II. L'ARTICLE 2 DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION : LA DÉFINITION DUNE PROCÉDURE DE DÉCLARATION D'IRRECEVABILITÉ DES AMENDEMENTS NON CONFORMES À L'ARTICLE LO 111-3 DU CODE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
A. LE DOUBLE OBJET DE CETTE PROCÉDURE : ÉVITER LES « CAVALIERS SOCIAUX » LORS DE LEXAMEN DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE ET ASSURER LA PROTECTION DE LEUR DOMAINE À L'ÉGARD D'AMENDEMENTS PORTANT SUR D'AUTRES LOIS.
L'article L.O. 113 du code de la sécurité sociale, dont il est nécessaire de reproduire le texte complet, comporte trois paragraphes ainsi rédigés :
« Art. L.O. 111-3. -1. Chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale :
« 1° Approuve les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ;
« 2° Prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement ;
« 3° Fixe, par branche, les objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de vingt mille cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres ;
« 4° Fixe, pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie ;
« 5° Fixe, pour chacun des régimes obligatoires de base visés au 3° ou des organismes ayant pour mission de concourir à leur financement qui peuvent légalement recourir à des ressources non permanentes, les limites dans lesquelles ses besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources.
« II . La loi de financement de l'année et les lois de financement rectificatives ont le caractère de lois de financement de la sécurité sociale.
« Seules des lois de financement peuvent modifier les dispositions prises en vertu des 1° à 5° du I.
« III. Outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.
« Tout amendement doit être accompagné des justifications qui en permettent la mise en oeuvre.
« Les amendements non conformes aux dispositions du présent article sont irrecevables » .
• S'agissant de la discussion des lois de financement
de la sécurité sociale, une des préoccupations majeure du
Constituant, lors de la révision constitutionnelle du 22 février
1996, puis du législateur organique, a été de faire en
sorte qu'elle soit centrée sur l'essentiel, à savoir les
conditions générales de l'équilibre financier de la
sécurité sociale.
Ne serait-ce qu'en raison des délais impératifs assignés à chaque assemblée pour leur examen en première lecture (20 jours pour l'Assemblée nationale et 15 jours pour le Sénat), il importe que les lois de financement de la sécurité sociale ne deviennent pas des sortes de « lois fourre-tout » ni, pour reprendre l'expression de l'exposé des motifs de la proposition de résolution, « une mosaïque de dispositions à caractère social, sans rapport direct avec l'objet du texte en discussion ».
À cette fin, le législateur organique a énuméré limitativement les dispositions susceptibles de figurer dans cette nouvelle catégorie de loi, exigeant de surcroît que tout amendement soit accompagné des justifications qui en permettent la mise en oeuvre.
En outre, le législateur organique a entendu protéger le domaine des lois de financement contre des amendements qui tendraient à modifier, à l'occasion de l'examen d'une loi d'une autre catégorie, des dispositions énumérées au I de l'article précité et figurant dans une loi de financement.
Dans cette double optique, il a prescrit l'irrecevabilité des amendements non conformes à l'une ou l'autre des différentes règles posées par l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.
Dans sa décision n° 96-379 DC du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel a considéré que ces restrictions au droit d'amendement n'étaient pas contraires à la Constitution, puisque la révision constitutionnelle avait précisément habilité le législateur organique à déterminer « des conditions et réserves particulières concernant la procédure de vote des lois de financement de la sécurité sociale ».
Bien entendu, la recevabilité des amendements en question s'appréciera sans préjudice du respect de l'article 40 de la Constitution, ainsi qu'il avait été prévu lors de la révision constitutionnelle et comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans la décision précitée.
Les dispositions proposées ne feraient donc pas obstacle, le cas échéant, à la mise en oeuvre des procédures prévues par les alinéas 1 et 2 de l'article 45 du Règlement du Sénat.
• Votre commission rappelle par ailleurs que
« l'irrecevabilité sociale » instituée par la
loi organique est opposable aussi bien aux amendements présentés
par les parlementaires qu'aux amendements du Gouvernement.
Sur ce point, la loi organique n'opère aucune distinction entre les amendements, et les travaux préparatoires explicitent parfaitement l'intention du législateur.
Lors de la discussion de l'article L.O. 111-3, M. André Fanton, rapporteur de l'Assemblée nationale, a bien précisé le 25 avril 1996 que « pour qu'il n'y ait pas de malentendu, dans l'esprit de la commission, les paragraphes concernant les justifications et la disjonction ou l'irrecevabilité s'appliquent au Gouvernement au même titre qu'au Parlement ».
Au Sénat, votre rapporteur a pareillement souligné dans son rapport écrit (n° 375) en première lecture que « l'irrecevabilité pourra être invoquée à l'encontre de tous les amendements, ceux du Gouvernement comme ceux des parlementaires ».
