ARTICLE 11 - Cotisation minimum de taxe professionnelle
Commentaire : Aménagé par l'Assemblée nationale, cet article retrace le deuxième volet du dispositif envisagé en matière de taxe professionnelle. Reprenant une suggestion formulée de longue date, il institue une cotisation minimum, représentant 0,35 % de la valeur ajoutée de l'entreprise, et dont le produit sera affecté au Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle. Au-delà de son effet budgétaire -encore limité- cette mesure constitue une innovation majeure. En organisant un dispositif symétrique du mécanisme de plafonnement par rapport à la valeur ajoutée, elle pose ainsi la base d'un système d'encadrement de la taxe professionnelle fondé sur une nouvelle donnée économique s'appréciant au niveau de l'entreprise.
I - UNE INNOVATION IMPORTANTE
Le principe d'une cotisation minimum de taxe professionnelle n'est Pas en soi une nouveauté. Ainsi, la base imposable du principal établissement d'un contribuable ne peut être inférieur à une base théorique, définie à partir d'un logement de référence (article 1647 D du code général des impôts).
En outre, les établissements situés dans les communes où le taux de taxe professionnelle est inférieur au taux moyen national sont tenus d'acquitter une cotisation de péréquation, dont le taux est fonction de l'avantage relatif dont elle bénéficie.
Dans ce contexte, le présent article propose cependant d'adopter une approche nouvelle, dont les conséquences ont d'ailleurs fait l'objet de premières simulations en application des dispositions de l'article 18 de la loi de finances pour 1995. Il institue une cotisation minimum assise sur la valeur ajoutée et qui, du fait de cette assiette, ne peut être évaluée qu'au niveau de l'entreprise.
A. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX
Dans l'ensemble, le mécanisme s'organise autour de modalités qui restent proches de celles en vigueur dans le régime de plafonnement par rapport à la valeur ajoutée.
•
Exigible pour les impositions
émises à compter de 1996, la nouvelle cotisation minimum ne
concerne que les entreprises dont le chiffre d'affaires excède 50
millions de francs.
L'exclusion des entreprises les plus petites s'analyse comme une précaution, les conséquences du dispositif n'ayant pas été évaluées pour cette population. Cette légitime prudence conduit toutefois à organiser une nouvelle fois un effet de seuil.
•
Curieusement, le chiffre d'affaires retenu
pour apprécier si la cotisation est due au titre d'une année sera
celui de l'exercice précédent.
Une telle solution permet certes d'établir le montant de la cotisation dès l'année d'imposition et évite donc une procédure de double liquidation accompagnée d'un régime d'acompte. Mais elle contraste avec la règle retenue en matière de plafonnement par rapport à la valeur ajoutée. Or, ce décalage ne facilite pas la lisibilité d'un impôt déjà très complexe.
ï Par coordination, la valeur ajoutée servant d'assiette à la nouvelle cotisation minimum sera également celle dégagée au titre de l'exercice précédent. Son montant sera calculé selon les modalités définies pour le mécanisme de plafonnement par l'article 1647 B sexies du code général des impôts.
ï La cotisation minimum de taxe professionnelle théoriquement due par l'entreprise est alors égale à 0,35 % de cette valeur ajoutée.
La simulation réalisée à la demande du Parlement incite en effet à la plus extrême prudence. Pour s'en convaincre, il suffit de se reporter aux pages 17 à 38 du rapport transmis par le gouvernement en application de l'article 18 de la loi de finances pour 1995. Or, ces données, déjà sensibles, reposent elles-mêmes sur des éléments de 1992 actualisées à partir d'hypothèses conventionnelles, et retracent de surcroît des situations moyennes qui peuvent dissimuler des cas individuels encore plus contrastés. La réalité de terrain est donc loin d'être cernée avec la précision souhaitable.
Aussi, le gouvernement choisit-il, là encore, la voie de la prudence. Il propose d'appliquer un taux compatible avec ce degré d'incertitude, et de mettre en place un dispositif transitoire permettant d'atténuer les effets individuels les plus forts du nouveau dispositif (cf. ci-après).
B. LE CALCUL DU SUPPLÉMENT D'IMPÔT RÉSULTANT DE LA COTISATION MINIMUM
1. Les modalités pratiques
• Dans son principe,
le dispositif
du présent article permet de déterminer le montant de taxe
professionnelle dû par l'entreprise du fait de la valeur ajoutée
qu'elle dégage.
