2. Le nécessaire développement des dispositifs internationaux
Les mesures internes ont pour vocation de combattre les phénomènes d'évasion fiscale. Elles ne peuvent y parvenir que moyennant une coopération internationale qui fait trop souvent défaut. Un code international de bonne conduite s'impose.
Mais les mesures strictement internes n'ont pas vocation à lutter contre les effets des écarts de fiscalité entre Etats.
En ce qui concerne ce problème, c'est la question de l'harmonisation des fiscalités internationales qui se pose.
a) Le nécessaire code international de bonne conduite
La multiplication des régimes préférentiels, l'essor des paradis fiscaux combinés à l'internationalisation des opérations financières, laissent planer des doutes sur la loyauté de la compétition fiscale internationale.
Un Etat ne peut rien contre ces phénomènes sans la coopération des autres.
Un code international de bonne conduite s'impose.
Il n'entre pas dans le cadre de ce rapport de dresser la liste des mesures qui devraient y figurer.
Cependant, tout ce qui favorise l'opacité des opérations de transferts internationaux de revenus peut être réputé suspect.
Il est donc souhaitable d'exercer une pression pour que :
- les régimes de secret bancaire soient levés ;
- les systèmes de coopération administrative et judiciaire internationale fonctionnent mieux ;
- et qu'une véritable responsabilité des Etats dans le domaine de la poursuite de leurs justiciables coupables de favoriser la fraude fiscale à l'égard d'autres Etats soit instituée.
b) La question épineuse de l'harmonisation fiscale internationale
L'harmonisation fiscale internationale soulève des questions de principe très fortes mais aussi des problèmes de définition de son champ ou de son degré. Un réel regain d'intérêt pour cette question semble voir le jour. Il y a lieu de s'en féliciter très vivement et, en particulier, de saluer les initiatives prises au cours de l'année par l'Organisation de coopération et de développement économiques, par le G7 et par l'Union européenne dans ce domaine.
(1) L'impôt sur les sociétés : un cas type des problèmes posés par l'harmonisation fiscale.
Rentabilité avant impôt nécessaire
pour obtenir
une rentabilité de 5 % après
impôt
Source : Devereux et Pearson (1989)
Le tableau ci-dessus est issu d'une étude assez ancienne -elle a été publiée en 1989- mais qui illustre assez bien les différents aspects des problèmes posés par l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés.
Le tableau est construit à partir des taux effectifs d'imposition des investissements et indique quelle doit être la rentabilité d'un investissement avant imposition pour que celui-ci dégage une rentabilité après impôt de 5 %.
Dans la première colonne cette donnée est indiquée pour les investissements réalisés dans le pays de l'investisseur ; dans la deuxième colonne, pour les investissements réalisés dans le pays à partir de l'ensemble des pays considérés ; dans la troisième colonne, pour les investissements réalisés dans l'ensemble des pays considérés à partir du pays indiqué en ligne.
Le ratio d'incitation à l'importation -quatrième colonne- mesure le rapport entre le taux de rentabilité nécessaire pour un investisseur national et celui nécessaire pour un investisseur d'un autre pays. Plus ce ratio est faible, moins le pays se montre accueillant pour les visiteurs étrangers.
Le ratio d'incitation à l'exportation -cinquième colonne- est un indicateur qui mesure l'incitation à exporter son capital du fait des poids relatifs de l'impôt intérieur et étranger.
Les résultats produits sont périmés en raison des phénomènes de convergence intervenus depuis en matière d'impôt sur les sociétés. Toutefois, plusieurs observations intéressantes peuvent en être tirées :
•
Le taux effectif de l'impôt sur les
sociétés diffère très sensiblement du taux nominal.
L'étude réalisée le montre bien. A la date de sa
réalisation, la France appliquait en matière d'impôt sur
les sociétés un taux nominal fortement supérieur à
celui de la plupart des autres pays.
Il apparaît pourtant que, s'agissant des investisseurs nationaux, la France était l'un des pays où le niveau de rentabilité nécessaire avant impôt était l'un des plus bas de l'échantillon.
Il y a au demeurant dans ce constat l'expression d'un doute sur les motifs réels de la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés en France postérieure à 1990.
