II. L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT MARQUE LE PAS
La dévaluation du franc CFA s'est accompagnée d'une mobilisation très importante de la communauté financière internationale sous la forme de concours financiers et d'annulations de dettes. Au-delà de cet effort, on doit malheureusement constater la poursuite d'une tendance générale de diminution de l'aide publique au développement et surtout, une remise en cause de cette aide apparaît dans plusieurs grands pays industrialises. Dans ce contexte peu favorable, la France maintient sa place de premier pays du G7 pour l'effort d'aide au développement par rapport au PNB.
A. LA MOBILISATION DE LA COMMUNAUTÉ FINANCIÈRE INTERNATIONALE APRÈS LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
La reprise des financements internationaux a été immédiate et massive dans la zone franc à la suite de la dévaluation du franc CFA en janvier 1994.
En ce qui concerne la France, les mesures d'accompagnement de la dévaluation ont été de plusieurs ordres :
- une mesure exceptionnelle d'annulation de dettes,
- l'accentuation des concours d'ajustement structurel,
- la mise en place de dispositifs spécifiques.
Les mesures relatives aux remises de dettes, dites de ''Dakar II", décidées en faveur de l'ensemble des pays de la zone, consistent en l'annulation de la totalité des encours d'aide publique au développement pour les PMA et, pour les PMI, par l'annulation bilatérale de 50 % de la dette d'aide Publique au développement. Elles représentent plus de 22 milliards de francs.
La France a également prévu de consacrer sur la zone 10 milliards de francs de concours d'ajustement structurel sur les années 1994 à 1996. Pour 1994, 3,5 milliards de francs auront été engages ou réaffectés à ce titre et 2,7 milliards de francs décaissés.
Quant aux dispositifs spécifiques, le principal d'entre eux a pris la forme d'un Fonds spécial de développement (FSD) qui, sans recours a une enveloppe de crédits supplémentaires, a été dégage sur les dotations d'aide Projet du Fonds d'aide et de coopération et de la Caisse française de développement pour être mobilisé en direction de la zone franc. L'objectif du FSD était de compenser les effets attendus de la dévaluation, principalement en zone urbaine, par le soutien à de petits projets concernant les équipements, l'éducation et la santé et à des travaux "à haute intensité de main d'oeuvre" susceptibles de procurer emploi et revenus dans un contexte de diminution du pouvoir d'achat des populations urbaines.
Le FSD a été doté de 400 millions de francs, débloqués en deux tranches. Les crédits provenant du ministère de la coopération (FAC) ont été prioritairement apportés aux pays à revenu intermédiaire (Gabon, Cameroun, Congo, Côte d'Ivoire) et accessoirement aux pays les moins avancés. Les crédits provenant de la CFD ont été exclusivement orientés vers les PMA.
Le tableau suivant retrace l'affectation de la première (FSD1) et de la seconde tranche (FSD2) ainsi que la répartition de chacune d'entre elles entre les ressources provenant du FAC et de la CFD.
Au total de 380 millions de francs, il convient d'ajouter 20 millions de francs correspondant essentiellement au remboursement d'arriérés de faible montant au bénéfice de la Banque du Burkina-Faso.
A la fin juin 1995, les décaissements effectifs représentaient environ 70 % des crédits ouverts, les paiements pouvant se poursuivre jusqu'en mars 1996. Il s'agit d'un rythme de mise en place beaucoup plus rapide que celui des projets habituellement financés par la coopération française.
La moitié des crédits engagés a été consacrée à des aménagements urbains tels que l'extension des réseaux dans les quartiers défavorisés. Ces travaux ont permis de soutenir l'emploi de la main d'oeuvre locale. Pour le reste, le FSD a principalement soutenu des projets relatifs à la santé (achat de médicaments pour les hôpitaux), à l'éducation (construction de classes), a l'appui à la création de micro-entreprises.
Au-delà de l'effort financier accompli dans le cadre du FSD l'originalité de cette démarche aura été de rénover les procédures traditionnelles de la coopération, en associant, dans un comité de gestion mission de coopération, agence de la CFD et personnalités locales, et en relayant l'action d'ONG, d'associations africaines ou de missions religieuses qui "collent" au terrain.
Outre le FSD, deux autres dispositifs spécifiques ont été mis en place lors de la dévaluation du franc CFA.
Le premier, pour un montant de 35 millions de francs, a permis d'améliorer la diffusion des livres scolaires. La prise en charge de certains frais d'édition et la signature d'un accord avec les éditeurs a permis de limiter le coût des ouvrages dont la baisse, malgré la dévaluation, a été largement contenue. Parallèlement, un soutien a été apporté au réseau des libraires et des diffuseurs dont la dette vis-à-vis des fournisseurs français avait doublé avec la dévaluation.
