QUATRIÈME PARTIE : DES ORIENTATIONS DÉCISIVES POUR LES INDUSTRIES DE DÉFENSE

A. UNE INDUSTRIE DE HA UTE TECHNOLOGIE DANS LA TOURMENTE

L'industrie française -et européenne- de la défense est aujourd'hui dans la tourmente. Elle traverse depuis quelques années une crise sans précédent depuis l'après-guerre susceptible de mettre en cause sa survie elle-même si des mesures d'adaptation fortes et urgentes ne sont pas mises en oeuvre rapidement.

Les défis auxquels cette industrie est aujourd'hui confrontée sont multiples. Ils conjuguent les effets de la réduction des crédits d'équipement militaire, de la diminution de la demande mondiale d'armement et des débouchés à l'exportation, de l'accroissement des coûts de développement, des effets du cloisonnement des marchés nationaux d'armement, de l'insuffisance des restructurations industrielles, de la sous-évaluation du dollar et de l'agressivité de l'offensive commerciale d'une industrie américaine elle-même déjà fortement restructurée et rationalisée.

L'industrie française de la défense -ne serait-ce qu'en raison de son importance particulière : elle réalisait en 1994 plus du tiers du chiffre d'affaires de l'industrie européenne de l'armement- est particulièrement exposée à ces défis. Car, après avoir longtemps bénéficié d'un effort de défense national que la France a été la seule en Europe à maintenir à un niveau aussi élevé, elle affronte aujourd'hui des difficultés accentuées à la fois par le ralentissement brutal des dépenses d'équipement militaire et par la structure d'une industrie nationale encore trop morcelée et insuffisamment restructurée.

1. Les caractéristiques majeures de l'industrie de défense française

Les difficultés auxquelles l'industrie de défense française est aujourd'hui confrontée doivent être mesurées à l'aune de l'importance intrinsèque de cette industrie et de son poids dans l'économie nationale.

a) L'industrie de défense est d'abord -c'est sa première caractéristique- une industrie hautement stratégique, à un triple titre :

- elle doit assurer la pérennité et l'efficacité de notre défense ; sa compétitivité est à cet égard essentielle pour doter nos armées des équipements qui leur sont nécessaires, en qualité comme en quantité ;

- elle joue, par la part de ses ressources qu'elle consacre à la recherche et au développement (près de 30 % de son chiffre d'affaires), un rôle majeur pour la préparation de l'avenir et le maintien des compétences technologiques et scientifiques de notre pays ;

- elle contribue enfin à la place de la France sur la scène internationale, en particulier en raison de l'importance de ses exportations.

b) Ce caractère stratégique de l'industrie de défense explique -sans le justifier totalement- le rôle exceptionnel de l'État dans cette industrie : comme puissance publique définissant la politique de l'armement ; comme actionnaire des sociétés nationales ; parfois comme industriel lui-même (notamment à travers la DCN) ; comme client principal, représentant environ les trois-quarts des commandes ; enfin comme acteur majeur de la politique d'exportation à travers son activité d'assureur et le soutien politique indispensable en la matière.

Exceptionnellement important en France -pour des raisons historiques tenant notamment aux conditions du développement de l'industrie française de la défense au cours des dernières décennies et à la volonté d'indépendance nationale-, ce rôle capital de l'État ne saurait naturellement exonérer les industriels concernés de leurs responsabilités propres et des initiatives qu'ils doivent prendre pour rendre leurs groupes plus compétitifs pour affronter le choc actuel. Mais il justifie que les industriels attendent de l'État que le cap soit clairement fixé et qu'ils disposent de la « visibilité » indispensable à moyen terme pour prendre, en connaissance de cause, des décisions stratégiques qui peuvent être vitales. Tel n'a pas été le cas -et chacun en porte sa part de responsabilité- au cours des dernières années. Tel est l'un des enjeux majeurs de la loi de programmation pour les années 1997-2002.

c) Le poids considérable de l'industrie de défense dans l'économie française doit tout autant rester présent à l'esprit. Son chiffre d'affaires s'élevait fin 1994 à 96,9 milliards de francs (après avoir atteint, à son apogée, 124,5 milliards en 1990) ainsi que l'illustre le tableau suivant :

1989

1990

1991

1992

1993

1994

Chiffre d'affaires hors taxes (en milliards de francs)

Par export (en %)

120

31

124,5

31

115,6

25,2

113,1

25,6

103,1

20

96,9

17,3

Ces données font également apparaître que la part de ce chiffre d'affaires réalisée à l'exportation s'élevait à 17,3 % fin 1994, après avoir atteint plus de 30 % en 1990...

En Europe, l'industrie française de défense représente environ le tiers de l'industrie européenne de la défense, à un niveau proche de celui de l'industrie britannique et largement supérieur à l'industrie allemande. Mais le chiffre d'affaires de la seule industrie de défense américaine est, pour sa part, deux fois plus important que celui de l'ensemble des industries européennes...

d) En termes d'emplois, les industries de défense françaises rassemblaient au total fin 1994 environ 300 000 personnes, dont 200 000 emplois directs et environ 100 000 emplois indirects. L'ampleur de la chute des effectifs déjà subie est considérable puisque les emplois directs s'élevaient à plus de 290 000 il y a dix ans.

L'industrie française de la défense repose principalement sur quelques grandes entreprises puisque douze groupes (Aérospatiale, Alcatel, CEA, Dassault, DCN, Eurocopter, Giat-Industries, Matra, Sagem, Sextant avionique, SNECMA et Thomson CSF) réalisent plus de 80 % du chiffre d'affaires global. Mais cette concentration reste très insuffisante et la poursuite des restructurations entreprises s'impose pour éviter des concurrences internes pénalisantes face à la concurrence internationale et pour doter les groupes français de la taille critique indispensable.

La base industrielle de ce secteur repose d'autre part sur un vaste tissu de quelque 5 à 6 000 PME-PMI qui représentent plus du tiers de l'emploi du secteur industriel de la défense et qui sont, pour beaucoup d'entre elles, particulièrement exposées en cette période de crise.

2. Les données de la crise : le rétrécissement accéléré du marché de l'armement

Cette industrie française de l'armement, qui est le fruit d'un effort exceptionnel de notre pays depuis les années 1960 -en période de croissance économique- et qui est parvenue à se situer au plus haut niveau technologique, est aujourd'hui confrontée à une crise qui constitue un défi majeur qui engage les conditions de sa survie à long terme.

a) La baisse généralisée des dépenses militaires

Le facteur premier de la crise actuelle réside naturellement dans les conséquences de la fin de la guerre froide qui s'est traduite par une baisse internationale généralisée des budgets militaires.

Ce mouvement de décrue accélérée des dépenses de défense peut être considéré comme mondial. Si l'on fait une relative exception pour le marché asiatique -en raison à la fois d'une croissance économique exceptionnelle et de tensions internationales fortes et persistantes-, toutes les régions du monde ont été touchées. Ainsi la guerre du Golfe, coïncidant avec la chute des revenus pétroliers, a fortement affecté le pouvoir d'achat de cette zone où la demande d'armements est traditionnellement forte.

La France, elle-même, a d'abord maintenu, plus que les autres, et plus longtemps que les autres, un effort de défense relativement soutenu. Telle était encore la logique de la loi de programmation votée en juin 1994. Chacun sait que la situation très dégradée de nos finances publiques et les conséquences de la réduction du format de nos armées lui imposent désormais de réduire, à son tour, ses dépenses d'équipement militaire. Il s'agit d 'un nouveau choc -ainsi que l'a souligné le président de l'Aérospatiale, M. Louis Gallois, devant notre commission- pour notre industrie nationale encore sous le coup des précédents bouleversements.

