TROISIÈME PARTIE
LES DÉPENSES FISCALES EN
FAVEUR DE L'OUTRE-MER
A. UN OUTIL CONTESTÉ MAIS INDISPENSABLE POUR LES ENTREPRISES ET LES POPULATIONS D'OUTRE-MER
1. Un outil contesté dans sa pertinence
En sus des crédits budgétaires, les dépenses fiscales contribuent à la dynamisation de l'économie, à l'attractivité des territoires et à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socio-économique entre l'outre-mer et l'hexagone.
Sur les deux programmes de la mission, elles devraient s'établir, en 2025, à 5,456 milliards d'euros, soit quasiment deux fois plus que les crédits budgétaires portés par la mission « outre-mer ».
En raison des montants en jeu, les dépenses fiscales sont cependant des outils contestés pour plusieurs raisons mises en exergue de manière récurrente, en particulier par la Cour des comptes dans ses rapports sur l'exécution budgétaire et dans son rapport40(*) sur les financements de l'État en outre-mer.
Elle estime, en effet, que l'efficacité de ces dépenses n'est pas avérée et que leur surcoût est important par rapport à d'autres dispositifs en raison notamment :
- des difficultés de chiffrage et, de fait, du coût réel qu'elles représentent pour l'État ;
- des difficultés de pilotage ;
- de l'absence d'évaluation de l'efficacité et de l'efficience des dépenses fiscales et, à tout le moins, des plus significatives ;
- de l'absence de règles précises et formalisées relatives à la définition et à la modification du périmètre des dépenses fiscales.
2. Un outil pourtant indispensable
Malgré les critiques récurrentes, les rapporteurs spéciaux estiment que ces dépenses représentent un outil essentiel pour contribuer à la dynamisation de l'économie, à l'attractivité des territoires et à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socio-économique entre l'outre-mer et l'hexagone.
À ce titre, elles sont considérées par le droit de l'Union européenne comme des aides à finalité régionale, placées sous le régime du règlement général d'exemption par catégorie41(*), car considérées comme ne représentant pas un avantage concurrentiel massif et de nature à compenser les surcoûts liés à cette situation géographique particulière.
Elles ont un effet incitatif notamment sur la construction de logements et répondent ainsi à un besoin prégnant en outre-mer.
Hors dépenses fiscales relatives au logement, elles permettent un maintien du pouvoir d'achat des ultramarins et contribuent aux tentatives de réalignement des niveaux de vie avec l'hexagone. C'est notamment le cas des exonérations ou des taux réduits de TVA. La pertinence de cet outil est telle que le Gouvernement envisage au PLF 2025 d'exempter de TVA une liste de produits de première nécessité en Guadeloupe et à la Martinique, afin de lutter contre les conséquences de la vie chère en outre-mer. Les rapporteurs spéciaux souhaiteraient d'ailleurs étendre ces exemptions à La Réunion, pour des raisons d'équité sociale au vu du niveau des prix très élevé.
Elles concourent à l'amélioration de la compétitivité des entreprises ultramarines dans un marché plus contraint que dans l'hexagone et favorisent l'investissement privé.
Les dépenses fiscales ont, enfin, une portée politique dont il ne faudrait pas négliger l'impact en termes de climat social dans les territoires d'outre-mer.
3. Des études récentes conduites
Sur la période 2021 à 2023, la direction générale des outre-mer a coordonné trois évaluations portant sur des dépenses fiscales suivantes :
- l'évaluation des abattements applicables dans les collectivités d'outre-mer en application des articles 44 quaterdecies, 1388 quinquies, 1395 H et 1466 F du code général des impôts, dit dispositif des « zones franches d'activité nouvelle génération » en 2021 ;
- l'évaluation de l'augmentation du seuil pour bénéficier de la franchise en base de TVA en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion en 2022 ;
- l'évaluation de l'impact de l'aide fiscale à l'investissement productif neuf en outre-mer, selon un rapport de l'IGF paru en juillet 2023.
