N° 54

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 octobre 1995.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes,

Par M. Alain VASSELLE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Claude Huriet, Charles Metzinger, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Michelle Demessine, M. Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jacques Machet, secrétaires ; José Balarello, Michel Barnier, Henri Belcour, Jacques Bialski, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Eric Boyer, Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac, Roland Huguet, André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Simon Loueckhote, Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès, Serge Mathieu, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Louis Philibert, André Pourny, Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Bernard Seillier, Marcel Taugourdeau, Alain Vasselle, André Vézinhet

Voir les numéros :

Sénat : 2, 45 et 55 (1995-1996).

Action sociale et solidarité nationale.

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

I. LES PRINCIPES DIRECTEURS RETENUS PAR LA COMMISSION

La position de la commission des Affaires sociales est fondée sur sept principes directeurs :

1 °) La création de la prestation autonomie constitue une priorité sociale qui doit être retenue sans toutefois aggraver les difficultés financières de l'État, ni mettre en péril l'avenir des départements.

2°) Afin d'éviter d'hypothéquer l'avenir, les modalités techniques et financières de la mise en oeuvre de ce droit nouveau, qui est évidemment pérenne, seront révisées dans trois ans.

La loi aujourd'hui soumise au Parlement n'est donc qu'une loi de « basculement » d'un mauvais système (né d'une dérive du droit à l'ACTP) à un autre. Elle ne doit rien régler au-delà. La Commission a ainsi choisi de supprimer les règles de répartition de la charge financière proposées à l'issue de la période transitoire.

3°) Le financement de la prestation doit être garanti ; les dispositions actuelles du code de la sécurité sociale imposent d'ailleurs au Gouvernement de saisir le Parlement des mesures propres à maintenir l'équilibre du fonds de solidarité vieillesse. Il est seulement précisé par la commission qu'une fois assurées les dépenses de solidarité vieillesse et celles qui sont consacrées à la prestation autonomie, le solde du fonds est affecté au service de la dette à l'État. C 'est donc seulement si ce solde n'est pas suffisant que le Gouvernement doit s'acquitter de l'obligation posée actuellement par la loi.

4°) Les modalités du basculement doivent offrir à tous les départements des garanties très claires. Les critères selon lesquels sont prises en compte les charges actuelles des départements doivent être précisés. La commission des Finances s'y est attachée.

Les charges de gestion résultant de la nouvelle prestation doivent être mises à la charge du fonds de solidarité vieillesse.

5°) Une loi réformant la tarification des établissements d'hébergement pour les personnes âgées est un préalable indispensable au service de la prestation d'autonomie dans lesdits établissements qui devra être mise en oeuvre au plus tard le 1er janvier 1997.

6°) Enfin, il paraît nécessaire pour les départements et pour l'avenir de cette prestation que ceux-ci conventionnent avec les caisses de sécurité sociale. Il ne s'agit bien évidemment pas de remettre en cause le principe de la libre administration des collectivités territoriales. Le but à atteindre est double : tirer parti des actions actuelles des Caisses qui ne doivent pas se désengager et aussi de réduire les frais de gestion et de personnels de telle manière que cette prestation soit mise en oeuvre rapidement, efficacement et au moindre coût.

7°) Les maires, qui participent au financement de la prestation à travers le contingent d'aide sociale, doivent être placés en position de donner leur avis sur les dossiers d'attribution de la prestation.

I I. AMÉNAGEMENTS APPORTÉS AUX CONDITIONS D'OUVERTURE DU DROIT À LA PRESTATION

1°) La commission en est revenue aux règles de l'aide sociale aussi souvent qu'elles simplifient la gestion de la prestation nouvelle.

2°) Ainsi est-il notamment apparu plus opportun de conserver la notion de domicile de secours, plutôt que d'introduire celle de résidence. En effet, l'aide sociale à l'hébergement est financée par le département du domicile de secours. Juxtaposer les deux, notions, pour une même personne, serait un facteur de complexité supplémentaire.

3°) La commission, comme le Gouvernement, a écarté le recours à l'obligation alimentaire.

Le non-recours à l'obligation alimentaire doit cependant s'accompagner d'un corollaire, le durcissement du recours à l'encontre des donataires. À la règle actuelle des cinq ans, qui apparaissent trop courts, il semble pertinent de substituer un délai de dix ans, compte tenu des dispositions fiscales en vigueur en matière de donation ; par ailleurs, la commission a généralisé le seuil en souhaitant le voir fixer à un niveau bas.

4°) La commission a, enfin, proposé des exonérations de cotisations sociales patronales pour les associations qui oeuvrent en faveur des personnes âgées dépendantes afin de réduire les distorsions de concurrence avec l'emploi direct, alors que, de toute évidence, les personnes dépendantes sont incapables d'assumer les responsabilités d'un employeur.

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi relatif à la création d'une prestation dite « prestation d'autonomie » pour les personnes âgées dépendantes qui est soumis à l'examen de la Haute Assemblée est le fruit d'une longue réflexion à laquelle elle a grandement participé.

Il tient également la promesse faite par le futur président de la République, M. Jacques Chirac, lors de la dernière campagne présidentielle, promesse reprise par M. Alain Juppé, Premier Ministre lors de sa déclaration de politique générale, le 23 mai 1995. En effet, « souhaitant remettre nos aînés au coeur de notre société, au coeur du pacte républicain », le Premier Ministre avait déclaré qu' « au-delà des expérimentations en cours, il était indispensable de mettre en place au plus tôt une allocation de dépendance ».

C'est, en effet, une nécessité, compte tenu du vieillissement de la population française, reflet tant de l'amélioration des conditions de vie que de la dénatalité, et une nécessité de plus en plus pressante. Actuellement, selon les estimations les critères retenus, on évalue à environ 500.000 à 900.000, le nombre de personnes dépendantes 1 ( * ) dans notre pays. Selon les projections de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, en 2020, si l'on prend l'estimation la plus basse, c'est-à-dire la plus favorable, ce nombre devrait s'élever à 1,2 million. En effet, d'ici à 2020, les personnes âgées de plus de 85 ans qui sont actuellement 1 million et 1,7 % de la population verront leurs effectifs multipliés par 2,4.

Ce cas de figure n'est d'ailleurs pas spécifique à la France. Tous les pays développés connaissent ce phénomène qui est devenu un véritable problème de société. Ainsi, en 2020, plus de 20 millions de personnes seront âgées de 80 ans et plus sur le territoire de l'actuelle Union européenne soit une croissance de plus de 300 % par rapport à 1960.