La situation difficile de l'industrie de défense apparaît ainsi, non pas conjoncturelle, mais bien structurelle. D'autres secteurs industriels de haute technologie ont, certes, connu récemment ou connaissent des mutations importantes (comme l'électronique, l'informatique ou les télécommunications). Et, même si les conséquences sociales qui en résultent évoquent la sidérurgie des années 80, la situation est en l'espèce fondamentalement différente, s'agissant d'un secteur de haute technologie particulièrement performant.

b) Le durcissement extrême de la concurrence internationale

Le rétrécissement du marché mondial se traduit inévitablement par une exacerbation de la concurrence internationale et des difficultés accrues à l'exportation. Le tableau suivant illustre la très forte réduction du solde de la France dans le domaine des industries de défense au cours des dernières années :

EXPORTATIONS ET IMPORTATIONS DE MATÉRIELS MILITAIRES

(en millions de francs courants)

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

Exports Imports

38.200 4.100

31.204 4.815

33.697 9.256

40.720 13.496

35.010 6.680

20.594 5.838

20.807 4.381

14.560 3.953

11.633 4.107

Solde

34.100

26.389

24.441

27.224

28.330

14.756

16.426

10.607

7.526

Source : Comptes de la Nation pour 1994 - Annexe au Rapport économique et financier

- Le phénomène majeur réside en la matière dans la position dominante acquise par l'industrie d'armement américaine. Cinq points essentiels doivent être ici soulignés.

. Premier point : l'industrie américaine bénéficie d'une prime très importante grâce à la baisse du dollar qui lui procure un avantage monétaire considérable face auquel peu de parades paraissent efficaces. Sous-évaluée, selon la majorité des experts, d'au moins 15 % par rapport au franc, le dollar -monnaie dans laquelle sont libellés les contrats d'armement- conforte sans cesse la position des États-Unis.

. Deuxième point : l'industrie américaine de la défense a su s'adapter avec une exceptionnelle rapidité et une remarquable flexibilité à la nouvelle conjoncture du marché de l'armement. Elle s'est restructurée et concentrée à une vitesse infiniment plus grande que les industries européennes, sur la base d'opérations de fusions-acquisitions. Le groupe Lockheed-Martin-Loral représente ainsi, à lui seul, un chiffre d'affaires supérieur à la totalité de l'industrie française de défense...

. Troisième point : l'industrie américaine des armements a accru, dans des proportions considérables, la part de son chiffre d'affaires réalisé à l'exportation, passée en quelques années de 5 % à 25 %. Elle a bénéficié -et continue de bénéficier- pour y parvenir d'un très fort soutien politique et diplomatique des autorités américaines.

. Quatrième point : les États-Unis consacrent, dans le même temps, à la recherche militaire des budgets deux ou trois fois supérieurs au total des budgets européens correspondants. C'est là un facteur déterminant pour l'avenir, peut-être le plus préoccupant à long terme.

. Cinquième point : face à cette concurrence formidable, les industries françaises et européennes semblent encore chercher leur voie et courir après leur destin. Elles doivent surmonter au plus vite, pour éviter les phénomènes de sélection naturelle qui caractérisent les secteurs industriels en crise, deux handicaps majeurs : d'une part l'insuffisance et l'émiettement du marché européen de l'armement, d'autre part sa parcellisation et la quasi-absence de sociétés réellement européennes.

- La tâche sera d'autant plus rude que l'exacerbation de la concurrence internationale se traduit par deux autres phénomènes :

. d'une part, l'apparition de nouveaux compétiteurs dans le domaine du marché de l'armement ; cinq pays (États-Unis, Russie, Allemagne, France et Royaume-Uni) réalisent encore environ 85 % des exportations de matériels de défense dans le monde ; mais de nouveaux pays producteurs émergent désormais, à l'exemple de la Chine, d'Israël, de la République tchèque voire de l'Afrique du Sud, de l'Inde, de la Corée, du Japon et des pays d'Asie du Sud-Est. Si certains de ces pays sont encore dans une phase d'acquisitions de technologies, ils peuvent représenter, dans certains domaines, des concurrents redoutables grâce à des facteurs de compétitivité très supérieurs aux nôtres ;

. d'autre part, les conséquences de l'effondrement de l'Union soviétique et du Pacte de Varsovie ; les énormes capacités de productions de la Russie et des ex-pays de l'Est, compte tenu des difficultés de reconversion des industries de défense, se sont naturellement traduites par l'apparition de produits, à des prix défiant toute concurrence, sur le marché de l'armement.

3. Les enjeux de la crise : la réduction du format d'un appareil industriel surdimensionné

Ces différents facteurs font apparaître de fortes surcapacités de production d'un appareil industriel dimensionné en fonction de besoins nationaux plus importants et de capacités exportatrices très supérieures. Il en résulte des enjeux majeurs en matière d'emploi comme sur le plan de l'avenir de nos industries de défense en général.

a) Des enjeux majeurs en matière d'emploi

En matière d'emploi -qui constitue, à juste titre, la première des priorités de l'action gouvernementale-, cette situation appelle trois observations principales ;

- Première observation : l'adaptation indispensable des capacités industrielles françaises a déjà, sous la pression des événements, été fortement amorcée. Les effectifs directs de notre industrie de défense ont été réduits d'environ un tiers en une dizaine d'années : passés de près de 300 000 emplois en 1987, ils ont été réduits à 230 000 en 1993, avant de diminuer à nouveau d'environ 30 000 personnes au cours des années 1994-1995.

- Deuxième observation : cette diminution des effectifs devra nécessairement se poursuivre au cours des prochaines années, compte tenu en particulier de la diminution du budget d'équipement militaire français lui-même. Le ministre de la Défense lui-même a évoqué le ratio d'ensemble impitoyable selon lequel on peut estimer à 2 500 le nombre d'emplois supprimés pour un milliard de diminution du titre V du budget de la défense. Si ce ratio doit naturellement être affiné selon les entreprises et les secteurs d'activité concernés, il permet d'évaluer les lourdes conséquences sociales des décisions prises.

La diminution des effectifs dans l'industrie de défense tend de surcroît à être plus rapide que celle de son chiffre d'affaires en raison d'un double phénomène : d'une part, les gains de productivité qui supposent une croissance annuelle supérieure à 2 ou 2,5 % pour maintenir les emplois ; d'autre part, la nécessité pour les industriels d'anticiper les réductions d'effectifs pour s'adapter à leur plan de charge.

Ainsi peut-on expliquer les prévisions selon lesquelles l'industrie de défense pourrait voir à nouveau ses effectifs fondre d'environ 50 000 emplois supplémentaires dans les toutes prochaines années. En tout état de cause, l'industrie française de défense qui résultera des actuels bouleversements sera inéluctablement redimensionnée à la baisse.

- Troisième observation : le coût social de cette évolution sera de surcroît encore aggravé par la répartition régionale des emplois de l'industrie française de défense.

Si elle touche la plus grande partie du territoire national -avec environ les deux-tiers des emplois directs en province et un tiers en région parisienne-, l'industrie de défense est en effet aussi très inégalement répartie sur le plan régional. Sa présence est en effet très réduite dans les zones voisines des frontières de l'Est et du Nord, considérées historiquement comme les plus menacées. En revanche, dans certaines régions, cette industrie représente plus de 10 % des emplois industriels et joue un rôle prépondérant dans l'économie locale. Il en est ainsi pour les zones côtières (Bretagne, Normandie, Provence-Alpes-Côte d'Azur) avec les constructions navales, pour le Sud-ouest avec l'industrie aéronautique, pour la région parisienne avec l'industrie électronique et l'industrie aéronautique et pour la région Centre avec l'industrie de défense terrestre. Dans certains départements (Var, Finistère, Cher, Hautes-Pyrénées), c'est en fait plus d'un emploi industriel sur cinq qui dépend de l'armement.