À nouveau, dans son rapport écrit de seconde lecture, M. André Fanton a insisté sur ce point : « il demeure incontestable que, pour ce qui concerne les amendements, le dispositif d'irrecevabilité qu'il reviendra au Règlement de chaque assemblée de préciser doit s'appliquer à tous, qu'ils émanent du Gouvernement ou de membres du Parlement ».
B. LA PROCÉDURE PROPOSÉE : UNE DÉCLARATION « D'IRRECEVABILITÉ SOCIALE » CALQUÉE MUTATIS MUTANDIS SUR LA DÉCLARATION D'IRRECEVABILITÉ FINANCIÈRE DE L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION
Aux termes des alinéas 1 et 2 de l'article 45 du Règlement du Sénat, l'irrecevabilité financière tirée de l'article 40 de la Constitution peut être soulevée par le Gouvernement, par la commission des Finances, par la commission saisie au fond ou par tout sénateur. Elle est admise de droit, sans qu'il y ait lieu à débat, lorsqu'elle est affirmée par la commission des Finances.
Lorsque la commission des Finances n'est pas en état de faire connaître immédiatement ses conclusions, l'article en discussion est réservé. Quand elle estime qu'il y a doute, un représentant peut demander à entendre les explications du Gouvernement et de l'auteur de l'amendement, qui dispose de cinq minutes de parole. Si le doute subsiste, l'article et l'amendement sont renvoyés à la commission des Finances, qui doit faire connaître ses conclusions avant la fin du débat, faute de quoi l'irrecevabilité est admise tacitement.
Dans tous les cas, l'amendement est mis en discussion lorsque la commission des Finances ne reconnaît pas l'irrecevabilité.
• Le dispositif proposé pour
« l'irrecevabilité sociale » est tout à fait
analogue, à cette différence près qu'outre le
Gouvernement, la commission saisie au fond ou tout sénateur, cette
irrecevabilité pourrait être soulevée par la commission des
Affaires sociales (cette hypothèse trouvant à s'appliquer pour
des amendements portant sur un texte dont elle ne serait pas saisie au
fond).
De même, l'irrecevabilité serait appréciée dans tous les cas par la commission des Affaires sociales, qui dispose en ce domaine d'une compétence naturelle.
Pour le reste, le mécanisme serait identique, l'irrecevabilité était déclarée dans les mêmes conditions par le représentant de la commission des Affaires sociales ou, en cas de doute, par celle-ci. L'amendement serait mis ou remis en discussion si la commission des Affaires sociales n'admettait pas l'irrecevabilité.
En définitive, la proposition de résolution n° 504 s'en tient, moyennant les adaptations adéquates, à un mécanisme éprouvé et bien connu du Sénat. On peut d'ailleurs supposer que la commission des Affaires sociales élaborera progressivement une jurisprudence de la « recevabilité sociale des amendements » comme l'a fait la commission des Finances en matière de recevabilité financière.
• Toujours dans le souci de ne pas surcharger le
Règlement du Sénat, l'auteur de la proposition de
résolution n'a pas jugé souhaitable d'y introduire d'autres
dispositions relatives à la procédure d'examen des lois de
financement de la sécurité sociale. Votre commission des Lois a
souscrit à sa démarche.
Il ne serait par exemple pas utile de prévoir de dispositions spécifiques en ce qui concerne l'envoi du projet de loi de financement à telle ou telle commission, dès lors que pour tous les textes, le choix de la commission compétente -qui ressortit à la compétence du Président du Sénat-découle du champ naturel de compétence de chaque commission.
De même, les règles de délai d'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ne gagneraient pas à être reproduites dans le Règlement puisqu'elles figurent déjà à l'article 47-1 de la Constitution.
• Votre commission des Lois constate toutefois que le
texte de l'article L.O. 111-3 précité vise uniquement
l'irrecevabilité des amendements mais passe sous silence les
propositions de loi, lesquelles n'ont d'ailleurs pas fait l'objet d'observation
particulière lors des débats sur la loi organique.
Pour autant, rien n'interdit de s'interroger sur ce qui pourrait advenir d'une proposition de loi déposée par un sénateur si elle empiétait sur le domaine des lois de financement de la sécurité sociale. Faut-il déduire du silence de la loi organique qu'un parlementaire pourrait proposer par la voie d'une proposition de loi une mesure qu'il lui sera interdit de suggérer par amendement ?
Certes, un principe général veut qu'il n'y ait pas d'irrecevabilité sans texte. Mais un autre principe veut que les règles régissant les amendements s'appliquent sauf disposition contraire aux propositions de loi, et vice versa, dans la mesure où tous deux ont une origine parlementaire.