Ce texte est également une nécessité compte tenu de l'insuffisance de la prise en charge actuelle de la dépendance, de son absence de définition précise, du manque de coordination des actions dans ce domaine alors qu'existent de multiples intervenants et du poids financier croissant de l'allocation compensatrice, devenue au fil des ans, un véritable substitut à une prestation non encore créée, sur les finances des départements.

Ce texte a, enfin, un dernier objet, la solvabilisation des besoins des personnes âgées et donc la création d'emplois. Le Gouvernement, reprenant les estimations de l'Observatoire de l'action sociale décentralisée (ODAS) évalue à 50.000 emplois créés équivalent temps plein, les conséquences de la mise en oeuvre de cette prestation.

C'est donc un texte fort important qui crée un nouveau droit pour l'élaboration duquel la Haute Assemblée a beaucoup oeuvré.

S'appuyant sur les travaux du groupe d'études sur la dépendance dont elle avait adopté les conclusions et qui a donné lieu à la proposition de loi n° 295 dite Fourcade-Marini, votre commission, lors de sa réunion du 26 octobre 1995, a fondé son analyse de ce texte à partir de plusieurs principes qu'elle a jugés essentiels et qui lui ont permis de remodeler le texte soumis à son examen.

Remarquant, pour l'avoir souhaité elle-même depuis des années, que la création de la prestation d'autonomie était une priorité sociale, elle s'est montrée soucieuse tant des équilibres financiers de l'État que de l'avenir des départements.

Votre commission en a conclu que les modalités techniques et financières de l'instauration de ce droit qui doit rester acquis devraient faire l'objet d'une adaptation dans trois ans. La présente loi ne doit donc, pour elle, être, qu'une loi de basculement d'un système mauvais à un autre plus satisfaisant. Les conditions financières de ce basculement doivent être définies dans la plus grande clarté. À cet égard, il a semblé à votre commission que les charges de gestion de la nouvelle prestation devaient être mises, non à la charge des départements, mais à celle du Fonds de solidarité vieillesse.

Pour l'avenir même de cette prestation, pour sa mise en oeuvre rapide et efficace et pour que les départements puissent assumer cette nouvelle compétence, votre commission a souligné pour ces derniers la nécessité de passer des conventions avec les caisses de sécurité sociale. Elle s'est, en effet, souciée du possible désengagement de celles-ci qui financent actuellement ombre de prestations. Elle a souligné également la nécessité de coordonner les actions des différents intervenants en matière de politique en faveur des personnes âgées, rôle dévolu pour elle, en toute logique, au président du Conseil général.

Votre commission a également souhaité, dans la mesure où les communes participent au financement de la prestation à travers le contingent d'aide sociale, que les maires puissent donner leur avis sur les dossiers d'attribution de la prestation.

Dans la mesure où elle a considéré que cette loi n'était qu'une loi de basculement, votre commission est revenue aux règles de l'aide sociale qui offrent le mérite de la simplicité pour la gestion des départements. Il en est ainsi pour les étrangers comme pour le maintien de la notion de domicile de secours.

Elle a toutefois écarté le recours à l'obligation alimentaire, préférant durcir, en matière de recours sur succession, celui à l'encontre des donataires afin de prévenir les évasions d'héritage.

Elle a, pour l'entrée en vigueur de la prestation en établissement, souhaité en avancer la date au 1 er janvier 1997, et la lier à l'intervention d'une loi réformant la tarification des établissements depuis longtemps réclamée et toujours repoussée.

Enfin, considérant que les personnes âgées dépendantes ne sont pas toujours capables d'assumer les responsabilités d'un employeur, elle a proposé d'éliminer la distorsion de concurrence qui existe entre l'emploi direct et le recours à une association de services aux personnes âgées, en exonérant ces dernières de cotisations sociales patronales et de taxe sur les salaires en tant qu'elles s'occupent des personnes concernées par la prestation d'autonomie.

Avant d'aborder d'une manière plus approfondie l'analyse de votre commission, dont les grandes lignes viennent d'être évoquées, il est apparu opportun de porter un regard sur la dernière décennie qui n'a pas permis d'apporter une solution au problème de la dépendance qui touche tous les pays développés.

I. LA PRISE EN CHARGE DE LA DÉPENDANCE DES PERSONNES ÂGÉES EN FRANCE : UNE DÉCENNIE POUR RÉPONDRE À UN PROBLÈME QUI TOUCHE TOUS LES PAYS DÉVELOPPÉS.

A. UN PROBLÈME QUI TOUCHE TOUS LES PAYS DÉVELOPPÉS

1. La situation française

Cela est notamment vrai pour les États-Unis, l'Europe et particulièrement le Japon et ceci sera de plus en plus vrai, selon les prévisions démographiques actuelles.

Ainsi, à la fin de 1994, l'Union Européenne comptait 70 millions de personnes âgées de plus de 60 ans, soit près de 20 % de la population totale, et, selon certaines estimations, avant 2020, les soixante ans et plus pourraient constituer le quart de cette population. Les taux de dépendance, même s'il faut s'entendre sur une définition homogène de ce problème, devraient doubler dans nombre d'États-membres entre 1980 et 2020. À l'intérieur de cette population, la part des très âgés ne fait que s'accroître. En 2020, l'Union européenne devrait compter, en effet, plus de 20 millions de personnes de plus de 80 ans.

C'est donc un problème général de société qui se pose à tous les pays développés en même temps qu'un défi économique. Certains ont pu soutenir 1 ( * ) que le vieillissement de la population constitue pour les économies un défi plus grand que les crises du pétrole des années 1970 ou la récession économique des années suivantes. La France qui, dès le début du XX ème siècle, était considérée comme un pays « vieilli » par rapport à ses principaux voisins, n'échappe pas à la règle.

a) La population vieillit sous l'effet de l'amélioration des conditions de vie, des progrès médicaux et de la baisse de la natalité.

Il n'est pas possible de déterminer les parts respectives de ces trois facteurs. Il faut rappeler cependant que le problème de la baisse de la natalité en France est ancien, depuis le XVIII ème siècle même si, depuis le baby boom des années 1945 à 1964, la France reste un des pays d'Europe avec le taux de natalité le plus fort et une politique familiale dynamique.

