EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 6 novembre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Michel Canévet sur la proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces.
M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à l'examen du rapport de M. Michel Canévet sur la proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces.
M. Michel Canévet, rapporteur. - La proposition de loi de notre collègue Christian Bilhac et de plusieurs de ses collègues sera examinée mercredi prochain en séance publique dans le cadre de l'espace réservé au groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Je tiens d'abord à souligner que je partage les objectifs des auteurs de cette proposition de loi en matière de lutte contre la criminalité financière. En effet, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme constituent deux fléaux majeurs que notre appareil législatif doit impérativement combattre, en s'adaptant en permanence à l'évolution des risques et des pratiques frauduleuses.
La crise que traverse actuellement notre pays en matière de narcotrafic constitue l'un des aspects de cette problématique. Aussi, nous devons impérativement employer tous les moyens de nature à neutraliser les instruments de blanchiment de capitaux. Je rappelle, à cet égard, que les services répressifs ont procédé l'année dernière à plus de 24 000 saisies d'espèces pour un montant de près de 100 millions d'euros.
C'est à ce titre que l'usage des espèces est susceptible de constituer un risque de blanchiment de capitaux. En effet, la monnaie fiduciaire constitue un moyen de paiement anonyme, facile d'utilisation et instantané.
Pour répondre à ce risque, le droit actuel prévoit déjà un encadrement particulièrement strict des paiements en espèces.
Ce cadre se doit d'être strictement proportionné dès lors qu'il entre en conflit avec le droit de paiement en espèces. En effet, les pièces et billets de banque ont cours légal dans la zone euro et un commerçant ne saurait les refuser comme moyen de paiement sans motif légitime.
Dans sa rédaction actuelle, le code monétaire et financier a prévu, à son article L. 112-6, un seuil de droit commun de 1 000 euros pour les paiements en espèces effectués par les résidents. Au-delà de cette somme, les résidents français ont l'obligation de recourir à un autre moyen de paiement.
Pour les étrangers de passage en France, qui peuvent être amenés à transporter davantage d'espèces, un seuil aménagé à hauteur de 10 000 ou 15 000 euros est prévu dès lors que le paiement n'est pas effectué dans un cadre professionnel.
Il faut relever ici que le plafond applicable en France, qui a été ramené à 3 000 euros en 2010, puis à 1 000 euros en 2015, est l'un des plus robustes de la zone euro. En Belgique ou aux Pays-Bas, il est trois fois plus élevé, tandis que dans plusieurs pays de la zone euro, comme l'Allemagne ou la Finlande, aucun plafond n'est fixé pour les paiements en espèces.
Si l'entrée en application du règlement (UE) 2024/1640 du 31 mai 2024 imposera aux pays de l'Union européenne d'appliquer un plafond d'au plus 10 000 euros à partir de 2027, le plafond français restera l'un des plus exigeants.
Enfin, le code monétaire et financier prévoit deux exceptions générales, dont l'objet est de limiter la restriction au droit de payer en espèces lorsque le risque de blanchiment n'est pas caractérisé.
Ces exceptions générales concernent, d'une part, les paiements entre particuliers pour des opérations non professionnelles, et, d'autre part, les paiements des personnes non bancarisées, c'est-à-dire n'ayant pas de compte bancaire ou ne pouvant s'acquitter d'un paiement par chèque ou par un autre moyen.
J'en viens aux mesures prévues par la proposition de loi, dont, j'y insiste, je partage l'objectif de lutte contre le blanchiment de l'argent issu des trafics.
Le texte, premièrement, prévoit de fixer un plafond spécifique pour le paiement des loyers. Deuxièmement, il tend à supprimer le déplafonnement des paiements pour les opérations non professionnelles entre particuliers, ainsi que, troisièmement, pour les personnes non bancarisées.
Sur les deux premiers points, je relève que les loyers sont déjà soumis, dans l'état actuel du droit, sous réserve des opérations non professionnelles entre particuliers, au plafond de droit commun de 1 000 euros. Quant aux paiements entre particuliers pour une opération non professionnelle, ils font partie des dépenses de la vie courante qu'il n'est pas souhaitable de réglementer dès lors qu'ils ne constituent pas une voie de blanchiment d'argent.
