II. ASSURANCE MALADIE (CORINNE IMBERT)

A. LES RENDEZ-VOUS DE PRÉVENTION

La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023 a créé les « rendez-vous de prévention »69(*), donnant lieu à des « des entretiens de prévention, dont le contenu est adapté aux besoins des individus »70(*). Le dispositif est dénommé « Mon bilan prévention » dans la communication des pouvoirs publics.

Ces rendez-vous proposés à tous les Français à certains âges clés de la vie (18-25 ans ; 45-50 ans ; 60-65 ans ; 70-75 ans)71(*) ont pour objectif d'appréhender les déterminants de santé individuels dans une approche pluridimensionnelle. Réalisés par des médecins, des sages-femmes, des infirmiers et des pharmaciens, ils sont pris en charge à 100 % par l'assurance maladie sans avance de frais. Conçus comme des bilans à visée éducative, ils ne constituent pas une consultation de diagnostic.

Annoncé comme une mesure emblématique du virage de la prévention, ce dispositif représente une évolution de l'approche de la santé individuelle, tant pour les professionnels de santé que pour les usagers.

1. Un déploiement qui tarde à se concrétiser

Du fait d'un calendrier peu maîtrisé, le déploiement des rendez-vous de prévention tarde à se concrétiser.

Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), saisi le 23 novembre 202272(*) par la direction générale de la santé (DGS), a rendu en mars 2023 un avis concernant les modalités de mise en oeuvre de ces rendez-vous. Afin de tenir compte de cet avis, les dispositions législatives de la LFSS pour 2023 ont fait l'objet d'aménagements par la LFSS pour 202473(*), et les textes réglementaires d'application ont finalement été publiés au printemps 202474(*).

Peu portée politiquement, la mesure a bénéficié d'une visibilité modeste au niveau national en raison d'une communication tardive. Elle est relayée auprès du grand public depuis le mois de septembre 2024 seulement.

Conformément à l'une des recommandations du HCSP76(*), une phase pilote a été conduite pour expérimenter le dispositif à l'échelle territoriale avant une mise en oeuvre nationale généralisée. Elle s'est déroulée dans la région des Hauts-de-France au cours des mois de novembre et décembre 2023. Plusieurs déterminants ont conduit à identifier la région des Hauts-de-France comme terrain d'expérimentation : cinquième région la plus peuplée de France, présentant des indicateurs de santé publique plus défavorables que la moyenne nationale, une diversité territoriale permettant de tester des dispositifs « d'aller vers » dans les zones rurales et les déserts médicaux, ainsi que l'adhésion des populations les plus vulnérables à ce type de dispositif. La phase pilote, déployée sur le territoire de cinq communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), a ciblé la seule population des 45-50 ans.

Si l'opportunité de cette expérimentation n'est pas contestée, on peut toutefois regretter les conditions de sa mise en oeuvre : restreinte à une durée de deux mois77(*) et à une seule région, ces conditions n'ont en effet pas permis de collecter des données quantitatives suffisantes pour apprécier de façon significative l'adhésion des usagers et des professionnels de santé78(*). La phase pilote a malgré tout permis de tester le dispositif et d'en tirer des conclusions utiles avant un déploiement généralisé, notamment concernant la pertinence des outils mis à la disposition des usagers et des professionnels de santé.

2. Cinq points d'attention qui conditionnent la réussite de la mesure

Dans la perspective de la généralisation des bilans de prévention, la phase pilote conduit donc à souligner cinq points d'attention qui pourront conditionner la réussite de la mesure.

En premier lieu, les CPTS peuvent jouer un rôle moteur pour soutenir la mise en oeuvre des rendez-vous de prévention, mais elles ne sont pas les seules. Les CPTS assurent une responsabilité populationnelle sur un territoire de proximité et ont vocation à déployer des actions de prévention sur ce territoire, au plus près des usagers. Regroupant des équipes de soins primaires et des acteurs du premier ou du second recours, elles sont un espace naturel de dialogue et de coordination des professionnels de santé et favorisent une approche pluridisciplinaire des parcours patients. Au cours de la phase pilote, la mobilisation des professionnels de santé a ainsi largement reposé sur les CPTS qui ont favorisé un accompagnement de proximité. Plus largement, le développement des structures d'exercice coordonné - dont les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) - et l'ancrage territorial dont elles bénéficient semblent constituer un levier tout aussi pertinent pour le déploiement des rendez-vous de prévention.

