N° 375
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 22 mai 1996.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) :
- sur le projet de loi organique, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif aux lois de financement de la sécurité sociale,
- et sur la proposition de loi organique de MM. Charles DESCOURS, Jean-Pierre FOURCADE, José BALARELLO Henri BELCOUR, Jacques BIMBENET, Paul BLANC, Mme Annick BOCANDÉ, MM. Louis BOYER, Jean-Pierre CANTEGR1T, Jean CHÉRIOUX, Philippe DARNICHE, Georges DESSAIGNE, Alfred FOY, Serge FRANCHIS, Alain GOURNAC, Claude HURIET, André JOURDAIN, Pierre LAGOURGUE, Dominique LECLERC, Marcel LESBROS, Jean-Louis LORRAIN, Simon LOUECKHOTE, Jacques MACHET, Jean MADELAIN, René MARQUES, Serge MATHIEU, Georges MOULY, Lucien NEUWIRTH, Mme Nelly OLIN, MM. André POURNY, Henri de RAINCOURT, Bernard SEILLIER, Louis SOUVET, Martial TAUGOURDEAU et Alain VASSELLE relative à la politique sociale de la Nation.
Par M. Patrice GÉLARD.
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM Jacques Larché, président ; René-Georges Launn, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagè, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (l0ème législ.) : 2690. 2713 et TA. 527
Sénat : 334 et 344 (1995-1996).
Sécurité sociale
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
Réunie le 21 mai 1996 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, et de M. Pierre Fauchon, vice-président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Patrice Gélard, le projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale adopté par l'Assemblée nationale. Elle a décidé d'examiner conjointement la proposition de loi organique présentée sur le même sujet par M. Charles Descours et plusieurs de ses collègues.
Ce texte a été envoyé au fond à la commission des Lois en raison de la compétence naturelle de celle-ci sur les lois organiques. Mais, du fait de la nature des dispositions en cause, elle a jugé souhaitable que la commission des Affaires sociales et la commission des Finances soient parties prenantes à sa réflexion.
Ont ainsi participé à la réunion, le président de la commission des Affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade, le président de la commission des Finances, M. Christian Poncelet, le rapporteur général, M. Alain Lambert, et plusieurs membres de ces deux commissions.
La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jacques Barrot, ministre du Travail et des Affaires sociales.
Cette audition, a notamment permis d'évoquer le calendrier prévisionnel d'examen des lois de financement de la sécurité sociale, le souci principal des trois commissions étant d'éviter tout chevauchement au Sénat entre la discussion en automne, d'une part de la loi de finances, d'autre part de la loi de financement.
Le rapporteur a souligné, en plein accord avec les présidents Jacques Larché, Jean-Pierre Fourcade et Christian Poncelet, que les dates et les délais adoptés par l'Assemblée nationale (dépôt du projet de loi de financement au plus tard trente jours après l'ouverture de la session ordinaire et délai de vingt jours accordé au Sénat pour l'examen en première lecture) conduisaient inévitablement à un tel télescopage.
Le ministre a reconnu que cette objection était tout à fait fondée et a évoqué plusieurs solutions pour éviter ce risque, sans méconnaître les difficultés auxquelles elles pouvaient se heurter. Un dépôt du projet de loi de financement le 15 octobre, comme l'a préconisé le rapporteur, lui a néanmoins semblé difficilement envisageable en l'état actuel de sa réflexion, compte tenu notamment des différentes consultations préalables nécessaires sur les textes intéressant la sécurité sociale.
Le président Jacques Larché a rappelé que, contenant des dispositions applicables au Sénat, la loi organique devrait nécessairement être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées.
La commission a ensuite adopté, sur la proposition de M. Patrice Gélard, rapporteur, vingt amendements dont les deux plus importants portent sur le calendrier d'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en vue de le concilier au Sénat avec celui de la loi de finances :
- le projet de loi de financement devrait être déposé par le Gouvernement au plus tard le 15 octobre (ou le premier jour ouvrable qui suit, si cette date tombe sur un jour férié), et non au plus tard trente jours après l'ouverture de la session ordinaire (soit, au plus tard, le 31 octobre) ;
- le Sénat disposerait de quinze jours pour examiner le texte en première lecture.