C'est dire l'impact économique et social de l'industrie de défense dans bon nombre de nos régions, parfois peu favorisées. C'est dire aussi, au moment où le chômage atteint les proportions que nous connaissons, l'extrême importance des mesures d'accompagnement social prévues par le présent projet de loi et qui iront de pair avec l'indispensable adaptation de notre industrie de défense.

b) Des enjeux majeurs pour les capacités futures de notre industrie d'armement

Par delà leur coût économique et social, les nécessaires restructurations en cours posent trois questions déterminantes pour les capacités futures de notre industrie d'armement.

- La première concerne les choix technologiques et industriels indispensables. L'analyse du Livre blanc sur la défense conserve sur ce point toute sa pertinence : « Il n'est plus possible, ni d'ailleurs nécessaire, que la France possède et maintienne à elle seule l'ensemble de ces compétences (...). Le moment est venu de déterminer la stratégie à entreprendre vis-à-vis des différents secteurs de l'industrie de l'armement. Faire seuls, partager ou abandonner ? (...). Ces différentes orientations doivent permettre à l'avenir d'opérer des choix technologiques et industriels pour déterminer quelles productions, compétences et technologies la France doit conserver en propre, chercher à développer en coopération ou acquérir sur le marché mondial » .

Mais ces choix sont particulièrement délicats et difficiles à effectuer et, plus encore, à traduire dans les faits et les structures industrielles. Ils doivent de surcroît préserver de manière impérative la compétence nationale dans les secteurs stratégiques, à commencer par le nucléaire. Enfin, au niveau européen, aucune impasse ne serait acceptable pour les principaux systèmes nécessaires à la défense de ses intérêts communs.

- C'est dans ce cadre que doit être poursuivie -c'est une deuxième question essentielle- une politique ambitieuse de recherche et de développements exploratoires. Même si cette politique peut être menée en coopération avec nos partenaires européens, il s'agit là d'un impératif pour préparer l'avenir et faire face demain à la technologie et à la puissance industrielle américaine.

Mais cette nécessité se heurte -c'était déjà le problème majeur de la loi de programmation 1995-2000 et cela reste celui de la programmation 1997-2002- à l'immense problème financier de la masse des programmes actuellement lancés. .. Le présent projet de loi prévoit le maintien d'un effort de recherche « légèrement supérieur à 5 % du titre V » . Cet objectif sera-t-il respecté ? Et sera-t-il suffisant ?

- Une troisième question-clé réside enfin dans l'établissement de relations nouvelles entre l'État et l'industrie d'armement.

Là encore, le constat formulé il y a deux ans par le Livre blanc garde toute sa pertinence : « Les nouvelles conditions de l'environnement européen et international et les effets qu'elles ont eus sur l'évolution des budgets de la défense imposent une révision du cadre de discussion des acteurs étatiques et industriels. L'État ne pourra plus, comme par le passé, soutenir son industrie d'armement dans tous les domaines (...). L'État doit aujourd'hui, pour des raisons de compétitivité, inciter les entreprises à éliminer les surcapacités. Rien ne doit retarder cette adaptation dont le caractère douloureux ne peut que s'accroître avec le temps. Pour autant, les conséquences sociales de ces transformations appellent un esprit de partenariat entre l'État et les entreprises concernées ».

Le Livre blanc souligne en outre justement que « dans ce cadre, une attention plus grande devra être portée au tissu des entreprises souvent appelées de "deuxième niveau" (PME-PMI). Ces entreprises sont à la source d'innovations indispensables à la défense ; elles sont en outre à l'origine d'équipements et de composants nécessaires à la cohérence globale de nos systèmes d'armes. Leur fragilisation provoquerait celle de notre industrie de défense dans son ensemble et, à terme, pourrait mettre en cause notre indépendance ».

On ne saurait mieux dire. Il reste que, depuis deux ans, l'exactitude de ce constat ne s'était pas traduite dans les faits par des mesures assez profondes et assez rapides. Or, chacun le sait, cette adaptation inéluctable sera d'autant plus difficile et douloureuse qu'elle sera tardive. Il fallait désormais aller vite. Tel est l'un des objectifs majeurs du projet de loi qui nous est soumis.

Face à une situation de « spirale descendante » , l'objectif central doit être, aux yeux de votre rapporteur, l'organisation d'un véritable marche européen de l'armement (B). Mais il y faut aussi, simultanément, un ensemble de mesures nationales et complémentaires indispensables (C) : accompagnement des restructurations, soutien de l'État, notamment à l'exportation, et préparation de l'avenir.

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B. L'OBJECTIF CENTRAL : L'ORGANISATION D'UN VRAI MARCHÉ INTÉRIEUR EUROPÉEN DE L'ARMEMENT

1. La création d'un marché européen de l'offre

a) Une urgente nécessité

- L'Europe de l'armement, constituée d'industries essentiellement nationales, s'appuie sur des marchés intérieurs devenus à l'évidence trop étroits. Si d'importants regroupements ont déjà eu lieu -donnant naissance, dans la plupart des pays, à des leaders nationaux recevant l'essentiel du budget-, cette rationalisation s'est jusqu'ici effectuée dans un cadre qui est, le plus souvent, resté national.

Pour sa part, la coopération européenne, pourtant active depuis près de trente ans sur de nombreux programmes, a, pour l'essentiel, consisté à juxtaposer, programme par programme, des industries et des marchés nationaux. Ne visant pas à l'interdépendance, elle ne s'est pas traduite par la rationalisation nécessaire sur le plan européen.

- Au contraire, depuis la fin de la guerre froide, l'industrie américaine de la défense a -rappelons-le- démontré une exceptionnelle capacité de réaction aux nouvelles donnes internationales. Ainsi que l'avait souligné M. Alain Gomez, alors président du groupe Thomson, devant notre commission, « 35 milliards de dollars de chiffre d'affaires, soit plus que le chiffre d'affaires total des industries françaises de défense, ont changé de mains au cours des cinq dernières années ». Ces opérations se sont accompagnées d'importantes réductions d'emplois, les effectifs de l'industrie américaine étant réduits de moitié en dix ans (3,7 millions en 1987, 1,8 million attendu en 1997). Elles ont été favorisées par une politique très vigoureuse, impliquant notamment :

- le maintien des missions, quitte à remettre en cause la concurrence,

- un soutien massif à l'exportation, parallèlement au maintien d'une préférence nationale,

- un accompagnement efficace des restructurations,

- et le renforcement des crédits d'études et de recherche.

Ainsi, trois des cinq principaux groupes industriels mondiaux de l'armement (Lockheed-Martin-Loral, Northrop-Grumman-Westinghouse et Raytheon-Systems) sont nés de fusions réalisées très récemment. Le groupe Lockheed-Martin-Loral représente, à lui seul, 25 % des commandes du Pentagone, soit 13 % du marché mondial.

- Le défi majeur auquel doit faire face l'industrie de défense européenne vient donc d'outre-Atlantique. Pour le relever avec quelque chance de succès -et à défaut de pouvoir s'installer sur le marché américain lui-même- les entreprises européennes doivent se restructurer sans délai dans des ensembles de taille suffisante.

Cette reconfiguration indispensable du secteur industriel de la défense devra surmonter de nombreux obstacles que ne connaissent pas -ou pas au même degré- les Américains : problèmes de souveraineté, concepts militaires différents, multiplicité des acteurs sur un marché fragmenté, cultures d'entreprises différentes... Mais, sauf à laisser les industries européennes perdre leur potentiel technologique et se placer en position de vassalité, cette restructuration est impérative pour parvenir à l'établissement d'un marché intérieur européen de dimension suffisante.

