Rapport n° 431 (1995-1996) de M. Denis BADRÉ , fait au nom de la commission des finances, déposé le 13 juin 1996
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INTRODUCTION
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CHAPITRE PREMIER : POURQUOI UNE RÉVISION
DES PERSPECTIVES FINANCIÈRES ?
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CHAPITRE II : ÉLÉMENTS
D'APPRÉCIATION
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TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
N° 431
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 13 juin 1996.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la proposition de résolution , présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Denis BADRÉ sur la proposition de révision des perspectives financières présentée par la commission au Parlement européen et au Conseil en application des paragraphes 11 et 12 de l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993 sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure législative (n° E-628).
Par M. Denis BADRÉ,
Sénateur.
1 Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, René Régnault, Alain Richard, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann, Michel Sergent, Henri Torre, René Trégouët.
Voir le numéro :
Sénat : 395 (1995-1996).
Union européenne.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Votre commission des finances est appelée à examiner la proposition de résolution de M. Denis Badré, présentée en application de l'article 73 bis du règlement du Sénat, sur la proposition d'acte communautaire de révision des perspectives financières présentée par la Commission au Parlement européen et au Conseil en application des paragraphes 11 et 12 de l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993.
Il convient de rappeler que l'accord interinstitutionnel n'avait pas, à l'époque, été transmis au Parlement au motif que le Conseil d'État avait estimé qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'un acte communautaire au sens de l'article 88-4 de la Constitution puisque de tels accords n'avaient pas été prévus par le traité de Rome.
Le président Jacques Genton avait regretté dans un récent rapport 1 ( * ) cette absence de transmission soulignant à très juste titre l'importance de cet accord tant du point de vue institutionnel que du point de vue programmatique.
Il soulignait ainsi dans le rapport précité :
"La pratique des "accords interinstitutionnels" tend à altérer la signification du vote des traités par les Parlements nationaux. Ceux-ci se prononcent sur le texte d'un traité, et dans la pratique c'est, sur certains points, un autre texte qui est appliqué, pour peu que les institutions en conviennent ainsi. Jugerait-on admissible, à l'échelon national, que le Gouvernement, l'Assemblée nationale et le Sénat concluent un accord aux termes duquel les articles de la Constitution et des lois organiques concernant le vote des lois de finances ne seraient plus applicables en totalité, étant remplacés en partie par un arrangement ?
On ne peut certes exclure que des accords interinstitutionnels soient utiles, voire nécessaires pour préciser les modalités d'application d'aspects peu explicites des traités. Encore faut-il que les Parlement nationaux -qui seuls peuvent autoriser la ratification des traités- soient à même de constater que de tels accords ne modifient ni l'esprit ni la lettre de ce qu'ils ont voté. Il conviendrait donc de prévoir que tout accord interinstitutionnel soit transmis pour approbation aux Parlement nationaux. Cette procédure d'approbation pourrait au demeurant, dans un souci de simplicité, être tacite : l'accord serait considéré comme approuvé dès lors qu'aucun Parlement ne l'aurait rejeté dans un délai fixé".
On ne peut que s'associer à sa satisfaction et à celle de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne devant la transmission par le Gouvernement de la proposition de révision des perspectives financières de la Commission au Parlement.
Cette transmission se fonde sur l'avis du Conseil d'État du 6 mai 1996, selon lequel la proposition de révision des perspectives financières est de nature législative car elle peut être :
"assimilée en droit interne à une loi de programme dont les autorisations de programme sont, en vertu de l'article 33 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, en principe inscrits dans la partie services votés du projet de loi de finances".
Même si l'on ne peut pour autant interpréter cet avis comme un revirement de jurisprudence du Conseil d'État en la matière, celui-ci ayant considéré dans son avis du 18 novembre 1993 qu'un accord interinstitutionnel n'était pas au nombre des actes communautaires qui donnaient lieu à transmission par la Commission au Conseil, et, partant, ne pouvait être transmis au Parlement français en application de l'article 88-4 de la Constitution, il faut espérer qu'à l'avenir l'intégralité des propositions relatives à des accords interinstitutionnels soit désormais transmis au Parlement .
