B. LES INCERTITUDES DE L'AIDE COMMUNAUTAIRE

L'aide communautaire au développement a pris beaucoup d'ampleur au cours des dernières années. Elle ne répond toutefois pas à une politique globale claire et ses modalités de gestion restent très imparfaites.

1. Les évolutions récentes de l'aide communautaire

Ces évolutions ont pris les chemins suivants :

- Une extension progressive du champ géographique

Les accords avec les pays ACP financés sur contributions volontaires ont été institués les premiers, il y a 30 ans. Puis, une coopération avec les pays tiers méditerranéens et les pays en voie de développement d'Amérique latine - Asie, financée sur le budget communautaire, s'est progressivement développée (les premiers protocoles méditerranéens datent de 1978 et l'aide-projet aux pays d'Amérique Latine - Asie est apparue en 1976).

- Une coopération de plus en plus ambitieuse

Les volumes des interventions extérieures de la Communauté européenne ont considérablement augmenté ainsi que le montre le tableau ci-après.

Crédits d'aide communautaires
(crédits d'engagement)

(en millions d'écus)

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

Coopération avec les PVD l'Amérique Latine - Asie

327

369

378

457

546

633

524

700

661

Coopération avec les pays du bassin méditerranéen

153

225

227

107

404

356

423

536

878

Autres actions de coopération

181

250

580

788

471

501

587

343

Coopération avec les PECO et l'ex-URSS

496

1.189

1.452

1.498

1.479

1.687

1.784

Coopération avec d'autres pays tiers

15

587

39

59

52

Volets externes de certaines politiques communautaires

173

216

189

275

247

306

Total des actions extérieures

1.256

1.449

1.888

3.595

3.948

4.281

4.371

5.027

5.212

FED

1.587

1.587

1.587

2.280

2.280

2.280

2.280

2.280

2.630

TOTAL GÉNÉRAL

2.843

3.036

3.475

5.875

6.228

6.561

6.651

7.307

7.842

Par ailleurs, au fur et à mesure de son accroissement, l'aide communautaire est devenue de plus en plus diversifiée. Elle utilise des instruments nombreux : subventions à des programmes nationaux ou régionaux, aide à l'ajustement structurel, systèmes stabex et sysmin, aide d'urgence, aide aux réfugiés, bonifications d'intérêt, capitaux à risques, prêts de la BEI pour des projets nationaux et régionaux.

- Une coopération de plus en plus « politisée »

L'aide au développement est devenue l'un des éléments de la « politique extérieure » de l'Union européenne et l'un des moyens d'affirmer l'existence de l'Europe.

Elle est par ailleurs de plus en plus souvent conditionnée au respect des droits de l'homme et des grands principes démocratiques.

- Une modification de la répartition géographique de l'aide

La préférence pour les pays ACP laisse peu à peu la place à une mondialisation de l'aide communautaire. L'aide accordée aux pays du bassin méditerranéen et aux pays de l'est a été triplée entre 1990 et 1995, celle attribuée aux pays d'Amérique Latine - Asie a doublé. Au cours de la même période, l'enveloppe destinée aux pays ACP n'a progressé que d'un peu plus de 40 %.

- L'absence de politique communautaire globale d'aide au développement

Sous les pressions des différents États membres, dont les intérêts historiques, économiques et politiques divergent souvent, et dont les uns essayent d'attirer les financements européens vers la Méditerranée, d'autres vers l'Amérique latine ou centrale ou l'Asie, d'autres enfin vers les pays de l'Est, la Communauté consacre des flux d'aide de plus en plus importants à l'ensemble des pays non-ACP.

De fait, la Commission, mais aussi le Conseil, ont toujours refusé à ce jour d'arbitrer entre ces pressions divergentes, et raisonnent en termes d'additionnalité. Des financements ou des concessions commerciales supplémentaires sont accordés au fur et à mesure des requêtes ou des renégociations, de sorte qu'aujourd'hui, la Communauté n'a plus, comme par le passé, de politique d'aide au développement véritablement cohérente.

Votre rapporteur regrette vivement cette situation car elle conduit à laisser les services de la Commission agir à leur guise, en l'absence de toute directive précise.

Il lui paraît donc indispensable que l'autorité politique « reprenne la main » et décide d'adopter une véritable politique de coopération. Il conviendrait également que les États membres donnent des directives claires et détaillées aux Services de la Commission afin, ensuite, de pouvoir contrôler la mise en oeuvre de l'aide accordée par l'Union européenne.

2. Les perspectives pour Lomé V et la mise en place du VIIIe FED

- Bilan de la Convention de Lomé

Le bilan actuel de la Convention de Lomé et de ses accords successifs apparaît contrasté.

Rappel des objectifs de la Convention de Lomé

a) Aider les pays ACP à l'aide de subventions ou de capitaux à risques du Fonds Européen de Développement (FED) et de prêts de la Banque Européenne de Développement (BEI) destinés à la réalisation de programmes de développement nationaux et régionaux.

Cinq autres instruments relevant spécifiquement du FED contribuent également à mettre en oeuvre cette politique : le stabex, le sysmin, l'aide d'urgence, l'aide aux réfugiés et l'aide à l'ajustement structurel.

