B. LA RÉDUCTION DES DÉPENSES PUBLIQUES POURRAIT AVOIR UN IMPACT RÉCESSIF SUR LA CONJONCTURE ÉCONOMIQUE, AVEC UN EFFET INCERTAIN, MAIS PROBABLEMENT NÉGATIF, SUR L'EMPLOI
1. La dépense publique en faveur de l'apprentissage, jusqu'alors incontrôlée, diminuerait enfin en 2025
a) S'il est difficile à estimer avec précision, le coût budgétaire de l'apprentissage est indéniablement très élevé
Les dépenses publiques soutenant l'apprentissage ont été très élevées en 2023 et le resteront en 2024. S'agissant du coût supporté par l'État seul, les rapporteurs spéciaux l'avaient estimé à environ 7 milliards d'euros dans leur dernier rapport budgétaire sur le projet de loi de finances pour 20248(*).
Ce chiffre porte néanmoins sur un périmètre très incomplet, l'apprentissage étant principalement financé par France Compétences via les opérateurs de compétences (Opco). La Cour des comptes a chiffré le coût des dispositifs d'alternance à 16,8 milliards d'euros en 20239(*). Quant à la revue des dépenses conduite par les inspections générales des finances (IGF) et des affaires sociales (Igas)10(*), elle actualise certains chiffrages et apporte de nombreuses informations nouvelles mais sans en consolider le coût.
À la connaissance des rapporteurs spéciaux, l'estimation la plus récente et la plus complète du coût faramineux de l'apprentissage pour les finances publiques a été publiée dans un Policy Brief de l'office français des conjonctures économiques (OFCE)11(*) : il s'élèverait à 24,9 milliards d'euros en 2023 et à 24,6 milliards d'euros en 2024.
Répartition du coût de l'apprentissage pour les finances publiques
(en millions d'euros)
Source : Bruno Coquet, article cité. Se reporter à l'article pour les précisions méthodologiques
Cette estimation inclut, outre le coût des aides à l'embauche des apprentis et, pour les années précédant 2021, le coût des diverses aides qui préexistaient à l'introduction de l'aide unique :
- le coût de l'ensemble des exonérations de cotisations dont les rémunérations des apprentis font l'objet, qu'il s'agisse des exonérations de cotisations employeurs ou des cotisations salariales ;
- le coût de l'exonération d'impôt sur le revenu jusqu'au niveau du SMIC dont fait l'objet la rémunération des apprentis ;
- le coût pour l'Assurance chômage de l'ouverture de droits à ce titre, durant leur apprentissage, par les apprentis qui bénéficient ensuite des prestations associées ;
- les coûts pédagogiques, couverts par France Compétences et les Opco via les niveaux de prise en charge (NPEC) déterminés en lien avec les branches professionnelles.
Ce chiffrage reste, selon son auteur, « prudent, notamment parce que, comme tous les chiffrages officiels, il ne prend pas en compte certaines dépenses telles que le coût des trimestres de retraites alloués aux apprentis (12 milliards d'euros par an) ». Inversement, « les bourses économisées du fait que certains apprentis n'y sont pas éligibles alors qu'ils l'auraient été en tant qu'étudiants non-apprentis » pourrait faire diminuer cette estimation.
b) Le coût de l'apprentissage pour les finances publiques diminuerait en 2025, sous l'effet de diverses mesures en recettes et en dépenses
Le projet de loi de finances pour 2025, en particulier dans la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux », prévoit plusieurs diminutions de dépenses finançant l'alternance.
En effet, les crédits dédiés à « l'aide unique exceptionnelle », issue de la fusion en 2023 entre l'aide unique (disparue en 2024) et l'aide exceptionnelle aux employeurs d'apprentis créée à l'occasion de la crise sanitaire, diminueraient de 17 % en AE. Cette diminution traduit la perspective d'une mesure paramétrique qui serait prise par voie réglementaire et qui pourrait ainsi générer plus d'un demi-milliard d'euros d'économies (- 663 millions d'euros en AE entre la LFI 2024 et le PLF 2025)12(*).