On regrettera, par ailleurs, qu'une proposition élaborée sans consultation en amont des États membres par la Commission et arrêtée à la date du 29 mars 1996 n'ait été transmise au Sénat que le 9 mai 1996, c'est-à-dire dans des conditions ne facilitant pas son examen.
Votre rapporteur se réjouit de voir le Parlement pouvoir exercer son contrôle sur un acte en lui-même important mais qui l'est plus encore si l'on veut bien considérer la proximité du démarrage du processus qui devrait conduire à l'adoption de nouvelles perspectives financières.
L'attitude qui doit être adoptée dans ce dossier doit représenter une indication forte de la volonté de préparer l'échéance de 1999. Elle doit manifester la plus grande rigueur. En effet, après la Conférence intergouvernementale et la mise en place de la monnaie unique, le rendez-vous des prochaines perspectives financières, en 1999, constituera un nouveau test pour construire une Europe forte.
Dans ces conditions, tout dérapage budgétaire, tout laxisme quant à la procédure à suivre, doivent être condamnés, si nous ne voulons par voir diluée la construction européenne.
CHAPITRE PREMIER : POURQUOI UNE RÉVISION DES PERSPECTIVES FINANCIÈRES ?
I. LES "PERSPECTIVES FINANCIÈRES" : UN INSTRUMENT SOUPLE DE PROGRAMMATION DES DÉPENSES COMMUNAUTAIRES
A. UNE PROGRAMMATION A MOYEN TERME DES DÉPENSES EUROPÉENNES...
Le budget des Communautés européennes s'inscrit, depuis 1989, dans le cadre d'une programmation pluriannuelle des dépenses décidée à la suite de l'accord interinstitutionnel du 27 mai 1988.
La genèse de cet accord conclu entre le Conseil, le Parlement et la Commission peut être trouvée dans la crise budgétaire de 1987. Celle-ci avait opposé le Conseil au Parlement et à la Commission au sujet du plafond des ressources propres à la Communauté.
La programmation financière des dépenses communautaires, vulgarisée sous la dénomination de "paquet Delors I", était censée permettre de trouver une porte de sortie à l'impasse budgétaire d'alors. Elle constituait un compromis entre l'accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire au terme duquel :
• la montée en charge programmée des
dépenses communautaires devait s'accompagner d'un plafonnement et d'une
meilleure prédictibilité des contributions des
États-membres ;
• la classification des différentes
dépenses par rubrique permettait de préserver l'évolution
nécessaire des dépenses obligatoires et les perspectives de
renforcement des actions correspondant à des dépenses
non-obligatoires.
Le Conseil européen d'Edimbourg du mois de décembre 1992 devait adopter de nouvelles perspectives financières pour 1999, -le "paquet Delors II, 1993"-, consacrées par l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993.
Perspectives financières d'Edimbourg
Crédits d'engagement
Le tableau qui précède présente les perspectives financières qui sont partie intégrante de l'accord interinstitutionnel mentionné.
B. ... QUI MENAGE QUELQUES SOUPLESSES
L'accord interinstitutionnel ménage deux procédures permettant de faire évoluer la programmation à moyen terme des crédits d'engagements du budget communautaire.
•
L'adaptation annuelle
des
perspectives financières regroupe :
- Les ajustements techniques opérés en amont de la procédure budgétaire afin de tenir compte de la croissance du PNB et des prix.
Ils supposent, d'une part, de calculer la ligne agricole qui constitue le plafond de la rubrique 1 "Politique agricole commune". Celle-ci est indexée sur les prix et 74 % du taux de croissance réelle.
Ils supposent, d'autre part, de réévaluer les plafonds des autres rubriques en tenant compte de la croissance du PIB de l'année à venir et de la dérive des prix telle qu'elle est prévue.
Ces ajustements sont effectués par la Commission et communiqués aux deux branches de l'autorité budgétaire.
- Les adaptations liées aux conditions d'exécution consistent à adapter le montant total du crédit de paiement en fonction du rythme de consommation des crédits d'engagement.
Les attributions de la Commission dans ce domaine varient selon la nature des dotations concernées. Généralement, ces propositions doivent recueillir l'agrément du Conseil et du Parlement qui statuent à la majorité qualifiée pour l'un et pour l'autre, à la majorité des membres qui le composent et des trois cinquième des suffrages exprimés.
