N° 420
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 juin 1996.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de résolution , présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par MM. Pierre LAGOURGUE et Lucien LANIER sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (n° E-405),
Par M. Lucien LANIER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagès, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich.
Voir le numéro :
Sénat : 277 (1994-1995)
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOISRéunie le mercredi 13 juin 1996, sous le présidence de M. Jacques Larché, président, la commission a examiné, sur le rapport de M. Lucien Lanier, la proposition de résolution n° 277 (1994-1995) sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise. Sur proposition de son rapporteur, elle a adopté une proposition de résolution qui : - approuve les orientations de la proposition initiale de directive, - invite en conséquence le Gouvernement à agir au sein du Conseil pour permettre l'assimilation de l'avocat communautaire à l'avocat national à l'issue d'une période transitoire d'exercice sous le titre d'origine, - rappelle que l'avocat communautaire exerce son activité dans le respect des règles de l'État d'accueil, y compris celles concernant la postulation, - estime que pendant le phase d'exercice temporaire, l'avocat migrant soit tenu, le cas échéant, d'agir de concert avec un avocat local, - demande la suppression du test d'aptitude à l'issue de la période d'exercice temporaire dès lors que l'avocat migrant justifie d'une activité effective et régulière de trois ans dans le droit de l'État d'accueil et le droit communautaire, - insiste, comme le fait le rapport de la commission juridique du Parlement européen, sur la nécessité de préserver l'indépendance de l'avocat en ouvrant aux États membres la faculté d'interdire l'établissement, sur leur territoire, d'avocats exerçant dans une structure contrôlée, en droit ou en fait, par des personnes n'ayant pas la qualité d'avocat, - attire l'attention sur la situation spécifique des territoires d'outre-mer et la nécessité de les consulter dans la perspective de la renégociation de la décision d'association à la Communauté européenne. |
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Mesdames, Messieurs
Conformément à l'article 88-4 de la Constitution, le Gouvernement a transmis au Parlement une proposition d'acte communautaire, distribuée le 26 avril 1995 sous la référence E 405, résultant de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise.
Cette directive viendrait compléter le cadre actuel d'exercice de la profession d'avocat dans la Communauté européenne sur le fondement de la liberté d'établissement énoncée aux articles 52 à 58 du Traité de Rome dont la directive du 21 décembre 1988, qui institue un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur, n'a pas assuré la pleine effectivité.
Parce qu'elle faciliterait le libre établissement des avocats sur l'ensemble du territoire communautaire, cette directive doit être adoptée rapidement. Elle pourrait cependant être améliorée à plusieurs égards ainsi que le suggère notre collègue M. Pierre Lagourgue et votre rapporteur, coauteurs de la proposition de résolution n° 277 (1994-1995) soumise à votre examen.
Depuis le dépôt de cette proposition de résolution, la procédure d'examen de la proposition de directive s'est poursuivie au sein des instances communautaires et la commission juridique du Parlement européen a adopté, le 25 avril 1996, sur le rapport de Madame Nicole Fontaine, un texte amendé qui doit être soumis au Parlement européen avant l'été. Conformément à la procédure de codécision, le texte sera ensuite examiné par le Conseil des ministres puis à nouveau par le Parlement, en deuxième lecture, une troisième lecture n'intervenant qu'en cas de désaccord entre le Parlement et le Conseil.
Par rapport à la proposition initiale, le texte proposé par la commission juridique marque un très sensible infléchissement qui appelle des observations de la part de votre commission des Lois, motif pour lequel elle vous proposera de retenir une résolution complétée par rapport à sa rédaction initiale afin de prendre en compte les évolutions récentes de la question.
Avant d'évoquer le cadre actuel d'exercice de la profession d'avocat sur le territoire communautaire et d'analyser les perspectives ouvertes par la proposition de directive et les améliorations qui pourraient être apportées au dispositif, votre commission des Lois tient à mettre l'accent sur l'importance des enjeux du marché européen du droit et de 1'» Europe des avocats ».