La portée de la Convention est donc très large puisqu'elle couvre la coopération pays ACP-Union européenne en vue d'un développement de tous les secteurs économiques ainsi que la coopération en matière culturelle, sociale et régionale et la protection de l'environnement.

b) Favoriser le commerce à travers certains arrangements :

- accès en franchise et hors contingent au marché de la Communauté européenne pour presque toutes les exportations des pays ACP ;

- achat garanti par la Communauté européenne d'un volume de sucre ACP aux prix en vigueur dans la Communauté ;

- mise en place de moyens financiers destinés à la promotion et au développement du commerce.

La Convention vise ainsi à développer les échanges entre les États ACP et l'Union européenne et à favoriser l'industrialisation des États ACP ainsi que le développement de leur secteur agricole. Elle vise également à promouvoir la coopération régionale entre pays ACP.

Les accords de Lomé n'ont pu empêcher une certaine marginalisation des pays ACP.

En effet, malgré une certaine croissance à la fin des années 70, les économies ACP subissent depuis les effets d'une marginalisation économique et commerciale continue, l'Afrique sub-saharienne ne représentant plus que 2 % du commerce mondial. La performance commerciale des pays ACP a été décevante malgré l'accès en exemption de droits et quotas de la plupart de leurs exportations sur le marché de l'Union européenne et des diverses clauses commerciales de la Convention. La part des exportations ACP sur le marché communautaire est passée ainsi de 6,7 à 3,7 % entre 1976 et 1992, alors que des pays en développement moins privilégiés et des pays asiatiques en particulier sont parvenus à améliorer leurs positions sur le marché de l'Union européenne. Cette détérioration des économies, qui n'exclut pas toutefois certaines exceptions (Maurice, Jamaïque, Zimbabwe) s'est aggravée d'une instabilité économique et sociale croissante (Burundi, Rwanda, Ouganda).

Mais on ne peut imputer cette situation aux insuffisances de la Convention de Lomé. Celle-ci a apporté aux pays ACP une aide en augmentation substantielle, passant de 4,6 milliards d'écus pour le V e FED (1980-1985) à 12 milliards pour le VII e FED (1990-1995) et à 13,3 milliards pour le VIII e FED signé en novembre 1995. En outre, cette aide a pris un caractère de plus en plus concessionnel avec l'augmentation de la part des dons (jusqu'à 90 % du total).

Les pays ACP ont, de leur côté, dû faire face à plusieurs facteurs défavorables : la détérioration des termes de l'échange, la hausse du dollar et des taux d'intérêt, l'effondrement des financements privés ainsi qu'une instabilité politique souvent accrue par l'inadaptation des appareils étatiques et administratifs.

De plus, nombre de pays ACP n'ont pas réglé les problèmes structurels qui freinent leur développement commercial : absence d'une infrastructure permettant l'écoulement fiable des exportations, difficulté à attirer les investisseurs privés, développement insuffisant du secteur financier et base trop étroite des ressources humaines.

Cependant, le système de Lomé comporte de véritables atouts. Il repose sur une gestion paritaire et un partenariat Nord-Sud, différents des mécanismes plus unilatéraux des bailleurs de fonds classiques. En outre, il incite au développement des capacités institutionnelles des pays concernés.

Ces atouts n'ont pu toutefois être entièrement exploités car :


• la Convention de Lomé s'applique à des États affaiblis et en permanente restructuration,


• elle associe 70 pays aux intérêts parfois divergents,


• elle n'a pu toujours éviter les écueils bureaucratiques d'un système fondé sur des procédures complexes et souvent rigides pour faire face à la diversité des situations,


• l'aide communautaire n'a pas complètement réussi à imposer son identité et à affirmer sa spécificité face à l'aide des autres bailleurs de fonds, notamment multilatéraux,


• la mobilisation tant de certains États membres que de certains pays ACP a été insuffisante pour permettre une pleine efficacité du dispositif de Lomé.

- La mise en place du VIII e FED

Les 15 États membres ont décidé, au Sommet de Cannes, en juin 1995, d'accorder 13,3 milliards d'écus pour le VIII e FED (1995-2000). La signature officielle de l'accord est intervenue avec les pays ACP, au mois de novembre à l'Île Maurice.

Le processus de ratification de l'accord est en cours. Il devrait prendre environ 18 mois.

En attendant sa mise en oeuvre, les fonds non consommés du VII e FED permettent d'assurer le financement de l'aide aux pays ACP.

- Les perspectives incertaines de Lomé V

Parallèlement à l'accord sur le VIII e FED, une révision à mi-parcours de Lomé IV a été effectuée en juin 1995.

Elle a permis, par exemple, de remédier à certaines rigidités du système, d'améliorer la programmation des projets, de simplifier les procédures, tout en accentuant les conditions de respect des droits de l'homme et de la démocratie.

Toutefois, malgré un soutien actif de la France, à la fois pour des raisons politiques - l'affirmation d'une priorité en faveur des pays ACP - et pour des raisons institutionnelles - l'appui au mécanisme du partenariat -, le système de la Convention de Lomé apparaît sérieusement menacé à moyen terme.

