B. LES CARACTÉRISTIQUES DE LA PRESTATION

Avant d'analyser plus précisément les modalités de la prestation mise en place par le présent projet de loi, votre commission a jugé opportun de s'interroger sur sa nature. On peut noter en effet que la question de savoir s'il convenait de créer une prestation d'assurance sociale ou une prestation d'aide sociale a été relativement peu débattue dans notre pays contrairement à ce qu'on a pu observer chez nos voisins.

La raison semble être que la question du financement a d'emblée conditionné les propositions successives. À de rares exceptions près, dont la proposition Fourcade-Marini, l'option retenue d'entrée de jeu a été celle d'une prestation sous condition de ressources, c'est-à-dire proche dans son esprit de l'aide sociale. On ne doit pas sous-estimer également l'impact de la dégradation financière des régimes de sécurité sociale sur ce choix largement partagé en faveur de l'aide sociale.

Le rapport sur la dépendance des personnes âgées remis par l'Inspection générale des Affaires sociales en janvier 1993 est très révélateur du raisonnement suivi à cet égard. La question de la nature de la future prestation y est à peine évoquée. Tout en admettant que la dépendance « pourrait entrer dans la notion de risque telle que le comprend l'assurance maladie-invalidité », le rapport considère que cette solution « idéalement » souhaitable, « supposerait des bouleversements administratifs et financiers très importants ». En revanche, il mentionne l'existence de l'allocation compensatrice pour tierce personne servie pour les deux tiers à des personnes de plus de 60 ans et le fait que les présidents de conseils généraux ont fréquemment souhaité que des aménagements soient apportés «  pour comprimer l'explosion des dépenses et pour éviter des solutions d'inégalité ». En conséquence, le rapport propose explicitement la création d'une allocation d'aide sociale destinée à se substituer « au sens administratif du terme » à l'ACTP pour les personnes âgées.

1. La nature de la prestation

Pour appréhender la nature de la nouvelle prestation, il est nécessaire de rappeler qu'on distingue traditionnellement deux systèmes dans la protection sociale.

D'une part, le système contributif fondé sur l'acquisition de droits à une protection, en général obligatoire et liée à une activité professionnelle. Il en est ainsi globalement en matière de retraite, le paiement des cotisations ouvrant droit à une pension calculée en proportion des versements effectués. D'autre part, le système d'aide sociale légale qui reconnaît des droits à l'égard des individus non pas en raison du versement de cotisations mais du seul fait qu'ils sont résidents sur le territoire et qu'ils se trouvent dans une situation de « besoin ». Un tel système est financé par l'impôt. La collectivité publique n'a pas la liberté de fixer les conditions minimales de son intervention, mais dispose d'une marge d'appréciation pour juger que telle situation de besoin justifie ou non l'attribution de la prestation sollicitée.

Ces deux systèmes existent rarement à l'état pur. Ils coexistent dans la protection sociale française de manière imbriquée. Par ailleurs, les organismes qui gèrent le premier système ont également la possibilité de développer ce qu'on appelle l'action sociale, c'est-à-dire des prestations dont ils décident la création et les conditions d'attribution. Néanmoins on considère que l'aide sociale représente environ 3 % de l'effort social de la Nation 1 ( * ) et surtout qu'elle concerne environ 2,5 millions de personnes éprouvant des difficultés économiques, sociales ou professionnelles.

Les principales caractéristiques des prestations d'aide sociale sont les suivantes : elles constituent un droit pour les personnes « dans le besoin » ; leur prise en charge par les collectivités publiques revêt un caractère obligatoire mais ce droit présente un caractère subsidiaire par rapport aux autres formes de solidarité. L'aide sociale n'est accordée en effet qu'à défaut d'autres moyens tirés tant des ressources du demandeur, de ses efforts de prévoyance ou d'une solidarité familiale. C'est à ce titre que peuvent être mis en oeuvre l'obligation alimentaire ou les recours sur successions.

Au regard de ces différents critères, la prestation d'autonomie présente incontestablement « une coloration » d'aide sociale : l'existence d'une condition de ressources (art. 2 et 5), la reconnaissance d'un droit permanent (article premier), la mise en jeu des récupérations sur successions (art. 14), la place des départements comme maître d'oeuvre du dispositif (art. 6) y contribuent. Les amendements proposés par votre commission tendent d'ailleurs à renforcer ce caractère tels que l'intervention du maire dans la procédure d'instruction ou la référence au domicile de secours.