Évaluation du régime d'aide fiscale à l'investissement productif
Les ministres chargés de l'économie, des comptes publics, de l'intérieur et de l'outre-mer ont demandé à l'inspection générale des finances de conduire des travaux sur ce régime. Il résulte des travaux de la mission 16 propositions destinées à :
- mieux cibler le RAFIP au bénéfice de l'exploitant, en favorisant notamment la montée en charge des dispositifs désintermédiés (crédit d'impôt) ;
- améliorer le pilotage et le suivi de la dépense fiscale, tout en simplifiant son fonctionnement ;
- renforcer les prérogatives et contrôles assurés par les services de l'État ;
- réorienter le RAFIP vers des actifs productifs, les petites entreprises et le verdissement des économies ultramarines ;
- réguler davantage l'activité des intermédiaires, et singulièrement celle des « monteurs en défiscalisation ».
Source : commission des finances
En 2023, l'IGF a également réalisé, conformément à l'article 17 de la loi42(*) de finances initiale pour 2023, une évaluation des réductions d'impôt sur le revenu « Madelin » pour l'investissement des particuliers dans les PME. Remis en octobre 2023, ce rapport incluait notamment la dépense fiscale prévue à l'article 199 terdecies- 0 A du code général des impôts. Il préconise d'initier une évaluation complémentaire des dispositifs FIP Corse et FIPOM en vue de statuer sur leur maintien. Un travail a été initié par la direction générale des outre-mer, qui devrait aboutir en 2025.
En revanche, le programme d'évaluation des dépenses fiscales pour 2025, présenté dans le Tome 2 - Voies et moyens, annexé au PLF 2024, ne prévoit pas d'évaluation sur des dépenses fiscales rattachées à la mission « Outre-mer ».
Les rapporteurs spéciaux sont pleinement conscients des difficultés qui pèsent sur l'évaluation des dépenses fiscales. L'impact sur la création d'emplois est délicat à déterminer dans la mesure où les emplois mentionnés dans les agréments correspondent aux engagements de créations de la société bénéficiaire de l'agrément fiscal et non à une réalité mesurée ex-post.
4. À la suite du rapport de l'IGF sur le RAFIP, une réforme de certaines dépenses fiscales en LFI pour 2024
La LFI pour 2024 a en effet porté les mesures suivantes, dans la continuité du rapport publié par l'IGF :
- la suppression du bénéfice de l'aide fiscale pour tous les investissements productifs donnés en location ou mis à disposition de ménages et syndicats de copropriétaires, y compris dans le cadre de contrats incluant la fourniture de prestations de services, ce qui vise notamment les chauffe-eaux solaires équipant les ménages ;
- la suppression du bénéfice de l'aide fiscale pour les investissements réalisés en faveur des véhicules de tourisme ;
- la suppression du bénéfice de l'aide fiscale pour les investissements réalisés en faveur des activités de location de meublés de tourisme : les meublés individuels et collectifs (moins de 50 chambres) sont tous visés.
Parallèlement, la LFI pour 2024 étend à deux nouveaux types d'investissements le bénéfice de l'aide fiscale en prévoyant :
- l'ouverture du bénéfice de l'aide fiscale pour les investissements réalisés sur des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil en autoconsommation ;
- l'ouverture du bénéfice de l'aide fiscale aux acquisitions de friches industrielles ou hôtelières en cas de réhabilitation lourde.
La LFI 2024 a également étendu le bénéfice de l'abattement majoré sur le bénéfice taxable prévu pour les entreprises des DROM situées dans des zones franches nouvelle génération (ZFANG) à trois nouveaux secteurs : l'industrie, la réparation et la maintenance navale et les éditions de jeux électroniques.
* 40 Les financements de l'État en outre-mer, Cour des comptes, 24 mai 2022.
* 41 Règlement (UE) no 651/2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité.
* 42 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.