Ainsi, le Sénat pourrait examiner le projet de loi de financement avant même d'aborder l'examen du projet de loi de finances.
La commission des Lois, sur la proposition du président de la commission des Affaires sociales, a également adopté un amendement (sur le 1° de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale), substituant au mécanisme retenu par l'Assemblée nationale -la simple approbation d'un rapport présenté par le Gouvernement- un vote sur les choix et les orientations de santé et de sécurité sociale.
Mesdames, Messieurs,
La révision constitutionnelle du 22 février 1996 instituant les lois de financement de la sécurité sociale a posé dans notre Constitution les bases d'un édifice dont le législateur organique doit aujourd'hui parfaire la construction.
Ainsi qu'il est désormais prévu par l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution :
« Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » .
Ce texte, intentionnellement formulé en termes assez généraux, a pour objet d'associer le Parlement aux choix fondamentaux intéressant l'équilibre financier de la sécurité sociale, domaine qui lui échappait presque entièrement alors même que l'ampleur des budgets sociaux dépasse celle du budget de l'État.
La révision constitutionnelle -comme la loi organique qui doit la prolonger- concrétisent l'engagement pris par le Premier ministre, M. Alain Juppé, lors de sa déclaration de politique sociale du 15 novembre 1995, de permettre au Parlement « d'exercer des responsabilités qui doivent être les siennes dans ce domaine » , pour reprendre les termes de l'exposé des motifs du présent projet de loi organique.
Pour autant, la révision constitutionnelle n'a pas eu pour but, ni pour effet, de remettre en cause les principes de la gestion de la sécurité sociale, fondés sur le paritarisme, ou les compétences du Gouvernement en ce qui concerne la fixation du taux des cotisations.
De même, le Constituant n'a pas souhaité porter atteinte aux autres équilibres constitutionnels, notamment la compétence de la loi pour la détermination des principes fondamentaux de la sécurité sociale et celle de la loi de finances en ce qui concerne le budget de l'État.
Les lois de financement de la sécurité sociale constituent ainsi une nouvelle catégorie de lois, dotées d'une normativité sui generis, dont il convient d'assurer l'efficacité et de préserver la spécificité dans le respect, à la fois des autres principes prévus par la Constitution et des règles d'organisation et de fonctionnement de la sécurité sociale.
À cette fin, l'objectif essentiel du législateur organique doit être de rechercher l'exacte adéquation entre la Constitution et la loi organique chargée d'en préciser les conditions d'application.
En d'autres termes, il faut que la loi organique permette au Parlement d'exercer pleinement les compétences nouvelles qui lui sont reconnues, mais demeure dans les limites strictes de l'habilitation constitutionnelle.
Tel est le cadre dans lequel le législateur organique doit aujourd'hui définir « les conditions et les réserves » applicables aux lois de financement de la sécurité sociale.
Car ce sont bien ces conditions et ces réserves qui traceront les contours exacts de l'association du Parlement aux choix intéressant l'équilibre financier de la sécurité sociale.
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Saisie du projet de loi organique (n° 334) adopté par l'Assemblée nationale, votre commission des Lois a décidé d'examiner conjointement la proposition de loi organique (n° 344) déposée sur le même sujet par M. Charles Descours et plusieurs de ses collègues.
Avant même d'aborder le contenu du texte en discussion, trois remarques s'imposent.
On doit tout d'abord se féliciter que le projet de loi organique ait été déposé dès le 27 mars 1996 sur le Bureau de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire moins de cinq semaines après le vote de la révision.
Ainsi les délais annoncés par le Premier ministre lors du Congrès à Versailles ont été respectés.
En second lieu, votre commission des Lois tient à souligner l'importance toute particulière que ce texte revêt pour le Sénat.