Le rôle des progrès médicaux et celui de l'amélioration des conditions de vie, d'hygiène, de confort, de logement, de ressources, sont incontestables. Il faut mentionner, à cet égard, que les personnes âgées de 60 ans et plus qui représentent 19,9 % de la population, entraînent 42,2 % des dépenses médicales. Celles-ci sont d'ailleurs beaucoup plus concentrées en ce qui concerne les personnes de 80 ans et plus, comme on pouvait s'y attendre. Celles-ci représentent 3,4% de la population et entraînent 10,9% des dépenses médicales. Les personnes âgées se soignent incontestablement plus que leurs ancêtres au même âge. Globalement, les dépenses de santé des personnes de 80 ans et plus sont trois fois plus importantes que les dépenses moyennes de la population totale et sept fois plus que celles du groupe le moins consommateur. 1 ( * )

Au regard de l'évolution de l'humanité depuis 10.000 ans, comme le note le rapport Boulard, l'accroissement de l'espérance de vie apparaît tout à fait considérable. Ainsi, il a fallu 10.000 ans pour passer d'une espérance de vie de 20 à 40 ans et seulement 100 ans pour doubler encore celle-ci.

Plus précisément, on constate que la véritable « accélération » de l'allongement de l'espérance de vie s'est surtout produite au XX ème siècle, et surtout dans la seconde moitié de celui-ci (cf. tableau ci-après). Ainsi, en France, pour les hommes, l'espérance de vie à la naissance est-elle passée de 45,3 en 1900 à 63,9 en 1950 pour atteindre 72,6 ans en 1992. Pour les femmes, l'accroissement de l'espérance de vie a été encore plus impressionnant passant de 47,1 ans en 1900, à 69,7 en 1950 et 81,4 ans en 1992. Aujourd'hui, 71,8 % des personnes dépendantes sont des femmes.

Accroissement de l'espérance de vie

(1) Chiffres de 1991 - Source : Institut national d'études démographiques.

Il est patent, si l'on consulte le tableau ci-joint sur l'évolution de la population par grands groupes d'âge, que les moins de 20 ans voient depuis 1975 leur part se réduire de 30,70% à 22,0% en 2020 si l'on suit les estimations, alors que les plus de 60 ans et parmi eux les plus de 75 ans et de 85 ans constituent un pourcentage croissant de la population. Il est, à cet égard, frappant de constater qu'en 2020 la part des plus de 60 ans dans la population sera plus importante avec 28 % que celle des moins de 20 ans qui ne seront plus que 22 %, d'où un vieillissement global de la population. Outre une certaine crainte pour le dynamisme futur de notre société que ces chiffres pourraient provoquer, certains présagent, en proportion, une « explosion » du nombre des personnes dépendantes.

Évolution de la population française (par grands groupes d'âge en %)

Source ODAS.

Toutefois, il semble qu'il faille se garder d'une vision purement mécaniste des conséquences du vieillissement dans la mesure où l'âge ne peut être considéré comme un invariant biologique. On peut rappeler le caractère relatif de l'entrée dans la catégorie des personnes âgées et la phrase de Louis XV qui, visitant ses provinces, avait demandé qu'on lui montre, dans les villages traversés, « les vieillards de 45 ans ». On doit souligner le rôle de certains économistes comme Alfred Sauvy qui ont développé le thème du vieillissement de la société à partir de l'évolution de la proportion des personnes de plus de soixante ans. Or, il est bien évident que le sexagénaire ou le septuagénaire des années 90 ne ressemble pas à celui des années 70 et encore moins à celui du début du siècle, tant sur le plan de la santé que des ressources.

Il est, donc, toujours périlleux de considérer que les pratiques sociales du moment et les besoins des personnes âgées reconnus à une période de l'histoire seront également valables pour l'avenir.

Cela l'est d'autant plus que le nombre des personnes dépendantes apparaît difficile à recenser et s'avère très variable, selon les critères retenus. La Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) avait, en 1994, élaboré un tableau, ci-joint, éclairant sur ce point.

Estimations de la population âgée dépendante en France

Sources : « retraite et société » Réfléchir les retraites Numéro spécial de 1994 (CSAV'TS)

Si l'on cherche à ventiler grossièrement et globalement la population âgée de plus de 65 ans entre le domicile et l'hébergement, on peut estimer que près de 95 % de celle-ci vit à domicile. Pour les 95 ans et plus, ils sont encore 60 % à être chez eux. Ceci peut s'expliquer par le désir croissant des personnes à rester chez elles et aux effets de la politique de maintien à domicile. Aussi, depuis une quinzaine d'années, les effectifs de la population hébergée en établissement diminuent-ils pour la tranche 75-80 ans. L'âge d'entrée en établissement a considérablement cru pour atteindre 83 ans en 1990. Fin 1990, 540.000 personnes âgées étaient accueillies dans les établissements sociaux, médico-sociaux et les unités de long séjour.

Parmi ces personnes, selon les chiffres établis par le docteur Fabienne Dubuisson et Mme Roselyne Kenjosse en juin 1993, deux sur cinq présentaient une détérioration intellectuelle et neuf sur dix dépendaient de l'aide d'un tiers pour effectuer les actes essentiels de la vie courante. Les logements-foyers accueillaient environ 13 % de locataires présentant des troubles de comportement et d'orientation, qui allaient souvent de pair avec des problèmes psychiques. Dans les maisons de retraite, plus de deux personnes sur cinq souffraient de troubles d'orientation et de comportement. Près d'un quart de leurs pensionnaires cumulaient détérioration intellectuelle, dépendance physique et incontinence.

Les services de long séjour qui sont devenus des unités de soins de longue durée, relèvent de la loi hospitalière. Environ 94 % des places étaient occupées par des personnes de 65 ans et plus. Toujours selon la même enquête de juin 1993, parmi les personnes vivant dans ces unités, 75 % souffraient de troubles d'orientation et de comportement.

