CHAPITRE DEUX - TROIS PISTES DE RÉFLEXION

Le projet de loi portant DDOEF est trop divers pour qu'il soit possible d'en récapituler l'ensemble des mesures autour de quelques idées-force. Votre rapporteur général souhaite toutefois consacrer une analyse spécifique à trois dossiers qui lui sont apparus particulièrement importants :

- le deuxième plan de relance du logement,

- la transmission des entreprises,

- la situation des entreprises publiques.

I. LE DEUXIÈME PLAN DE RELANCE DU LOGEMENT

Les différentes mesures proposées par le Gouvernement dans le Présent projet, et ses dispositions d'accompagnement, forment un deuxième plan de relance du logement après celui du mois de juillet dernier.

Malgré leur nombre et leur caractère disparate, ces mesures Procèdent de deux orientations fortes : un drainage de l'épargne vers le logement, l'aide au logement locatif privé.

Elles méritent d'être complétées, pour éviter notamment une différence de traitement trop marquée entre le logement neuf et le logement ancien que les fuites vers la consommation.

Mais, dans les circonstances présentes, votre rapporteur considère leur réussite comme très probable, et de nature à sortir le secteur du logement du marasme où il se trouve.

A. DEUX ORIENTATIONS FORTES

1. L'orientation de l'épargne vers le logement

Les mesures relatives à l'épargne-logement ainsi que l'exonération des plus-values de cession d'OPCVM de taux vont dans le sens d'un drainage de l'épargne vers le logement. A ce titre, elles accompagnent la réduction à 20 % de la quotité de travaux pour l'avance à taux nul. (6 ( * )).


• En matière d'épargne-logement, le Gouvernement propose un dispositif complet de cinq mesures tendant à accroître l'effet de levier de cette épargne.

La première est une mesure de déblocage anticipé des plans d'épargne-logement, qui peut notamment profiter aux travaux d'entretien et d'amélioration (article 13).

La seconde est une extension transitoire des prêts issus des plans aux résidences secondaires anciennes (article 14).

La troisième est une majoration de 20 % des droits à prêts sur PEL (article 15).

La quatrième est la possibilité d'utiliser les droits à prêts de façon fractionnée, et non en une seule fois (mesure d'ordre réglementaire).

La cinquième est un allongement de un à deux ans du délai permettant d'utiliser les droits à prêt après clôture du plan (mesure d'ordre réglementaire).


• Le dispositif d'exonération des plus-values de cession d'OPCVM de capitalisation investis en titres de taux est réactivé et modifié (article 16).S'agissant des logements neufs ou anciens, des travaux de reconstruction, d'agrandissement ou de grosses réparations, l'exonération des cessions est désormais déplafonnée et court jusqu'au 31 décembre 1996.

2. L'aide au logement locatif privé

La seconde orientation forte du projet est en faveur du logement locatif privé. La réduction des aides à la pierre en 1995, en particulier à l'égard du parc locatif social, était fondée sur l'espoir d'un relais pris par les investisseurs privés. Ce relais n'a pas eu lieu.

L'enquête logement de 1992 a démontré que les bailleurs privés Pouvaient revenir sur le marché dès lors qu'ils y étaient incités (1) 7 ( * ) Le parc locatif privé a ainsi progressé de 341.000 unités entre 1988 et 1992, grâce à la croissance économique, mais aussi grâce au régime Quilès-Méhaignerie.

Malheureusement, il est très probable que le parc privé ait, depuis 1992, repris son érosion momentanément interrompue.

Le Gouvernement tente donc de déclencher une nouvelle vague d'investissements en logements locatifs, par quatre mesures.

• La première consiste à autoriser l'amortissement des logements locatifs neufs, selon un dispositif inspiré de la reconstruction de l'Allemagne de l'Est. Ce système est remarquable pour deux raisons. D'une part, il accroît très fortement la rentabilité après impôt du logement locatif neuf. Votre rapporteur a évalué cet accroissement grâce à un modèle qu'a mis au point l'Observatoire foncier et immobilier du Crédit foncier de France pour la commission des finances. Par rapport au système Quilès-Méhaignerie, le gain peut aller jusqu'à deux points de taux de rendement (article 16 ter). D'autre part il met la fiscalité du logement locatif sur la voie de la modernisation, en tendant à la rendre plus proche de la réalité.

• La seconde est l'allongement du délai de report d'imputation des déficits fonciers sur le revenu global, qui passe de cinq à dix ans (article 16 quinquies).

• Les deux dernières mesures sont particulièrement destinées au logement locatif intermédiaire.

Il s'agit, d'une part, d'une modification du régime fiscal de investissement locatif dans les départements et territoires d'outre-mer, destinée à favoriser le logement intermédiaire (article 16 sexies).