En effet, les débats sur la révision constitutionnelle établissent sans la moindre ambiguïté que la loi organique, du fait qu'elle comporte des dispositions concernant le Sénat, doit être regardée dans son ensemble comme relative au Sénat au sens de l'article 46, alinéa 4, de la Constitution, ainsi qu'en est convenu le Gouvernement.
Comme l'a rappelé le Président Jacques Larché, à l'issue de l'audition par votre commission des Lois de M. Jacques Barrot, Ministre du Travail et des Affaires sociales, cette loi organique devra donc être votée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, la navette étant appelée à se poursuivre jusqu'à ce que leurs points de vue respectifs soient parfaitement conciliés, tant sur le contenu des lois de financement que sur leur procédure d'élaboration.
En d'autres termes, le Sénat pourra exercer sur ce texte le même plein pouvoir d'appréciation que celui dont il disposait lors de l'examen du projet de révision constitutionnelle.
De cette sorte, certaines interrogations qui avaient pu se manifester çà ou là lors du débat de révision au Sénat pourront trouver les réponses adéquates qu'il n'était pas utile, ni souhaitable, de faire figurer dans le texte même de la Constitution.
En troisième lieu, la révision constitutionnelle du 22 février 1996, en se limitant à définir quelques principes généraux -tant sur le fond qu'en matière de procédure- a confié pour l'essentiel au législateur organique le soin de préciser, voire de créer un régime juridique entièrement nouveau.
Or ce régime devra tenir compte de façon réaliste et pragmatique des conditions de fonctionnement de chacune des deux assemblées du Parlement.
Compte tenu du dépôt du projet de loi de financement sur le Bureau de l'Assemblée nationale et d'un examen de cette loi en automne -et non au printemps, comme l'ont préconisé à plusieurs reprises certains de nos collègues, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale- le projet du Gouvernement conduit tout naturellement les assemblées à s'interroger sur la conciliation de l'examen de la loi de finances et celui de la loi de financement, tous deux enserrés dans des délais constitutionnels stricts.
Là encore, cette conciliation revêt une très grande importance car un trop grand empiétement d'un des deux débats sur l'autre pourrait empêcher le Parlement d'exercer dans des conditions satisfaisantes les compétences que lui reconnaît la Constitution, tant sur les finances de l'État qu'en ce qui concerne désormais l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Il convient aussi que l'examen de la loi de financement ne soit pas un facteur de surcharge excessive de la séance publique, un des objectifs de la session unique étant au contraire d'aménager dans un sens plus rationnel le travail parlementaire.
Ainsi qu'il a été dit lors de la révision constitutionnelle, la loi de financement de la sécurité sociale devra donc être une loi brève, centrée sur l'essentiel.
Si tel n'était pas le cas, la loi de financement perdrait de sa lisibilité alors que le Constituant l'a au contraire conçu comme un texte permettant au Parlement d'exprimer de la manière la plus claire les choix importants déterminant l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Quant aux débats en séance publique, ils devront être contenus dans une durée raisonnable, ce qui suppose que le texte soumis à la délibération des assemblées ne donne pas prise à une profusion d'amendements qui n'auraient pas de rapport direct avec l'objet de la loi de financement, c'est à dire l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Faute de quoi, il y aurait tout lieu de craindre une certaine confusion du débat et, en définitive, une désorganisation du calendrier parlementaire en automne.
L'Assemblée nationale, qui partage ce point de vue, a recherché les moyens de prévenir ce risque, notamment en définissant de façon plus stricte les conditions de recevabilité des amendements aux lois de financement de la sécurité sociale.
Loin de remettre en cause cette démarche, votre commission des Lois s'est attachée à la poursuivre, tout en s'efforçant de la rendre pleinement compatible avec les contraintes propres au Sénat.
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À l'Assemblée nationale, le projet de loi organique a été examiné par une commission spéciale, présidée par M. Adrien Zeller.