État des personnes vivant en établissement (en %)

Source : SESI enquête auprès des établissements hébergeant des personnes âgées (EPHA 90)

b) Les prévisions démographiques jusqu'en 2020 : une progression non linéaire du nombre des personnes dépendantes

Un certain nombre de facteurs vont jouer dans l'avenir pour l'accroissement du nombre des personnes dépendantes : il en est ainsi de la solitude qui, avec les mutations sociologiques, le recul de la cohabitation avec les enfants, le déclin du mariage et la croissance du célibat, devient de plus en plus importante. Actuellement, pour les plus de 75 ans, malgré l'accroissement du nombre de personnes encore en couples du fait de l'allongement de la vie pour les hommes, la proportion de personnes âgées de 75 à 84 ans vivant seules à domicile a considérablement cru. En 30 ans, cette part est ainsi passée de 28 % à 38 % et elle est appelée à croître du fait des évolutions sociologiques précitées. Selon une enquête du CREDOC de 1995, après 60 ans, une personne sur trois souffre de la solitude. 11 % des personnes interrogées par le CREDOC déclaraient ne voir que deux ou trois fois par an leurs enfants et 2 % jamais. De même, les liens de proximité et particulièrement ceux de voisinage ont tendance à se distendre de plus en plus. L'isolement est en fait le premier facteur de vulnérabilité de la population dépendante.

Par ailleurs, ainsi que le note l'étude de la CNAVTS de 1994, déjà citée, deux autres facteurs, outre l'âge bien sûr, influent sur le nombre des personnes dépendantes : ce sont les ressources et le sexe. Il semble, en effet, même avec de nombreux correctifs, qu'il existe un effet propre de la faiblesse des ressources sur l'intensité de la dépendance. Enfin, toutes choses égales par ailleurs, les femmes sont plus fréquemment dépendantes que les hommes.

Ainsi, même si, globalement, l'espérance de vie sans incapacité s'accroît et s'il n'est pas possible de «  plaquer  » la situation actuelle pour avoir une prévision exacte des comportements dans vingt ou trente ans, on peut s'attendre légitimement à un accroissement important du nombre des personnes dépendantes.

Si l'on se réfère à l'étude de la CNAVTS déjà citée, en 2020, le nombre de personnes fortement dépendantes devrait être compris entre 1,2 et 2,1 millions (cf. tableaux ci-dessous).

Hypothèse maximale

Hypothèse minimale

Le nombre des personnes fortement dépendantes devrait presque doubler entre 1990 et 2020 : le coefficient est de 1,91 dans la variante minimale et de 1,86 dans la variante maximale, pour une population âgée elle-même multipliée par 1,66.

Mais la progression est loin d'être linéaire au cours du temps qu'il s'agisse de la variante minimale ou de la variante maximale. Si le taux moyen annuel est de 2,18 % pour la première et de 2,09 % pour la seconde, on peut distinguer quatre courtes périodes, une montée jusqu'en 1995, un taux en baisse de 1996 à 2002, puis une nouvelle augmentation jusqu'en 2012 assortie d'une nouvelle décélération jusqu'en 2020.

Sur le plan des effectifs, une telle évolution se traduit par, environ, 15.000 grands dépendants de plus par an, de 1990 à 2000, et au-delà de 2010, un accroissement de 28.400 grands dépendants, annuellement, en moyenne, avec un maximum de 35.300 en 2016 et un minimum de 24.600 en 2020. Bien entendu, votre commission estime qu'il faut prendre ces chiffres avec réserve et prudence. Toutefois, elle considère qu'il s'agit là d'estimations utiles.

c) Des conséquences financières importantes que ne peuvent plus assumer ni les personnes âgées, ni leurs familles, ni les conseils généraux

Le niveau de vie des personnes âgées s'est considérablement amélioré depuis les années soixante et la publication du rapport Laroque. Désormais, selon les études de divers instituts INSEE, CREDOC : les personnes âgées sont un peu plus aisées que l'ensemble de la population grâce à, notamment, l'augmentation du niveau des retraites pour les «  jeunes retraités » qui ont des carrières complètes et à l'existence d'un patrimoine de rapport. On pourrait s'attendre à ce que globalement, ils soient plus à même de prendre en charge leur propre dépendance. Toutefois, il faut rappeler le coût très important de l'hébergement en établissement, même pour les personnes qui bénéficient d'une retraite correcte. Ainsi, en région parisienne, il est fréquent que des personnes aient à assumer des coûts d'hébergement de 12.000 à 18.000 francs, alors que le conjoint doit pouvoir subsister au domicile du couple.

De plus, si l'on veut analyser plus finement les niveaux de vie des personnes dépendantes, on doit nuancer l'assertion selon laquelle les personnes âgées seraient plus aisées que le reste de la population. L'INSEE, dans sa revue « Economie et statistique » n° 283-284 de 1995, révèle, en fait, une opposition entre trois catégories d'âge : les plus jeunes, ceux qui ont moins de quarante ans, qui ont aujourd'hui le niveau de vie le plus bas et dont la situation relative s'est constamment dégradée depuis le milieu des années soixante-dix, les 40-70 ans qui sont les plus aisés -toujours en moyenne- avec cependant des disparités fortes, et les plus âgés, en particulier les veuves, qui conservent un niveau de vie relativement faible, bien que leur pouvoir d'achat progresse toujours. Sur ce dernier point, il n'est que de remarquer le nombre constamment en baisse des personnes qui perçoivent le minimum vieillesse qui sont en majorité des femmes, veuves et très âgées.

Cette division en trois catégories de population apparaît très éclairante à votre commission. Ainsi, actuellement, les personnes les plus dépendantes s'avèrent les plus âgées et ne sont pas les plus aisées parmi les retraités. La charge de les aider à la fois en heures de présence et financièrement repose entièrement sur la génération pivot -de 40 à 70 ans- la plus aisée certes, qu'elle soit active ou déjà retraitée, mais sur qui pèse également la responsabilité d'établir ses propres enfants. Or, ceux-ci sont la catégorie la plus en difficulté, au moins sur le plan financier. En effet, cette catégorie a été et est toujours confrontée à la difficulté d'entrer et de s'insérer durablement dans la vie active, à cause du développement du chômage et de la précarisation de l'emploi, ou bien encore elle poursuit ses études le plus longtemps possible afin de tenter de se prémunir contre ces difficultés.

La génération pivot est donc extrêmement sollicitée pour aider les deux autres catégories, de toutes les manières, alors même qu'elle n'est pas totalement assurée pour son avenir professionnel ou sa retraite. Il y a donc, à l'évidence, un phénomène de transfert de charges entre les générations dont il convient de ne pas sous-estimer les conséquences à long terme.

Ce qui est patent, en tout cas, compte tenu des facteurs qui viennent d'être mentionnés, auxquels il faut ajouter le développement de l'activité professionnelle des femmes et la baisse de la cohabitation entre les différentes générations, c'est que les personnes âgées dépendantes et leur famille ne peuvent plus assumer l'intégralité de la charge qu'implique la dépendance, que cela soit financièrement pour les premières, et financièrement et en heures d'aide pour les secondes.