Elle est aussi urgente, compte tenu de l'avance prise par les Américains, pour maintenir la compétitivité de l'industrie européenne. S'il va de soi que la préparation et l'accompagnement de cette politique d'ensemble doivent se faire au niveau national, son aboutissement doit se concevoir au plan européen.

b) La restructuration du tissu industriel de l'armement

- La création d'un véritable marché européen de l'offre doit être favorisée par les gouvernements et la commission de l'Union européenne. D'abord en les encourageant et en les soutenant politiquement. Mais aussi en prenant un certain nombre de dispositions qui seraient de nature à faciliter la restructuration du tissu industriel, telles que :

- l'élaboration d'un statut de société européenne, de la même façon qu'a été mis au point un statut de GIE (groupement d'intérêt économique) européen ;

- l'accompagnement financier, en dépassant les actuels programmes européens « Konver », de la reconversion des bassins d'emploi les plus touchés par la contraction des industries de défense ;

- et, enfin mais peut-être surtout, l'établissement de procédures juridiques et financières facilitant les regroupements transfrontières en Europe, dont l'absence contribue aux difficultés et à la lenteur des restructurations indispensables.

D'autres initiatives positives pourraient encore être prises par les institutions européennes, notamment l'harmonisation des tarifs douaniers concernant les matériels de défense applicables à l'égard des pays-tiers.

Il serait toutefois illusoire -ainsi que la CIDEF (conseil des industries de défense françaises) l'a récemment souligné à la suite d'une proposition de la commission européenne- de vouloir appliquer purement et simplement aux industries de défense, dans un secteur où le rôle de l'État est prépondérant, les règles et procédures applicables aux autres branches industrielles.

- La réalisation rapide des restructurations européennes peut prendre, selon les cas, des formes diverses : création de nouvelles entreprises ou filiales communes, alliances stratégiques, prise de contrôle de concurrents ou de fournisseurs, recentrage sur des métiers ou des secteurs d'activité... Elles doivent avoir un double effet positif : la création d'entreprises dépassant la « taille critique » , mais aussi l'apparition de véritables « produits européens » , ce qui serait très important dans les processus d'acquisition d'armements et favoriserait la coopération en matière d'armements.

Il va enfin de soi que c'est d'abord entre l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France que doivent être prises les initiatives, privées ou publiques, permettant l'élaboration d'un marché européen de l'armement.

- Comment faut-il, dans ce contexte, apprécier le débat entre restructurations françaises et européennes ? Les opinions émises par les principaux industriels français devant notre commission ont été, sur ce point, largement divergentes. Il s'agit d'ailleurs, dans une certaine mesure, d'un faux débat dans la mesure où la situation, les caractéristiques, les forces et les faiblesses de chaque entreprise sont naturellement différentes et où les rapprochements industriels les plus efficaces doivent être appréciés au cas par cas.

Cela étant, il faut rappeler que les autres pays européens ont déjà fédéré leur industrie de défense autour d'un ou deux pôles ; Dasa en Allemagne, British Aerospace et Gec-Marconi en Grande-Bretagne, Finmeccanica en Italie... La France, jusqu'à ces derniers mois, faisait exception, conservant en particulier deux avionneurs (Aérospatiale et Dassault), deux missiliers (Matra et Aérospatiale) et deux électroniciens de défense (Thomson et Dassault). Les entreprises françaises se sont d'abord orientées -au demeurant très lentement- vers des concentrations transfrontières : Eurocopter, Matra Marconi Space, la fusion des activités satellites et missiles de Dasa et de l'Aérospatiale, et tout récemment l'annonce de la constitution d'une société de missiles commune à Matra Défense et British Aerospace.

Sans faire disparaître une duplication et une concurrence franco-françaises pénalisantes et devenues inacceptables dans la conjoncture présente, cette situation aboutissait au résultat paradoxal que la France, qui prône une véritable politique industrielle face à des partenaires supposés plus libéraux, conservait l'industrie de défense la plus éclatée et la moins concentrée.

Il est tout aussi clair que, si restructurations françaises et européennes ne doivent pas s'opposer mais, au contraire, être complémentaires et menées de pair -puisqu'elles visent au même objectif de compétitivité pour résister à la concurrence internationale-, la position française sera naturellement plus forte -et souvent la plus forte- en cas de regroupements nationaux préalables.

C'est dans cet esprit que M. Noël Forgeard, président de Matra Défense Espace, a précisé, devant notre commission, les critères qui devaient, selon lui, guider notre stratégie de regroupements : « En premier lieu, il convenait de constituer des portefeuilles de produits cohérents et complémentaires ; en second lieu, de procéder à des regroupements sous contrôle français avant d'aborder des rapprochements métier par métier, avec des partenaires européens. A défaut d'une telle configuration, il en allait de la préservation de notre souveraineté. En troisième lieu, il fallait s'interdire tout « découpage » au sein de chaque société. A titre d'exemple, M. Noël Forgeard a estimé que, dans le cadre d'une prochaine privatisation de Thomson-CSF, toute solution qui consisterait à découper ce groupe par activité constituerait une grave faute de politique industrielle, dangereuse pour l'avenir ».

C'est dans cet esprit également qu'il convient d'apprécier -et, selon votre rapporteur, d'approuver- la double et importante décision, annoncée par le gouvernement le 21 février dernier, de privatiser le groupe Thomson et de rapprocher Aérospatiale et Dassault en vue de la fusion de ces deux sociétés d'ici deux ans (cf. C ci-dessous).

Il ne s'agit là, toutefois, que du début d'un processus indispensable qui devra notamment prendre en compte -si l'on met à part le pôle nucléaire, qui doit être impérativement préservé- d'autres situations difficiles et spécifiques, impliquant notamment l'avenir de la SNECMA, de la DCN et, bien sûr, de GIAT-Industries.

2. La création d'un marché européen de la demande

La restructuration de l'offre sur le marché européen de l'armement constitue aujourd'hui une priorité. On ne peut en effet que constater que le schéma théorique selon lequel l'offre n'aurait qu'à réagir à la création d'une demande européenne structurée qui résulterait elle-même d'une politique de défense commune n'est pas aujourd'hui réaliste. Il n'en reste pas moins nécessaire d'avancer parallèlement sur la voie, difficile, de la création d'un marché européen de la demande en matière d'armements.

a) L'adoption d'une politique européenne de l'armement : un besoin pressant

L'adoption d'une politique européenne de l'armement apparaît de plus en plus pressante. Sans abandonner les priorités nationales, une politique d'armement européenne doit progressivement être mise en place, en restant autosuffisante, c'est-à-dire en couvrant l'ensemble des besoins des pays européens dans le domaine de la défense.

Pour avancer sur cette voie, la Conférence intergouvemementale, qui s'est ouverte le 29 mars dernier, constitue une opportunité qu'il serait regrettable de laisser échapper pour créer les conditions d'une véritable PESC (politique étrangère et de sécurité commune). L'EDIG (European Défense Industries Group) a ainsi formulé, dans cette perspective, un ensemble de recommandations pertinentes où sont notamment soulignés :

- que la « base industrielle et technologique de défense » européenne est un atout stratégique vital dont le maintien constitue le préalable à l'établissement d'une véritable identité européenne de la sécurité et de la défense ;

- et qu'un marché intérieur européen de dimension suffisante constitue la base à partir de laquelle l'industrie européenne de défense pourra maintenir sa compétitivité.

Parmi les exigences qui en résultent, trois points méritent tout particulièrement d'être soulignés :

- Il serait d'abord très utile de promouvoir des priorités communes en matière d'équipements militaires, en commençant par un effort doctrinal qui pourrait se traduire par l'élaboration d'un Livre blanc européen. Contrairement à ce que l'on pense souvent a priori, un tel exercice -dont l'aboutissement constituerait un événement très important- n'est pas, selon votre rapporteur, hors d'atteinte si l'on en juge par les convergences que font apparaître les Livres blancs nationaux déjà publiés.

