B. UNE DIMINUTION DES CRÉDITS POUR 2025 QUI NE DEVRAIT TOUTEFOIS PAS ENTRAVER LES PROMESSES FORMULÉES À L'ÉGARD DU MONDE AGRICOLE

L'effectivité d'une baisse des crédits dans le PLF pour 2025 apparaît donc indéniable mais le périmètre de cette diminution peut être nuancé. Les rapporteurs spéciaux se sont donc principalement attachés à vérifier que le niveau des crédits envisagés pour 2025 est en adéquation avec le périmètre des politiques publiques conduites et qu'il intègre les engagements qui ont été pris à l'égard des agriculteurs.

En effet, des tensions sociales chez les agriculteurs dans de nombreux États européens, dont la France, au premier semestre 2024, ont conduit le Gouvernement Attal, puis le Gouvernement Barnier, à formaliser 70 engagements en tout, en faveur des agriculteurs.

Certaines aides d'urgence ont été versées en cours d'année 2024 pour un total de 270 millions d'euros versés à plus de 30 000 agriculteurs (fonds d'urgence pour les agriculteurs dont le troupeau est touché par la maladie hémorragique épizootique -MHE-, aide d'urgence pour l'agriculture biologique, fonds d'urgence pour la filière viticole, fonds d'urgence en raison des aléas climatiques, etc.).

D'autres mesures d'urgences ont été annoncées et sont en cours de mobilisation : un fonds hydraulique agricole (20 millions d'euros), un fonds pour l'agriculture méditerranéenne doté de 50 millions d'euros (dont 30 millions d'euros feront l'objet d'un appel à projet qui sera lancé par FranceAgriMer au mois de décembre prochain).

Certaines mesures attendues, non budgétaires ou fiscales, ont par ailleurs été prises (nouveau plan national loup, publication de mesures règlementaires sur le contentieux agricole, sur les obligations légales de débroussaillement, sur la simplification des mesures administratives préalables au curage, etc.) ou ont vocation à être prises à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (prise en compte des 25 meilleures années pour le calcul de la pension de retraite, relèvement de 1,2 à 1,25 SMIC du seuil de dégressivité du dispositif travailleurs occasionnels -demandeurs d'emploi, dit TO-DE) ou du projet de loi d'orientation agricole dont l'examen devrait reprendre en janvier 2025.

Quelques promesses sont également en cours de discussion à l'échelle européenne.

Toutefois, un nombre important d'engagements doit encore trouver une traduction au plan national sur le fondement du projet de loi de finances pour 2025. Certains engagements se traduisent par des dispositions fiscales qui figurent en première partie du projet de loi de finances pour 2025 (non-imposition sous condition de 30 % des reprises de dotation pour épargne de précaution, la transformation de la dotation pour stock de vaches en une provision comptable ainsi que des avantages fiscaux destinés à favoriser la transmission de patrimoine vers les jeunes agriculteurs). Les rapporteurs spéciaux renvoient au rapport du rapporteur général sur la première partie du PLF pour le détail des mesures prises.

Quelques-uns des engagements pris à l'égard des agriculteurs le seront sur le fondement des crédits budgétaires votés en seconde partie de la loi de finances. Les rapporteurs spéciaux se sont donc penchés sur l'adéquation des crédits budgétaires proposés aux engagements pris. Ils considèrent, à l'issue des nombreux échanges conduits que la baisse des crédits de la mission, même si elle donne lieu à des arbitrages qui seront politiquement débattus, n'entrave pas la capacité du Gouvernement à disposer des moyens de répondre, au cours de l'année 2025, aux attentes légitimes des agriculteurs. Ils constatent notamment le maintien des crédits destinés à favoriser le renouvellement des générations agricoles et à alléger le coût du travail. Par ailleurs, même si des améliorations devront sans doute être apportées, les dépenses de personnel pour 2025 devraient permettre de ne pas entraver le niveau de services rendus aux agriculteurs.

1. La pérennisation des crédits budgétaires consacrés au renouvellement des générations

Le renouvellement des générations constitue un défi d'ampleur pour le secteur agricole. Alors que la moitié des nouveaux entrants dans le secteur n'est pas issu du monde agricole9(*), et ne dispose en conséquence d'aucun bien foncier agricole, la mise en place de politiques volontaristes pour attirer de nouveaux exploitants et travailleurs agricoles constitue une nécessité pour rétablir la souveraineté alimentaire. Comme le relevait la Cour des comptes dans une enquête remise à la commission des finances au titre du 2° de l'article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances10(*), 43 % des exploitants sont à l'heure actuelle âgés de 55 ans ou plus, et susceptibles de partir à la retraite d'ici à 2033. L'âge moyen des agriculteurs français est ainsi passé de 50,2 ans en 2010 à 51,4 ans en 2020. Or, le profil des candidats à l'installation évolue lui aussi. Si la transmission des exploitations s'est longtemps faite dans un cadre familial, elle s'opère également aujourd'hui au profit de nouveaux arrivants.