Mais, par ailleurs, l'entreprise acquitte, pour chacun de ses établissements, une cotisation classique de taxe professionnelle calculée à partir des données locales.
L'institution d'une cotisation minimum conduit l'entreprise à acquitter un supplément d'impôt correspondant à la différence entre les deux éléments précédents.
• Pour réaliser ce calcul,
il est donc essentiel d'appréhender de la façon la plus
exacte possible la cotisation de taxe professionnelle déjà
réclamée à l'entreprise au titre de la législation
actuelle.
•
Dans un premier temps, il est donc
prévu de se référer aux règles en vigueur dans le
mécanisme de plafonnement par rapport à la valeur
ajoutée.
La cotisation déjà exigée de l'entreprise sera donc évaluée comme :
- la somme des impositions dues au titre des différents établissements (y compris cotisation de péréquation),
- diminuée des différentes impositions annexes (42 ( * )) perçues au bénéfice d'intervenants autres que les collectivités locales.
•
Toutefois, le montant ainsi
déterminé sera en outre majoré de deux
éléments spécifiques permettant de tenir compte de la
situation réelle de l'entreprise au regard des différents
mécanismes de la taxe professionnelle. Il s'agit en
effet
:
- de la cotisation minimum de taxe professionnelle déjà due au titre du principal établissement en application de l'article 1647 D du code général des impôts,
- et surtout, du montant des cotisations supplémentaires que l'entreprise aurait dû acquitter pour ses différents établissements, en l'absence des mesures spécifiques (abattement, exonération, permanents ou temporaires) décidées par les collectivités locales concernées.
Cette dernière mesure correctrice évite ainsi de reprendre, par le biais de la cotisation minimum sur la valeur ajoutée, les avantages que les collectivités locales ont jugé nécessaire d'accorder à l'entreprise.
2. Un régime transitoire
Mise en oeuvre sans transition, l'institution de la cotisation minimum susciterait toutefois des "effet de ressaut " particulièrement importants pour les entreprises qui dégagent une forte valeur ajoutée tout en disposant de bases classiques de taxe professionnelle assez faibles. Les sociétés de crédit-bail en fournissent un exemple, mais on peut également en trouver dans plusieurs autres secteurs.
Une clause de "sauvegarde " permet donc d'éviter un tel enchaînement, préjudiciable à l'acceptation de la réforme par les contribuables. Dans son projet initial, le gouvernement avait envisagé de limiter le montant de la cotisation minimum au triple de la cotisation normalement due en application des règles de droit commun. En d'autres termes, le supplément d'impôt ne pouvait alors excéder le double de la cotisation initiale, cette disposition n'étant en outre pas limitée dans le temps.
Tout en conservant cette règle pour l'année 1996, première période d'application de la nouvelle contribution, l'Assemblée nationale a cependant décidé d'organiser, dès maintenant, des étapes permettant d'atteindre le régime de croisière. Elle a donc prévu qu'en 1997 le supplément d'impôt pourrait atteindre le triple de la cotisation normalement due en application des règles actuellement en vigueur et, à défaut de précision contraire, toute limitation de ce type disparaît à partir de 1998.
Sur le fond, les députés ont ainsi souhaité que toutes les entreprises soient traitées de la même manière à échéance pas trop lointaine.
Si elle comprend ce souci, votre commission constate toutefois que les conséquences réelles de la nouvelle cotisation ne sont pas totalement cernées.
Ainsi, vous proposera-t-elle, par amendement, de stabiliser les modalités d'application de la clause de sauvegarde à partir de 1997, en estimant qu'il sera toujours temps de revenir sur cet aspect du dispositif lorsque les premiers résultats réels auront pu être analysés.
C. LIQUIDATION DU SUPPLÉMENT D'IMPÔT
1. Les obligations déclaratives et les sanctions
• Les entreprises assujetties à la
contribution minimum sont tenues de déposer, avant le 31 décembre
de chaque année, au lieu de leur principal établissement, une
déclaration récapitulant les différents
éléments du calcul.
Le paiement de l'impôt doit s'effectuer simultanément.