Cependant, s'agissant des crédits relatifs aux fonds structurels et aux fonds de cohésion, la Commission est forte de l'engagement consenti par le Conseil et le Parlement à l'occasion de l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993 d'autoriser le transfert sur les années ultérieures des dotations non utilisées au cours de l'exercice précédent, même si ce transfert a pour effet d'augmenter les plafonds correspondants des dépenses.
•
La révision des perspectives
financières.
Elle vise à "faire face à la nécessité d'engager des actions non prévues à l'origine dans le respect du plafond des ressources propres."
L'accord interinstitutionnel précise qu'"en règle générale, une telle proposition de révision doit être adoptée avant le début de la procédure budgétaire pour l'exercice ou le premier des exercices concernés par cette révision."
Les règles de majorité sont celles indiquées plus haut à l'occasion de la présentation de la procédure d' "adaptations liées aux conditions d'exécution."
Il existe en réalité plusieurs "architectures" possible de révision des perspectives financières.
Une règle impérative est posée. Comme on l'a vu, les révisions doivent respecter le plafond des ressources propres.
En revanche, et l'hypothèse n'est pas purement théorique compte tenu du fait que les plafonds des crédits d'engagement son souvent inférieurs au plafond des ressources propres, les révisions financières peuvent conduire à une augmentation des plafonds des crédits d'engagement supérieure à ce qu'autorisent les ajustements techniques examinés plus haut.
L'accord institutionnel de 1993 édicte quelques principes devant guider l'exercice de révision.
Il fait d'abord deux recommandations qui sont les suivantes :
- il s'agit d'abord de rechercher si, au sein d'une même rubrique, il existe des possibilités de réaffectation des dépenses entre les programmes qu'elle regroupe sur la base en particulier des sous-exécutions de crédits escomptables ;
- il s'agit, d'autre part, de rechercher les possibilités de compenser le relèvement du plafond d'une rubrique par la réduction du plafond d'une autre rubrique.
Il pose ensuite deux règles :
- aucune révision au titre des dépenses obligatoires ne peut entraîner une réduction du montant disponible pour les dépenses non obligatoires ;
- toute révision doit assurer le maintien d'une relation ordonnée entre engagements et paiements.
II. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION DE RÉVISION DES PERSPECTIVES FINANCIÈRES
A. LES ASPECTS TECHNIQUES
La proposition de la Commission tend à réviser les perspectives financières 1993-1999 telles que les avait fixées l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993.
Variation des plafonds des perspectives financières et réaffectation des dépenses
Le tableau ci-dessus résume l'objet de la proposition de révision des perspectives financières.
Techniquement, la proposition de la Commission débouche sur une révision des perspectives financières qui peut être qualifiée de vaste.
Il ne s'agit en effet pas seulement de réaffecter les dépenses entre des programmes appartenant à une même rubrique, mais bien de modifier les plafonds des différentes rubriques et, plus encore, de modifier la classification des programmes entre chaque rubrique.
La proposition de révision ne s'appuie que très marginalement sur une reclassification des dépenses entre programmes d'une même rubrique.
L'augmentation des crédits d'engagement dont bénéficient certains programmes n'est, en effet, gagée qu'exceptionnellement par une diminution des crédits d'autres programmes de la même rubrique.
Cette "mécanique" n'est mise en oeuvre qu'au sein de la rubrique concernant les politiques internes pour lesquelles les 1.730 millions d'écus de crédits supplémentaires sont "financés" par une économie de 200 millions d'écus.
L'essentiel de la révision proposée repose sur un mécanisme tendant à reclassifier les programmes budgétaires européens entre les rubriques des perspectives financières afin d'accroître les crédits consacrés aux programmes des rubriques bénéficiant du fait de cette reclassification d'une marge de progression compatible avec un maintien du plafond global des crédits d'engagement.