La nature de cette mesure d'économie, actuellement en arbitrage, n'est pas encore connue. Il pourrait s'agir d'un meilleur ciblage de l'aide à l'embauche, comme les rapporteurs spéciaux l'avaient recommandé lors de l'examen du PLF pour 2024 ; elle pourrait également prendre la forme d'une diminution du montant forfaitaire de la prime de 6 000 euros à 4 500 euros, ou d'une combinaison de plusieurs mesures similaires.
De même, les dépenses liées à la prise en charge des contrats de professionnalisation seraient nulles (ou quasi nulles) en 2025, du fait de la suppression de cette aide décidée à la suite du décret d'annulations du 21 février 2024.
Évolution du coût de l'alternance
pour la mission « Travail et emploi »
entre la LFI
pour 2024 et le PLF pour 2025
(en millions d'euros)
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Évolution 2025/2024 |
||||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
|
Aide exceptionnelle aux contrats d'apprentissage |
3 906 |
3 530 |
3 243 |
3 465 |
- 17,0 % |
- 1,8 % |
Aide unique aux contrats d'apprentissage |
0 |
136 |
0 |
0 |
- |
- 100,0 % |
Aide aux contrats de professionnalisation |
303 |
273 |
0 |
26 |
- 100,0 % |
- 90,5 % |
Dotation versée à France compétences |
2 500 |
2 500 |
2 026 |
2 026 |
- 19,0 % |
- 19,0 % |
Exonération de cotisations sociales des contrats d'apprentissage |
1 697 |
1 697 |
1 310 |
1 310 |
- 22,8 % |
- 22,8 % |
Exonération IR du salaire des apprentis (perte de recette estimée V&M tome II) |
373 |
373 |
- |
|||
TOTAL |
8 779 |
8 509 |
6 952 |
7 200 |
- 20,8 % |
- 15,4 % |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Au total, le coût de l'apprentissage pour la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » serait de 6,9 milliards d'euros en AE et 7,2 milliards d'euros en CP en 2025, soit une diminution de 20,8 % en AE et 15,4 % en CP par rapport à 2024.
En outre, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, dans sa rédaction au moment de son dépôt à l'Assemblée nationale, prévoit à son article 7 de diminuer le coût pour les finances publiques :
- d'une part, avec l'exclusion des salaires des apprentis de l'assiette de la CSG-CRDS, qui serait transformée en une exonération à hauteur de 50 % du SMIC afin de générer environ 360 millions d'euros de recettes de CSG-CRDS par an ;
- d'autre part, compte tenu du seuil d'assujettissement aux cotisations salariales de la rémunération des apprentis, aujourd'hui fixé à 79 % du SMIC, qui serait abaissé à 50 % du SMIC par voie réglementaire, générant environ 300 millions d'euros par ans d'économies sur la compensation versée à la sécurité sociale par le budget de l'État. L'estimation de dépenses de compensation de ces exonérations inscrites sur la mission pour 2025 (387 millions d'euros, soit - 22,8 %) tient vraisemblablement compte de cette mesure.
2. La réduction du déficit structurel aura vraisemblablement un impact récessif non négligeable, avec des effets négatifs sur l'emploi
La faible dynamique des créations d'emploi, en diminution depuis 2023, devrait se poursuivre en 2024 et en 2025. Selon l'OFCE13(*), les créations d'emplois ont continué de ralentir, avec 210 000 créations nettes en glissement annuel (soit une hausse de 1,1 %) par rapport aux 499 000 enregistrées en 2022 (+ 2,4 %). Sur la première moitié de l'année 2024, l'économie française a continué de créer des emplois, mais à un rythme plus modéré : + 73 000 par rapport à fin 2023.
Selon les prévisions des conjoncturistes, l'emploi diminuerait de 0,5 % en 2024, ce qui représente environ 140 000 destructions d'emploi. L'emploi salarié marquerait en particulier un coût d'arrêt au second semestre (- 31 000 emplois), notamment du fait de la baisse des financements dédiés aux politiques de l'emploi (- 64 000 emplois), que ne compenserait que partiellement l'évolution anticipée de l'activité (+ 25 000 emplois).
