N° 363
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 15 mai 1996.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE AVEC MODIFICATIONS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE, tendant à favoriser l'expérimentation relative à l 'aménagement et à la réduction du temps de travail et modifiant l'article 39 de la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle,
Par M. Louis SOUVET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Mme Michelle Demessine, MM. Claude Huriet, Charles Metzinger, Bernard Seillier, Louis Souvet, vice-présidents ; Jean Chérioux, Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jacques Machet, secrétaires ; José Balarello, Henri Belcour, Jacques Bialski, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Philippe Darniche, Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac, Roland Huguet, André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Simon Loueckhote, Jean Madelain, Michel Manet, René Marques, Serge Mathieu, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Louis Philibert, André Pourny, Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, André Vézinhet.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (l0ème législ.) : Première lecture : 2325, 2360 et T.A. 417.
Deuxième lecture : 2567, 2670 et T.A. 513.
Sénat : Première lecture : 94 , 205 et T.A. 76 (1995-1996).
Deuxième lecture : 301 (1995-1996).
Travail.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 15 mai 1996, sous la présidence de M. Jacques Bimbenet, vice-président, la commission a procédé à l'examen en deuxième lecture du rapport de M. Louis Souvet sur la proposition de loi n° 301 (1995-1996), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, tendant à favoriser l'expérimentation relative à l'aménagement et à la réduction du temps de travail et modifiant l'article 39 de la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle.
M. Louis Souvet, rapporteur, a tout d'abord observé que la proposition de loi revenait en deuxième lecture presque dans les mêmes termes qu'en première lecture, l'Assemblée nationale n'ayant tenu aucun compte des positions du Sénat.
Il a rappelé qu'elle visait à assouplir le dispositif de l'article 39 de la loi quinquennale instituant sur un « aménagement-réduction » du temps de travail en contrepartie d'embauches et que la commission avait manifesté certaines réserves sur cette proposition de loi, au point de la modifier en profondeur.
M. Louis Souvet, rapporteur, a alors énuméré les divergences entre les deux Assemblées : 10 % de réduction de la durée initiale de travail pour le Sénat, 15 % pour l'Assemblée nationale, pourcentage d'embauches de 5 % de l'effectif initial pour le Sénat, de 10 % pour l'Assemblée ; modulation du taux d'exonération de charges sociales entre 30 et 50 % pour la première année et 20 et 30 % les années suivantes pour le Sénat ; taux fixe de 50 % la première année et de 30 % les années suivantes pour l'Assemblée nationale.
Le Sénat souhaitait en outre que ce dispositif s'accompagne d'une réduction des salaires, l'Assemblée nationale préférant laisser une telle initiative aux partenaires sociaux. Enfin, le Sénat avait prévu une durée d'exonération de cinq ans, alors que l'Assemblée nationale avait opté pour une durée de dix ans.
Le rapporteur a alors indiqué que pour tenter d'aplanir ces divergences, les présidents Jean-Pierre Fourcade et Gilles de Robien avaient pris l'initiative de provoquer une réunion avec les rapporteurs et plusieurs de leurs collègues sénateurs et députés pour tenter de dégager une position commune.
Ce groupe de travail, après avoir constaté la nécessité d'une intervention législative, a trouvé un accord sur les bases suivantes : 10 % de réduction de temps de travail, 10 % d'augmentation des effectifs, pas d'augmentation de la masse salariale, maintien du nouvel effectif pendant deux ans et poursuite du droit à exonération pendant encore cinq ans, les taux de l'exonération étant fixés à 40 % la première année et 30 % les années suivantes.
M. Louis Souvet, rapporteur, a toutefois précisé que ses propositions d'amendements dépassaient le cadre de cet accord, d'une part pour tenir compte des incidences financières du dispositif telles qu'elles apparaissaient après simulation des effets sur sept ans, d'autre part, pour tenir compte d'informations d'origine gouvernementale relatives à l'état des négociations de branche en cours sur l'aménagement du temps de travail. De nombreux projets d'accord écartent, par exemple, la notion d'annualisation pour s'en tenir à des modulations plus souples.
Par ailleurs, il semblerait souhaitable de permettre au dispositif de s'appliquer hors accord d'entreprise à condition qu'il existe un accord de branche, afin de tenir compte des nombreuses entreprises qui n'ont pas de délégués syndicaux.
Enfin, un problème se pose à propos du cumul des exonérations de charges sociales prévues dans le présent texte avec celles portant sur les bas salaires, dans la mesure où le total peut dépasser, ainsi que l'a montré la mise en oeuvre des aides au secteur textile, 100 % des charges sociales patronales. Plutôt qu'un écrêtement des exonérations, difficile à mettre en oeuvre, la solution consisterait à permettre l'imputation du montant total des exonérations sur l'ensemble des cotisations sociales patronales.