Dans le projet initial du gouvernement, il était prévu que le défaut de déclaration ou de paiement et les omissions ou inexactitudes relevées dans la déclaration donneraient lieu à une pénalité représentant 20 % du complément d'impôt mis à la charge de l'entreprise ou des sommes dont le paiement a été différé. L'Assemblée nationale a toutefois ramené ce taux de pénalité à 10 %.
2. Un délai de reprise spécifique
En application des règles de droits communs, les redressements en matière de taxe professionnelle peuvent être effectués jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due. Les déclarations déposées en 1996 peuvent donc être rectifiées jusqu'au 31 décembre 1999.
Toutefois, la cotisation minimum pose un problème spécifique.
En effet, les éléments déterminants que sont le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée pourront être modifiés à l'occasion d'un contrôle portant sur le résultat de l'entreprise à l'égard de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés. Dans ce cas, le délai de reprise de l'administration est également de trois ans.
L'emboîtage de ces deux délais soulève cependant une difficulté dans le cas où le contribuable serait amené à contester les redressements qui lui sont notifiés en matière d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés.
Pour éviter la prescription, l'administration sera alors tenue de notifier et de recouvrer un redressement de taxe professionnelle reposant sur des bases faisant elles-mêmes l'objet d'une contestation en cours.
Aussi, dans ce cas, est-il proposé de "caler " le délai de reprise et de recouvrement du supplément de cotisation minimum sur celui applicable au redressement notifié à l'entreprise en matière d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés.
Ce régime spécifique ne fait d'ailleurs que reprendre une règle déjà en vigueur pour les allégements de taxe d'habitation liée à l'impôt sur le revenu.
D. L'IMPACT DE LA MESURE
Sur les bases précédentes, 1.137 entreprises devraient être assujetties à la nouvelle cotisation minimum, pour un rendement global de 400 millions de francs. Comme en témoigne le tableau suivant, les secteurs de la location et du crédit-bail immobilier et de l'assurance devraient être les plus affectés, mais ce constat n'exclut pas des augmentations substantielles pour des entreprises d'autres secteurs économiques.
Répartition des redevables à la nouvelle cotisation minimum par secteur d'activité
Dans cet ensemble, 808 entreprises devraient d'ailleurs bénéficier de la clause de sauvegarde en 1996.
L'analyse des effets de ce dernier verrou souligne son caractère indispensable, mais également la prudence qui s'impose dans la mise en oeuvre de la cotisation minimum. A défaut d'un tel verrou, et avec le taux de 0,35 %, le rendement de la mesure serait alors majoré de 700 millions de francs et atteindrait 1,1 milliard. Toutefois, la charge de certains redevables, des secteurs de l'assurance et des organismes financiers, mais aussi de l'agriculture et de l'industrie des biens d'équipement, se trouverait brutalement multipliée par un coefficient qui, sur la base des éléments actuellement disponibles devrait au moins se situer entre 4 et 9. On imagine aisément les réactions que susciteraient de telles progressions.
II - DEUX QUESTIONS CENTRALES
Dans son principe, la création d'une cotisation minimum de taxe professionnelle par rapport à la valeur ajoutée s'inscrit dans le cadre d'une orientation que le Parlement, et notamment le Sénat, avait évoqué l'an dernier. Elle apparaît en effet comme l'une des voies les plus praticables pour assurer la rénovation de cet impôt, tout en évitant des différences d'impositions excessives liées à la nature du processus de production mis en oeuvre et à l'importance des facteurs de production utilisés. Mais cette approche de l'impôt revient alors à soulever deux problèmes de fond.
A. L'AFFECTATION DU PRODUIT DE LA COTISATION MINIMUM
Au plan économique, la valeur ajoutée est un élément qui, pour être significatif, doit s'apprécier au niveau de l'entreprise. Certes, au plan purement théorique, on pourrait imaginer de calculer une "valeur ajoutée" au niveau de chaque établissement. Mais, au-delà des difficultés matérielles que soulèverait cette approche, force est de constater que la signification économique de telle valeur serait pour le moins incertaine et que ces calculs pourraient conduire à des situations incongrues : à titre d'exemple, quelle valeur ajoutée attribuer à un simple siège social d'entreprise regroupant des services administratifs ?
Mais, cette contrainte de fond a une conséquence inévitable. La cotisation minimum ne peut être mise en oeuvre que par l'État et non par les collectivités locales elles-mêmes.