Une démarche volontariste pour rétablir l'attractivité du secteur agricole doit être mise en place et concerner tous les aspects de la vie professionnelle des intervenants : l'accès à la profession par des formations de qualité, l'accès au foncier agricole, le bénéfice d'un revenu digne, un juste rapport de force avec les autres acteurs économiques, une fiscalité adaptée, etc. Se sont ainsi multipliées les initiatives législatives11(*), en particulier pour l'accès au foncier, que ce soit pour faciliter l'accès à la propriété, ou à la location (comme c'est le cas de 40 % des exploitants agricoles aujourd'hui).

Le financement de l'aide à l'installation des agriculteurs provient à la fois de financements européens12(*), alloués par l'intermédiaire des régions, de dispositifs fiscaux (évoqués supra), d'avantages sociaux comme des exonérations de cotisations sociales à la mutualité sociale agricole (MSA) spécifiquement tournées vers les primo-installants, ainsi que de dotations budgétaires finançant des aides directes à l'installation ou des prêts bonifiés13(*).

Du fait de la transmission aux conseils régionaux de la gestion des aides non-surfaciques, en application de la PAC 2023-2027, incluant la « dotation aux jeunes agriculteurs » ainsi que les aides liées à la modernisation des installations, lesquelles constituent un vecteur indispensable avant toute transmission, l'action 23 « Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles » du programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt » avait vu ses crédits diminuer entre 2023 et 2024 (123 millions d'euros pour 2024 contre 172 millions d'euros en 2023). Cet état de fait avait été compensé par un cumul des crédits supplémentaires à destination des régions qui avait abouti, au final, à un maintien des aides à l'installation en 2024. Ces crédits d'aide à l'installation sont globalement pérennisés pour 2025, répondant là aussi aux engagements pris, d'autant qu'ils viennent en complément des mesures fiscales d'incitation à la transmission des exploitations agricoles au profit de jeunes agriculteurs portées à l'article 19 de la première partie du projet de loi de finances pour 2025.

Toutefois, les rapporteurs spéciaux notent, à ce stade, une exception dans le respect des promesses gouvernementales concernant les crédits budgétaires étatiques à destination des aides du programme d'accompagnement à l'installation et à la transmission en agriculture (AITA) tels qu'ils sont prévus, à ce stade, dans le PLF pour 2025.

Les AITA sont destinées à soutenir l'accompagnement des candidats à l'installation et la transmission des exploitations agricoles. Elles visent notamment à accompagner les jeunes s'installant hors du cadre familial, qui sont, comme indiqué précédemment, de plus en plus nombreux. Ce programme, qui n'est pas cofinancé par l'Union européenne, a pris le relais, en 2018, du programme pour l'installation des jeunes en agriculture et de développement des initiatives locales (PIDIL) en intégrant les dispositifs relevant de la préparation à l'installation. Le programme AITA permet d'adapter, dans les régions, des mesures nationales, ainsi que diverses interventions opérationnelles et financières diversifiées.

En 2023, dernier exercice intégralement exécuté, les crédits d'État pour le programme AITA, qui se sont élevés au total à 14 015 319,17 euros, ont financé principalement trois actions (qui concentrent 85 % des crédits totaux) :

- 31% du total des crédits ont été consacrés aux actions régionales d'animation et de communication en faveur du métier d'agriculteur, de l'installation et de la transmission ;

- 29% aux activités des centres d'élaboration des plans de professionnalisation personnalisés (CEPPP) ;

- et 25 % à l'accueil des porteurs de projet dans les « points accueil-installation ».