Sur le troisième point, il me semble que le caractère de la mesure proposée est disproportionné. Je comprends l'intention de l'auteur de la proposition, à savoir, empêcher tout contournement du droit en vigueur. Pour autant, les services chargés de la lutte contre la criminalité financière, que j'ai entendus, m'ont tous confirmé qu'ils n'avaient rencontré aucun cas documenté de contournement de la loi par un refus calculé d'ouvrir un compte bancaire. Les remontées de terrain qui m'ont été communiquées montrent bien qu'aucun trafiquant ne choisit d'être non bancarisé pour éviter l'application de la loi.
En revanche, plusieurs centaines de milliers d'hommes et de femmes ne sont pas bancarisées, car ils sont, le plus souvent, dans une situation précaire qui les empêche de bénéficier de la procédure de droit au compte. C'est en particulier le cas en outre-mer. En effet, cette procédure impose la production d'un justificatif de domicile, ce qui est impossible pour certains publics fragiles.
Par conséquent, bien que je sois entièrement favorable à l'adaptation permanente de notre droit aux risques identifiés de criminalité financière, les mesures proposées me semblent avoir un caractère disproportionné, dès lors qu'elles pourraient mettre en difficulté des personnes fragiles sans pour autant simplifier le travail des services répressifs.
Pour ces différentes raisons, je vous propose de rejeter ce texte. Si vous suivez mon avis, le débat en séance publique portera par conséquent sur le texte initial déposé par les auteurs de la proposition.
M. Christian Bilhac, auteur de la proposition de loi. - Je serai clair. On ne peut pas payer plus de 1 000 euros en espèces : c'est la loi. Un honnête homme qui achèterait, en espèces, une mobylette d'occasion à 1 500 euros serait ainsi dans l'illégalité totale. En revanche, un individu dépourvu de compte bancaire peut acheter une Mercedes en espèces, tout en étant protégé par la loi française !
J'ai peut-être l'esprit d'un autre temps, mais il me semble que, dans une République comme la France, les gens honnêtes ne devraient pas subir plus de contraintes que ceux qui ne le sont pas ! Or c'est le cas.
Les banquiers expliquent que 400 000 personnes en France n'ont pas de compte en banque en raison de la précarité de leur situation. Mais dans ce cas, pourquoi auraient-elles besoin de payer plus de 1 000 euros en espèces ?
Je ne parviens pas à comprendre votre refus de soumettre aux mêmes contraintes les honnêtes gens et les voyous.
M. Michel Canévet, rapporteur. - Si un individu souhaite s'acheter une Mercedes et payer en liquide, la transaction fera certainement l'objet d'un signalement à Tracfin !
Mme Nathalie Goulet. - J'en profite pour rappeler les récentes mesures adoptées par l'Union européenne pour réguler la manipulation d'espèces à l'échelle européenne et remédier aux distorsions qui étaient observées. En revanche, des citoyens issus d'autres pays du monde, de Dubaï ou d'ailleurs, peuvent se rendre en France avec des mallettes remplies de billets sans être inquiétés. La solution résidera donc davantage, selon moi, dans un effort de coopération internationale, sachant que les moyens de contrôle, notamment de Tracfin, ont été fortement développés. Le rapporteur souligne d'ailleurs à juste titre que les risques sont moindres, en raison de la hausse des signalements.
M. Claude Raynal, président. - Je rappelle, pour ma part, que, dans les territoires ruraux, nous entendons de manière récurrente une demande d'implanter davantage de distributeurs automatiques de billets. Votre proposition de loi ne va pas dans ce sens !
Concernant le périmètre de ce projet de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, la commission des finances a arrêté, lors de sa réunion du 6 novembre 2024, le périmètre indicatif de la proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces. Ce périmètre comprend les dispositions relatives au régime d'interdiction du paiement en espèces de certaines créances.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.