Il s'agit, d'autre part, de la baisse du taux d'intérêt du livret d'épargne populaire à 4,75 %, ouvert à une clientèle plus vaste, combinée avec une importante simplification du prêt locatif intermédiaire (réforme réglementaire), qui devrait permettre à la fois de baisser le taux d'intérêt du PLI et le rendre plus accessible (article 16 nonies). Dans cette optique, on peut estimer que le taux du livret d'épargne populaire n'a pas baissé suffisamment.

Par ailleurs, votre rapporteur souhaite rappeler les mesures d'accompagnement du présent projet, mais qui n'entrent pas dans son cadre : la baisse du taux du livret A, qui doit réduire à 4,8 % le taux des prêts locatifs aidés ; l'extension de l'avance à taux nul aux logements de plus de 20 ans sous quotité de 20 % de travaux ; enfin, l'augmentation de 200 millions de francs de la prime à l'amélioration de l'habitat.

Votre rapporteur salue cet ensemble de mesures, souvent très novateur. Il devrait renforcer l'efficacité des dispositifs d'aide au logement, pour un coût budgétaire réduit si on le place en regard de la puissance des leviers ainsi constitués.

B. DEUX LACUNES A COMBLER

Satisfaite dans l'ensemble des mesures proposées en faveur du logement, votre commission relève néanmoins deux insuffisances : un risque de solution de continuité entre les marchés du neuf et de l'ancien ; une fuite des flux d'épargne vers la consommation.

1. La solution de continuité entre le logement neuf et le logement ancien

Le premier collectif de 1995 avait laissé entrevoir une réorientation de la politique du logement en faveur du logement ancien, qui tiendrait compte, dans un parc dont la reconstruction a commencé il y a plus de cinquante ans, de l'importance économique du logement ancien ou récent, et de la supériorité de la valeur ajoutée de la réhabilitation sur celle de la construction neuve depuis quelques temps. (1)8 ( * )

La réduction des droits de mutation à titre onéreux (35 % des parts régionale et départementale) et l'augmentation de la déduction forfaitaire (de 10 % à 13 %) paraissaient montrer la voie.

Le présent projet prend le chemin inverse.

Certes, il serait inexact de considérer qu'il ne comprend que des mesures en faveur de la construction : l'extension des prêts principaux d'épargne-logement aux résidences secondaires existantes, l'exonération des plus-values de cession d'OPCVM pour l'acquisition de logements et l'augmentation du délai de report d'imputation du déficit foncier sur le revenu global prouvent le contraire.

Cependant, toutes ces mesures sont dominées par le nouveau régime d'amortissement, qui permet de déduire de son revenu imposable 40 % de la valeur d'un bien en quatre ans. Désormais, sur le marché du logement locatif, la différence de traitement fiscal entre le logement neuf et le logement ancien entraîne une différence de rendement qui peut atteindre quatre points après impôt. Un risque de solution de continuité apparaît sur ce marché : les logements locatifs anciens seront délaissés, il y aura vraisemblablement une augmentation de l'écart de prix, et la décote sur les biens ayant bénéficié de l'amortissement sera forte.

Cette rupture au sein du marché du logement peut accroître les difficultés des centres-ville au profit des périphéries, où la charge foncière est plus faible.

C'est pourquoi votre commission vous propose une extension du régime d'amortissement aux logements anciens nécessitant de gros travaux, afin de conforter l'impact économique de la mesure, tout en évitant la segmentation du marché.

2. Les fuites vers la consommation

Votre commission considère que les mesures en faveur du logement suffiraient, par effet d'entraînement, à relancer la consommation. Un achat de logement entraîne toujours des acquisitions accessoires multiples.

C'est pourquoi elle n'est pas favorable à la dilution de l'impact de certaines mesures par des fuites en faveur de la consommation.

Ainsi, si elle est favorable à l'utilisation des plans d'épargne-logement qui n'ont pas atteint leur maturité en faveur de travaux d'entretien ou d'amélioration des résidences principales, elle est plus réservée sur leur emploi en faveur de biens d'équipement ménager. En effet, pendant la fenêtre de déblocage anticipé des plans, du 1er janvier au 30 septembre 1996, les plans ouverts par anticipation ne pourront pas être affectés à leur usage habituel. Dès lors, il y a un risque de voir réduire les achats de logements futurs au profit de l'achat immédiat de biens de consommation.

Il en est de même de la mesure d'exonération des plus-values de cession d'OPCVM de trésorerie. Ces valeurs sont précisément faites pour financer la consommation. Il y a une logique à encourager fiscalement la conversion d'une épargne courte en épargne longue, mais pas d'une épargne courte en consommation. Le maintien d'un seuil de cessions exonérées fixé à 50.000 francs aurait été plus approprié.

C. UNE RÉUSSITE TRÈS PROBABLE

La situation du marché du logement est mauvaise. La construction neuve a baissé en 1995. Les transactions et les prix ne se sont pas redressés dans l'ancien.

Mais, les premiers effets des mesures prises à l'été 1995 commencent à apparaître, ainsi qu'en témoignent les 28.500 prêts sans intérêt accordés au quatrième trimestre 1995. Les facteurs de reprise se réunissent peu à peu.