C'est ainsi que la rubrique n° 1 qui regroupe les crédits de la politique agricole commune accueillerait 2.069 millions d'écus de crédits par transfert de crédits actuellement "logés" dans les moyens consacrés aux actions structurelles :
- 1.589 millions d'écus de la rubrique 2 (Actions structurelles),
- 480 millions d'écus du chapitre B2-51 (Dépenses agricoles relatives à la réalisation du marché intérieur, contrôles et autres actions dans le domaine agricole) de la rubrique 3 (Politiques internes).
Une autre reclassification verrait les crédits de la réserve d'urgence (rubrique n° 6) transférés au profit des crédits consacrés aux actions extérieures de l'Union européenne. Le montant de ce transfert s'élèverait à 387 millions d'écus.
Schématiquement, l'équilibre financier de la révision peut être présenté comme suit :
La présentation qui précède rend un compte plus fidèle de la proportion de révision de la commission que la présentation que celle-ci en fait.
Elle montre, en effet, le caractère quelque peu fictif des compensations affichées entre les évolutions des différentes rubriques.
B. LES CHOIX BUDGÉTAIRES ET ÉCONOMIQUES SOUS-JACENTS
L'essentiel de la révision proposée consiste à accroître les crédits des politiques internes. Leur variation, nette des économies réalisées, s'élèverait à 1.530 millions d'écus pour les années 1997 à 1999.
Deux programmes seraient favorisés : le programme-cadre de recherche avec 690 millions d'écus supplémentaires et le programme de financement des réseaux transeuropéens avec 1 milliard d'écus de complément.
La Commission justifie le supplément de dotation pour la recherche en soulignant la faiblesse de l'effort européen de recherche-développement et le rôle de la recherche et de l'innovation dans la compétition économique internationale.
La destination de ce complément de financement est ainsi décrite. Il serait "dirigé vers certains thèmes prioritaires, via les programmes spécifiques existants et sur base de besoins évalués dans le cadre d'unités opérationnelles (task forces) recherche-industrie."
Quant à l'abondement des crédits destinés aux réseaux transeuropéens, il est justifié par la Commission par le souci de répondre au voeu exprimé par le Conseil européen de Madrid que le Conseil Ecofin arrête "sur proposition de la Commission, les décisions nécessaires pour compléter les financements actuellement disponibles pour les réseaux transeuropéens."
La Commission relève en particulier que "pour deux des projets d'infrastructures de transport - TGV-Est européen et TGV PBKAL - pour lesquels les États-membres concernés demandent un financement communautaire, les besoins non couverts à ce stade, en tenant compte d'un financement privé maximum sont de l'ordre de 760 millions d'écus."
Les dépenses relatives aux actions extérieures bénéficieraient de 629 millions d'écus de complément.
La Commission justifie ces besoins par la nécessité d'apporter une aide à l'Arménie, à la Géorgie et au Tadjikistan et de compléter les crédits disponibles pour financer la reconstruction en ex-Yougoslavie.
Les crédits pour dépenses administratives seraient augmentés de 123 millions d'écus dont 100 millions consacrés à des dépenses immobilières en 1998 et 1999.
La Commission justifie cette proposition par l'impact de ses programmes immobiliers sur la croissance des autres dépenses administratives (rémunération des personnels et dépenses de fonctionnement) qui ne devraient pas dépasser 3 % en 1997 si le cadre financier actuel était maintenu.
L'augmentation de 100 millions d'écus des crédits consacrés aux initiatives communautaires est justifiée aux yeux de la Commission par la nécessité de compenser les versements effectués à partir de différents programmes d'initiative communautaire au profit du programme de soutien au processus de paix en Irlande.
Au terme de ce bref panorama, il convient de remarquer l'absence de tout crédit complémentaire pour faire face aux conséquences financières de l'épizootie d'encéphalite bovine spongiforme.
Il s'agit en quelque sorte d'un choix budgétaire par défaut dont l'explication se trouve probablement dans le fait que la révision ici examinée de la Commission sur ce sujet ait été élaborée avant que la vigilance de la Commission sur ce sujet ait été alertée. La lettre de transmission de la proposition de la Commission de la Présidente du Conseil de l'Union Européenne est, en effet, datée du 29 mars 1996.