Cette commission spéciale a d'ailleurs succédé à une mission d'information commune mise en place aussitôt après la révision constitutionnelle, en vue de réfléchir à ses modalités de mise en oeuvre.
Votre rapporteur se doit de saluer les travaux approfondis de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, retracés dans le remarquable rapport de M. André Fanton.
Au Sénat, en revanche, le projet de loi organique a été envoyé à votre commission des Lois, car elle dispose en matière organique d'une sorte de compétence naturelle, les lois organiques n'étant au fond que le prolongement des lois constitutionnelles.
Votre commission des Lois tient à se féliciter de ce que M. Jean-Pierre Fourcade, Président de la commission des Affaires sociales, et M. Christian Poncelet, Président de la commission des Finances, n'aient pas demandé sur ce projet de loi organique la saisine pour avis de leur commission.
L'expérience enseigne en effet que la multiplicité des avis sur un même texte ne contribue pas toujours à clarifier le débat en séance publique.
Mais bien entendu, en raison de la nature des dispositions en cause, il était indispensable que ces deux commissions permanentes soient parties prenantes à la réflexion de votre commission des Lois.
Tant la commission des Affaires sociales que la commission des Finances lui ont à cet égard apporté leur concours éclairé et précieux.
C'est ainsi qu'ont participé à la réunion de votre commission des Lois, outre les Présidents Jean-Pierre Fourcade et Christian Poncelet, pour la commission des Affaires sociales, Mme Michelle Demessine et MM. Charles Descours, Simon Loueckhote et Charles Metzinger, et pour la commission des Finances, M. Alain Lambert, rapporteur général, Mme Marie-Claire Beaudeau et MM. Jacques Oudin et Alain Richard.
Votre rapporteur voit dans cette démarche pragmatique un exemple d'excellente coopération entre trois commissions permanentes, permettant d'améliorer la qualité du travail parlementaire.
I. L'OBJECTIF DU CONSTITUANT : INSTITUER UNE PROCÉDURE PERMETTANT AU PARLEMENT DE SE PRONONCER CHAQUE ANNÉE SUR L'ÉQUILIBRE FINANCIER PREVISIONNEL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE « DANS LES CONDITIONS ET SOUS LES RÉSERVES PRÉVUES PAR UNE LOI ORGANIQUE »
Les débats sur la révision constitutionnelle du 22 février 1996 sont si récents qu'ils n'appellent pas de longs développements dans le présent rapport.
Tout au plus convient-il de rappeler que cette révision a eu pour but de mieux associer le Parlement aux décisions intéressant l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Le Constituant n'a cependant pas souhaité préciser dans le détail les modalités de cette association.
Il s'est, pour l'essentiel, limité à créer une nouvelle catégorie de lois -les lois de financement de la sécurité sociale- et à en fixer les modalités générales d'élaboration, telles qu'elles sont prévues par l'article 47-1 de la Constitution.
Pour le reste, il a confié au législateur organique le soin de préciser le contenu des lois de financement et le détail des procédures.
A. L'INTERVENTION DU PARLEMENT SUR LES CONDITIONS GÉNÉRALES DE L ÉQUILIBRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE : UNE NÉCESSITÉ D'ÉVIDENCE QUI IMPOSAIT UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE
Pour reprendre l'expression imagée de M. André Fanton, rapporteur de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, le premier mérite de la révision constitutionnelle est d'« en finir avec le silence du Parlement » .
La nécessité d'une intervention régulière des représentants de la Nation dans un domaine aussi essentiel que la protection sociale a été ressentie il y a déjà fort longtemps, notamment à partir de 1974, avec la généralisation progressive de la sécurité sociale et l'augmentation constante des masses financières enjeu.
Votre rapporteur ne croit pas nécessaire d'aligner à nouveau les chiffres de la sécurité sociale, qui dépassent largement ceux du budget de l'État.
