N° 239
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 janvier 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi tendant à supprimer certaines structures, comités, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité ne semble pas avérée,
Par M. Hervé REYNAUD,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, MM. Georges Naturel, Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
29 et 240 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
I. L'OBJET DE LA PROPOSITION DE LOI : POURSUIVRE LA RATIONALISATION DES INSTANCES CONSULTATIVES ET DÉLIBÉRATIVES
A. LA MAÎTRISE DU NOMBRE D'INSTANCES : UN ENJEU DE SIMPLIFICATION ET DE LISIBILITÉ DE L'ACTION PUBLIQUE
1. Une réduction continue depuis les années 2000
Les instances collégiales placées auprès du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, qu'elles soient amenées à prendre une décision (on parle alors d'instances délibératives) ou à émettre un avis (il s'agit alors d'instances consultatives), participent d'une forme d'« administration consultative »1(*).
La création de telles instances procède de plusieurs considérations : avoir recours à une expertise, associer à la décision publique des professionnels ou des groupes d'intérêt, permettre le dialogue social ou encore incarner la priorité accordée à une politique publique. Lorsqu'y participent des parlementaires, ces instances peuvent également constituer une modalité de contrôle de l'action du Gouvernement par les assemblées parlementaires.
La surabondance de ces instances collégiales, quelles que soient leur forme et leur dénomination (commission, comité, haut conseil) est devenue un symptôme de dysfonctionnement de l'État, à la fois source de lourdeur, de coût et d'inefficacité2(*).
Les instances consultatives : une
compétence de principe
du pouvoir réglementaire
Qu'une instance collégiale relève du domaine de la loi ou du règlement dépend essentiellement des missions qui lui sont confiées.
Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel que la création d'une instance consultative relève en principe du pouvoir réglementaire, sauf lorsque cet avis constitue une garantie dans des domaines touchant aux règles ou aux principes fondamentaux que la Constitution a rangés dans le domaine de la loi (voir not. les décisions n° 2013-237 L du 21 mars 2013, n° 2013-239 L du 18 avril 2013, n° 2013-241 L du 5 novembre 2013 et n° 2015-256 L du 21 juillet 20153(*)).
Par conséquent, les dispositions législatives qui les instituent peuvent être « déclassées » par la procédure prévue au second alinéa de l'article 37 de la Constitution.
Tel n'est pas le cas des instances auxquelles le législateur a confié des attributions décisionnelles.
Toutefois, depuis la loi organique du 15 septembre 20174(*) et en vertu du II de l'article L.O. 145 du code électoral, la présence de parlementaires dans un organisme extra-parlementaire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi, ce qui a conduit à donner une base législative à un grand nombre d'instances5(*).
Alors que leur nombre exact est longtemps demeuré inconnu, un travail de recensement de ces instances, lancé à l'initiative du Parlement depuis la loi de finances initiale pour 19966(*), a permis de mieux les identifier.
Ce recensement annuel est désormais mené en vertu de l'article 179 de la loi de finances initiale pour 20207(*) et prend la forme d'un document annexé au projet de loi de finances de l'année (PLF), dit « jaune » budgétaire.
Ce document présente la liste des commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre ou des ministres ou de la Banque de France prévues par les textes législatifs et réglementaires. Il en évalue le coût de fonctionnement des trois années précédentes, présente le cas échéant une justification de l'évolution de ce coût, indique le nombre de leurs membres et le nombre de leurs réunions tenues lors des trois années précédentes. Il rappelle enfin les commissions et instances créées ou supprimées dans l'année.
Présentée comme une priorité par les gouvernements successifs depuis le début des années 2000, la rationalisation des instances collégiales auprès du Gouvernement s'est traduite par la réduction importante du nombre de ces instances, qui a été divisé par 2,5 depuis 2008.
En 2023, le nombre des instances consultatives ou délibératives recensées dans ce document s'élevait à 317, en légère augmentation par rapport à l'année précédente (313) ; il est néanmoins très inférieur à celui constaté en 2013 (594) ou en 2008 (799).
Nombre d'instances énumérées par le « jaune » annexé au PLF
Source : commission des lois, à partir des données publiques.
La politique de rationalisation du nombre d'instances consultatives et délibératives a pris trois formes principales :
- la limitation des créations, par la règle du « un pour un », en vertu de laquelle toute création d'une nouvelle commission consultative doit s'accompagner de la suppression d'une commission existante8(*), exigence portée en 2018 à la suppression de deux instances pour toute création9(*) ;
- pour les instances consultatives de niveau réglementaire, une durée d'existence limitée, qui ne peut excéder cinq ans, et l'exigence d'une étude d'impact ayant notamment pour objet d'établir que « la mission impartie à la commission répond à une nécessité et n'est pas susceptible d'être assurée par une commission existante » (art. R.* 133-2 CRPA), leur renouvellement étant soumis aux mêmes conditions ;
- des suppressions et fusions d'instances, menées à intervalles réguliers par voie législative ou réglementaire10(*).
Comme l'expose le Secrétariat général du gouvernement (SGG) : « La plupart des suppressions des quinze dernières années ont été réalisées par décret ou par non-renouvellement d'instances arrivées à échéance en application du code des relations entre le public et l'administration. Les suppressions d'instances ayant un fondement législatif (souvent parce que leur composition comprend des parlementaires) sont plus difficiles à réaliser et beaucoup moins nombreuses »11(*), ce qui fait que près des deux tiers des commissions recensées en 2023 ont une base législative (185 sur 317).