Les deux risques principaux sont :


la disparition de la spécificité ACP, tant en ce qui concerne la zone géographique qu'en ce qui concerne les mécanismes appliqués. Cette disparition pourrait avoir lieu s'il était décidé de budgétiser le FED : actuellement financé par des contributions volontaires des États membres, le FED pourrait être budgétisé à la demande du Parlement européen qui souhaiterait exercer son contrôle sur ces crédits, de la Commission ou de certains États membres. Une telle mesure entraînerait la banalisation des pays ACP. Par ailleurs, la mondialisation de l'aide communautaire, déjà perceptible avec l'augmentation des budgets affectés aux pays tiers méditerranéens et aux pays d'Amérique Latine - Asie, érode progressivement la priorité précédemment reconnue aux pays ACP. La perspective de l'élargissement de l'Union ne pourrait que conforter cette tendance.

Or, pour le Gouvernement français, « les inconvénients de la perte de la spécificité ACP sont incontestables :

- dispersion et dilution de l'aide européenne d'où moindre efficacité car incapacité à atteindre une masse critique minimum et faible effet de levier ;

- perte d'identité de l'aide communautaire dont les contours deviennent flous et fluctuants ;

- déclin de l'influence européenne en Afrique sub-saharienne alors que l'axe Europe - Afrique présente un intérêt stratégique indéniable ;

- dérive humanitaire au détriment de l'aide au développement, axée sur le long terme ».


la disparition d'une véritable politique communautaire de développement si l'on décidait de répartir les tâches entre la Commission et les États membres, comme le débat actuel sur la coordination et la complémentarité des politiques de coopération de la Commission et des États membres pourrait le suggérer.

Or, l'Europe est un partenaire privilégié pour les pays ACP. En 1994, le FED a apporté 2,3 milliards de dollars aux pays d'Afrique sub-saharienne, soit plus de 12 % de l'aide publique reçue par ces pays. En outre, si ce montant est inférieur à l'aide bilatérale française (2,7 milliards de dollars), il représente deux fois l'aide américaine et trois fois l'aide britannique.

C'est pourquoi, il apparaît important d'adapter et d'améliorer rapidement les procédures de Lomé pour vaincre les réticences d'un nombre croissant d'États membres et éviter la rebilatéralisation de l'aide des plus gros contributeurs.

La Commission a entrepris ce travail de partenariat avec les pays ACP, avec comme objectif d'établir un « livre vert », pour la fin de l'année 1996, destiné à définir l'avenir des relations entre l'Union européenne et les pays ACP.

Votre rapporteur souligne la nécessité de cette clarification tout en insistant sur le caractère essentiel du maintien de la spécificité ACP au sein de l'aide communautaire.

3. La part importante de l'aide française

Le tableau ci-après fournit la répartition de la contribution des États membres au VIII e FED.

Contributions des États membres au VIII e FED

en millions d'écus

en %

Belgique

503

3,9

Danemark

275

2,1

Allemagne

3.000

23,4

Grèce

160

1,2

Espagne

750

5,8

France

3.120

24,3

Irlande

80

0,6

Italie

1.610

12,5

Luxembourg

37

0,3

Pays-Bas

670

5,2

Portugal

125

1,0

Royaume-Uni

1.630

12,7

Autriche

340

2,6

Finlande

190

1,5

Suède

350

2,7

Total

12.840

100

Ressources non affectées

150

Ressources du VII e FED non utilisées

142

Renforcement de l'aide humanitaire en provenance du budget au profit des ACP

160

Transformation de prêts spéciaux en dons

15

Total général

13.307

La France sera donc le 1 er pays contributeur au VIII e FED.

Depuis 1991, la contribution française au FED, qui représente 2 4,37 % du total, a évolué comme suit :

373,3 millions d'écus en 1991

389,1 millions d'écus en 1992

411,7 millions d'écus en 1993

433,9 millions d'écus en 1994

438,7 millions d'écus en 1995

268,1 millions d'écus en 1996 (prévisions).

La baisse enregistrée en 1996 s'explique par le fait qu'il s'agit d'une année de transition, largement occupée par la programmation du VIII e FED et qui laisse donc moins de place à l'élaboration et à l'approbation de projets ou programmes.

On observera que pour l'aide apportée aux pays d'Amérique Latine, d'Asie et du bassin méditerranéen, la contribution française, à la différence du FED, est égale à la part de la France dans le budget communautaire, soit 19 % environ. Celle-ci a représenté :

113,5 millions d'écus en 1991

176,5 millions d'écus en 1992

178 millions d'écus en 1993

184,5 millions d'écus en 1994

219 millions d'écus en 1995

272 millions d'écus en 1996 (prévisions).

Votre rapporteur se félicite de la place de la France dans le versement de l'ensemble de ces aides.

Il rappelle cependant que si la spécificité des pays ACP au sein de l'aide communautaire venait à disparaître, la complémentarité de celle-ci avec notre propre politique de coopération s'en trouverait fortement diminuée, ce qui serait regrettable et aurait un impact défavorable sur des projets de développement axés sur le long terme.

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