E. L'EXPLOSION DES DÉPENSES DU BUDGET ANNEXE
En réponse au questionnaire budgétaire, les responsables du budget annexe de l'aviation civile estiment que leur projet de budget "présente une évolution maîtrisée des dépenses de fonctionnement, l'effort étant concentré sur les emplois et les investissements" et d'en conclure que le projet de budget pour 1996 est "un projet de budget de rigueur au service de la qualité et de la sûreté du transport aérien".
Manifestement, le mot rigueur n'a pas le même sens partout car, avec une croissance de 6,2 %, les dépenses du budget annexe de la navigation aérienne enregistrent une augmentation très conséquente, semblable à celle d'un budget prioritaire.
Or, les enjeux d'une véritable maîtrise des dépenses du BAAC sont importants.
La part des charges résultant de l'accès aux systèmes de navigation aérienne dans l'ensemble des coûts d'exploitation des transporteurs aériens a beaucoup progressé et devient très significative.
Selon les chiffres de l'AEA elle est passée pour les services intra européens de 3,8 à 5,6 % entre 1986 et 1994 et peut même représenter jusqu'à 20 % du coût total pour les services régionaux.
Selon ses responsables, la croissance des coûts de navigation aérienne aura été, pour Air France, de 26 % entre 1990 et 1994 alors que le trafic n'a lui augmenté que de 4 % au cours de cette période. Les coûts du service de la navigation aérienne s'élèveraient ainsi à 30 % du budget carburant de la compagnie et à quelques 4,3 % de ses dépenses d'exploitation.
Pour Air Inter, la montée en charge du coût des redevances se révèle encore plus spectaculaire : leur coût aura été multiplié par 12 entre 1985 et 1994.
Mais les compagnies nationales ne sont pas les seules concernées puisque les compagnies étrangères financent 50 % du total du BAAC.
Face à ces données, les responsables de la DGAC ont coutume de mettre en avant deux arguments.
Le premier consiste à estimer que tant que le montant des investissements effectués dans les systèmes de navigation aérienne reste inférieur aux coûts supportés par les compagnies en raison des retards dus à ces systèmes ces investissements sont justifiés. Cet argument ne serait recevable que si des gisements de productivité ne pouvaient être mobilisés aux fins d'améliorer les performances du contrôle aérien où (et) que si les investissements réalisés étaient vraiment de nature à accroître les performances des systèmes.
Le deuxième argument consiste à mettre en valeur la modicité relative des taux unitaires de redevances pratiquées en France. Et d'en conclure que le système français serait moins coûteux que ceux de nos principaux voisins.
Mais il ne faut pas oublier que la valeur du taux unitaire des redevances dépend non seulement des coûts du service rendu, mais aussi du nombre d'unités de service mobilisés par le trafic.
Plus celles-ci sont nombreuses, plus le montant unitaire des redevances peut être faible. La France, en raison de l'étendue et de la localisation de son espace aérien, bénéficie naturellement d'un fort courant de trafic.
Selon la Direction de la navigation aérienne (DNA), le nombre des unités de service taxables y est de 43,15 millions (33,04 au titre de l'approche, 10,11 au titre de la redevance en route).
Pour la seule redevance de route, le nombre d'unités de service en France s'élèvent à 21 % du total de celles générées dans l'espace aérien d'Euro control. Par comparaison, la part des coûts du contrôle aérien en France dans le total des coûts du contrôle aérien dans les États adhérents à Euro control s'élève à 25 %.
Avec un nombre d'unités de service inférieur de 35 points au nôtre, l'Allemagne impose à ses usagers des redevances de route d'un taux unitaire supérieur de, seulement, 18 %. Si, dans ce pays, le nombre d'unités de service atteignait le niveau français, le taux unitaire des redevances de route y serait de 60,6 écus, à comparer avec un taux unitaire de 66 écus en France.
Il diminuerait en Allemagne de 18,4 écus et le taux unitaire y serait alors inférieur au taux français, l'écart étant de 5,4 écus.
La modicité des taux unitaires de redevance dans notre pays ne doit donc pas faire illusion. Elle ne sanctionne pas une meilleure efficience de la navigation aérienne en France. Elle n'est que la conséquence d'une valorisation d'un avantage géographique incomparable.
a). Une stabilisation des dépenses d'investissement à un haut niveau
Les dépenses d'investissement s'élèvent à 1,55 milliard de francs et augmentent de 3,4 % en crédits de paiement.
Suivant les réponses au questionnaire budgétaire, elles se décomposent comme indiqué ci-dessous :
"Navigation aérienne
Une enveloppe de 1.384 millions de francs en AP et 1.185 millions de francs en CP est prévue, soit des montants quasi identiques à ceux prévus en loi de finances initiale pour 1995 (1.399 millions de francs en AP et 1.139 millions de francs en CP).