Le rapporteur a alors indiqué que ces informations l'avaient conduit à proposer une série d'amendements complétant l'accord du groupe de travail Assemblée nationale - Sénat.
Il a ensuite présenté les simulations des coûts financiers de ce dispositif réalisées à partir des critères retenus par le groupe de travail, ainsi que sur une hypothèse de 15 % de réduction du temps de travail, 15 % d'embauché, 50 % d'exonération de charges sociales la première année et 40 % les années suivantes ; cette hypothèse reprend certaines préoccupations des députés et se rapproche du dispositif de modulation adopté par le Sénat en première lecture. De ces simulations, il ressort notamment que l'hypothèse « 15-15-50-40 » reste acceptable pour l'entreprise dès lors que le salaire d'embauché est inférieur au salaire moyen de l'effectif initial. En conséquence, le rapporteur a annoncé un amendement permettant aux partenaires sociaux de choisir entre cette formule et la formule retenue par le groupe de travail (« 10-10-40-30 »).
Il a également indiqué que, dans la mesure où la masse salariale ne variait pas dans des proportions notables, il lui paraissait préférable de ne plus poser d'obligation de maintien du niveau de cette masse salariale ou de réduction de salaire et qu'il appartiendrait aux partenaires sociaux de se prononcer sur cette question.
M. Louis Souvet, rapporteur, a ensuite exposé les coûts de ce dispositif pour le budget de l'État dans différentes hypothèses. Il a indiqué que le coût annuel de chaque emploi créé oscillait entre 105.652 francs et 161.040 francs, coût correspondant sensiblement à celui d'un chômeur.
Il a cependant observé que ces coûts pouvaient augmenter de façon importante au cas où les emplois créés ne seraient pas maintenus pendant les sept ans. C'est pourquoi il a proposé un dispositif de suppression progressive de l'exonération au cas où les emplois nouvellement créés seraient supprimés.
Enfin, il a précisé que les amendements qu`il proposait ne portaient que sur les articles premier et premier bis ; les autres articles modifiés par l'Assemblée nationale, dans un but de coordination, pouvant être adoptés sans modification.
M. Jean Chérioux, jugeant intéressantes les simulations de coût, a souhaité savoir si les cotisations payées sur les créations d'emplois avaient été prises en compte dans le coût public, ce que lui a confirmé le rapporteur.
M. André Jourdain a observé que ce dispositif allait renchérir de façon importante les coûts de production de l'entreprise et s'est interrogé sur son applicabilité.
M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que les auteurs de la proposition de loi escomptaient de ce dispositif des gains de productivité afin de compenser les heures de travail supprimées.
M. Charles Metzinger s'est inquiété de la disparition du caractère expérimental du dispositif et a indiqué que les modifications proposées à la suite du compromis élaboré par le groupe de travail supposeraient que l'on prenne le temps de les étudier. Il a également considéré que cette proposition de loi arrivait trop tôt alors que les partenaires sociaux étaient en cours de négociations.
M. Louis Souvet, rapporteur, a précisé que le caractère expérimental de l'article 39 de la loi quinquennale avait été supprimé par les députés et que le groupe de travail avait maintenu cette suppression, mais que l'article 3 de la proposition de loi prévoyait un bilan du dispositif après deux ans. Il a également rappelé que les négociations en cours semblaient s'enliser, alors que les entreprises étaient fortement demanderesses d'incitations à la réduction du temps de travail.
M. Guy Fischer s'est inquiété de voir les emplois créés dans ces conditions consommer plus de richesse qu'ils n'en produisaient, ce qui n'était sans doute pas opportun au moment où certains songent à remettre en cause les aides à l'emploi. Pour lui, la proposition de loi s'appuie sur un constat d'échec en matière de lutte contre le chômage, et il considère qu'elle ne résoudra en aucune façon ce problème. Il s'y est donc déclaré opposé.
M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que, pour évaluer le coût réel de ces créations d'emplois, il fallait prendre en considération, d'un côté, les effets négatifs induits du chômage et, de l'autre, ceux positifs d'une reprise d'emplois.
M. Serge Franchis s'est félicité de la précision du dispositif proposé et de la réintroduction de la modulation de l'exonération en fonction des efforts de l'entreprise en matière d'emplois. Pour lui, ce texte permettra de sortir les négociations de l'enlisement. Puis, constatant que l'effort de l'État était considérable, il a souhaité que les entreprises, d'une part, et les salariés, d'autre part, fassent eux-mêmes des efforts pour favoriser la création d'emplois et lutter ainsi contre les risques de fracture sociale.