Si cette charge devient insupportable aux personnes âgées concernées et à leur famille, elle l'est tout autant pour les départements. En effet, la dépense d'aide sociale en direction des personnes âgées, dont ils ont totalement la charge en vertu des lois de décentralisation et qui comprend le chapitre 956-5 du compte administratif et l'allocation compensatrice versée aux plus de 60 ans, s'est élevée à 12,7 milliards de francs en 1994, selon les derniers chiffres de l'ODAS. Cette dépense se décompose en trois parties, l'allocation compensatrice aux personnes âgées (APCA), l'aide sociale à l'hébergement et l'aide à domicile. Mais il est patent qu'au cours des cinq dernières années, l'augmentation des dépenses d'aide sociale à destination des personnes âgées est due à hauteur de 80 % à l'allocation compensatrice et à hauteur de 20 % à l'hébergement, la dépense d'aide à domicile restant stable. Il est bien établi que l'allocation compensatrice versée en espèces et mentionnée à l'article 39 de la loi de 1975 d'orientation en faveur des handicapés, destinée, au départ pour permettre aux personnes handicapées d'effectuer les actes ordinaires de la vie ou pour compenser les frais professionnels dus à leur handicap, en l'absence d'une allocation dépendance, est devenue progressivement un substitut à celle-ci pour les personnes âgées. Cela est d'autant plus vrai qu'elle ne prévoit pas de faire appel à l'obligation alimentaire et au recours sur succession pour les conjoints ou les enfants. Elle a désormais atteint pour les départements des montants peu supportables passant de 3,5 milliards de francs en 1989 à 6 milliards en 1994. Son rythme de progression a été considérable au cours des cinq dernières années avec + 15 % par an de 1989 à 1992, et + 8 % en 1993. Il s'est ralenti en 1994 avec environ 5 %, ce qui reste tout de même très fort. Ce ralentissement a pu s'expliquer par la mise en oeuvre de contrôle d'effectivité de la prestation dans les départements. La loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale, dans son article 59, et son décret d'application du 24 janvier 1995, même si ce dernier n'est pas totalement satisfaisant, ont donné un fondement légal à ce contrôle d'effectivité qui s'avérait nécessaire dans la mesure où l'allocation compensatrice est souvent thésaurisée par les personnes âgées ou offerte en cadeau à leurs petits enfants.

Mais le problème n'en reste pas moins plus que préoccupant dans la mesure où l'allocation compensatrice n'est pas perçue par tous ses bénéficiaires potentiels. On estime qu'actuellement 50 % de ceux-ci à domicile la perçoivent alors qu'ils ne sont que 10 % en établissement 1 ( * ) . Les dépenses en matière d'allocation compensatrice n'ont donc pas, potentiellement, fini de croître fortement.

La situation semble donc très périlleuse pour les départements alors même que ceux-ci connaissent de grandes difficultés financières et consacrent des montants de plus en plus importants en matière sociale. Ainsi, leurs dépenses sociales occupent une part de plus en plus grande de leurs budgets, variables selon les cas, mais les exemples cités vont de 45 % à 65 %. Ceci induit une forte réduction de leur marge de manoeuvre qui rejaillit sur leurs décisions d'investissement. Celui-ci a baissé de 2 % l'an passé. L'allocation compensatrice est donc un facteur difficilement contrôlable de leurs dépenses, même si au cours de cette année est intervenu le décret du 6 mai 1995 qui accroît la représentation des conseils généraux au sein des commissions qui décident de l'attribution de l'allocation compensatrice, à savoir les COTOREP.

Cette crainte des départements de devoir sacrifier le développement économique local à la gestion des dépenses sociales risque de s'accroître, même si le surcoût de la prestation d'autonomie est pris en charge par le fonds de solidarité vieillesse. En effet, les départements nourrissent une inquiétude réelle quant à leur avenir en tant que collectivité territoriale s'administrant librement. Il ne faudrait pas, en effet, qu'ils ne deviennent plus qu'un instrument, un échelon administratif, chargé de distribuer des prestations, sur crédits d'État. C'est une préoccupation réelle qu'il convient de ne pas négliger.

d) Une source potentielle d'emplois

L'accroissement du nombre des personnes dépendantes, pour peu que leurs besoins soient solvabilisés, est généralement considéré comme générateur d'emplois. Les emplois engendrés sont considérés comme des emplois de proximité. Cependant certains considèrent également que la solvabilisation des personnes âgées dépendantes serait également créatrice d'emplois en établissement.

Toutefois, les études aux conclusions contrastées qui existent dans ce domaine ne concernent que les emplois au domicile des personnes âgées, qu'il s'agisse d'emploi direct ou indirect, par l'intermédiaire d'associations.

En 1993, une étude du ministère du travail estimait, en effet, à 12.000, soit 8.000 équivalent temps plein, le nombre d'emplois susceptibles d'être créés, et ce, dans l'hypothèse d'un financement public de 50 % des dépenses qui en résulteraient.

En octobre 1994, l'ODAS estimait, lui, à 50.000 équivalents temps plein le potentiel de création d'emplois, sous certaines conditions. Ces conditions étaient, tout d'abord, une réelle adaptation de l'offre aux besoins, avec des emplois souples et polyvalents, mais aussi présentant des garanties de confiance et de compétence. L'ODAS estimait, en effet, qu'il était hasardeux de considérer que l'aide aux personnes âgées, compte tenu de la fragilité de ce public, était un gisement d'emplois pour les personnes en difficulté ou sous-qualifiées. Il a d'ailleurs souhaité le développement de nouveaux services et de nouvelles prestations dans le domaine des transports, du bricolage, des livraisons à domicile et de l'accompagnement. Mais il lui a semblé nécessaire en même temps, pour que ces emplois se développent, de maintenir l'attractivité du prix du service soit, en moyenne, 42 francs de l'heure. La dernière condition selon l'ODAS est que l'offre de service doit être mieux coordonnée. Ces emplois créés devraient répondre à des exigences multiples qui semblent quelque peu contradictoires, prix attractifs, mais qualification et polyvalence des personnes employées pour un travail souvent à temps partiel.

Le Gouvernement attend de la création de la prestation d'autonomie des créations de 50 à 70.000 emplois équivalents temps plein en quelques années. Il rejoint donc largement les estimations de l'ODAS.