CHAPITRE II : ÉLÉMENTS D'APPRÉCIATION
La proposition de résolution dont la commission des Finances est saisie se conclut par une "demande au Gouvernement de s'opposer fermement à la proposition de révision des perspectives financières présentée par la commission."
Cette position, également exprimée par l'Assemblée nationale 2 ( * ) , paraît être aussi celle du Gouvernement français et des Gouvernements de plusieurs autres États membres (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Suède, Autriche, Espagne).
Votre rapporteur ne peut que recommander à votre commission des Finances de souscrire à cette conclusion qui est en parfaite cohérence avec ses propres observations et, en particulier, avec celles qu'elle a formulées à l'occasion du débat budgétaire pour 1996.
Approuvant la conclusion de la proposition de résolution examinée elle souscrit également bien entendu à ses considérants. Elle renvoie à ce sujet à l'excellent rapport de M. Denis Badré qui les expose à l'appui de sa proposition de résolution.
Son apport au débat consistera à ajouter quelques éléments d'appréciation et à insister sur quelques uns des enjeux majeurs suscités par la proposition de la commission.
I. REFLÉXIONS SUR LES PERSPECTIVES FINANCIÈRES
La définition de perspectives financières, qui constituent un élément de programmation à moyen terme du budget européen, a répondu au souci d'encadrer l'acte budgétaire européen, en un mot de la discipliner.
Un regard rétrospectif démontre que, soit par une erreur de conception initiale, soit par une pratique abusive, ces finalités n'ont pu être atteintes pleinement.
Les perspectives financières reposent sur l'idée d'un accroissement souhaitable et systématique des dépenses européennes.
Cette conception n'est plus adaptée aux contraintes financières du moment. Elle risque, en effet, de détourner les opinions publiques des pays contributeurs nets de la construction européenne.
La programmation financière de l'Union européenne s'inscrit dans le cadre d'une augmentation régulière de la part des ressources propres dans le PNB communautaire. C'est ainsi que les décisions successives sur les ressources propres ont programmé une montée en charge progressive de celles-ci : de 1,15 % du PNB communautaire en 1988, elles sont censées passer par étapes à 1,27 % du PNB communautaire en 1999.
En l'état, seule la non-ratification de la dernière décision relative aux ressources propres par les Pays-Bas prévient une augmentation de celles-ci conforme à ce qui a été prévu.
Cependant, la logique sous-jacente à la programmation des finances communautaires reste bien celle d'un accroissement de leur part dans le PIB. Mais, en tout état de cause, par le jeu des adaptations financières, les perspectives financières évoluent parallèlement au PIB.
Cette logique contraste à l'évidence avec celle qui prévaut dans les États-membres. Plus encore, elle entre en conflit avec celle-ci et, à la vérité, la question se pose de sa cohérence compte tenu des priorités financières des États-membres.
L'accroissement des dépenses communautaires se traduit par un accroissement des prélèvements nationaux au profit des communautés européennes. Les États-membres subissant, dans l'ensemble, une progression des recettes fiscales légèrement inférieure à celle de leur PIB. Ce phénomène est tendanciel, mais aussi volontariste. Il est aggravé par la ponction exercée par le budget européen sur leurs ressources qui connaît elle-même un accroissement supérieur à la croissance du PIB.
Comme dans le même temps, les ajustements budgétaires internes impliquent une maîtrise très sévère des dépenses publiques nationales, on peut dire que la dépense publique communautaire exerce un effet d'éviction sur la dépense publique nationale.
Il en résulte une situation de conflit qui peut, bien entendu, être aggravée par des conflits de choix sectoriels dans les dépenses.
Plus encore, la question se pose de la cohérence de la logique communautaire compte tenu des contraintes financières que s'imposent les États membres, précisément dans un contexte de "convergence" européenne.
Une part importante des actions communautaires revient aux actions structurelles. Près de 30 % des crédits du budget communautaire sont affectés aux fonds structurels.
Or, l'un des principes qui s'appliquent à ces crédits, le principe d'additionnalité, qui veut que chaque écu communautaire dépense à ce titre soit accompagné de la dépense d'un écu national, suppose que les États-membres suivent le rythme d'évolution de ces crédits tel qu'il résulte des décisions budgétaires européennes.
