EXAMEN DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Mesdames, Messieurs,

La commission des Affaires sociales a été saisie au fond de la proposition de résolution présentée par M. Jean Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste "tendant à créer une commission d'enquête sur la gestion, l'organisation et la réforme à conduire des services, organismes et administrations, chargés à un titre ou à un autre d'organiser et de gérer la collecte de produits sanguins utilisés à des fins médicales".

En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, la commission des Lois a été appelée à émettre un avis sur la conformité de la proposition de résolution avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Etant appelée à se prononcer dans le nouveau cadre juridique résultant de la loi du 20 juillet 1991 qui a modifié l'article 6 de l'ordonnance susdite, notamment en ce qu'elle regroupe les anciennes dénominations de commission d'enquête et de commission de contrôle sous le seul vocable de commission d'enquête , la commission des Lois a conclu à la recevabilité juridique de la proposition de résolution, tout en en précisant le régime juridique.

Pour elle, la nouvelle rédaction de l'article 6 de l'ordonnance n'a pas véritablement effacé la distinction entre commission d'enquête et commission de contrôle puisque "les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information, soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ...". Et la commission des Lois de conclure, en se référant à l'exposé des motifs de la proposition de résolution, que celle-ci se situe dans le champ d'intervention des anciennes commissions de contrôle, ce qui la conduit à dire que la procédure d'interrogation du Garde des Sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites juridiques concernant les faits en cause est inutile, puisque la commission aura à enquêter, non sur des faits particuliers mais sur les règles de fonctionnement des services, organismes et administrations chargés de la collecte de produits sanguins.

C'est donc à partir de ce cadre juridique qu'a été amenée à se prononcer votre commission des Affaires sociales. Trois questions se posaient à elle :

1) convient-il d'orienter les investigations sur certains faits -tels que le non-retrait de lots sanguins contaminés- dont on sait qu'ils sont pour beaucoup dans l'émotion soulevée par le drame de la contamination par la transfusion sanguine ?

2) quelle position adopter au regard de la "mission commune d'information chargée d'étudier les conditions de la gestion technique, administrative et financière de la transfusion sanguine en France et les moyens de l'améliorer, notamment dans le respect des principes du don bénévole du sang", nommée par le Sénat le 15 novembre 1991 et constituée le 28 novembre 1991 ?

3) enfin, convient-il de modifier l'objet et le champ des investigations définis par la proposition de résolution, notamment en ce qu'elle envisage d'enquêter sur les réformes à conduire des services, organismes et administrations chargés de la seule collecte des produits sanguins ?

En ce qui concerne la première question, si la tentation peut être grande de chercher à établir d'éventuelles responsabilités face au drame que vivent plusieurs milliers de personnes en raison de ce qui semble apparaître comme des dysfonctionnements du système transfusionnel français, il n'a paru à votre commission ni souhaitable ni opportun de s'engager dans cette voie, et ce pour deux raisons :

- La perspective dans laquelle se place votre commission, en examinant la proposition de résolution, est celle d'une politique efficace de santé publique, ce qui sous-entend un bon fonctionnement du système de santé publique, dans ses différentes composantes. Dès lors, les préoccupations de la commission sont tournées vers l'avenir e il importe pour elle que soient élaborées des propositions pour améliorer le système transfusionnel et, à cette fin, qu'en soit compris le fonctionnement, les règles et les mécanismes décisionnels actuels. Le passé, les éventuelles erreurs commises, l'établissement des responsabilités, qu'il ne s'agit ni de méconnaître ni d'occulter, relèvent d'une autre démarche, mais c'est à la justice de se prononcer.

- La seconde raison est d'ordre juridique : la commission des Lois a clairement défini le champ d'investigation de la commission d'enquête ; en modifiant ce champ, pour faire porter les investigations sur des faits et non plus sur la gestion des organismes cités par la proposition de résolution, la commission des Affaires sociales pourrait amener la commission des Lois à réexaminer sa position et, le cas échéant, à saisir le Garde des Sceaux avant de se prononcer de nouveau. Or, sachant que plusieurs responsables du Centre national de transfusion sanguine (CNTS) font l'objet de poursuites judiciaires, il est probable qu'elle serait amenée à se prononcer pour la non-recevabilité de la proposition de résolution telle qu'elle résulterait d'une telle délibération.

Le véritable débat porte donc sur les deux autres questions soulevées ci-dessus.

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La deuxième question porte sur la coexistence éventuelle de deux instances parlementaires ayant un objet proche, la mission commune d'information et une commission d'enquête ; le Sénat a, en effet, nommé le 15 novembre 1991, à la demande conjointe des présidents des commissions des Affaires économiques, des Affaires sociales, des Finances et des Lois, une mission d'information commune ayant pour objet, dans le cadre de la mission générale de contrôle reconnue au Sénat, d'étudier les conditions de la gestion technique, administrative et financière de la transfusion sanguine en France et les moyens de l'améliorer, notamment dans le respect des principes du don bénévole du sang.