• Les investissements transnationaux sont en
général plus lourdement taxés que les investissements
nationaux.
Il n'y a donc pas neutralité de l'imposition sur
l'investissement. Les frontières fiscales existent bel et bien.
Seuls l'Allemagne -alors, la RFA-, l'Irlande, le Portugal et le Japon réservaient aux investissements étrangers un traitement fiscal plus favorable qu'aux résidents.
Seuls les investisseurs danois, allemands et japonais se voyaient inciter à délocaliser leurs capitaux pour des motifs fiscaux.
Il est tout à fait remarquable dans ces conditions que investissement direct international se soit tant développé et ce sans que la part de chacun des pays dans le total des investissements directs paraisse corrélée avec les réalités fiscales nationales.
Flux des investissements directs
Source : Banque de France
•
La logique d'harmonisation fiscale
sous-jacente à l'étude est ambiguë à l'image des
questions posées en général par ce
problème.
Tout d'abord, il pourrait s'agir d'indiquer que les disparités d'imposition des sociétés seraient à l'origine de problèmes de compétitivité pour les économies où l'effet de l'impôt serait le plus pénalisant pour les investisseurs nationaux.
Les résultats mentionnés démontrent amplement le caractère erroné d'une telle approche en matière d'impôt sur les sociétés. Les prélèvements obligatoires ne sont pas tout. Le niveau d'un prélèvement peut être compensé par celui d'un autre.
Ensuite, il pourrait s'agir d'indiquer que certains pays pénalisent les investissements étrangers du fait du niveau de l'impôt sur les sociétés -on retrouve alors l'objection citée ci-dessus- ou alors que certains pays traitent de façon discriminatoire les investissements étrangers par rapport aux investissements nationaux, soit qu'ils les favorisent soit qu'ils les pénalisent.
En réalité, il apparaît que rares sont les pays qui se trouvent dans le premier cas -dans les cas relevés, on ne peut dire que l'incitation fiscale à importer les capitaux soit efficace globalement- et que presque tous les pays pénalisent relativement les investissements étrangers.
Mais, dans cette hypothèse, il n'y a manifestement pas volonté de leur part de prévenir l'importation de capitaux et, plutôt que d'évoquer une pénalisation volontaire de l'investissement étranger de la part du pays d'accueil, il vaudrait mieux faire état d'une pénalisation systématique résultant du cumul des règles fiscales des Etats de provenance et de destination de l'investissement.
La dernière logique identifiable est, de loin, plus complexe : il s'agirait de prôner une entière neutralité de l'impôt sur les choix d'investissement.
La base du raisonnement est la suivante : un investissement n'est optimal que s'il est influencé par des facteurs économiques, à l'exclusion de tout facteur institutionnel.
Lorsque des différences de rentabilité d'un investissement proviennent d'écarts d'imposition, la localisation des activités correspond moins au niveau relatif des coûts de production qu'à des considérations d'opportunité fiscale. Un ensemble économique donné gagnerait à éliminer ces distorsions : il produirait alors à moindre coût et davantage.
Poussée à l'extrême, cette logique conduirait à adopter un système unique de prélèvements sur les revenus de l'entreprise -sans doute même, d'ailleurs, un système unique de prélèvements-. Une version plus modeste de l'harmonisation consisterait à éliminer les facteurs de variation de l'imposition de l'investissement national en fonction de son implantation. Il s'agirait dans cette hypothèse de démanteler les retenues à la source imposées par les pays d'accueil en laissant à l'Etat de provenance de l'investissement la pleine maîtrise de l'impôt sur les sociétés.
L'harmonisation maximum paraît irréaliste et serait sans doute dangereuse et inutile.
Irréaliste parce qu'elle heurterait la souveraineté des Etats.
Dangereuse parce que l'harmonisation d'un prélèvement doit tenir compte des autres prélèvements et du niveau des dépenses publiques et donc du souhait de socialisation des revenus exprimé dans chacun des Etats.
Inutile parce que l'élasticité globale de la localisation des investissements à l'impôt sur les sociétés, pas plus que l'influence de ce dernier sur la localisation des investissements, ne semble avérée.