- L'indispensable convergence des besoins opérationnels et des équipements européens doit d'autre part être favorisée par l' existence de forces communes, telles que l'Eurocorps mais aussi l'Eurofor, l'Euromarfor, ou le groupe aérien franco-britannique. Leur efficacité opérationnelle repose en effet largement sur leur équipement en matériels communs ou compatibles. La dynamique liée à la mise en place de ces forces communes doit aussi favoriser la convergence sur des programmes prioritaires d'intérêt commun, déjà illustrée en matière d'observation par satellite (ainsi que l'illustrent les programmes Hélios 2 et Horus).

- Cette dynamique doit enfin être favorisée par la mise en place de procédures d'acquisition harmonisées. L'objectif -qui figure, rappelons-le, en annexe au traité de Maastricht- doit être la mise en place d'une Agence européenne des armements, dont le GAEO (Groupe armement de l'Europe occidentale) a été chargé d'élaborer les modalités de mise en place. On ne saurait toutefois mésestimer les difficultés d'y parvenir dans des délais rapides. C'est pourquoi, dans un premier temps, la mise en place concrète, amorcée dès le début 1996, d'une structure d'armement franco-allemande, dotée de la personnalité juridique et de la capacité de contracter, doit constituer une étape très utile pour la mise au point de principes communs d'acquisition, de conduite des programmes et de coopération industrielle. Elle doit favoriser, outre l'acquisition au meilleur coût des matériels nécessaires, l'établissement d'une base industrielle performante et adaptée. Préfigurant l'agence européenne à venir, elle est ouverte à d'autres partenaires et pourrait accueillir dès 1996 le Royaume-Uni et l'Italie.

b) Des difficultés persistantes à surmonter

Si certaines raisons d'optimisme existent, elles ne sauraient toutefois occulter l'ampleur des difficultés à surmonter. Votre rapporteur croit à cet égard utile de souligner deux questions particulièrement importantes : celle de la « préférence européenne » et celle de l'article 223 du traité de Rome.

- L'expression d'une préférence européenne à l'échelle du continent constituerait naturellement un atout extrêmement positif pour l'émergence d'une Europe de l'armement et, singulièrement, pour l'industrie française. Le CIDEF (conseil des industries de défense françaises) a ainsi légitimement plaidé pour « l'application, par tous les pays de l'Union européenne, tant qu'une éventuelle réciprocité n'aura pas été obtenue des États-Unis, d'une préférence européenne effective afin de garantir le maintien de la base industrielle nécessaire à une défense européenne indépendante ».

Mais il serait totalement illusoire de croire que cette préférence européenne -quel qu'en soit le bien fondé- puisse se décréter, ainsi que l'ont souligné devant notre commission MM. Louis Gallois, président d'Aérospatiale, et Noël Forgeard, président de Matra Défense Espace. Elle se heurte en effet à des divergences de fond difficiles à surmonter. Si la France et l'Allemagne font en la matière une analyse voisine, chacun sait en effet que certains pays anglo-saxons récusent par principe toute démarche volontariste obligatoire et que ceux qui n'ont pas d'industrie de défense puissante n'ont pas d'intérêt particulier à privilégier des fournisseurs européens par rapport à leurs concurrents américains.

Dans ce contexte, notre commission avait déjà recommandé en 1994 (cf rapport de M. Jacques Genton sur la loi de programmation 1995-2000, p. 213) d'examiner la possibilité d'élaborer pour le secteur de l'armement un dispositif européen équivalent au « Buy American Act » . Cette voie mérite encore, selon votre rapporteur, d'être explorée.

- La question de l'article 223 du traité de Rome justifie également un examen approfondi. Cet article, rappelons-le, définit les conditions dans lesquelles un État membre de l'Union européenne peut prendre, dans le domaine de l'armement, les mesures nécessaires à sa sécurité. La France -et d'autres pays européens- ont tenu, jusqu'ici, à préserver l'article 223 qui fait des questions industrielles de défense une prérogative souveraine des États. Plusieurs facteurs y contribuent : l'importance de la souveraineté nationale, la spécificité du secteur de l'industrie de l'armement, et les difficultés qu'engendrerait inévitablement une implication forte de la commission européenne dans ce domaine.

Il reste que la question ne doit pas, aux yeux de votre rapporteur, être considérée comme définitivement tranchée. S'il s'agit d'un domaine particulièrement sensible et si la convergence nécessaire entre les États et la commission est encore, pour l'heure, peu vraisemblable, il est clair que le maintien en l'état de l'article 223 empêche d'appréhender pleinement la dimension européenne indispensable du problème de l'armement, alors que sa base industrielle est aujourd'hui menacée.

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C. DES MESURES NATIONALES FORTES, COMPLÉMENTAIRES ET INDISPENSABLES

L'objectif européen est donc clairement fixé. La capacité de la France d'aborder les rendez-vous avec nos partenaires en position de force suppose toutefois simultanément des mesures nationales complémentaires forte qui constituent l'un des objectifs majeurs du présent projet de loi. Cinq ensembles de dispositifs doivent à cet égard être mis en place : un vigoureux effort de maîtrise des coûts, le renforcement de nos structures industrielles, l'accompagnement économique et social des restructurations, le soutien de l'État pour une meilleure visibilité des industriels, et la préparation indispensable de l'avenir par un effort de recherche suffisant.

1. L'indispensable réduction des coûts

Maîtriser l'augmentation des coûts des matériels militaires constitue le premier objectif vers lequel tous les efforts doivent converger. Il s'agit là d'une exigence, bien sûr renforcée par les contraintes financières conjoncturelles, mais qui repose surtout sur la nécessité d'échapper au « désarmement structurel » lié à la sophistication toujours plus poussée des équipements et, dans la traduction potentielle ultime de ce phénomène, à la « loi d'Augustine » -du nom d'un ancien président du groupe Martin-Marietta- aux termes de laquelle les États-Unis eux-mêmes ne fabriqueraient plus eux-mêmes, en 2040, qu'un seul avion de combat si les méthodes actuellement utilisées n'étaient pas radicalement modifiées.

Cette réforme en profondeur -qui relève d'une véritable révolution culturelle- est d'autant plus indispensable pour l'industrie française -et européenne- que ses coûts sont actuellement prohibitifs pour deux raisons majeures : une production des matériels dans des séries beaucoup trop réduites, et une surcapacité et une dispersion excessives de nos entreprises de défense.

De surcroît, les spécifications opérationnelles et techniques très ambitieuses émises par les états-majors entraînent des surcoûts très importants, dont les justifications opérationnelles peuvent parfois être discutées et qui aboutissent à des surcoûts devenus aujourd'hui inacceptables.

C'est dans cet esprit que doit être concrètement amélioré le « trilogue » (états-majors - DGA - industriels) pour parvenir, lors de l'expression d'un besoin militaire, à un meilleur rapport coût-efficacité. De même convient-il d'examiner plus systématiquement la possibilité de réaliser des économies substantielles en recourant, pour certains matériels, à des composants civils ou à des technologies duales.

Pour atteindre cet objectif de réduction des coûts, le présent projet de loi de programmation souligne que « des efforts substantiels de productivité sont attendus, tant à la délégation générale pour l'armement que dans les entreprises du secteur » et qu' « un recours systématique aux méthodes modernes d'analyse de la valeur permettra de limiter l'escalade des spécifications opérationnelles et techniques, réduisant d'autant les coûts ».

S'agissant de la DGA, le projet de loi prévoit une réduction de 14 % de ses effectifs budgétaires. Il lui est surtout demandé de diminuer de 30 %, sur la période de la programmation, ses coûts et ses délais d'interventions pour parvenir à une réduction équivalente des coûts et des délais des programmes.