Elle doit permettre
- la poursuite des opérations de rénovation d'équipement et de modernisation des centres de contrôle et des bâtiments techniques sur tous les types d'aérodromes ;
- la consolidation des programmes d'informatisation, notamment les gros projets CAUTRA, PHIDIAS et ELECTRA ;
- les études relatives à l'amélioration des moyens techniques (télécommunications, sûreté, nouveaux moyens de contrôle et d'aides à la navigation aérienne) ;
Contrôle technique
Les crédits relatifs aux équipements et aux études et essais sur la sécurité, la réglementation et le contrôle technique s'élèvent pour 1996 à 3,620 millions de francs en AP et en CP. Cette dotation est destinée à la poursuite des études liées à la sécurité aérienne.
Formation aéronautique
Les dotations proposées s'élèvent à 33 millions de francs en AP et 33 millions de francs en CP, contre 45 millions de francs en AP et 46 millions de francs en CP en loi de finances pour 1995. Cette diminution de près de 27 % est possible compte tenu de la baisse d'activité liée à la conjoncture du transport aérien et à la standardisation des types d'avions exploités. Cette enveloppe sera utilisée à la poursuite de la modernisation de la flotte, la reconstruction du bâtiment d'hébergement du centre de Carcassonne, à l'entretien et à la mise aux normes des centres de formation, notamment à Saint-Yan.
Bases aériennes
Un crédit de 600,744 millions de francs en AP et 312,944 millions de francs en CP est demandé contre 315 millions de francs en AP et 282 millions de francs en CP en loi de finances pour 1995. Cette ligne englobe une dotation de 262,5 millions de francs en AP et de 24,7 millions de francs en CP pour la construction du nouveau siège de la DGAC, qui devrait être financée par des cessions immobilières et être sans incidence sur les redevances.
Cette enveloppe prévoit également le financement des engagements de l'État et des contrats de plan pris à l'égard des collectivités locales, pour les travaux d'équipement des aérodromes de métropole et d'outre-mer.
Elle inclut les mesures de sûreté qui comportent, dans la perspective d'une mise en service avant l'an 2000 et en dehors des dépenses incompressibles liées aux actions en cours :
- la généralisation du contrôle d'accès sur les 34 plus grands aéroports commerciaux ;
- l'introduction du contrôle des bagages de soutes pour les internationaux.
Il apparaît que l'essentiel des crédits de la section des opérations en capital relatifs à des investissements concerne la navigation aérienne (75,4 %) et le service des bases aériennes (19,8 %).
S'agissant des opérations en capital retracées par l'agrégat "Bases aériennes", deux observations doivent être faites :
? il est, à tout le moins, étonnant que la construction du siège de la DGAC soit imputée à cet agrégat et non à l'agrégat "Direction générale" d'autant que le montant des crédits demandés représente près de la moitié des autorisations de programme ;
? il faut observer que, malgré les affirmations de la DGAC selon lesquelles la construction du siège sera sans incidence sur les redevances, les produits de cessions inscrits en recettes du budget annexe ne correspondent pas au coût estimé du siège de la DGAC en 1996 ce qui fait que l'équilibre du budget annexe peut être mis en doute.
Quant aux dépenses d'investissement prévues pour la navigation aérienne, leur accroissement est de 4 % par rapport à 1995 ce qui n'est pas exactement une reconduction à l'identique.
Crédits de paiement relatifs aux dépenses en capital de la navigation aérienne
En cinq ans, le montant des investissements se sera élevé à 4,88 milliards de francs dans le domaine de la navigation aérienne. Encore faudrait-il y ajouter :
- les dépenses d'investissement de Swisscontrol, de Jersey et de Météo France ;
- et les dépenses d'investissement d'Euro control.
A propos de ces dernières, il convient de citer le rapport de la Cour des Comptes qui faisait observer que la DGAC :
"Admet ne pas être à même d'exercer un contrôle réel sur les programmes d'investissement en cours dont le coût très élevé (7 milliards de francs pour la première phase dite "d'harmonisation"), actuellement financé grâce au recours à l'emprunt, et non encore répercuté sur les contributions des États membres, risque de peser lourdement dans un proche avenir".
Les conditions de financement de ces investissements - le taux d'autofinancement est inférieur à 50 % - ne sont pas satisfaisantes et devraient conduire à un alourdissement des charges financières du BAAC.
Les programmes d'investissement sont insuffisamment justifiés ainsi que l'observait le rapport de notre collègue Ernest Cartigny qu'il faut citer :
"Les projets CAUTRA-5 et Phidias sont des projets coûteux comme le montre le tableau qui suit.