Il ne faut pas oublier, à cet égard, comme en témoigne une enquête du 17 août 1995 du ministère du travail, de la participation et du dialogue social, que ces emplois sont à temps partiel, l'essentiel de l'aide à la personne âgée, hors soins, se trouvant concentré au moment du lever, des repas et du coucher. L'enquête précitée, intitulée « l'évolution des emplois familiaux de 1992 à 1994 » établissait à 200.000 entre 1992 et 1994, la création d'emplois familiaux à temps partiel, due à l'instauration des mesures d'incitation comme les exonérations de charges sociales et les réductions d'impôts. En équivalent temps plein, le chiffre s'élevait à 40.000. En ce qui concerne la garde et l'aide aux personnes âgées, cette étude s'avère particulièrement éclairante dans le cadre de l'examen du présent texte. En effet, si, en 1992, déjà quatre employeurs sur dix étaient âgés de plus de 70 ans, désormais plus de la moitié atteignent cet âge en 1994. Ceci est la résultante de l'effet attractif joué par l'exonération des cotisations sociales patronales pour les personnes âgées de soixante-dix ans et plus. 41 % des personnes de plus de 70 ans passent par une association agréée pour recruter et gérer les aspects administratifs de l'embauche et du salaire. L'âge moyen des employeurs s'élève globalement de 60 ans en 1992 à 64 ans en 1994. Il est en forte corrélation avec le type de tâche : celui qui souhaite une femme de ménage a 65 ans en moyenne, alors que la personne qui requiert une surveillance régulière est âgée de 75 ans. De même, les employeurs recourant aux services d'une association mandataire sont en moyenne de quinze ans plus âgés que ceux qui recrutent directement. Ceci prouve l'émergence d'un besoin et le début de sa solvabilisation. En 1994, les employeurs étaient à 58 % des retraités contre seulement 46 % en 1992 et la proportion des non imposés s'accroît, passant de 18 % en 1992 à 26% en 1994. Parallèlement, si globalement les emplois créés grâce aux dispositifs incitatifs sont à temps partiel et de faible durée, soit sept heures trois quarts par semaine, en revanche, on assiste à une augmentation très nette de la durée de garde de personnes âgées (soit 19 heures réparties sur quatre jours) (cf. tableau ci-dessous).

Sur le plan de la création d'emplois, et non pas de celle qui concerne qui concerne uniquement l'aide aux personnes âgées, le ministère du travail, de la participation et du dialogue social estime que les 200.000 emplois créés ont été occupés par environ 60.000 nouveaux salariés parmi lesquels 40 à 45 % étaient au chômage et 50 à 55 % étaient inactifs.

Cette étude est donc porteuse d'espoirs dans la mesure où elle révèle que les besoins commencent à être solvabilisés et donc créateurs d'emplois. La prestation d'autonomie pourrait donc s'inscrire dans cette dynamique. Toutefois votre commission ne souhaite pas faire de prévisions dans ce domaine.

Sur un plan local, elle tient à souligner que les conclusions du département d'Ille-et-Vilaine dans le cadre des expérimentations en matière de dépendance, sont également très significatives. Ainsi, ce département recensait-il environ 230 emplois créés pour 844 personnes aidées. Il estimait donc qu'un emploi était engendré pour quatre personnes aidées.

Ces différents éléments tendraient à prouver la réalité du besoin de la part des personnes âgées dépendantes et la possibilité de créer des emplois pour le satisfaire grâce à la création de la prestation d'autonomie, si toutefois elle n'est pas accordée dans des conditions trop restrictives.

2. Les expériences étrangères

Dans le cadre européen, les expériences dans ce domaine s'avèrent très diverses. Quant à l'Allemagne, après vingt années, elle a fini par adopter en 1994, un texte qui est entré en vigueur au 1er janvier 1995 pour les personnes dépendantes à domicile mais qui ne sera applicable en établissement qu'au 1er juillet 1996. Le présent projet de loi avait, en fait, adopté le même décalage domicile/établissement.

Les éléments qui vont être présentés proviennent soit des travaux du Conseil de l'Europe présentés fin mai à Lisbonne lors de la Vlème conférence des ministres chargés de la sécurité sociale, soit de l'étude menée par la division des études de législation comparée du service des Affaires européennes du Sénat.

a) Des situations et des réponses contrastées : une typologie sommaire

Estimations du nombre de personnes dépendantes (1)

(1) Selon les cas, figurent des statistiques ou des estimations, généralement relatives à l'année 1990.

(2) Estimation du ministère de la Prévoyance sociale : d'autres estimations sont disponibles. 108.900 selon l'Alliance nationale des mutualités chrétiennes et 910.000 selon O. Kuty.

Source Conseil de I'Europe.

Très sommairement, on peut distinguer quatre grands groupes de pays selon le type de protection sociale retenu pour prendre en charge les personnes âgées dépendantes par rapport à la sécurité sociale.

Le premier groupe de pays octroie des prestations spécifiques pour les personnes âgées dépendantes. Ce sont l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, qui seront étudiés plus loin, la Finlande, l'Irlande, la Suède, le Luxembourg, le Liechtenstein, le Portugal, le Royaume-Uni.

Le deuxième groupe se caractérise par la prédominance de prestations qui sont liées à d'autres pensions (vieillesse, invalidité) ou allocations pour les handicapés. Celui-ci se compose de la Belgique, de la Bulgarie, de Chypre, de la République Tchèque, de Malte, de la Norvège, de la Pologne, de l'Espagne et de la Suisse.

Le troisième groupe est constitué de pays dont les prestations dépendance relèvent de façon prédominante des systèmes d'aide sociale ou sont dispensées selon des règles établies par les collectivités territoriales. Ce sont la Grèce, la Hongrie, l'Italie, la Fédération de Russie, la Turquie.

Enfin, le quatrième groupe rassemble des pays qui servent des prestations qui ne concernent pas spécifiquement les personnes dépendantes mais qui couvrent en partie leurs besoins (allocation aux handicapés par exemple). Ce sont l'Albanie, la Roumanie.

Le mode de financement de la dépendance en Europe découle des divers choix au niveau de la prestation que ces pays ont opérés. Il est donc tout aussi divers. Quatre groupes de pays émergent également.

Le premier groupe finance la dépendance par les cotisations sociales : il s'agit de l'Allemagne, de la Pologne et du Liechtenstein.