On rappellera que, dans le budget européen pour 1996, les dépenses de la rubrique "Actions structurelles" s'élevaient à 26,5 milliards d'écus, soit près de 174,1 milliards de francs et étaient en augmentation de 9,7 %.
Il existe clairement une contradiction entre les contraintes financières des États-membres et cette dérive. Au-delà, il apparaît que l'évolution des crédits d'actions structurelles n'est pas cohérente, étant donné lesdites contraintes, avec le respect du principe d'additionnalité qui en commande la gestion.
Ceci vient conforter l'inquiétude exprimée par votre rapporteur à l'occasion du débat budgétaire pour 1996 lorsqu'il a souligné "que le financement communautaire ne revienne finalement à permettre à certains États-membres d'alléger leurs charges publiques."
En conclusion, il apparaît indispensable que l'évolution des perspectives financières soit adaptée aux perspectives financières des États-membres et aux principes mêmes qui régissent la dépense européenne.
Ceci suppose que l'accroissement des crédits d'engagements communautaires ne soit pas systématique et que des clauses automatiques d'ajustement aux réalités économiques et financières soient définies. Un tel aménagement reviendrait à adapter la programmation financière communautaire à des indicateurs économiques et financiers réalistes dont dépendrait le niveau de la programmation.
II. LA PROPOSITION DE RÉVISION MANIFESTE DES ERREMENTS FINANCIERS DE L'UNION EUROPÉENNE
La conformité de la proposition de la Commission à l'esprit et même à la lettre de l'accord interinstitutionnel de 1993 est douteuse
Mais, avant de le montrer, il convient de mettre en évidence que les motifs avancés par la Commission illustrent quelques uns des défauts structurels de la gestion des finances publiques européennes.
A. L'ILLUSTRATION DES DÉFAUTS STRUCTURELS DE LA GESTION DES FINANCES PUBLIQUES EUROPÉENNES
a) Une gestion des finances publiques indifférente aux réalités économiques
Fondamentalement, et même si la Commission se garde de l'exprimer explicitement, la proposition examinée vise à dégager des financements pour des programmes conçus sur la base d'une croissance escomptée supérieure à la croissance réalisée.
Votre commission a eu l'occasion à plusieurs reprises de dénoncer le caractère normatif des perspectives économiques des différents rapports économiques annuels de la Commission.
Le rapport économique pour 1996 fournit une justification supplémentaire aux observations de notre commission puisqu'il fait état d'une croissance de 2,8 pour notre pays en 1995 contre 2,1 % réalisé. Il est vrai que, peut-être sensible aux observations des différents États-membres, la commission s'abstient de préciser ses perspectives pour 1996. Cependant, "casser le thermomètre ne revient pas à supprimer la fièvre" qui continue d'habiter les perspectives économiques sous-jacentes aux choix budgétaires communautaires, si l'on en croit d'autres documents élaborés par des fonctionnaires de la Commission.
En toute hypothèse, le "calibrage" financier de nombre de programmes communautaires ayant surestimé la croissance du PIB, il apparaît que les adaptations techniques des perspectives financières ne suffisent pas à en assurer le financement.
Plutôt que de constater ce défaut de prévision et d'adapter les programmes en conséquence, la Commission se livre à une révision des perspectives financières destinée à s'affranchir de réalités économiques moins favorables qu'estimé.
Cette façon de faire n'est pas acceptable.
b) Une programmation financière peu réaliste
L'un des arguments avancés par la Commission au soutien de sa proposition consiste à faire valoir que la sous-exécution de certains crédits communautaires dégagerait des marges de manoeuvre dont la mobilisation serait utile aux financements d'autres programmes.
Cet argument résonne comme un aveu d'impuissance à gérer convenablement les fonds communautaires. Pis encore, il remet en question la pertinence même de la conception de nombre de politiques communautaires.
B. UNE PROPOSITION PEU CONFORME A L'ESPRIT ET A LA LETTRE DE L'ACCORD INTERINSTITUTIONNEL
La proposition de la Commission implique, à l'évidence, un certain manquement aux règles de loyauté passées à l'occasion de l'accord interinstitutionnel.