Le second dispositif, auquel ont été consacrés 160 millions de francs, concerne l'atténuation des effets de la dévaluation sur le coût des médicaments importés. Ces crédits ont essentiellement servi à assurer l'approvisionnement des populations en médicaments essentiels. Malgré ces efforts importants, relayés par d'autres bailleurs de fonds, des inquiétudes subsistent car les hausses de prix, bien que contenues, ont varié entre 50 % et 70 %. Les importations de médicaments ont chuté de 30 % sans que les productions locales aient augmenté dans la même proportion.
Au rang des mesures d'accompagnement prises par la France figure également l'instauration, par la CFD, d'une facilité exceptionnelle de financement à court terme, afin de soutenir la trésorerie des entreprises, notamment celles opérant dans la transformation de produits locaux. Un montant global de 63 millions de francs, correspondant à 45 financements, a été mis en place.
La CFD a en outre été autorisée à apporter des garanties à des émissions en franc CFA lancées par des syndicats bancaires. Une première émission de 7 milliards de francs CFA est intervenue en Côte d'Ivoire.
On le voit, la dévaluation aura été pour la France l'occasion d'accentuer son soutien, en termes financiers mais aussi par la mise en place d'instruments nouveaux.
Pour leur part, les institutions financières internationales, dont le rôle a été déterminant dans la décision de dévaluer, ont, conformément à leurs engagements, repris leurs concours financiers aux pays de la zone franc. De fait, les financements de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international ont dépassé 8,4 milliards de francs dans la zone franc en 1994 alors qu'ils ne représentaient que 600 millions de francs en 1993.
Un nombre important d'accords étaient conclus avec le FMI dès les semaines suivant la dévaluation, notamment au titre de la facilité d'ajustement structurel renforcée (FASR). Comme la facilité d'ajustement structurel (FAS), le FASR permet au FMI de fournir des ressources à des conditions concessionnelles (taux d'intérêt de 0,5 % et remboursement sur cinq ans et demi à dix ans), en vue d'appuyer l'effort d'ajustement macroéconomique à moyen terme et les réformes structurelles des pays à faible revenu. Elle se distingue de la FAS par la portée et la vigueur des réformes structurelles prévues et par les procédures de suivi. La Côte d'Ivoire, le Sénégal et le Togo ont notamment conclu un accord au titre de la FASR en 1994.
Toutefois, au vu des évaluations pratiquées en cours de programme, le FMI a été amené à suspendre ses décaissements, principalement dans des pays d'Afrique centrale (le Cameroun, le Congo, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad) ainsi qu'au Niger. Ces décisions sont lourdes de conséquences au moment où la reprise des financements internationaux semble être une condition indispensable au redémarrage de la croissance. Si des accords n'étaient pas rapidement conclus, le succès de la dévaluation risquerait d'être compromis en Afrique centrale.
Les services du FMI travaillent donc sur l'élaboration de nouveaux programmes avec chacun des pays pour lesquels le programme actuel a été suspendu. Des perspectives d'accord sont envisageables pour le Cameroun et le Tchad.
Parallèlement, les pays de la zone franc ont obtenu pour la plupart des réaménagements significatifs de leur dette publique extérieure au Club de Paris. Celui-ci a adopté en décembre 1994 un nouveau traitement dit "traitement de Naples", qui porte sur le stock de la dette publique bilatérale des pays les plus pauvres et non sur les seules échéances comme jusqu'à présent. Le taux d'annulation des créances non concessionnelles, pour les pays qui seront admis à bénéficier de ce traitement, a été porté de 50 % à 67 %.
Cependant, ces mesures se limitent pour le moment à la dette bilatérale, le FMI et la Banque mondiale n'ayant pas encore arrêté de position nouvelle sur le traitement de la dette multilatérale.
Rappelons que l'endettement total de l'Afrique subsaharienne se monte à 145 milliards de dollars, soit 83 % de son PNB.
La reprise des flux financiers a donc été très nette en direction de la zone franc dans le sillage de la dévaluation, mais il faut rappeler qu'elle constituait l'un des termes de l'accord conclu entre les états concernés, les institutions de Bretton Woods et la France.
Au-delà de l'effort "conjoncturel" au profit d'états qui sont au coeur de notre dispositif de coopération, on constate une tendance plus générale à la diminution de l'aide publique au développement.