S'ils veulent préserver et développer l'influence du droit français et de ses qualités intrinsèques par rapport au droit anglo-saxon qui a d'ores et déjà conquis des pans importants de la pratique juridique, notamment du droit bancaire et, au-delà, du droit des affaires, les avocats français doivent renforcer leur dynamisme et savoir s'» exporter ». Dans cette perspective, la directive est une chance qu'il leur faudra exploiter.
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I. LES CONDITIONS ACTUELLES D'EXERCICE DE LA PROFESSION D'AVOCAT DANS UN ÉTAT MEMBRE AUTRE QUE CELUI OÙ LA QUALIFICATION A ÉTÉ ACQUISE
Le traité de Rome pose deux principes fondamentaux en matière d'exercice professionnel :
- la liberté d'établissement des personnes exerçant une activité indépendante et des entreprises ;
- la libre prestation des services.
La directive 77/249 du 22 mars 1977 a fixé les conditions de l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats tandis que le libre établissement s'exerce dans le cadre de la directive 89/48 du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes de l'enseignement supérieur.
A. LA LIBRE PRESTATION DE SERVICES
Les articles 59 à 66 du traité posent, pour leur part, le principe de la libre prestation de services, c'est-à-dire de toute activité professionnelle indépendante exercée au-delà des frontières à partir d'un établissement situé dans un État membre ; autrement dit, ils autorisent l'exercice temporaire d'une activité professionnelle indépendante transnationale dans la mesure où celle-ci n'est pas déjà régie par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.
Aux termes du traité, les prestations de services ainsi exécutées doivent être limitées dans le temps et présenter un caractère occasionnel.
1. La directive « libre prestation des services par les avocats »
En vertu de la directive 77/249 du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats, un avocat peut librement donner des consultations dans tout État membre, tant dans le droit de son pays d'origine, que dans celui du pays d'accueil, en droit international ou communautaire. La directive pose donc le principe de la reconnaissance mutuelle des autorisations d'exercer.
Il exerce cette activité de consultation sous son titre d'origine.
La prestation de services n'est pas subordonnée à une condition de résidence ni d'inscription auprès de l'organisme professionnel de l'État d'exercice occasionnel ; elle est toutefois soumise au respect des règles déontologiques de l'État d'accueil. La Cour de justice des Communautés européennes a confirmé avec fermeté le caractère impératif de cette disposition, notamment dans son arrêt Gullung du 19 janvier 1988.
En outre, la représentation et la défense en justice peuvent être subordonnées à la présence d'un avocat local avec lequel l'avocat communautaire agit « de concert » . La Cour de justice des Communautés européenne a explicité la portée de cette règle dans un arrêt du 25 février 1985, Commission contre Allemagne , en précisant qu'elle avait pour but de fournir à l'avocat communautaire « l'appui nécessaire en vue d'agir dans un système juridictionnel différent de celui auquel il est habitué, et de donner au tribunal saisi l'assurance que l'avocat prestataire de services dispose effectivement de cet appui et est ainsi en mesure de respecter pleinement les règles procédurales et déontologiques applicables » .
2. Une application complexe
L'application de cette directive a soulevé un certain nombre de difficultés.
C'est ainsi que dans un arrêt du 10 juillet 1991, Commission contre France, la Cour de justice des Communautés européennes a estimé que la réglementation française résultant du décret n° 79-233 du 22 mars 1979 (abrogé depuis) ne respectait pas les obligations communautaires dans la mesure où elle imposait à l'avocat prestataire de services d'agir de concert avec un avocat établi sur le territoire français même dans le cas où l'assistance d'un avocat n'était pas obligatoire.
Dans une décision Gebhard, très attendue, du 30 novembre 1995, la Cour de justice des Communautés européennes a par ailleurs précisé que le caractère temporaire de la prestation de services devait être apprécié en fonction « de sa durée, de sa fréquence, de sa périodicité et de sa continuité, et que le prestataire de services pouvait à bon droit se doter, dans l'État membre d'accueil, de l'infrastructure nécessaire aux fins d'accomplissement de sa prestation » . La ligne de partage entre la prestation de services et l'établissement ne passe donc pas par l'appréciation du caractère stable et continu de l'activité exercée dans l'État membre d'accueil à partir, le cas échéant, d'un domicile professionnel établi dans cet État.