L'harmonisation minimum laisserait subsister des écarts importants de pression fiscale et atténuerait la source de distorsion fiscale d'ores et déjà la moins puissante.
Elle conduirait à priver de recettes fiscales les Etats d'accueil des investissements étrangers et renforcerait l'incitation à délocaliser les productions des pays à niveau d'imposition relatif élevé.
(2) Les questions posées par l'imposition des revenus des particuliers
L'évolution des prélèvements s'est caractérisée -voir supra- par un alourdissement relatif des prélèvements pesant sur le revenu des ménages.
Sans qu'il soit possible d'attribuer la cause de ce phénomène à un transfert des impositions des facteurs les plus mobiles vers des facteurs "captifs", il y a lieu d'en redouter l'éventualité.
Mais, évoquer la fiscalité pesant sur les ménages ne suffit pas. Les ménages sont dans des situations variables ; le secteur n'a pas l'unité apparente qu'on lui attribue. Une partie des ménages tire l'essentiel de ses revenus de leur travail ; d'autres bénéficient essentiellement de revenus de transfert ou de leurs actifs. La mobilité des ménages est elle-même variable, certains étant plus que d'autres sujets au nomadisme fiscal.
Comme pour les autres aspects de la compétition fiscale internationale, deux problèmes distincts au moins se posent :
• celui de l'effet sur la compétitivité
économique du système de prélèvement sur les
ménages ;
• celui des distorsions induites par la
compétition fiscale internationale.
Ils se recouvrent partiellement.
En ce qui concerne les distorsions induites par la compétition fiscale internationale, il y a lieu de s'inquiéter :
• des perspectives d'alourdissement relatif de la
pression fiscale sur le revenu des ménages consécutives à
l'érosion des prélèvements opérés sur
d'autres revenus ;
• d'une relative déformation de la structure
de la fiscalité sur les ménages, les éléments les
plus mobiles de leur revenu étant "détaxés" au
détriment des revenus moins mobiles ;
• de phénomènes éventuels de
nomadisme fiscal résultant d'arbitrages fiscaux.
Ce dernier phénomène, pour résiduel qu'il apparaisse, semble susceptible de concerner pour l'essentiel des contribuables à revenus importants. Il est d'autant plus susceptible de prendre de l'ampleur qu'à l'inverse des Etats-Unis, la France n'impose ses citoyens que pour autant qu'ils résident sur le territoire national ou que, résidant à l'étranger, ils perçoivent des revenus de source française.
On rappelle en effet que la citoyenneté américaine est exigeante sur le plan fiscal, puisque les Etats-Unis taxent leurs citoyens quelles que soient leur résidence et la source de leurs revenus.
Il y a d'ailleurs lieu d'observer que des projets existent aux Etats-Unis visant à combattre l'exode fiscal des non-résidents qui, au travers de leur assujettissement à une "expatriation tax" se verraient imposer à l'occasion d'une délocalisation fiscale à raison des plus-values, même latentes, de leur patrimoine américain.
S'agissant des deux autres motifs de préoccupation soulignés ci-dessus, s'ils semblent encore largement virtuels, on ne peut que relever l'existence d'un phénomène d'inflexion de la taxation de l'épargne parallèle avec un renforcement des prélèvements sur les revenus salariaux.
En tout état de cause, les réactions suscitées en Allemagne par l'introduction d'une retenue à la source de 30 % sur les revenus mobiliers illustrent le poids de la contrainte internationale dans ce domaine.
On mesure à ce stade les inconvénients résultant de l'absence de traduction réelle de l'engagement pris au moment de la libération des mouvements de capitaux en Europe d'assortir celle-ci d'une harmonisation des fiscalités les concernant.
En ce qui concerne l'effet sur la compétitivité économique du système de prélèvements sur les ménages il s'agit, compte tenu du poids relatif des prélèvements en question et de la situation de sous-emploi qui prévaut d'une question cruciale dont l'approfondissement dépasserait le cadre de ce rapport. Mais, il va de soi que, même corrigée des évolutions récentes de notre système de prélèvement fiscal et social, l'observation traditionnelle selon laquelle les prélèvements sur le travail sont d'un poids excessif dans notre pays ne peut être que renouvelée.