La résorption des politiques volontaristes en faveur de l'emploi annoncée dans le PLF pour 2025 serait donc la principale responsable du ralentissement des créations d'emplois.
Dans le détail, la réforme des allègements généraux de cotisations patronales dans le PLFSS 2025, mesure d'économies de 5,1 milliards d'euros l'année prochaine, aurait pour conséquence une suppression d'environ 15 000 emplois la première année.
En outre, la réduction des enveloppes dédiées aux divers dispositifs d'insertion, dont l'État contrôle à la fois le volume et les modalités, aurait pour conséquence une réduction du nombre de leurs bénéficiaires. C'est notamment le cas des emplois francs, qui sont supprimés à compter de 2025, mais aussi des contrats aidés, qui ne pourront plus être conclus dans le secteur marchand en 2025. Les enveloppes dédiées aux contrats aidés dans le secteur non marchand seraient maintenues, mais leur évolution serait sévèrement contrainte, voire diminuée. Ainsi, le nombre de bénéficiaires de ces dispositifs, qui avaient atteint 84 000 après les premières coupes budgétaires en 2024, serait réduit à 73 000 fin 2025 selon les estimations de l'OFCE.
La baisse du soutien public à l'apprentissage résulterait en une résorption de ce dispositif, qui diminuerait sensiblement au second semestre 2025 en raison de la concentration des entrées en apprentissage autour du mois de septembre. Une part significative des suppressions d'emplois, à hauteur de 55 000 emplois non créés, en résulterait.
Évolutions des entrées en emploi
aidé sur les 12 derniers mois
entre 2012 et
2025
(en milliers)
Source : OFCE, article cité.
Cette baisse du niveau de l'emploi explique probablement la diminution prévue des crédits consacrés à la compensation à la sécurité sociale des exonérations « ciblées » de cotisations sociales, hors les exonérations à destination des particuliers employeurs : ainsi, les montants de l'exonération TEPA diminueraient de 110 millions d'euros (- 11,3 %) et ceux consacrés à l'exonération pour les créateurs et repreneurs d'activité (ACRE) également (- 14,6 %). Comme mentionné plus haut, le coût de l'exonération de cotisations sur les rémunérations des apprentis diminuerait également de 386 millions d'euros (soit - 22,8 %), en raison de la baisse des entrées en apprentissage.
Pour l'OFCE, la conséquence de cette contraction des dépenses publiques en faveur de l'emploi serait une hausse du taux de chômage, qui, de 7,2 % au second semestre 2024, augmenterait à 7,5 % à la fin de l'année et s'établirait à 8 % à la fin de l'année 2025.
Comme l'a relevé l'économiste Bruno Coquet, entendu par les rapporteurs spéciaux, la baisse des entrées en apprentissage n'a que peu d'impact sur l'évolution du taux de chômage, dans la mesure où la majorité des apprentis étaient, avant leur entrée dans le dispositif, des étudiants et non des chômeurs. L'OFCE14(*) relève ainsi que « l'impact [du resserrement budgétaire] sur le chômage serait limité en raison du fait que l'essentiel de ces destructions d'emploi proviendrait de l'apprentissage. »
* 8 Rapport n° 128 (2023-2024) fait par M. Emmanuel Capus et Mme Ghislaine Senée au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2024, tome III, annexe n° 32.
* 9 Cour des comptes « Recentrer le soutien public à la formation professionnelle et à l'apprentissage », Note thématique, juillet 2023. Pour la Cour, l'alternance englobe les contrats d'apprentissage et de professionnalisation.
* 10 Igas/IGF, Revue des dépenses publiques d'apprentissage et de formation professionnelle, mars 2024.
* 11 Coquet B., OFCE Policy Brief, « Apprentissage : quatre leviers pour reprendre le contrôle » n° 135, 12 septembre 2024.
* 12 La moindre diminution des CP (- 1,8 %) traduirait la continuation des financements des contrats d'apprentissage déjà signés.
* 13 Heyer É. et Timbeau, X. (dir.), OFCE Policy Brief, « La croissance à l'épreuve du redressement budgétaire. Perspectives 2024-2025 pour l'économie française », n° 137, 16 octobre 2024.
* 14 OFCE, article cité.