Estimation du montant des investissements associés aux 3 premières phases du projet CAUTRA-5
Le projet CAUTRA-5 est un projet à très long terme, 2015, et est l'homologue français du programme EATCHIP d'Euro control.
La définition du stade ultime du schéma est encore, comme pour l'EATMS d'Euro control, un sujet de recherche.
On comprend mal ce qui justifie la redondance des efforts consentis pour construire le schéma de navigation aérienne du futur.
Il est impératif de rechercher une meilleure cohérence des dépenses d'investissement entre les programmes nationaux et les programmes européens.
Le programme Phidias a quant à lui été lancé sans étude préalable permettant d'en évaluer les coûts et avantages. D'une étude menée "a posteriori" on ne peut au demeurant guère tirer de conclusions établissant l'intérêt de Phidias. Il faut d'ailleurs observe que :
Ø la mise en oeuvre de Phidias va susciter d'importants besoins de qualification puisqu'un transfert de qualification sur Phidias sera nécessaire, ce qui ne manquera pas de poser des problèmes de personnel ;
Ø les personnels montrent semble-t-il quelques réticences à accepter une technologie qui, pourtant, améliore sensiblement leurs conditions de travail ;
Ø enfin, Phidias a été engagé sans considération pour les règles d'harmonisation européenne, ce qui pourrait avoir pour conséquence une obsolescence prématurée des investissements et n'est pas de nature à favoriser l'exploitation d'éventuelles retombées industrielles hors de nos frontières. "
b). Une explosion des dépenses de personnel
L'administration de l'aviation civile rend compte du climat social dans le contrôle aérien dans les termes qui suivent :
"La politique contractuelle mise en oeuvre depuis 1988 a permis de stabiliser le climat social dans le domaine de la Navigation Aérienne. Elle repose sur la signature tous les trois ans d'un protocole d'accord entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales.
L'année 1995 n'a pas connu de mouvements de grèves chez les Ingénieurs du Contrôle de la Navigation Aérienne.
Toutefois, un mouvement social touchant le corps des Ingénieurs Electroniciens de la Sécurité Aérienne a débuté par une journée de grève le 13 décembre 1994, préavis déposé par le Syndicat autonome des personnels de l'aviation civile (SA PAC), la CGT (Syndicats non signataires du protocole) ainsi que la CFDT.
A partir du 15 janvier 1995 et jusqu'à ce jour, 18 préavis de grève déposés par le SAPAC se sont succédés par période de 15 jours. Ces préavis de grève d'ampleur nationale ont parfois été accompagnés de préavis déposés au niveau local par l'USAC/CGT et la CFDT. Les principales revendications portent sur une revalorisation des régimes indemnitaires et un accroissement des recrutements. Le taux de participation à ce mouvement social est relativement faible, de l'ordre de 1 % environ, en raison d'une faible mobilisation des agents et d'une gestion réglementaire du conflit par l'utilisation des astreintes afin d'assurer la continuité du service public dans le cadre du service minimum prévu par la loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984.
Il est à noter que ce mouvement n'a pas de répercussion sur l'évolution du trafic.
Le dialogue social se poursuit cependant avec les syndicats concernés tandis qu'une mission d'expertise est menée sur les besoins en effectifs et les méthodes d'évaluation de ces derniers afin d'aboutir à une répartition optimale des effectifs. Les conclusions de ce rapport devraient être connues dans les jours prochains.
Les Techniciens des études et de l'exploitation de l'aviation civile ont eu recours à la grève à trois reprises : du 14 au 19 février 1995 (personnels du SARSAT), du 04 au 12 mars 1995 (Vigie annexe de Roissy) et du 10 au 16 août 1995 (Techniciens d'études et d'exploitation de l'aviation civile du corps de l'État pour l'Administration de la Polynésie française). Ces mouvements n'ont donné lieu à aucun accord spécifique et n'ont pas eu de conséquences mesurables sur le fonctionnement des services et sur l'écoulement du trafic. Toutefois, le préavis déposé par les Techniciens de l'aviation civile de Polynésie française a été largement suivi avec un taux de participation de 75 % ".
En première analyse, l'énumération des mouvements de grève qui la suit contraste singulièrement avec l'affirmation selon laquelle le climat social serait stabilisé dans le domaine de la navigation aérienne.
Au demeurant, l'instrument de cet apaisement, le protocole triennal, ne paraît pas avoir toutes les vertus qu'on lui prête si l'on veut bien se souvenir que la signature du dernier protocole le 3 novembre 1994 est intervenue après un mouvement de grève des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne qui a paralysé le trafic aérien en juillet 1994 et a gravement nui à l'image de notre service public à l'étranger.