Dans un cadre aussi difficile à cerner, la proposition de directive constitue une avancée importante puisqu'elle prévoit un établissement temporaire dans l'État d'accueil pour un exercice non limité sous le titre d'origine. Elle permettrait en outre de répondre aux incertitudes actuelles auxquelles la France est particulièrement sensible, la Commission lui ayant adressé une mise en demeure en octobre 1995, à la suite d'une plainte du Royaume-Uni, à propos des conditions d'établissement en France d'un avocat communautaire ne souhaitant exercer que le droit international, le droit communautaire et le droit de son État d'origine, à l'exclusion du droit français.
B. LE LIBRE ÉTABLISSEMENT
Les articles 52 à 58 du traité de Rome consacrent la liberté d'établissement des personnes exerçant une activité indépendante et des entreprises. A ce titre, les ressortissants d'un État membre bénéficient de l'égalité de traitement avec les nationaux pour l'exercice de leurs activités professionnelles dans tout État de l'Union.
1. La directive « équivalence des diplômes »
En application de la directive 89/48 du 21 décembre 1988 instituant un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur sanctionnant des formations professionnelles postérieures au bac d'une durée minimale de trois ans, un avocat détenteur d'un diplôme retenu par un État membre pour accéder à la profession d'avocat peut s'établir dans un autre État membre pour exercer sa profession dès lors qu'il a effectué un stage d'adaptation ou subi une épreuve d'aptitude, au choix dudit État.
Assimilé à un confrère de l'État d'accueil, l'avocat migrant doit s'inscrire à l'Ordre des avocats, cotiser et s'affilier au régime de retraite, appliquer les règles locales en matière de déontologie, de calcul des honoraires et d'incompatibilités professionnelles.
Il exerce sous le titre de l'État d'accueil sans aucune limite d'activité autre que celle prévue par la réglementation de cet État.
2. Une portée effective limitée
La directive 89/48 est avant tout destinée aux jeunes diplômés dans la mesure où elle ne prend pas en compte l'expérience professionnelle des candidats à l'intégration dans la profession de l'État d'accueil et que l'épreuve d'aptitude se présente parfois comme un véritable examen comparable à celui auquel est soumis l'avocat local. Elle s'assimile alors à un véritable instrument de protectionnisme.
Le rapport d'information déposé au nom de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne (n° 2262, dixième législature) par M. Xavier de Roux le 10 octobre 1995, montre ainsi, par un examen détaillé des épreuves auxquelles sont soumis les candidats à l'établissement en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Italie qu'en pratique « certains États membres ont mis en place des tests d'aptitude qui se révèlent tout à fait dissuasifs et présentent en outre de fortes disparités de niveaux » .
En France, le test d'aptitude complet se compose d'un écrit et d'un oral : l'écrit porte sur la rédaction en deux fois trois heures de conclusions en matière civile et d'une consultation juridique, au choix du candidat, sur le droit administratif, le droit commercial, le droit du travail ou le droit pénal ; l'oral comporte un exposé de vingt minutes sur un sujet de procédure civile, pénale ou administrative, ou sur l'organisation judiciaire française, et d'un entretien d'une quinzaine de minutes avec le jury portant notamment sur la réglementation et la déontologie.
L'article 99 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, pris pour l'application de la directive à la profession d'avocat, précise que le Conseil nationale des barreaux (CNB) arrête la liste des avocats susceptibles de bénéficier de la reconnaissance mutuelle des diplômes ; dans ses décisions, celui-ci précise s'il y a lieu de soumettre les intéressés à un examen d'aptitude et, le cas échéant, les matières dans lesquelles ils seront interrogés.
Pour les trois premières années d'application, le nombre des demandes présentées sur le fondement de cette disposition s'est élevé à 145 ; certains dossiers étant incomplets ou ayant été retirés, le CNB a rendu 101 décisions : 6 rejets directs, 17 admissions sans examen et 78 autorisations de subir un examen portant le plus souvent sur deux épreuves, voire seulement sur la réglementation professionnelle.