B. UN ÉTAT IMPUISSANT ?
Selon le rapport Rosier, l'insuffisance des moyens mis à la disposition des directions départementales de l'Équipement (DDE) et des directions départementales des services fiscaux (DSF) les laisse dans l'impossibilité de gérer efficacement la zone, dont l'étendue n'a pas permis de réaliser une délimitation intégrale. De plus, l'insuffisance des moyens empêche l'administration de contrôler le phénomène de « squattérisation progressive » ( ( * )6) . Au surplus, les services de l'État ne peuvent pas traiter les demandes d'autorisation d'occupation ou de déclassement et de cession. Alors que la commission des cinquante pas géométriques de Martinique peut instruire environ 600 demandes de cession par an, elle est saisie de 1800 demandes. Les conséquences de cette impuissance à juguler le phénomène d'occupation sont préjudiciables à la bonne administration des DOM.
Les services de l'État sont démobilisés devant l'ampleur des problèmes à résoudre : les contraventions de grande voirie qui sanctionnent les atteintes portées au domaine public ne sont plus établies, les notifications de décisions ne sont plus effectuées par la police, tandis que les décisions de justice portant expulsion ne sont pas exécutées, « en raison du rôle de soupape de sûreté sociale reconnu à la zone des cinquante pas géométriques » ( ( * )7) . Les perspectives d'avenir ne sont guère plus encourageantes. Les moyens dont dispose actuellement l'administration (DDE, DSF, direction départementale de l'agriculture et de la forêt, DDAF), seraient certainement insuffisants pour faire face à la charge de travail occasionnée par la mise en oeuvre des dispositions de la loi « littoral ». Ainsi, la passation de conventions avec les communes, au rythme de 5 à 6 par an semble devoir nécessiter environ 5 ans.
C. LA VARIÉTÉ DES SITUATIONS DES OCCUPANTS DE LA ZONE DES CINQUANTE PAS GÉOMÉTRIQUES : LES INFORTUNES DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
Le décret n°55-885 prévoyait que les délais de prescription qui résultent des articles 2262 et 2265 du code civil, ne courraient qu'à compter de la date de clôture des opérations de délimitation de la zone. Or, l'arrêté ministériel portant clôture des opérations de délimitation ne vit jamais le jour, si bien que les occupants de parcelles de la zone des cinquante pas géométriques ne furent pas en mesure de faire jouer la prescription acquisitive ( ( * )8) .
Rappelons que la loi « littoral », en modifiant les articles L.87 et L.89 du code du domaine de l'État, rend possible le déclassement de terrains dans deux cas :
- en vue de leur cession aux occupants de bonne foi, lorsque ces terrains ne sont plus utiles à la satisfaction d'intérêts publics. Cependant l'article R 165 du code du domaine de l'État a restreint cette faculté aux terrains occupés en vertu d'un titre administratif de jouissance, ou sur lesquels les constructions ont été édifiées antérieurement à 1986.
- en vue de leur cession aux communes si les terrains sont compris dans un périmètre géré par celles-ci en vertu d'une convention passée en application de l'article L.51-1 du code du domaine de l'État, pour y procéder à des opérations d'aménagement.
Une « situation inextricable » résulte de la succession des strates législatives, pour plusieurs catégories d'occupants. On distingue en effet notamment parmi eux : ( ( * )9)
- les collectivités locales, occupants publics ;
- les particuliers occupants d'avant 1955 dont les titres n'ont pas été validés dans le délai d'un an institué par le décret de 1955;
- les occupants installés entre 1955 et 1986, qui bénéficient du régime prévu par l'article R. 165 du code du domaine de l'État : ils peuvent obtenir la cession des terrains à condition de les avoir occupés en vertu d'un titre administratif de jouissance tel qu'un bail ou une convention ;
- les occupants installés après 1986, qui sont des occupants sans titre.
La situation des occupants installés avant 1955 mais dont les titres n'ont pas été validés dans la délai d'un an prévu par le décret du 30 juin 1955, est particulièrement difficile. Ils ne sont pas juridiquement propriétaires puisque leurs titres n'ont pas été validés en 1955 et qu'ils n'ont pu, malgré l'ancienneté de leur occupation, faire jouer la prescription acquisitive.
On observe, en outre, que les occupants sans titre des terrains de la zone des cinquante pas ne peuvent ni les diviser, ni les céder, ni les transmettre à leurs ayants droits, ni les mettre en gage, alors même qu'ils acquittent des impôts tels que les droits d'enregistrement lors de mutations qui ne sont, au demeurant pas opposables à l'État.
* (6) Rapport précité p. 9.
* (7) Rapport précité p. 10.
* (8) Rapport précité p. 6.
* (9) On notera qu'à la Réunion la situation des occupants sans titre fut réglée par le décret du 13 janvier 1922 et qu'en Guyane le problème de l'occupation sans titre de la zone des cinquante pas ne se pose pas.