Cet objectif très ambitieux appelle trois observations de votre rapporteur :

- il est très difficile à atteindre, en tout cas de manière systématique et uniforme, mais semble incontournable pour renverser les tendances antérieures et demeurer, à terme, en mesure d'équiper nos forces de matériels en quantité suffisante ; il y va du succès des programmations à venir et donc de la capacité d'atteindre le modèle d'armée retenu pour 2015,

- il suppose une réforme profonde de l'organisation, des moyens d'action de la DGA et de ses relations avec les industriels, qui doit se recentrer sur sa mission première : fournir aux armées les équipements dont elles ont besoin au moindre coût et dans les délais souhaités ; c'est dans cet esprit qu'une réforme de la DGA sera présentée en septembre prochain par le nouveau délégué général pour l'armement ;

- enfin et surtout, cette réduction des coûts de 30 % n'étant pas incluse dans les données chiffrées de la programmation, sa réalisation concrète constituerait pour le budget de la Défense, dans les prochaines années, et plus encore pour les futures programmations, une source d'économies et une marge de manoeuvre financière très substantielle et particulièrement bienvenue.

2. Le renforcement des structures industrielles

C'est le même objectif de compétitivité qui impose l'accélération du renforcement de nos structures industrielles de défense. Les difficultés rencontrées ne doivent pas conduire au repli sur soi ou à une attitude défensive -qui ne pourraient conduire qu'à l'échec- mais au contraire à une vision dynamique et une politique volontariste.

Ce projet doit comprendre -ainsi que le souligne à juste titre le projet de loi- le maintien et le développement des capacités d'innovation que représente le tissu des PME/PMI de haute technologie du secteur de l'armement : c'est là une condition nécessaire à la bonne santé de notre industrie de défense dans l'avenir.

S'agissant des grandes entreprises du secteur, la démarche retenue par le gouvernement repose sur la constitution de quatre grands pôles industriels : le nucléaire, l'aéronautique et l'espace, l'électronique et l'électromécanique.

Les deux décisions majeures d'ores et déjà annoncées, en février dernier et confirmées par le présent projet de loi, concernent l'industrie aéronautique et l'industrie électronique avec la privatisation de Thomson SA et le rapprochement d'Aérospatiale et de Dassault Aviation. Nos entreprises, qui disposent dans ces deux secteurs d'atouts considérables, doivent en effet impérativement se rapprocher dans tous les domaines où cela est possible économiquement et industriellement car il s'agit d'accroître leur compétitivité.

Les objectifs, dans les deux cas, sont clairs :

- préserver les intérêts de la défense nationale,

- maintenir l'intégrité du capital industriel, technologique et humain en développant les synergies indispensables,

- ouvrir des perspectives nouvelles de développement,

- et poursuivre la politique d'alliances, de rapprochements ou de fusions déjà entreprise au niveau européen, comme c'est en particulier le cas entre Aérospatiale et DASA et entre Matra-Défense et British Aerospace.


• La privatisation, d'ici la fin 1996, du groupe Thomson a pour objectif de permettre au groupe, aujourd'hui fortement endetté, de retrouver des marges de manoeuvre stratégiques comparables à celles de ses concurrents et d'assurer ainsi le développement de son potentiel industriel. Elle marque la volonté du Président de la République et du gouvernement de voir le groupe Thomson, réservoir exceptionnel de technologies, constituer dans le domaine de l'électronique, secteur hautement stratégique, un grand pôle capable de participer aux restructurations et aux regroupements nécessaires à l'échelle européenne pour préserver la compétitivité de notre industrie face à la concurrence américaine.

Si aucun schéma de privatisation n'a été arrêté a priori, et s'il n'appartient pas à votre rapporteur de manifester une quelconque préférence entre les différents candidats à cette privatisation -principalement Alcatel et Lagardère Groupe-, l'État doit veiller strictement à la préservation des intérêts essentiels de la défense nationale. Il devra assurer également les meilleures conditions pour que Thomson CSF et Thomson Multimédia puissent, tout au long du processus de privatisation, poursuivre leurs activités nationales et internationales.


• Dans le même esprit, le rapprochement de Dassault Aviation et d'Aérospatiale vise à la constitution d'un groupe aéronautique et spatial français, civil et militaire, capable de jouer un rôle fédérateur au niveau européen et de rivaliser avec les concurrents américains.

Ce ne sera pas, chacun le sait, chose aisée : ne s'agit-il pas ainsi des cinquièmes « fiançailles » annoncées, depuis vingt ans, entre les deux parties ? Mais la rationalisation indispensable, et urgente, du secteur est sans doute à ce prix. Dans cet esprit, des propositions devraient être formulées par un comité stratégique dès le 30 juin prochain. Ce rapprochement devra répondre aux principes suivants :

- sur le plan industriel, il doit procéder d'un véritable projet industriel ; il devra permettre le rapprochement des deux bureaux d'études et, à moyen terme, des capacités de production ; la rationalisation des moyens industriels, des politiques d'achat et de sous-traitance et des stratégies commerciales des deux constructeurs aéronautiques français est, en effet, de nature à doter l'aéronautique française d'une assise technologique, industrielle et commerciale suffisante face à la puissance et à l'agressivité des concurrents américains ;

- sur le plan financier, l'industrie aéronautique et spatiale se caractérise par des investissements technologiques particulièrement coûteux et des marchés fortement cycliques : dans ce contexte, le nouveau groupe industriel devra disposer d'une structure financière solide et pouvoir faire appel aux marchés financiers ;

- sur le plan juridique, enfin, le rapprochement doit aller au-delà d'un simple échange de participations capitalistiques, qui ne déboucherait pas sur la rationalisation industrielle indispensable.

Au-delà même de ces deux premières décisions de restructuration industrielle très importantes, deux questions majeures restent posées :


• es problèmes financiers très importants des entreprises du secteur public qui se traduisent par des demandes de recapitalisation très importantes, notamment pour Giat-Industries (en faible partie satisfaites), pour l'Aérospatiale et pour la SNECMA ; plus de vingt milliards de francs sont en jeu que l'État -c'est l'évidence- ne pourra satisfaire en totalité ; il est clair en tout cas -et le ministre de la défense l'a confirmé devant notre commission- que le financement de ces recapitalisations ne saurait peser sur le budget de la défense et être imputé sur l'enveloppe financière prévue p ar le présent projet de loi de programmation ;


• ensuite, l'avenir de Giat-Industries et de la direction des constructions navales (DCN) ; le gouvernement a accompli, dans les deux cas -au demeurant très différents- un travail, important et nécessaire, de clarification et de concertation ; les décisions qui s'imposent passent nécessairement par de profondes réformes et par des diminutions inévitables d'effectifs compte tenu des surcapacités actuelles.

S'agissant de Giat-Industries, l'objectif-souligne le rapport annexé au projet de loi- est « de retrouver l'équilibre de l'entreprise et d'assurer sa viabilité » en la recentrant et la réorganisant autour de ses métiers principaux (blindés, armes et munitions). Il est précisé que « les adaptations nécessaires seront conduites progressivement mais avec détermination ».

C'est dans cet esprit qu'après des pertes cumulées évaluées par un audit à 11,8 milliards pour les seules années 1990-1994 et une recapitalisation à hauteur de 3,4 milliards en mars dernier, un nouveau plan de restructuration, visant au retour à l'équilibre en 1998, a été annoncé à la fin du mois de mai : portant sur 2 570 suppressions d'emplois réparties sur douze sites sur un total de 11 130 salariés, ce plan vise à éliminer le sureffectif chronique dont souffre Giat-Industries depuis sa création. Il évite toutefois la fermeture de certains sites, souvent considérée comme inéluctable mais touchant des bassins d'emploi déjà fortement atteints, et doit se dérouler en dehors de tout licenciement sec.