Il renvoie, sur ce point, aux différents documents publiés par chacune des deux assemblées, notamment deux remarquables rapports d'information, l'un « sur l'avenir de la protection sociale et la place du Parlement dans sa définition » , présenté au nom de la commission des Affaires sociales du Sénat par M. Charles Descours, l'autre « sur les aspects financiers de la protection sociale » , présenté par M. Jacques Oudin au nom de la commission des Finances du Sénat, ainsi que les rapports budgétaires que celui-ci présente chaque année sur les crédits du ministère des Affaires sociales.
Or, en dépit de l'importance considérable des enjeux, il se trouve qu'avant la révision constitutionnelle de février 1996, aucune procédure ne permettait de répondre à cette préoccupation maintes fois exprimée.
D'où l'insuccès des nombreuses tentatives entreprises dans ce domaine depuis 1974.
On doit rappeler à cet égard l'annulation par le Conseil constitutionnel de la loi organique adoptée par le Parlement le 8 décembre 1987, sur une initiative de notre regretté collègue Michel d'Ornano, alors président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale.
Le législateur organique, animé par le même souci que le Constituant de 1996, avait en effet prévu que le Parlement soit saisi chaque année d'un « projet de loi sur les finances sociales » portant approbation d'un rapport sur les comptes prévisionnels des régimes obligatoires de base.
Or, le Conseil constitutionnel, auquel cette disposition avait été soumise -comme le sont toutes les lois organiques en application des articles 46 et 61 de la Constitution- avait estimé qu'elle était afférente à la procédure législative et qu'elle échappait donc à la compétence ouverte à la loi organique par le dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution.
En d'autres termes, sans révision constitutionnelle, il aurait sans doute été possible d'instituer les lois de financement de la sécurité sociale, mais pas de doter d'une procédure particulière d'élaboration ni même de prévoir que le Parlement aurait à en connaître chaque année.
Or, comme l'a souligné le Premier ministre, M. Alain Juppé, devant le Congrès du Parlement, le 19 février 1996 :
« Permettre au Parlement de se prononcer chaque année sur le financement de la sécurité sociale est à la fois une nécessité démocratique et la condition de l'instauration d'un équilibre durable de notre système de protection sociale... Pour construire ce nouvel équilibre, il est essentiel que le Parlement puisse voter chaque année une loi de financement de la sécurité sociale » .
L'objet essentiel de la réforme étant précisément d'assurer un caractère régulier à l'intervention du Parlement, la révision constitutionnelle était la seule voie possible.
B. LE CONSTITUANT A INTENTIONNELLEMENT CONFIÉ AU LÉGISLATEUR ORGANIQUE LE SOIN DE PRÉCISER L'ÉTENDUE ET LES MODALITÉS DE L'INTERVENTION DU PARLEMENT
La révision constitutionnelle du 22 février 1996 a levé l'obstacle de procédure qui avait empêché jusqu'à présent les assemblées de se prononcer régulièrement sur l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Mais comme l'observait votre rapporteur dans son rapport (n° 188) sur la révision constitutionnelle, « une fois débloqué le verrou de la procédure, le Parlement retrouve une pleine marge de manoeuvre pour compléter ou préciser par la voie organique les dispositions de l'article 34 de la Constitution relatives à la sécurité sociale. Dans cette optique, les lois de financement de la sécurité sociale deviendront un instrument constitutionnel dont le législateur organique aura toute latitude pour préciser l'usage ».
C'est pourquoi, dans son antépénultième alinéa, tel qu'il résulte de la révision constitutionnelle du 22 février 1996, l'article 34 de la Constitution ne définit qu'en termes très généraux le contenu des lois de financement de la sécurité sociale, c'est-à-dire l'objet même sur lequel le législateur exercera désormais sa nouvelle compétence.
Selon cet alinéa, en effet, « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses » .
Pour le reste, ce principe doit être mis en oeuvre « dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » .
Les options du législateur organique quant au contenu exact des lois de financement seront donc exprimées dans ces « conditions » et ces « réserves » qu'autorise la Constitution.