Dans son projet initial, le gouvernement envisageait de tirer toutes les conséquences de cet enchaînement et proposait donc de verser le produit de la cotisation minimale en recettes du budget général. Il s'agissait ainsi, en quelque sorte, de "compenser" -très modestement- les charges que l'État assume au titre des dégrèvements de taxe professionnelle par rapport à la valeur ajoutée.
L'Assemblée nationale s'est vivement émue de cette proposition qui conduisait clairement l'État à percevoir le produit d'un impôt local, donnant ainsi un caractère très ambigu à la cotisation minimum de taxe professionnelle.
Ainsi, l'Assemblée nationale a-t-elle décidé de changer l'affectation de ce nouveau produit pour affirmer de façon très nette son caractère "local". Aux termes du texte qui nous est soumis, ce produit est désormais reversé au Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle (FNPTP) et réintègre donc un circuit financier réservé aux collectivités territoriales.
En contrepartie, l'État réduit, a due concurrence, le concours qu'il apporte à ce même fonds, sous la forme d'un prélèvement sur recettes. Pour 1996, la participation de l'État sera donc en définitive de 1,1 milliard, soit 400 millions de moins que ce qui avait été initialement prévu.
Enfin, l'Assemblée nationale a souhaité éviter toute répercussion de ce mécanisme sur les modalités de mise en oeuvre du "pacte de stabilité" organisé par l'article 18 du présent projet de loi. Au regard de ce dernier dispositif, la baisse de la dotation de l'État au FNPTP ne sera pas prise en considération si elle constitue un ajustement lié à la cotisation minimum.
Votre commission se félicite que l'Assemblée nationale ait décidé d'affecter le produit de la contribution minimum au FNPTP. Elle constate, en effet, que ce branchement est de nature à dégager une marge de manoeuvre financière au bénéfice du Fonds, et donc des collectivités territoriales si, après l'indispensable période d"'expérimentation", le rendement de la cotisation minimum devait connaître une réelle progression sensible. Elle relève cependant qu'une modification rédactionnelle serait souhaitable, la "dotation" de l'État au FNPTP étant en fait un prélèvement sur recettes.
B. DEUX ASSIETTES POUR UNE MÊME TAXE
La seconde grande question que soulève cet article est bien évidemment celle de l'avenir de la taxe professionnelle, et de son assiette.
La création d'une cotisation minimum, assise sur la valeur ajoutée, revient en effet à poser le dernier élément d'un dispositif qui infléchit la nature de cet impôt.
Certes, la donnée centrale reste la taxe professionnelle "classique", calculée au niveau local par établissement. Conditionnée par le taux voté par les collectivités locales, elle reste donc assise sur des bases que tous considèrent comme inadaptées, et peu représentative de la capacité de l'établissement.
Mais désormais, cette taxe "classique" sera rectifiée, à la baisse ou à la hausse, au niveau de l'entreprise dans son ensemble, à partir de taux fixés par l'État, applicables à la base moderne que constitue la valeur ajoutée.
De fait, la taxe professionnelle prend ainsi un caractère original. Elle devient un impôt assis sur une double base, et calculée à des nivaux différents par application de taux fixés par des intervenants distincts.
Dans l'immédiat, ce schéma original est sans doute encore acceptable, compte tenu de l'écart important qui existe entre le taux plancher et le taux plafond applicable à la valeur ajoutée.
Mais il est certain que, si l'écart entre ces deux taux devait à l'avenir se réduire de façon substantielle, il y aurait alors en germe une réforme de l'impôt qui, implicitement, reviendrait à relâcher le lien direct qui existe aujourd'hui entre l'établissement et la collectivité locale.
Aussi, devient-il indispensable et urgent que le Parlement ait à connaître les axes d'une véritable réforme de la taxe professionnelle et soit ainsi en mesure de se prononcer sans ambiguïté sur les objectifs à atteindre, et les contraintes à respecter.
Sur proposition de M. Alain Lambert, rapporteur général, la commission a adopté un amendement tendant à maintenir, au-delà de 1997, un mécanisme de plafonnement du supplément d'impôt en fonction du niveau de la taxe professionnelle calculé sur les bases actuelles.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.
* 42 Taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie, taxe pour frais de chambre des métiers et prélèvements opérés par l'Etat au titre des frais de dégrèvement et des frais d'assiette et de recouvrement.