Tout d'abord, comme le rappelle fort justement le rapport accompagnant la proposition de résolution ici examinée, elle se traduirait par une rupture dans l'équilibre des relations financières entre les États-membres et le budget communautaire.
Il s'agit, en effet, pour la Commission d'accroître l'effectivité des dépenses communautaires, non certes en considération d'un quelconque objectif d'efficacité, mais bien du point de vue du taux de consommation des crédits.
Ainsi, la règle selon laquelle l'effort demandé aux États membres doit s'adapter à la réalité des dépenses communautaires appréciée en fonction de la réalisation des programmes spécifiés dans le cadre des perspectives financières se trouverait contournée. Le changement des "règles du jeu" imposeront en effet à notre pays un effort financier supplémentaire de l'ordre de 2,1 milliards de francs.
A ce premier manquement aux principes de l'accord interinstitutionnel viennent malheureusement s'en ajouter d'autres.
Il y a d'abord lieu d'indiquer la méconnaissance du principe, certes un peu flou, selon lequel en général, la révision des perspectives financières ne doit concerner que les budgets des exercices qui la suivent. La révision proposée par la commission implique en effet un mouvement de crédits dès l'exercice 1996 au titre des actions extérieures de l'Union européenne.
Mais, surtout, il convient d'insister sur le fait que la mécanique de la révision proposée affranchit celle-ci des principes posés par l'accord interinstitutionnel comme devant guider l'exercice.
Les transferts de crédits entre programmes d'une même rubrique qui, selon le texte de l'accord, doivent être recherché par priorité occupent une place très marginale dans la révision proposée par la Commission.
Les compensations financières entre les différentes rubriques ne sont qu'apparentes, comme le montre le tableau qui reconstruit la logique financière de la révision.
Pour l'essentiel, celle-ci provient d'une reclassification des programmes communautaires entre rubriques, le financement des crédits supplémentaires provenant d'une surcharge des programmes imputés à la politique agricole commune.
Les dangers économiques, financiers et institutionnels de ce mécanisme ont été parfaitement décrits par le rapport accompagnant la proposition de résolution examinée.
Il y a cependant lieu de souligner que le texte de l'accord interinstitutionnel relatif à la révision des perspectives financières ne mentionne à aucun moment le cas de figure que fait naître la proposition de la Commission. En particulier, il n'est jamais fait état de la possibilité de modifier le classement des différents programmes entre les rubriques.
Dans ces conditions, il est pertinent de s'interroger sur un éventuel outrepassement des compétences par la Commission.
*
* *
Ainsi, votre commission, tout en proposant des modifications de détail souscrit-elle aux préoccupations exprimées par la proposition de résolution de M. Denis Badré tendant en particulier à demander au Gouvernement de s'opposer fermement à la proposition de révision des perspectives financières présentée par la Commission.
Elle en appelle, par ailleurs, à une gestion des finances publiques dans l'Union européenne tenant davantage compte des réalités économiques et financières des États-membres et plus cohérente avec les principes de la dépense communautaire.
En conséquence, elle demande également au Gouvernement de promouvoir ces principes en étant vigilant devant les évolutions financières proposées par les instances communautaires et en recherchant les moyens permettant de garantir une gestion des finances publiques communautaires plus réaliste.
En résumé, la proposition de révision des perspectives financières qui est examinée paraît condamnable pour plusieurs raisons très fortes :
Les marges qui seraient redéployées par la proposition de révision seront sans doute nécessaires pour faire face aux conséquences financières de l'épizootie d'encéphalite bovine spongiforme. Si donc des provisions doivent être prévues sur une rubrique du budget communautaire, c'est bien d'abord dans ce domaine. Il n'est alors pas opportun de toucher à ces crédits.
Si tout ou partie de ces marges ne sont pas provisionnées pour faire face à ces éventuels besoins, dans le contexte général de rigueur actuel et pour être cohérent avec les efforts que mènent les État membres pour réduire leurs déficits, les crédits ainsi libérés doivent se transformer en économies nettes.
Un examen programme par programme fait apparaître le caractère non pertinent, voire inutile, de chacun des abondements proposés par la proposition de révision.