La question se pose donc de la coexistence de deux structures parlementaires portant sur un objet, sinon identique, du moins très proche.

Quel peut être, dans ces conditions, l'intérêt de la création d'une commission d'enquête par rapport à une mission d'information ?

Il convient tout d'abord d'observer que le Règlement du Sénat (article 21) ne fixe pour les missions d'informations que quelques règles relatives à la précision de l'objet, à la durée et à la publication d'un rapport d'information ; en outre, il ne mentionne pas les missions communes d'information, nées progressivement de là pratique à partir de 1972 (ORTF). De ce constat, il ressort que les missions communes d'information se sont constituées par analogie avec les commissions permanentes ou spéciales. Notamment, les rapporteurs n'ont pas plus de pouvoirs d'investigation que ceux d'une commission permanente autre que la commission des Finances.

La mission d'information commune est donc un instrument souple, susceptible d'informer le Sénat sur une question particulière en bénéficiant des connaissances et des expériences différentes de ses membres dans la mesure où ceux-ci appartiennent à plusieurs commissions. Mais une mission d'information ne peut travailler efficacement que si les organismes et les personnes appelées à s'exprimer devant elle collaborent sans réticence aucune.

Les commissions d'enquête, en revanche, portant sur des sujets souvent en rapport avec l'actualité, sont structurées pour pouvoir travailler dans un contexte plus difficile et pour surmonter, le cas échéant, certaines réticences. Mises en oeuvre, dans des conditions beaucoup plus strictes que les missions, elles disposent de prérogatives leur permettant de surmonter les entraves qui pourraient être mises à ses travaux ; ces prérogatives sont notamment :

- l'obligation pour les personnes citées de déférer aux convocations et de témoigner, sous peine d'amende, voire sous la contrainte de la force publique ;

- les sanctions prévues en cas de faux témoignage ;

- la possibilité de demander le concours de la Cour des comptes ;

- enfin, le bénéfice pour leurs rapporteurs des prérogatives des rapporteurs spéciaux de la commission des Finances.

C'est au vu de ces précisions que votre commission s'est prononcée en faveur de la commission d'enquête.

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La troisième question concerne l'objet et le champ d'investigation tels que définis par la proposition de résolution.

La proposition de résolution présentée par M. Jean Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste, porte sur la gestion, l'organisation et la réforme à conduire des services, organismes et administrations, chargés à un titre ou à un autre d'organiser et de gérer la collecte de produits sanguins utilisés à des fins médicales.

Il s'agit donc bien d'étudier l'organisation et les règles de fonctionnement de ces organismes et administrations pour, le cas échéant, formuler des propositions de réforme. Dans l'exposé des motifs de leur proposition de résolution, les auteurs évoquent également le mauvais fonctionnement de l'appareil d'Etat qui exerce sa tutelle sur le système de transfusion sanguine. La commission des Lois a d'ailleurs donné des indications supplémentaires sur ce que pourrait être, dans cette perspective, le champ d'investigation de la commission d'enquête, sans modifier pour autant son cadre juridique : "elle pourrait même étendre ses investigations aux décisions prises par le Gouvernement pour le financement de la collecte des produits sanguins, ainsi qu'aux instructions et aux directives qui auraient été données aux responsables du CNTS".

Il apparaît donc que la commission d'enquête pourrait porter sur l'organisation, les règles de fonctionnement et la gestion des services, organismes et administrations visés, ainsi que sur les décisions financières et les instructions ou directives de la tutelle en ce qu'elles ont interféré avec les règles de fonctionnement.

En outre, pour le cas où il serait décidé de substituer la commission d'enquête à la mission commune d'information, votre commission des Affaires sociales pense qu'il serait opportun de s'inspirer de l'objet de la mission qui, bien que très proche, fait référence "au respect des principes de don bénévole du sang".

C'est pourquoi votre commission propose d'élargir l'objet de la commission d'enquête à l'utilisation qui est faite des produits sanguins collectés. On doit rappeler à ce propos que le Comité consultatif national d'éthique a pris position le 2 décembre dernier sur une directive européenne (89/381 du 14 juin 1989) permettant d'inclure les produits dérivés du sang dans le circuit commercial et lucratif ; selon le Comité, admettre l'achat de sang et de plasma en tant que matière première ainsi que la vente commerciale des dérivés du plasma, constitue la négation des principes de gratuité du don, de respect du donneur et de l'intérêt du malade ainsi que du caractère non lucratif qui inspire le système transfusionnel français.

L'utilisation industrielle et commerciale des produits sanguins, avec les problèmes éthiques que cela pose, peut d'autant moins être écartée du champ des investigations de la commission d'enquête qu'elle a déjà eu des incidences sur le fonctionnement du CNTS, puisque ce dernier a créé des filiales à statut commercial, réunies au sein d'une société holding.

En conséquence de ses observations, la commission des Affaires sociales propose au Sénat d'adopter la proposition de résolution suivante :

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