Depuis 2017, deux lois ont procédé à la suppression de plusieurs commissions ou conseils :
- dix instances ont été supprimées par la loi n° 2018-699 du 3 août 2018 visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement ;
- treize l'ont été par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, dite « ASAP ».
2. Rationaliser le paysage administratif : une priorité renouvelée, des résultats encore limités
La réduction du nombre d'instances collégiales a été présentée comme une priorité par le Premier ministre Gabriel Attal dans son discours de politique générale du 30 janvier 2024, dans lequel il annonçait : « Simplifier pour éviter la gabegie, c'est possible, et je vous annonce une règle générale simple : tous les organes, organismes, comités ou autres, qui ne se sont pas réunis ces 12 derniers mois, seront supprimés automatiquement ».
L'article 1er du projet de loi de simplification de la vie économique, adopté en première lecture par le Sénat et en cours d'examen par l'Assemblée nationale, prévoit en conséquence la suppression de cinq instances consultatives :
- le Conseil supérieur de l'aviation civile ;
- le Conseil stratégique de la recherche ;
- la Commission chargée d'apprécier l'aptitude à exercer les fonctions d'inspecteur général ou de contrôleur général ;
- le Comité national de la gestion des risques en forêt ;
- la Commission de concertation du commerce.
Cette dernière instance a été ajoutée par le Sénat, en lieu et place de la Commission supérieure du numérique et des postes dont il a refusé la suppression.
Hormis ce projet de loi, les résultats de cette politique de rationalisation s'avèrent à ce jour limités puisque le jeu des suppressions et des créations par la voie réglementaire n'a abouti à la suppression nette que d'une seule instance au cours de l'année 2024.
Instances collégiales créées et supprimées en 2024
Durant l'année 2024, cinq instances ont été supprimées par voie réglementaire ou sont arrivées à échéance sans renouvellement :
- Conseil de l'inclusion dans l'emploi : comité arrivé à échéance ;
- Comité de normalisation des données sociales déclaratives et de leurs échanges : instance supprimée et remplacée par un comité chargé de la simplification et de la qualité des déclarations sociales ;
- Comité de suivi de l'expérimentation de l'accompagnement des transitions professionnelles : a cessé formellement d'exister depuis le 1er janvier 2024, date de la fin de l'expérimentation par les entreprises ;
- Commission nationale des services : instance gagée et abrogée au titre de l'application du mécanisme dit du « 2 pour 1 » ;
- Commission de concertation du commerce : instance gagée et abrogée (s'agissant des règles d'organisation et de fonctionnement) au titre de l'application dit du « 2 pour 1 ».
Dans le même temps, quatre nouvelles instances ont été créées en 2024 :
- Commission d'agrément des organismes de qualification des professionnels du bâtiment, des dispositifs de production d'électricité utilisant l'énergie solaire photovoltaïque sur bâtiments, et des infrastructures de recharge pour véhicules électriques ;
- Comité consultatif national d'éthique du numérique ;
- Comité chargé de la simplification et de la qualité des déclarations des données sociales ;
- Comité national pour l'emploi (prend la suite du Conseil de l'inclusion dans l'emploi, arrivé à terme en novembre 2023).
Source : Secrétariat général du Gouvernement.
* 1 Sur cette notion, voir l'étude annuelle du Conseil d'État de 2011 : « Consulter autrement, participer effectivement ».
* 2 Le guide de légistique du Secrétariat général du Gouvernement et du Conseil d'État, édité par la Documentation française (3e ed., 2017), expose ainsi les inconvénients des instances consultatives : « Au-delà de l'intérêt politique ou psychologique supposé que peut comporter l'annonce de leur création, leur utilité réelle est souvent modeste dans la durée, tandis que leurs inconvénients ne doivent pas être sous-estimés : dilution des responsabilités qui peut en résulter, temps qu'ils prennent à ceux qui y participent, délais supplémentaires qu'ils induisent dans le processus de décision, risque d'illégalité de cette dernière si la consultation n'a pas été conduite régulièrement ».
* 3 Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions de l'article L. 253 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre qui prévoient l'intervention d'une commission d'experts pour l'attribution de la carte du combattant relèvent du domaine de la loi.
* 4 Article 13 de la loi organique n° 2017-1338 du 15septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.
* 5 Prévue notamment par la loi n° 2018-699 du 3 août 2018 visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination.
* 6 Article 112 de la loi n° 95-1346 du 30 décembre 1995 de finances pour 1996.
* 7 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
* 8 Circulaire PM n° 5618/SG du 30 novembre 2012 et circulaire PM n° 5975/SG du 24 octobre 2017.
* 9 Circulaire PM n° 6038/SG du 12 septembre 2018 relative à la poursuite de la modernisation des procédures de consultation préalable et à la réduction du nombre des commissions consultatives.
* 10 Par exemple, le décret n° 2018-785 du 12 septembre 2018 portant suppression de commissions administratives à caractère consultatif.
* 11 Contribution écrite adressée au rapporteur.