Dans ces conditions, votre rapporteur considère comme très probable la réussite du nouveau plan du Gouvernement.

1. Un plan motivé par une situation très difficile

Un regard rétrospectif sur l'année 1995 conduit à constater que les mesures prises pendant l'été n'ont pas encore porté tous leurs fruits.

La construction neuve s'est établie à 285.900 mises en chantier, alors qu'on pouvait espérer atteindre la crête des 300.000 à la fin du troisième trimestre.

Mais, le phénomène le plus inquiétant est l'effondrement des autorisations de construire depuis le troisième trimestre. Avec 311.800 permis de construire délivrés, l'année 1995 se révèle plus mauvaise que 1993 (325.700), qui avait été la pire depuis 1954 pour les mises en chantier (256.800). Or, les autorisations sont un indice fortement précurseur de la construction, notamment pour le logement individuel sur lequel s'était fondée la relance de 1994.

la construction de 1990 à 1995 (milliers de logements)

Source : ministère du logement - SICLONE -

Le marché du logement ancien n'est guère plus brillant. La Chambre des notaires de Paris observe une érosion lente mais continue des prix : 1,5 % dans Paris au troisième trimestre 1995 par rapport au deuxième trimestre ; 1% dans l'ensemble de l'Ile-de-France. Les transactions ont chuté de 19 % sur Paris et petite couronne au troisième trimestre.

L'Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne note qu'un tiers des logements reloués dans Paris voient leurs loyers baisser et que de 1991 à 1995, les loyers des grands appartements ont baissé de 10 % dans la capitale.

Sur la France entière, la FNAIM a observé en 1995 une baisse continue des logements proposés à la vente. Sur une base 100 en 1992, on atteint 110,5 fin 1995 contre 115 fin 1994. Les prix proposés au mètre carré ont baissé de 1,5% en 1995.

2. Des circonstances favorables

Malgré ce constat très morose, la FNAIM observe que le pouvoir d'achat en logements anciens des ménages continus de progresser.

Indicateur synthétique de la solvabilité des ménages (base 100, décembre 1992)

Les taux d'intérêt sont désormais très bas. Il n'est pas rare de pouvoir emprunter pour se loger à un taux compris entre 7 % et 8 %.

Surtout, une "mini révolution" se profile sur le marché des produits de patrimoine.

Pour la première fois depuis bien longtemps, le logement de rapport retrouve une place compétitive parmi les différents produits d'épargne. Deux raisons en sont à l'origine.

D'une part, hors de toute considération fiscale, la baisse des taux d'intérêt à court et long terme est défavorable aux placements de taux. Ainsi, les taux à court terme, dont peuvent bénéficier les particuliers au travers des OPCVM de trésorerie ou des placements défiscalisés, se situent entre 2,5 % et 3,5 %. Les taux à long terme varient de 6 à 7 %. Compte tenu de la déprime persistante des prix, les logements peuvent procurer un rendement brut de l'ordre de 4 à 6 %, voire davantage. Il y a quatre ou cinq ans, ce type de placement ne pouvait pas rivaliser avec les placements de taux, qui sont sans risque, sans contrainte de gestion, et qui rapportaient de 9 à 11 %.

D'autre part, le Gouvernement a opéré depuis trois ans un renversement d'optique fiscale, qui tend à favoriser incontestablement l'immobilier d'habitation par rapport aux autres formes de placement. La fiscalité immobilière n'a pas cessé de s'améliorer : augmentation de la déduction forfaitaire, imputation des déficits fonciers sur le revenu global, exonérations partielles de droit de mutation à titre gratuit, du taux d'abattement sur les plus-values, réduction des droits de mutation à titre onéreux. La fiscalité mobilière n'a, quant à elle, pas cessé de se détériorer : réduction des seuils de cession pour la prise en compte des plus-values (disparition du seuil pour les OPCVM de taux et de capitalisation et les comptes à terme), quasi-suppression des abattements sur le revenu, majoration de l'impôt sur les sociétés (pour les actions), quasi-suppression de la réduction d'impôt sur les contrats d'assurance-vie...

rendements comparés

(Source : Banque de France, INSEE, IEIF)

Il apparaît que toutes les conditions sont réunies pour favoriser des arbitrages patrimoniaux en faveur du logement locatif, neuf en Particulier.

Les mesures du présent projet qui ont pour effet à la fois de réduire le coût de financement des logements et d'en augmenter le rendement, s'insèrent dans ces circonstances favorables. Votre rapporteur estime donc très probable qu'elles aient une réelle efficacité.

* 6 Le Gouvernement estime l'effort budgétaire nouveau à ce titre entre 500 millions de francs et 1 milliard de francs en 1996.

* 7 Economie et statistique - n° 288-289 - 4 janvier 1996

* 8 En 1993, les travaux sur logements existants ont représenté une dépense de 98,1 milliards de francs, la construction neuve 83,1 milliards de francs (Source : Compte du logement)

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