoyen est inversée par rapport à celle des actuelles opérations de sélection , car il ne s'agit plus de sélectionner la population masculine apte à effectuer un service national à dominante militaire. L'objet du " rendez-vous citoyen ", tel qu'il est défini par le texte initial du présent projet de loi, est de soumettre l'ensemble de la jeunesse à un bilan de santé, de proposer un bilan d'orientation scolaire et professionnel, de dispenser un rappel de l' information civique de base, de sensibiliser la jeunesse aux enjeux de la défense , et de présenter les différentes formes de volontariat.
Cet objet justifie de lui-même l'universalité de l'obligation, et pose la question des exemptions pour motif médical : à partir de quel degré de gravité une infirmité justifie-t-elle l'exemption du " rendez-vous citoyen " ?
. Les obligations auxquelles sont soumis les Français du fait du rendez-vous citoyen semblent caractérisées par un niveau d'exigence relativement modéré :
- la durée du rendez-vous citoyen est de cinq jours consécutifs, ce qui devrait permettre aux jeunes de satisfaire cette obligation sans bouleverser leur vie professionnelle, leur recherche d'emploi ou leurs études ;
- Le projet de loi prévoit le choix de la date d'accomplissement du rendez-vous citoyen par les jeunes eux-mêmes, il est vrai parmi un ensemble de dates proposées par l'administration ;
- De manière logique, le projet de loi dispose que les jeunes doivent participer à toutes les activités proposées au cours de la session. De même, l'obligation de respecter les règles de vie collective ne suscite pas de remarque particulière.
. Les Français ayant leur résidence habituelle à l'étranger sont, entre dix-huit et vingt-cinq ans, appelés à effectuer le rendez-vous citoyen, dans des conditions qu'il importe cependant de préciser.
. Les sanctions prévues par le projet de loi paraissent équilibrées et justifiées :
- Les sanctions disciplinaires concernent le renvoi d'une session et la reconvocation d'office, dans un délai de six mois, de ceux qui refuseraient de participer à l'intégralité du programme. La reconvocation d'office -qui induit la perte du choix de la date par le jeune- est également la sanction prévue en cas d'absence ou de retards injustifiés.
- Par ailleurs, chaque session du rendez-vous citoyen se terminera par une cérémonie au cours de laquelle seront délivrés les " brevets du rendez-vous citoyen " dont la présentation sera nécessaire pour " s'inscrire aux examens et concours organisés sous le contrôle de l'autorité publique " (baccalauréat, permis de conduire, permis de chasse et de pêche, concours d'accès à la fonction publique ... [11] ), et pour " souscrire un contrat ayant pour but de faciliter l'accès des jeunes à l'emploi ". A l'exception des sanctions disciplinaires, l'absence de " brevet du rendez-vous citoyen " induira les mêmes sanctions que l'absence de " certificat de recensement ".Toutefois, ces sanctions deviennent sans objet à l'âge de vingt-cinq ans, âge maximal auquel on peut être convoqué au rendez-vous citoyen. Le brevet précité ne pourra donc être exigé que jusqu'à vingt-cinq ans, comme le certificat de recensement. On peut donc imaginer que des irréductibles attendent l'âge de vingt-cinq ans pour passer leur permis de conduire ...
- Enfin, le projet de loi prévoit une possibilité de régularisation pour ceux qui, à la suite de sanctions disciplinaires, de retards non justifiés ou de non-représentation(s) à leur(s) convocation(s), ne disposent pas du " brevet de rendez-vous citoyen " et souhaiteraient l'acquérir. Le rendez-vous citoyen ayant été créé, entre autres objets, dans le but de contribuer à l'insertion des jeunes en difficulté, il aurait été illogique et contreproductif de sanctionner définitivement des erreurs de jeunesse, et de ne pas prévoir une dernière chance pour ceux qui souhaiteraient régulariser leur situation.
. Le statut des jeunes pendant leur participation au " rendez-vous citoyen " est celui d' appelés au service national. Le maintien du même terme que celui qu'induit l'obligation légale actuelle est très significatif.
Cette situation d'appelés n'est pas sans conséquence en termes de protection sociale . Le projet de loi établit une distinction opportune, entre la maladie qui se déclare pendant le rendez-vous citoyen sans être causée par celui-ci, et l'événement qui constitue la conséquence directe du rendez-vous citoyen. Dans le premier cas, l'appelé est soigné sous le régime de protection sociale qui lui était applicable auparavant. Dans le deuxième cas, les dépenses sont à la charge de l'Etat et l'appelé (ou ses ayants droit) peut obtenir une réparation.
. La situation des doubles-nationaux appelle un commentaire particulier. Dans son texte initial, le projet de loi prévoyait, en effet, conformément aux conventions bilatérales relatives aux obligations des binationaux à l'égard du service national, que ceux qui auraient satisfait aux obligations du service national dans l'autre Etat dont ils sont ressortissants seraient considérés comme ayant satisfait à l'obligation du rendez-vous citoyen. Le projet de loi permettait toutefois à cette population d'effectuer celui-ci sur une base volontaire.