Le projet de budget pour 1996 enregistre d'ailleurs les premiers effets budgétaires en loi de finances initiale, du protocole signé en 1994.
Évoquant l'ensemble des charges salariales de la DGAC, la Cour des Comptes dans son rapport de 1994 jugeait :
"L'augmentation de la masse salariale globale a été considérable : exprimée en francs 1993 et rapportée à une structure constante - comme si, en 1985, le BAAC existait déjà -, elle est passée de 2,4 milliards de francs en 1985 à près de 3 milliards en 1993, alors que les effectifs totaux payés sur ce budget évoluaient très faiblement (9.426 agents en 1985 et 9.575 agents en 1993). De ce fait, le coût moyen par agent, en francs 1993, est passé de 263.208 francs en 1985 à 308.721 francs en 1993."
"A ces augmentations n'a pas correspondu une évolution réelle du travail fourni. "
Le projet de budget pour 1996 relève, hélas, d'un diagnostic identique.
Les seules rémunérations directes des personnels de la navigation aérienne telles qu'elles figurent dans les fascicules budgétaires s'accroissent de 10,1 % et les primes et indemnités de 15,5 % !
Sur un total de 242,9 millions correspondant à un supplément de charges de personnel de la navigation aérienne, seuls 55,9 millions résultent de la création de 168 emplois soit moins du quart de la dérive constatée (1)2 ( * ) .
Il convient de rappeler que le coût du protocole serait pour les quatre années à venir de 1,2 milliard de francs.
Coûts cumulés par année en francs 1995
Source Commission des finances du Sénat - Rapport n° 409 de M Ernest Cartigny 1994-1995
Sur ce total, le supplément de charges résultant des créations d'emplois devrait s'élever à 749,9 millions de francs.
Le reste - 451 millions de francs - proviendra d'avantages rémunératoires divers.
Cette répartition des surcoûts provenant cette année de l'application du protocole est d'autant moins admissible que la défense et l'illustration du protocole reposaient sur le nécessaire adaptation des moyens humains à la croissance du trafic à contrôler.
Il est bien vrai que le nombre des contrôleurs qualifiés a progressé sans pour autant que, malgré l'amélioration des équipements, la productivité de leur travail ait été améliorée.
On sait que cette situation provient pour beaucoup des conditions de travail des personnels.
Dans ces conditions, il est peut-être nécessaire de prévoir que le nombre des personnels suit l'augmentation du trafic.
Cependant, ni la situation des transports aériens, ni l'état des finances publiques ne justifient que les rémunérations des personnels s'accroissent dans les proportions prévues.
La création d'un avantage de fin de carrière dénommée "nouvelle bonification indiciaire" dont le coût a été évalué à quelques 81,5 millions de francs illustre les errements de la gestion du personnel de la DGAC.
En raison de la forte proportion des rémunérations accessoires - plus du tiers - dans l'ensemble des rémunérations du personnel, il existe une forte distorsion entre la rémunération d'activité et la pension d'inactivité versées aux agents. En effet, les rémunérations accessoires si elles sont exclues de l'assiette des cotisations sociales sont en contrepartie excluent de l'assiette de liquidation des pensions.
La création de la nouvelle bonification indiciaire répond au souci de permettre aux agents de combler l'écart entre rémunération et pension. Si l'on néglige le régime spécial mis en place pour les personnels proches de la retraite, sa durée de versement devrait être de 18 années et permettre aux agents qui la verseraient régulièrement à la PREFON de se constituer un capital compatible avec un abondement mensuel de 2.000 francs de leurs retraites au moment de la cessation d'activité.
Outre que le montant moyen des rémunérations des personnels de la DGAC ne situe pas ceux-ci dans la catégorie des employés sans capacité d'épargne, il faut bien reconnaître que le mécanisme de la nouvelle bonification indiciaire ne garantit aucunement que l'objectif recherché sera atteint.
Bien au contraire ! La libre disposition des sommes distribuées en permet n'importe quel usage.
D'ailleurs, si l'on avait réellement souhaité abonder les retraites versées, il aurait suffit que l'administration prévoit de verser directement les sommes correspondantes sur un instrument d'épargne quelconque.
Elle ne l'a pas fait et, en conséquence, le surcoût lié à la nouvelle bonification indiciaire ne peut s'analyser que comme la conséquence d'un avantage de rémunération supplémentaire accordé aux agents. Il va de soi qu'en outre, à terme, sera reposée la question de la mise à niveau des pensions des agents, source d'ores et déjà prévisible de nouvelles hausses des coûts.
* 2 15,8 millions résultant de transformations d'emplois