Pourtant, l'exposé des motifs du projet de loi qualifie la nouvelle prestation de « prestation de solidarité nationale ». Cette expression est à nouveau utilisée dans le titre IV consacré aux dispositions financières. La section I bis créée au sein du Fonds de solidarité vieillesse est destinée, selon l'article 34, à retracer « la contribution de la solidarité nationale au financement de la prestation d'autonomie ».

La notion de solidarité nationale est très difficile à cerner dans la mesure où l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale dispose que « l'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de la solidarité nationale ». Cela signifie que sécurité sociale et solidarité nationale sont deux notions étroitement imbriquées.

Faute de plus d'indications, on est conduit à penser qu'il pourrait s'agir d'une troisième catégorie de prestations, intermédiaire entre les prestations d'aide sociale et les prestations de sécurité sociale.

On verrait donc émerger un nouveau type de prestation :

- qui ne s'adresse plus aux personnes démunies stricto sensu comme l'aide sociale traditionnelle, mais qui a vocation à couvrir « les classes moyennes », c'est-à-dire celles généralement exclues des mesures d'assistance (le seuil fixé pour le bénéfice de la prestation d'autonomie est à cet égard révélateur) ;

- dont le financement est déterminé en vue de garantir une plus grande équité et une sorte de « péréquation » au niveau national (comme la CSG) ;

En conclusion, ce nouveau type de prestation, qui pour l'instant reste isolé, pourrait correspondre à une forme modernisée d'aide sociale tenant compte de l'évolution du niveau de couverture sociale et des revenus (par exemple, le montant moyen des retraites). L'avenir dira si cette évolution sera confirmée ou si la prestation d'autonomie restera une prestation sui generis.

2. Le contenu de la prestation

Votre commission, compte tenu du caractère composite de la nature de cette prestation et surtout du fait qu'elle a choisi de faire de ce texte une simple loi de basculement, a estimé préférable de revenir aussi souvent que possible aux règles de l'aide sociale dans la mesure où cela simplifie la gestion des départements.

La nouvelle prestation est en nature. Cela apparaît essentiel à votre commission pour garantir l'effectivité de l'aide. Il n'est plus question de revenir aux errements antérieurs. La demande d'attribution de cette nouvelle prestation est instruite par une équipe médico-sociale. Mais la décision d'attribution appartient au président du Conseil général qui n'a pas de compétence liée.

Pour donner plus de souplesse de choix au département, votre commission a choisi de ne pas détailler la composition de cette équipe médico-sociale qui devait comprendre au moins un médecin et un travailleur social dans le texte initial. Le rôle de cette équipe apparaît très important dans la mesure où celle-ci est chargée également du suivi et du contrôle d'effectivité. Toutes les garanties ont donc été prises pour éviter les dérives de l'ACTP. Mais pour utiliser cette prestation, la personne âgée conserve le libre choix, soit d'avoir recours à un service d'aide à domicile qui devra être agréé dans certaines conditions, soit l'emploi direct avec rémunération « classique » ou chèque autonomie. Le plan d'aide élaboré par l'équipe médico-sociale n'est qu'une proposition qui n'est pas opposable à la personne âgée ou à ses proches.

À cet égard, on peut s'interroger sur la capacité des personnes âgées dépendantes à assumer les contraintes engendrées par le statut d'employeur. L'accroissement des contentieux aux prud'hommes témoigne de ce problème. C'est pourquoi votre commission reprend le souhait souvent exprimé par nombre de ses commissaires d'exonérer des cotisations sociales patronales et de la taxe sur les salaires les associations qui oeuvrent en faveur des personnes âgées dépendantes afin de réduire la distorsion de concurrence qui existe avec l'emploi direct.

Votre commission remarque que, comme c'est l'habitude en droit social, certaines des dispositions essentielles relatives à la prestation d'autonomie comme l'âge requis et les conditions de ressources ne sont pas du domaine de la loi. De même, elle ne peut que regretter le nombre important de textes réglementaires que requiert l'application de cette loi.

Concernant l'âge d'accès, se rendant à la fois aux remarques des représentants des présidents de Conseils généraux et du Conseil économique et social, le Gouvernement a été très clair : il sera de 60 ans. Cet âge permet de résoudre le problème de la dérive de l'allocation compensatrice suffisamment tôt, et correspond globalement tant à l'âge de la retraite qu'à celui où commencent les politiques en faveur des personnes âgées des départements.

Quant à la condition de ressources, elle est d'un FNS et demi, plus la prestation, soit 9.250 F en net et 12.800 en brut. Elle est donc la même que celle qui est utilisée actuellement pour les expérimentations. Cette prestation pourra donc concerner les classes moyennes au contraire de l'ACTP.