Le deuxième groupe a choisi un financement par l'impôt. Ce groupe se divise en deux sous-groupes. Pour le premier de ces sous-groupes, le financement par l'impôt est le support d'une politique de santé publique en matière de soins aux personnes âgées dépendantes. C'est le cas du Danemark, de la Norvège, du Royaume-Uni, de la Suède. Pour le second sous-groupe, le financement par l'impôt s'effectue par l'intermédiaire de l'aide sociale. Il s'agit de la Grèce, de l'Italie, de la Fédération de Russie, de la République Tchèque et de la Bulgarie. La plupart du temps, ces derniers pays ont recours à une condition de ressources pour l'attribution de ces aides.

Les pays du troisième groupe ont un financement mixte dans la mesure où cohabitent diverses modalités de prises en charge de la dépendance, par la sécurité sociale, l'État et les collectivités territoriales. Ce financement est donc complexe et correspond à des réglementations successives. Ces pays, outre la France, sont la Suisse, la Belgique, l'Espagne, la Hongrie et la Turquie.

Le quatrième groupe est celui où l'intervention des pouvoirs publics est limitée et où la famille assume quasiment intégralement la prise en charge de la dépendance. Ce sont les pays du sud et de l'est de l'Europe, en particulier la Roumanie, l'Albanie, Malte.

Mais même si c'est surtout vrai des pays du sud et de l'est de l'Europe, le Conseil de l'Europe estime que la contribution des usagers, et de leur famille représente la principale source de financement de la dépendance. Il a, par ailleurs, souligné l'insuffisance du développement du secteur privé (assurances) pour pallier celle de l'action des pouvoirs publics.

b) Quelques exemples particuliers


L'Autriche

En janvier 1993, l'Autriche a adopté une loi fédérale sur la création d'une prestation dépendance. Cette loi a été suivie d'un accord entre la Fédération et les différents länder, en mai 1993, pour déterminer leurs compétences respectives. Cette loi est entrée en vigueur au 1er juillet 1993.

Les caractéristiques principales de la prestation dépendance instaurée en Autriche sont les suivantes :

- elle est due à partir de la quatrième année de la vie ;

- elle répond à une situation de dépendance définie comme le résultat d'un handicap physique, mental, psychique ou sensoriel, qui se traduit par la nécessité de recourir à une aide, de manière continue pendant au moins six mois ;

- non imposable, elle est modulée selon les sept degrés de la dépendance institués par la loi ;

- elle est attribuée après expertise médicale déterminant le degré de dépendance et réévaluée comme les pensions et rentes ;

- elle n'est versée qu'à certaines catégories de personnes définies par la loi : détenteurs de rentes accidents du travail ou maladies professionnelles, retraités du régime général ou de régimes particuliers. Les personnes ne remplissant pas ce type de conditions reçoivent une prestation identique de la part de leur land ;

- d'un coût estimé à 12 milliards de schillings 1 ( * ) , elle est financée par le budget général.


Le Danemark

La prise en charge des personnes âgées en 1989 (en %) au Danemark.

Source : Ministère des Affaires sociales danois - 1990.

La prise en charge des personnes âgées dépendantes est assumée par l'État, essentiellement par le biais de l'impôt sur le revenu. La politique suivie en ce domaine est exclusivement tournée en direction du maintien à domicile. En effet, depuis 1988, il est interdit de construire des établissements d'hébergement à destination des personnes âgées. Soins médicaux et aide à domicile sont fournis gratuitement. Cette dernière est complétée par des « plans d'urgence » afin de porter assistance 24 heures sur 24 aux personnes extrêmement dépendantes. De plus, l'interdiction de construire des établissements d'hébergement à destination des personnes âgées est contrebalancée par l'octroi d'aides financières pour l'équipement de logements à destination de personnes dont, notamment, la motricité est réduite.


Les Pays-Bas

C'est une loi de 1968 sur les frais de maladie exceptionnels qui permet, par le biais de cotisations sociales assises sur l'ensemble des actifs, la prise en charge de la dépendance, que cela concerne ce qui est dispensé en centre de soins, les soins infirmiers à domicile, l'aide ménagère ou l'accueil en établissement.

L'aide professionnelle aux personnes âgées dépendantes s'est étendue et se conjugue avec un taux élevé d'aide privée. Mais, comparés à la plupart des pays européens, les Pays-Bas ont une proportion importante de personnes âgées résidant dans des institutions. Le financement des services aux personnes âgées dépendantes est, conformément à la loi de 1968, assuré par la solidarité intergénérationnelle.

Concrètement, le séjour d'une personne âgée dans un foyer doit être payé par la personne elle-même avec son revenu ou son capital. En cas d'insuffisance de ressources, le programme d'aide généralisée, financé par l'impôt sur le revenu, complète les sommes nécessaires. Cet apport est versé dans 90 % ou 95 % des cas. Par ailleurs, l'aide professionnelle à domicile est largement financée par l'État.

Mais, depuis le début des années 80, les gouvernements successifs ont pris un certain nombre de dispositions pour réduire les dépenses de santé qui ont finalement porté atteinte au principe de solidarité intergénérationnelle. Ainsi a été instauré un système de contributions individuelles indexées sur le revenu pour la plupart des services fournis.

Parallèlement, la proportion des personnes âgées vivant en foyer baisse depuis la fin des années 70 et l'aide à domicile professionnelle associée à l'aide privée augmente. Près de 40 % des foyers pour personnes âgées devraient évoluer progressivement et devenir des établissements médicalisés, financés par l'assurance dépendance et le programme exceptionnel de dépenses de santé. Le reliquat devrait s'orienter vers un type de prestations offrant des logements « protégés » indépendants pour personnes ayant perdu leur autonomie appelés « complexes de résidences et d'assistance ».

Pour témoigner de l'évolution de la politique en ce domaine, on peut mentionner le rapport du Comité scientifique consultatif du Gouvernement néerlandais du printemps 1993 (« les vieux pour les vieux ») qui conclut que la solidarité intergénérationnelle originelle, qui devait financer les allocations vieillesse néerlandaises ne peut plus s'exercer et qu'une solidarité interne à la génération des personnes âgées devra assumer sa part de contribution.

On citera rapidement le cas de la Belgique et du Luxembourg qui devraient légiférer sur la dépendance prochainement.