S'agissant de la DCN, le projet de loi souligne que « les atouts du service industriel de la DCN seront valorisés par une amélioration de son mode de fonctionnement et par un effort soutenu de productivité et de restructuration ».

Surtout, le groupe de travail sur l'avenir de la DCN mis en place par le ministre de la défense doit préciser les modalités d'une séparation plus claire entre les activités étatiques -2 000 salariés- et les activités industrielles -environ 22 000 salariés- de la DCN et apporter des solutions nécessaires d'adaptation au plan de charge qui fait apparaître un sureffectif important et durable. Ces mesures d'adaptation doivent reposer sur des mesures d'âge, sur la reconversion et sur la mobilité, interne au ministère de la défense ou vers d'autres administrations. C'est dans la perspective de ces décisions, fortes et nécessaires, que le projet de loi prévoit un fonds d'adaptation industrielle pour financer les mesures d'accompagnement social destinées à faciliter l'évolution des effectifs. L'essentiel de ce fonds, d'un montant de 4,8 milliards de francs 1995, sera consacré à la DCN puisque 4,1 milliards -somme importante mais dont la ventilation n'est pas encore établie- y seront affectés. Le solde, soit 700 millions de francs, accompagnera la réduction du format de la direction des applications militaires (DAM) du CEA (qui se traduira notamment, en 1996 et 2000, et sans licenciements par la fermeture des sites de Vaujours et de Lime il).

3. L'accompagnement économique et social des restructurations

Une profonde restructuration de notre industrie de défense est ainsi entreprise. Ses conséquences économiques et sociales seront nécessairement très lourdes -même si l'objectif est d'éviter tout licenciement sec- et frapperont souvent des bassins d'emploi excentrés et peu diversifiés, qui ont bâti leur développement économique sur les productions d'armement.

Un vigoureux dispositif d'accompagnement économique et social était donc nécessaire, ainsi que l'expérience de la restructuration d'autres secteurs industriels dans le passé le soulignait. Les actions à entreprendre se différencient toutefois, à bien des égards, de celles conduites, il y a quelques années, dans le domaine de la sidérurgie en raison à la fois :

- de la haute qualification et de la diversité des métiers en cause,

- de la dispersion géographique des implantations concernées,

- de la variété des situations économiques des entreprises ou établissements industriels en question,

- et de la simultanéité entre ces restructurations industrielles et les restructurations militaires directement liées à la professionnalisation.

Ce dispositif indispensable figure logiquement dans le projet de loi de Programmation militaire dans la mesure où celle-ci précise le format à venir des forces et les équipements, revus à la baisse, dont elles devront disposer. Conformément aux engagements pris par le gouvernement il y a plusieurs mois, le projet de loi prévoit un ensemble de mesures substantielles qui devront aller de pair avec l'accompagnement des restructurations militaires.

a) Le dispositif d'accompagnement économique

Il vise à limiter les déséquilibres engendrés par les restructurations dans les bassins d'emploi concernés par des mesures d'aide au reclassement, par des actions en faveur des PME et de la reconversion des sites touchés.

Trois principes ont été retenus :

- la coordination des actions, dans chaque région, sur la base de conventions conclues entre l'État et la région ; ces conventions, dont plusieurs ont déjà été signées, sont déclinées en protocoles par des bassins d'emplois et animées par un délégué régional ;

- la mobilisation de l'ensemble des acteurs, publics et privés, locaux, nationaux et européens, en vue d'une répartition optimale du financement et la limitation des coûts, autant que possible, pour la collectivité ; un mécanisme de financement spécifique en faveur des PME doit leur permettre d'accéder à des prêts adaptés, en complément des subventions ou des crédits d'origine nationale ou européenne ;

- enfin, l'intervention accrue des sociétés de conversion chargées de créer des activités de substitution dans les bassins d'emplois concernés et qui disposeront de moyens financiers plus importants ; au cours des six années à venir, et compte tenu des moyens destinés à leur fonctionnement, ces sociétés de conversion disposeront au total de 1 285 millions de francs constants 1995.

La capacité d'aide des sociétés de conversion aux projets des PME créatrices d'emplois sera ainsi renforcée. Il faut rappeler que leur financement sera pris en charge par le ministre de l'économie et des finances (à l'inverse du FRED, doté sur les six ans de 942 millions de francs à la charge du ministère de la défense).

b) Le dispositif d'accompagnement social

Il doit s'adresser à la fois aux salariés de droit privé et à ceux qui relèvent du droit public (même lorsque ceux-ci sont, comme à Giat-Industries, employés dans des entreprises).

Pour les premiers, salariés de droit privé placés sous conventions collectives des entreprises concernées, les principales mesures proposées sont : l'aménagement ou la réduction du temps de travail -qui fera l'objet d'incitations renforcées-, les formations favorisant le reclassement interne, l'aide au reclassement externe et l'incitation à la mobilité professionnelle ou géographique.

Pour les seconds, personnels de droit public, trois dispositifs principaux sont proposés : l'application des dispositions existantes sur la cessation progressive d'activité et le dégagement des cadres applicables aux ouvriers d'État, l'extension des possibilités de reclassement, et l'amélioration de la mobilité (mesures d'incitation, gestion interarmées du personnel, ouvertures de postes dans d'autres administrations).

c) Les observations de votre rapporteur

La mise en place de ces dispositifs appelle trois séries d'observations :

La première porte sur l'action de l'État dans ce domaine. Le rôle central qui revient à l'État dans l'industrie de défense lui donne naturellement vocation à être l'animateur et le coordinateur, mais non le seul acteur, d'une stratégie globale d'accompagnement des restructurations. Dans cet esprit, et dans le cadre d'un dialogue permanent avec les élus et d'un processus de coordination interministérielle :

- le délégué interministériel aux restructurations de défense, placé auprès du ministre de la défense et nommé en avril dernier, devra jouer un rôle pivot dans l'indispensable coopération, tandis que la DATAR devra être davantage sensibilisée aux problèmes des industries de défense,

- au niveau régional, des délégués régionaux devront assurer la mise en oeuvre et la coordination des actions entreprises dans le cadre des conventions régionales et des protocoles de bassins d'emploi,

- enfin, des chargés de mission relaieront l'action des délégués régionaux, en liaison notamment avec les correspondants de la DATAR, sur les bassins d'emplois les plus touchés. Il est en effet indispensable que les mesures prises soient adaptées à chaque situation locale afin d'éviter au maximum l'improvisation et de faciliter l'action entreprise par entreprise et bassin d'emploi par bassin d'emploi.

S'agissant en deuxième lieu du calendrier de ces mesures d'accompagnement, il devra être, aux yeux de votre rapporteur, progressif. Aucun temps ne saurait être perdu, et il y a en effet urgence à effectuer la mutation nécessaire, et trop longtemps différée, de notre industrie de défense. Dès lors que les termes de la loi de programmation seront arrêtés et que ses conséquences pourront être précisément évaluées, tous les dispositifs adaptés devront être mis au point sans délai. Mais il est tout aussi clair que leur mise en oeuvre intégrale -et celle des restructurations elles-mêmes- exigera du temps, à la fois pour mettre en place une gestion prévisionnelle des effectifs garantissant le maintien des compétences, pour laisser le temps nécessaire à la concertation entre partenaires sociaux et au dialogue avec les élus locaux, et pour permettre la création effective d'activités nouvelles dans les bassins d'emploi concernés.

Enfin -et c'est naturellement le point le plus délicat- doit être résolue la question du coût global et de l'imputation budgétaire de ces mesures d'accompagnement économique et social.