Pour l'accès de cette prestation aux étrangers, le texte initial propose un dispositif identique à celui de la loi sur le RMI. De toute évidence, une telle assimilation entre ces deux prestations n'apparaît pas pertinente à votre commission qui reste fidèle à sa ligne de conduite établie plus haut : faire appel aux règles de l'aide sociale aussi souvent que possible. Aussi, votre commission vous propose-t-elle une solution plus ferme que le dispositif initial -quinze ans de résidence ininterrompue avant l'âge de 70 ans-, et plus adaptée dans la mesure où elle reprend les exigences de l'aide à domicile.

Sur la gestion de la prestation, il a semblé opportun à votre commission, puisqu'il ne s'agit, selon son analyse, que d'une loi de basculement, de conserver la notion de domicile de secours, plutôt que d'introduire celle de résidence. Il faut rappeler que l'aide sociale à l'hébergement est financée par le département du domicile de secours. Juxtaposer les deux notions pour une même personne, serait un facteur de complexité supplémentaire pour la gestion départementale. Par ailleurs, le passage du domicile de secours au domicile de résidence pouvait risquer d'opposer certains départements les uns aux autres selon qu'ils comptaient beaucoup d'établissements pour personnes âgées ou pas. De plus, même si cela est marginal peut se poser le cas des personnes âgées sans résidence stable. Pour l'ensemble de ces raisons, il semble plus pertinent de continuer à suivre les règles de l'aide sociale et de préconiser le retour au domicile de secours.

La prestation d'autonomie n'est pas, selon le texte du projet de loi, soumise à l'obligation alimentaire. En revanche, elle est soumise à un recours sur succession dont les modalités sont différentes selon que la personne vit à domicile ou en établissement.

Votre commission s'est longuement interrogée sur ces deux points. Lorsqu'elle avait adopté la proposition de loi Fourcade-Marini, elle s'était prononcée en faveur de l'obligation alimentaire. Mais, le cas était un peu différent car il n'y avait pas de conditions de ressources.

De plus, elle a évolué sur ce point pour trois séries de raison. Tout d'abord, l'obligation alimentaire du XIXème siècle, qui consistait véritablement en aliments ne peut plus se comparer avec les coûts qu'engendre la dépendance pour les familles. Il ne faut pas oublier le rôle très important des aidants familiaux pour la prise en charge de ce problème. D'ailleurs, le texte reconnaît leur rôle puisqu'il permet que les membres de la famille soient rémunérés par la personne dépendante bénéficiaire de la prestation d'autonomie.

Cela pose, d'ailleurs, un grave problème de transfert de charges entre les générations dans la mesure où ce qu'on appelle « la génération pivot » qui assume déjà l'entretien de ses enfants adultes, qui ont du mal à s'insérer professionnellement ou poursuivent leurs études, devrait, alors qu'elle s'inquiète pour sa propre retraite, assumer la charge de ses parents dépendants. Votre commission rappelle, à cet égard, comme elle l'a déjà dit plus haut que les retraités -surtout les « jeunes retraités » de 60-70 ans- ont un revenu en moyenne légèrement supérieur à celui des actifs. Elle note aussi que, compte tenu de l'accroissement de l'espérance de vie, ce seront dans l'avenir des retraités qui paieront pour leurs parents dépendants. Ils commencent d'ailleurs à le faire tout en étant peu sûrs que la génération suivante dont la situation est moins favorable que la leur puisse faire la même chose pour eux.

Il faut également mentionner que la prestation d'autonomie est dite prestation de solidarité nationale et que le FSV apportera le financement complémentaire de cette prestation par, vraisemblablement, le biais de la contribution sociale généralisée. Or, la CSG est acquittée par une grande partie de la population. Par celle-ci, les enfants aideront donc leurs parents âgés.

L'obligation alimentaire fait partie d'un dispositif global avec le recours sur succession. Votre commission, après débat, s'est déclarée favorable à l'instauration d'un seuil de récupération sur succession quel que soit le lieu d'hébergement, étant entendu que ce seuil est bas (250.000 francs) et n'a pas été revu depuis 1978. Il lui apparaît, en effet, juste de permettre à quelqu'un de modeste qui a travaillé toute son existence pour laisser quelque chose à ses enfants de le faire. En revanche, votre commission estime que l'on ne doit pas permettre l'évasion d'héritage. Elle considère, à cet égard, que la règle actuelle des cinq ans pour le recours contre le donataire est trop favorable. Elle a donc souhaité que ce délai soit porté à dix ans ce qui lui paraît plus approprié compte tenu des dispositions fiscales en matière de donation.

* 1 chiffre cité dans le Dictionnaire Permanent Action sociale

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