Afin de favoriser la mise en place d'interlocuteurs uniques dans le parcours d'aide à l'installation de nouveaux agriculteurs, qui constituent un élément essentiel dans la réussite du dispositif, l'État s'est engagé à relever les crédits budgétaires étatiques destinés à l'AITA à 20 millions d'euros : or, à ce stade, ce sont environ 13 millions d'euros qui sont inscrits en PLF pour 2025 pour l'AITA. Certes, le gouvernement fait valoir que les nouveaux dispositifs d'accompagnement ne seront pas en place dès le 1er janvier 2025 et que les 20 millions d'euros promis s'entendent en année pleine. Les rapporteurs spéciaux considèrent néanmoins qu'une voie intermédiaire entre les 13 millions d'euros inscrits et les 20 millions d'euros estimés pour le nouveau dispositif en année pleine pourrait sans doute être trouvée. Ils notent que les discussions entre le Gouvernement et les chambres d'agriculture se poursuivent sur ce point et ils ne prennent donc pas l'initiative, dans l'immédiat, d'un amendement de mouvement de crédits à ce sujet, préférant que se poursuive le dialogue avec le gouvernement.

2. Une diminution des dépenses de personnel de 52 millions d'euros par rapport à la LFI 2024 mais qui correspond en réalité à une reconduction des dépenses exécutées

La mission est également caractérisée par une diminution des dépenses de personnel. Celles-ci atteignent en 2025 un total de 934,03 millions d'euros en AE comme en CP réparties entre les programmes 206 (358,78 millions d'euros en 2025 contre 390,42 millions en 2024) et 215 (575,25 millions d'euros en 2025 contre 592,44 millions d'euros un an plus tôt) soit une baisse de 48,83 millions d'euros (- 4,97 %).

Cette diminution, si l'on compare le PLF pour 2025 et la LFI pour 2024, est à nuancer puisque dès le début de l'année 2024, le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits a abouti à l'annulation, en AE comme en CP, de 60 011 065 euros sur le programme 215 et 10 512 570 euros sur le programme 206, exclusivement sur des dépenses de personnel. Il s'est agi de postes ouverts mais jamais pourvus et qui continueront donc à ne pas l'être en 2025. Les dépenses de personnel ouvertes pour 2025 sont donc supérieures de 18 millions d'euros aux ouvertures réellement constatées en 2024, incluant les mouvements de crédits infra-annuels, et devraient donc permettre de couvrir les besoins pour 2025.

3. Des dispositifs d'allègement du coût du travail préservés

Le dispositif d'exonérations de cotisations patronales sur bas salaires TO-DE (travailleurs ouvriers demandeurs d'emplois) bénéficie à un employeur agricole qui souhaite recruter un travailleur saisonnier. Il est reconduit cette année encore.

Les crédits y afférant sont retracés dans l'action 25 « Protection sociale » du programme 149 (cf. infra). Les allègements du coût du travail en agriculture, qui sont destinés à compenser le manque à gagner lié à cette exonération à la Mutualité Sociale Agricole (MSA), ont été isolés dans le programme 381 « Allègements du coût du travail en agriculture ». Ce programme ne comprend qu'une seule action intitulée « Allègement du coût du travail de la main-d'oeuvre saisonnière » pour un montant de 448,5 millions d'euros en 2025, contre 423 millions d'euros en 2024 (cf. infra pour le commentaire par programme).

Les rapporteurs spéciaux constatent que l'effort porté sur ce dispositif, combiné à diverses mesures relevant du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, témoigne de la volonté gouvernementale de fluidifier le marché de l'emploi agricole, après l'inscription de l'agriculture dans la liste des secteurs de métiers à tension qui facilite le recrutement de la main-d'oeuvre hors Union européenne par la dispense de l'opposabilité de la situation de l'emploi.


* 9 Sur ces deux points, on se reportera utilement au rapport d'information « On ne naît pas agriculteur, on le devient », de MM. Vincent SEGOUIN et Patrice JOLY, fait au nom de la commission des finances, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la politique d'installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles.

* 10 Cour des comptes, La politique d'installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles, communication à la commission des finances du Sénat, avril 2023.

* 11 Sur le contexte défavorable à l'accès au foncier agricole, on se reportera utilement au rapport n° 61 (2023-2024), déposé le 25 octobre 2023, de M. Christian Klinger sur la proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises.

* 12 Ces financements européens comprennent des aides du premier pilier de la PAC : l'aide complémentaire au revenu pour les jeunes agriculteurs (ACJA) qui a pris la suite à partir de 2023 du paiement en faveur des jeunes agriculteurs (PJA) de la programmation 2015-2022, ainsi que des aides du second pilier de la PAC comme la dotation jeunes agriculteurs (DJA) - et les prêts bonifiés jusqu'en 2017)- auxquelles s'ajoutent des majorations des aides à l'investissement prévues dans le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE).

* 13 À la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes a établi, en avril 2023, une synthèse de ces divers dispositifs dans son enquête consacrée à « La politique d'installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles ».

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