D'un point de vue juridique, force est d'admettre que la révision constitutionnelle du 22 février 1996 a créé, avec les lois de financement de la sécurité sociale, une nouvelle catégorie de lois, dont l'article L.O. 111-3 délimite précisément le périmètre, par la distinction entre les matières qui doivent y figurer et celles qui lui sont étrangères. Dans son rapport sur la révision constitutionnelle, votre rapporteur avait d'ailleurs bien insisté sur le caractère spécifique de cette catégorie de lois, qui s'ajoute désormais aux catégories instituées par le texte initial de la Constitution (les lois organiques, les lois de finances, les lois simples).
Cette innovation constitutionnelle pose donc nécessairement le problème du partage entre le domaine de la loi de financement et celui de la loi simple, qui concerne tout autant les propositions de loi que les amendements proprement dits.
• Pour ce qui est de l'appréciation de la
« recevabilité sociale » des propositions de loi au
moment de leur dépôt, le problème trouve déjà
sa solution dans les alinéas 2 et 4 de l'article 24 de notre
Règlement, lesquels disposent :
« 2.- Les propositions de loi ont trait aux matières déterminées par la Constitution et les lois organiques. Si elles sont présentées par les sénateurs, elles ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit la diminution d'une ressource publique non compensée par une autre ressource, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.
« 4. - Le Bureau du Sénat ou certains de ses membres désignés par lui à cet effet sont juges de la recevabilité des propositions de loi ou de résolution ».
Sur la base de ces dispositions, le Bureau ou les membres désignés par lui à cet effet pourront donc parfaitement déclarer une proposition de loi irrecevable au motif qu'elle méconnaît la répartition de « matières déterminées par la Constitution et les lois organiques » , en l'occurrence l'article 34, antépénultième alinéa, de la Constitution et l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.
Il n'y a donc pas lieu d'introduire de disposition expresse pour régler ce problème « en amont ».
• En revanche, le Règlement ne contient pas de
disposition permettant de le régler « en aval »,
c'est-à-dire en cours de discussion (dans le cas, par exemple, d'une
proposition de loi déclarée recevable par le Bureau mais à
l'égard de laquelle le Gouvernement aurait une position plus restrictive
que celle du Bureau ; ou encore si le texte mis en discussion n'est plus
celui de la proposition de loi initialement recevable mais résulte des
conclusions adoptées par la commission).
À cet égard, le parallèle avec le régime de l'irrecevabilité financière soulevée en cours de discussion à l'encontre d'une proposition de loi n'est pas inutile. En effet, l'article 45, alinéa 3 du Règlement du Sénat, dispose que :
« Dans le cas de discussion d'une proposition de loi déposée par un sénateur, les règles énoncées par les alinéas 1 et 2 du présent article s'appliquent également au texte mis en discussion ».
En d'autres termes, la procédure de déclaration d'irrecevabilité des amendements par la commission des Finances peut être appliquée à l'identique aux propositions de loi en cours de discussion.
• C'est pourquoi votre commission des Lois a cru
pouvoir transposer cette disposition en complétant l'article 2 de la
proposition de résolution par un nouvel alinéa (qui viendrait
s'insérer après les nouveaux alinéas 7 et 8 de l'article
45) aux termes duquel :
« 9.- Dans le cas de discussion d'une proposition de loi déposée par un sénateur, les règles énoncées par les alinéas 7 et 8 du présent article s'appliquent également au texte mis en discussion ».
En cours de discussion, c'est donc à la commission des Affaires sociales qu'il appartiendrait, le cas échéant, d'apprécier la recevabilité de tout ou partie d'une proposition de loi au regard de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, dans les mêmes conditions que pour les amendements.
Sur la base de ces dispositions, il appartiendra à la pratique de préciser, à l'égard des propositions de loi, la ligne de partage entre le domaine de la loi simple et celui des lois de financement de la sécurité sociale.
Votre commission des Lois constate enfin qu'à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution n° 2968 présentée par M. Pierre Mazeaud en vue d'introduire dans le Règlement de l'Assemblée nationale les mesures nécessaires à la mise en oeuvre de la loi du 14 juin 1996 et de la loi organique du 22 juillet 1996, la commission des Lois de l'Assemblée nationale vient de proposer de modifier l'appellation des députés appelés à siéger au sein des organismes extra-parlementaires.
Ils étaient jusqu'à présent qualifiés de « représentants », terme qui peut paraître ambigu dans la mesure où un parlementaire désigné par son assemblée ou par une commission pour siéger dans un organisme extra-parlementaire n'est pas investi, dans l'exercice de cette fonction, d'un véritable mandat de représentant. La commission des Lois de l'Assemblée nationale propose donc de les viser désormais sous l'appellation plus neutre de « membres de l'Assemblée nationale siégeant » au sein des organismes extra-parlementaires.
Il paraît souhaitable de procéder à une modification terminologique équivalente dans l'article 9 du Règlement du Sénat, ne serait-ce que pour éviter une disparité dans l'appellation des membres des deux assemblées lorsque des députés et des sénateurs siègent au sein du même organisme extra-parlementaire.
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois invite le Sénat à adopter la proposition de résolution suivante :