La Belgique

En effet, le Gouvernement belge a annoncé la création d'une « allocation autonomie » qui constituera une nouvelle branche de la sécurité sociale et fonctionnera sur la base du principe de la répartition. Le financement se fera, comme il apparaît normal si l'on suit cette logique, par des cotisations payées par les actifs et les retraités et par tous ceux qui bénéficient d'un revenu de remplacement. La prestation sera modulée en fonction de la capacité contributive de chacun et du degré de la dépendance.


Le Luxembourg

Quant au Gouvernement luxembourgeois, issu des élections de juin 1994, il souhaite créer une assurance dépendance obligatoire qui devrait protéger les personnes âgées ou handicapées. Celle-ci devrait garantir le droit à l'assistance et aux soins apportés à domicile ou reçus dans une institution. Cette assurance devrait fonctionner d'après le système de répartition.


L'Allemagne : analyse de la loi du 26 mai 1994 sur l'assurance dépendance :

Tendances démographiques dans les deux Allemagne

Source : Conseil de l'Europe

Adoptée après une vingtaine d'années de tentatives infructueuses, cette loi crée à partir du 1er janvier 1995 un cinquième risque relatif à la dépendance dans le système allemand de sécurité sociale.

La dépendance prise en compte dans le cadre de ce texte n'est pas liée à l'âge et ne concerne donc pas uniquement les personnes âgées. Elle est le résultat d'une maladie ou d'un handicap d'ordre physique, mental ou psychique empêchant l'accomplissement des actes habituels de la vie, pendant une durée d'au moins six mois.

La loi distingue trois niveaux de dépendance : la dépendance importante où la personne a besoin d'une aide au moins une fois par jour pour au moins deux actes de la vie et plusieurs fois par semaine pour l'entretien du foyer, la dépendance grave où la personne doit avoir recours à une aide au moins trois fois par jour et plusieurs fois par semaine pour l'entretien du foyer, et, enfin, la dépendance très grave où la personne a besoin d'une aide nuit et jour.

C'est aux caisses d'assurance dépendance de faire constater par le service médical de l'assurance maladie l'état de dépendance et de déterminer le degré de celui-ci.

Sont automatiquement assurées contre le risque dépendance les personnes bénéficiant déjà du régime légal d'assurance maladie, soit en fait 90 % de la population. Ceux qui ont une assurance volontaire pour la maladie peuvent choisir entre le régime légal et une caisse privée pour l'assurance contre le risque dépendance. Les compagnies d'assurance doivent assurer contre ce nouveau risque les personnes qui en sont déjà victimes et qui bénéficient d'une assurance maladie privée.

Mais le bénéfice des prestations dépendance est subordonné à une durée minimale d'assurance d'un an en 1995 et progressivement portée à cinq ans en 1999.

La loi du 26 mai 1994 souhaite d'abord privilégier le maintien à domicile, c'est pourquoi les personnes restant chez elles bénéficient de la prestation dépendance depuis le début de 1995 alors que celles qui sont en hébergement ne le pourront qu'à partir du 1er juillet 1996.

La prestation prend des formes différentes selon que la personne dépendante est aidée par un salarié de la caisse d'assurance dépendance ou par quelqu'un qu'elle emploie directement : prestation en nature dans le premier cas, prestation en espèces dans le deuxième. Le degré de l'aide varie bien évidemment en fonction du stade de dépendance déterminé. Toutefois, même en cas de prestations en espèces, la caisse d'assurance dépendance oblige la personne à faire appel, selon le degré de dépendance, deux, quatre ou douze fois par an à une tierce personne employée par une institution avec laquelle elle a signé un accord.

En outre, l'assurance dépendance peut aussi prendre en charge des dépenses qui ne le sont pas selon d'autres modalités (fauteuils roulants, etc.).

Lorsque le maintien à domicile n'est pas ou n'est plus possible, l'assurance dépendance peut prendre en charge les dépenses qui sont liées à cet état dans la limite de 2.800 DM 1 ( * ) mensuels ou de 3.300 DM dans les cas les plus graves. Mais il est bien évident que les dépenses d'hébergement et de nourriture ne sont pas incluses dans cette prise en charge.

Le coût de cette nouvelle prestation a été estimé à 17 milliards de DM pour le maintien à domicile et à 11 milliards de DM pour l'accueil en hébergement.

Son financement est assuré en théorie à parité par les employeurs et par les salariés par le biais d'une cotisation assise sur les salaires. D'abord fixée à 1 % du salaire brut mensuel plafonné, elle passera à 1,7 % lors de l'entrée en application de la deuxième étape du texte concernant les personnes en établissement. Mais, en fait, la part patronale est compensée par la suppression d'un jour férié.

Il appartient à un comité d'experts d'évaluer la nécessité de supprimer un second jour férié avant la mise en oeuvre de la seconde étape de cette loi.

Tandis que les retraités sont assujettis au même taux que les salariés actifs, c'est à l'office fédéral du travail que revient de verser l'équivalent des parts salariales et patronales pour les chômeurs.

Bien qu'en théorie, elle soit une branche indépendante de la sécurité sociale, l'assurance dépendance a des liens assez étroits avec l'assurance maladie puisque les caisses d'assurance dépendance bénéficient des structures et du personnel des caisses d'assurance maladie et que leurs organes dirigeants sont les mêmes.

Enfin, le ministère du travail et des affaires sociales est chargé de faire un bilan de l'application de cette loi.

Parallèlement, votre commission doit mentionner l'initiative du conseil général de la Moselle et du Landkreistag Sarrland (Fédération des arrondissements de la Sarre) qui ont décidé d'échanger leurs expériences et leurs réflexions sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes. À cet effet, ils ont publié conjointement un guide bilingue qui recense l'ensemble des actions et aides existantes en Moselle et en Sarre. L'intérêt de ce document est de permettre le règlement de situations transfrontalières, pour les usagers et les travailleurs sociaux.

* 1 Qui sont en majorité des femmes à 72 %.

* 1 A workers versus pensioners : intergenerational justice in an ageing World (« The Economist » juin 1989)

* 1 Soit les enfants de 2 à 9 ans (Source : Andrée Mizrahi « Comment assurer les soins des personnes âgées au XXI ème siècle ».

* 1 Mais la moitié de ces bénéficiaires potentiels sont pris en charge par l'aide sociale à l'hébergement

* 1 Un schilling vaut environ 9,48 francs

* 1 1 DM = 3,49 francs

Page mise à jour le

Partager cette page