Au plan des principes, la confusion budgétaire qui résulterait de tels errements desservirait gravement la construction européenne. Au contraire, nous devons réaffirmer la nécessité d'une distinction claire entre dépenses obligatoires et dépenses non obligatoires et demander pour le présent comme pour l'avenir que l'on s'y tienne rigoureusement.
Plus généralement, le moment est venu de s'interroger sur le bien-fondé d'une procédure de programmation qui débouche tout naturellement sur l'idée qu'un accroissement incessant du budget communautaire est non seulement inévitable mais souhaitable.
Compte tenu des observations qui précèdent, et dans le souci de préserver la construction européenne, votre commission vous demande d'adopter la proposition de résolution dont le texte est reproduit ci-après.
TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
adopté par la commission des Finances
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution.
Vu la proposition de révision des perspectives financières présentée par la Commission au Parlement européen et au Conseil en application des paragraphes 11 et 12 de l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993 sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire SEC (96) 492 final,
Se félicite de la transmission au Parlement, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, du projet d'accord interinstitutionnel portant sur la révision des perspectives financières et demande au Gouvernement que toutes les propositions relatives à des accords interinstitutionnels soient désormais transmises au Parlement ;
Considérant que la révision proposée par la Commission ne paraît pas entièrement conforme à l'esprit et à la lettre de l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993 ;
Considérant que la rigueur budgétaire que s'imposent actuellement les États membres devrait conduire la Commission à adopter le même comportement pour le budget des Communautés européennes et que la véritable économie conduirait à diminuer la contribution des États membres plutôt qu'à réorienter les crédits disponibles sous plafond vers d'autres dépenses communautaires ;
Considérant que la Commission propose, sans relèvement du plafond des perspectives financières ni augmentation des crédits de paiement, de dégager 2,7 milliards d'Ecus de crédits d'engagement ;
Considérant que ces crédits, qui correspondent aux dépenses entraînées par la proposition de la Commission, seraient dégagés par une reclassification des dépenses au sein des perspectives financières, reclassification qui aurait pour effet d'accroître les crédits disponibles pour les fonds structurels, les politiques internes, les actions extérieures et les dépenses administratives ;
Considérant que les demandes de la Commission ne sont pas justifiées :
- le financement du complément du 4ème programme cadre de recherche est déjà assuré ;
- une modification de l'ordre des priorités d'action dans le domaine de la politique extérieure de l'Union n'apparaît pas actuellement justifiée ;
- la reconstitution de la réserve pour les initiatives communautaires ne s'impose pas dans l'immédiat ;
- les mouvements de crédits entre la réserve pour aide d'urgence et le relèvement du plafond de la rubrique des actions extérieures ne sont pas acceptables dans leur principe ;
- les dépenses immobilières du Parlement européen ne sauraient justifier une révision des perspectives financières ;
- la priorité en faveur des réseaux transeuropéens peut être assurée dans le cadre budgétaire actuel ;
Considérant que le redéploiement résultant de la sous-exécution de nombre de programmes communautaires présente de nombreux risques, tant du point de vue de la procédure budgétaire qu'au regard de l'utilisation prévisible des crédits de la ligne agricole ;
Considérant notamment que le principe d'un redéploiement des dépenses obligatoires vers les dépenses non obligatoires ne doit pas être admis ;
Considérant que la proposition entraînerait du fait de l'annulation des économies possibles dans la ligne budgétaire agricole un relèvement de 2,1 milliards de francs de la contribution française au budget communautaire ;
Demande au Gouvernement de s'opposer fermement à la proposition de révision des perspectives financières présentée par la Commission ;
Considérant, par ailleurs, que la gestion des finances publiques dans l'Union européenne devrait tenir compte des réalités économiques et financières des États membres et être cohérente avec les principes de la dépense communautaire ;
Demande également au Gouvernement de promouvoir ces principes en étant vigilant devant les évolutions financières proposées par les instances communautaires et en recherchant les moyens permettant de garantir une gestion des finances publiques communautaires réaliste.
* 1 Rapport d'information sur le fonctionnement parlementaire du Traité sur l'Union européenne, Sénat, n° 339 du 28 juin 1995
* 2 Proposition de résolution n° 2802 du 22 mai 1996, présentée par M. Robert Pandraud.