M. Jean Madelain, soulignant l'intérêt des simulations chiffrées, a rappelé que ce texte favoriserait une relance des négociations d'autant plus nécessaire que la réduction du temps de travail, accompagnée d'embauches, constituait l'une des rares solutions encore envisageables au problème du chômage.
M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé qu'il convenait cependant d'avancer dans cette voie avec prudence pour ne pas mettre les entreprises et l'économie en difficulté.
La commission a alors procédé à l'examen des articles et des amendements suggérés par le rapporteur.
À l'article premier (exonération des cotisations sociales patronales en contrepartie d'une réduction collective du temps de travail et d'embauches), la commission a adopté sept amendements.
Le premier, sur lequel M. Charles Metzinger a manifesté un accord de principe, vise à reprendre les conclusions du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat, à instaurer une alternative : accord de branches ou accord d'entreprises et à supprimer la référence obligatoire à l'annualisation du temps de travail.
Le deuxième amendement permet, d'une part, le cumul des exonérations et le report des excédents sur le total des cotisations sociales patronales, d'autre part, fixe les taux d'exonération de cotisations sociales patronales à 40 % la première année, et à 30 % les années suivantes.
Le troisième amendement abaisse la durée de l'exonération de 10 à 7 ans, M. Jean Madelain jugeant cette disposition essentielle et M. André Jourdain considérant la durée de 7 ans encore trop importante.
Le quatrième amendement offre aux partenaires sociaux une alternative en proposant des taux d'exonération de 50 % la première année, et de 40 % les années suivantes, en cas de réduction de la durée collective du travail de 15 % et d'augmentation de l'effectif également de 15 %. M. Charles Metzinger s'est inquiété de voir, à cette occasion, députés et sénateurs négocier à la place des partenaires sociaux.
Le cinquième amendement ramène de 3 ans à 2 ans la durée de l'obligation de maintenir le nouvel effectif.
Le sixième amendement prévoit un dispositif de suppression progressive de l'exonération au cas où le nouvel effectif ne serait pas maintenu, M. André Jourdain jugeant cette disposition essentielle.
Le septième amendement est de coordination.
La commission a alors adopté cet article ainsi modifié.
A l'article premier bis (exonération des cotisations sociales patronales en cas de réduction collective du temps de travail destinée à éviter des licenciements économiques), la commission a adopté un amendement destiné à permettre le cumul des différentes exonérations de charges sociales et de fixer les taux de réduction du temps de travail et de charges sociales dans la loi plutôt que dans un décret.
Cet article a donné lieu à un large débat.
M. Charles Metzinger s'est inquiété des effets d'aubaine que pouvait susciter ce dispositif destiné à éviter des licenciements.
M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé qu'il ne pouvait être mis en oeuvre que dans le cadre d'une convention conclue avec l'État, ce qui constituait une garantie.
Mme Joëlle Dusseau s'est déclarée réticente, dans la mesure où l'article risquait de faire passer au second plan le dispositif d'annualisation-réduction du temps de travail accompagnée d'embauches, objet essentiel de la proposition de loi.
M. Jean Madelain a considéré que les difficultés économiques d'une entreprise se mesuraient d'une façon objective et que l'inspection du travail était là pour veiller à ce que les aides de l'État ne soient pas détournées de leurs objectifs. Pour sa part, il a considéré que le dispositif proposé pouvait constituer un remède efficace aux licenciements. Il a également précisé que le Gouvernement, en proposant cette mesure, pensait aux difficultés du secteur de l'armement.
M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que les chefs d'entreprise vivaient mal, en général, les difficultés de leur entreprise ; ils ne les évoqueraient donc pas si elles n'étaient pas réelles.
M. Roland Huguet a rappelé que les directions départementales du travail et de l'emploi manquaient d'effectifs et ne pouvaient contrôler toutes les entreprises. Les risques de détournement des aides étaient donc réels.
La commission a alors adopté cet article, M. Charles Metzinger se prononçant contre.
Elle a ensuite adopté les articles 2 (cumul des exonérations), (bilan) et 4 bis (dispositions transitoires) sans modification.
Puis, elle a adopté un amendement modifiant l'intitulé de la proposition de loi pour tenir compte des ajouts successifs au texte.
Enfin, après intervention de M. André Jourdain, déclarant accepter le texte avec circonspection, la commission a adopté l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.