Le coût est, en l'état actuel des choses, difficile à préciser. Mais il sera, en tout état de cause, très élevé. Les mesures prévues par le présent projet de loi sont très importantes. Leur montant total, pour la partie qui n'incombe pas au budget de la défense et qui relève des procédures de droit commun, reste toutefois difficile à évaluer. Il sera, en tout état de cause, considérable et appelle de votre rapporteur deux remarques :

- ces mesures de restructurations doivent être étalées sur une durée suffisamment longue : leur mise en oeuvre ne devra pas être trop brutale et le financement de l'accompagnement de ces restructurations devra lui-même être étalé sur la durée de six ans correspondant à la période couverte par la loi de programmation ;

- en second lieu, il va de soi que la charge financière de cet accompagnement économique et social ne peut évidemment être supportée par le seul ministère de la défense.

C'est pourquoi il est prévu que le ministère de la défense n'assurera que le financement des mesures destinées aux personnels de ses propres établissements et ne participera que pour partie, avec le FRED, à la reconversion des sites, à côté des collectivités locales, des autres ministères concernés et de l'Union européenne. Les autres mesures d'accompagnement économique et social devront être prises en charge, en ce qui concerne l'État, par les ministères civils compétents.

4. L'indispensable soutien de l'État

Plus généralement, et sans exonérer les industriels de la défense de leurs responsabilités propres, la mise en oeuvre d'une véritable stratégie industrielle de la défense suppose, aux yeux de votre rapporteur, un appui indispensable et vigoureux de l'État.

- Une programmation cohérente et respectée est sans doute, à cet égard, le principal apport que les pouvoirs publics peuvent apporter à l'industrie. Elle seule peut donner au secteur de la défense l'indispensable visibilité à moyen terme dont elle a besoin. Rien ne serait pire pour l'industrie de l'armement que la persistance de l'incertitude, qui demeure depuis de trop longues années, sur la politique suivie par le donneur d'ordre que constitue l'État et qui fait que l'application pure et simple des règles des marchés civils est inadaptée aux problèmes du secteur de l'armement.

C'est dire, une nouvelle fois, l'importance, non seulement du présent projet de loi et de l'enveloppe financière qu'il prévoit pour les dépenses d'équipement, mais aussi de son application fidèle, intégrale et scrupuleuse dans les six prochaines années, sous l'autorité du Président de la République, dans un domaine où les programmes s'étendent en moyenne sur trente à quarante ans.

Il faut, dans le même esprit, souligner et se féliciter de la volonté du gouvernement de développer les commandes pluriannuelles, conformément au voeu souvent exprimé au Parlement. De telles commandes, passées dans le cadre d'une loi de programmation, doivent constituer une garantie extrêmement importante pour les entreprises. Les protégeant contre la remise en cause, à tout moment et de façon unilatérale par l'État, des décisions prises, elles doivent apporter une sécurité nouvelle, et pourtant nécessaire, aux entreprises, à leurs plans de charge et aux emplois qui en dépendent. Elles doivent de surcroît constituer une source d'économies appréciable pour l'État. Les expériences en ce domaine font apparaître des gains se situant entre 5 % et 15 %, avec toutefois des écarts importants selon les types de matériels et la prise en compte du fait que les commandes pluriannuelles ne peuvent pas concerner l'ensemble des dépenses d'équipement des armées. D'après les estimations du ministère de la défense, en faisant l'hypothèse que la moitié des marchés peuvent être conclus sur une base pluriannuelle, plus d'un milliard de francs d'économies pourrait être dégagé de cette procédure. Ces gains ont été pris en compte dans les hypothèses retenues dans la construction de la programmation.

- Un dispositif cohérent d'aide à l'exportation constitue un autre aspect essentiel du soutien que l'État doit apporter aux industries liées à la défense.

Certes, les exportations ne sauraient servir de substitut aux adaptations et aux restructurations indispensables, qu'exigent à la fois la régression du marché mondial et l'impératif de compétitivité. Les grands contrats eux-mêmes ne constitueraient, dans cette hypothèse, que des facilités transitoires.

Il reste que ces exportations constituent une nécessité absolue pour les entreprises concernées et, de manière générale, un atout essentiel pour rendre moins douloureuse la période de transition actuelle.

L'attente, par les industriels, d'un soutien politique et diplomatique actif de l'État est, selon votre rapporteur, légitime. L'exportation d'armements est, en effet, par nature un acte hautement politique. L'attitude constante, et de plus en plus forte, de l'administration américaine en la matière illustre le poids que peuvent avoir les interventions politiques dans ce domaine, y compris auprès des pays européens.

C'est pourquoi les pouvoirs publics doivent afficher clairement un soutien sans faille aux industries de défense à l'exportation. Il doit mobiliser l'ensemble des acteurs concernés : au plus haut niveau de l'État, au ministère de la défense, au ministère des affaires étrangères, au ministère des finances...

Votre rapporteur suggère dans ce domaine l'élaboration d'un véritable plan d'accompagnement à l'exportation qui pourrait notamment inclure la création d'une cellule spécialisée au plus haut niveau pour en assurer la coordination, voire la création d'un poste de secrétaire d'État auprès du ministère de la défense dont le rôle actif à l'étranger permettait d'établir ou de maintenir les contacts politiques nécessaires et préparer notamment des visites à plus haut niveau.

5. La préparation de l'avenir par un effort de recherche-développement satisfaisant

La nécessité de surmonter les difficultés immédiates ne saurait enfin conduire à compromettre la préparation de l'avenir de notre industrie de l'armement et, par là, de notre défense elle-même.

Maintenir un effort de recherche-développement constitue à cet égard un objectif prioritaire car lui seul peut préserver les compétences et la compétitivité de notre industrie de défense à long terme.

Certes, la France doit aujourd'hui faire face à la réduction de ses crédits d'équipement et au développement simultané de très nombreux programmes d'armement. Des choix difficiles doivent donc être effectués pour trouver le plus juste équilibre entre crédits de fabrication et crédits de recherche.

Il reste que la priorité relative accordée depuis quelques années, et poursuivie dans le présent projet de loi, à la production d'armements, conduit à une réduction inquiétante de la part de la recherche dans le budget de la défense. Le financement des études amont, qui a déjà été réduit de 6,15 milliards de francs en 1992 à 5,1 milliards aujourd'hui, serait ainsi limité à 4,3 milliards en 2002, soit une diminution de plus de 15 %.

Plusieurs facteurs rendent cette évolution préoccupante :

- d'abord, parce que l'industrie française de la défense consacre environ 30 % de son chiffre d'affaires à la recherche et au développement et qu'environ les deux tiers de cet effort sont financés par l'État ;

- ensuite, parce que les États-Unis poursuivent un effort de recherche extrêmement important et apportent à leur industrie de défense un soutien financier considérable (de l'ordre de 30 milliards de dollars par an);

- enfin, parce que la recherche militaire permet de développer des technologies évoluées, des technologies critiques et des procédés de fabrication qui, après avoir été développés pour l'industrie d'armement, diffusent largement dans l'ensemble du tissu industriel français.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur souligne la nécessité de ne pas laisser notre effort de recherche-développement décroître en dessous du seuil critique malgré la rareté des ressources budgétaires ; une telle évolution compromettrait la capacité de notre industrie pour les futures générations de matériel et donc sa compétitivité par rapport à ses principaux concurrents, notamment américains.

Il faut, tout particulièrement, allouer aux PME-PMI de la défense qui développent de hautes technologies une proportion suffisante de l'effort de recherche national ; cette proportion est évaluée à environ 10 % du montant global de la recherche de défense alors qu'elle dépasse aujourd'hui à peine 5 %. Ces entreprises de petite taille (moins de 500 personnes) apportent en effet une très grande capacité d'innovation à moindre coût et à moindre délai et détiennent de nombreuses technologies clés qui conditionnent les performances des systèmes d'armes réalisés par les grands groupes.

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