En deuxième lieu, la mise en oeuvre des rendez-vous de prévention renforce la nécessité de penser l'articulation des dispositifs de prévention avec le suivi « d'aval », c'est-à-dire d'organiser des parcours de santé structurés, en coordination avec le médecin traitant. L'objectif poursuivi de réinsertion des usagers les plus éloignés du soin dans un parcours de santé exige de pouvoir les orienter vers une structure adaptée. Cette capacité à orienter l'usager vers une offre adaptée et de proximité a d'ailleurs été identifiée comme une difficulté rencontrée par les professionnels de santé engagés dans la phase pilote.

En troisième lieu, la réussite des rendez-vous de prévention dépendra de l'adhésion des professionnels de santé. Il ressort de l'expérimentation menée dans les Hauts-de-France que les professionnels de santé ont exprimé un intérêt fort pour le dispositif, qui permet d'aborder différemment la relation avec le patient et de diversifier la pratique des professionnels. Toutefois, le caractère chronophage du bilan de prévention constitue un point de vigilance79(*). Le succès du dispositif pourrait être bridé par une tarification qui n'excède pas celle d'une consultation de médecine générale80(*) - l'arrêté du 28 mars 2024 a fixé le tarif de la consultation à 30 euros, sans possibilité de pratiquer de dépassement d'honoraire - alors qu'elle peut durer trois fois plus longtemps. L'arrêté précité autorise néanmoins la facturation en sus d'une consultation de base ou de certains actes techniques81(*), si le besoin en est identifié, dans la limite d'un seul acte ou consultation.

À la date du 12 juin 2024, au niveau national, 2 549 professionnels de santé s'étaient enregistrés sur l'annuaire en ligne pour réaliser des bilans de prévention (dont 50 % d'infirmiers, 35 % de pharmaciens, 8 % de médecins et 7 % de sage-femmes)82(*).

Sur la base d'un tarif unique de consultation fixé à 30 euros, le coût des rendez-vous de prévention avait été évalué par le Gouvernement à 7,6 millions d'euros en 2024 et à 11,4 millions d'euros à partir de 202583(*). Ce coût relativement modéré s'explique par une prévision fondée sur un taux d'adhésion limité à 10 % par tranche d'âge la première année de mise en oeuvre, et à 15 % par tranche d'âge les années suivantes.

La DGS souligne la difficulté à établir une prévision fiable du taux d'adhésion, aucun programme de prévention en santé aussi global - tant dans son contenu que s'agissant de la population visée - n'ayant jamais été mis en oeuvre dans un autre pays.

En quatrième lieu, l'adhésion de l'ensemble des usagers, et notamment des usagers les plus éloignés du soin, devra être recherchée. Ces-derniers présentent bien souvent des indicateurs de santé plus défavorables que la moyenne. Il est donc prioritaire de les rendre acteurs de leur propre santé en leur donnant des clés de compréhension et d'action au quotidien pour entretenir des comportements et des environnements favorables à leur santé, grâce à des actions « d'aller vers » portées par des acteurs de proximité. À cet égard, l'expérimentation a démontré que les bénéficiaires du programme sont majoritairement issus de catégories socioprofessionnelles favorisées, témoignant d'une inégale sensibilisation à l'intérêt de la prévention et d'un effet d'auto sélection des usagers qu'il conviendrait de corriger. L'allocation aux agences régionales de santé (ARS) de crédits dédiés à l'installation d'équipes mobiles de prévention devrait permettre d'y contribuer.

En cinquième lieu, l'accompagnement par l'information et la formation des professionnels de santé habilités à réaliser des rendez-vous de prévention doit être soutenu. Conformément aux annonces du Gouvernement, l'arrêté du 28 mars 2024 a autorisé les médecins, les sages-femmes, les infirmiers et les pharmaciens à réaliser ces entretiens. Au cours de la phase pilote, les principales thématiques abordées ont porté sur l'alimentation, l'activité physique et la sédentarité, la santé mentale, le dépistage des cancers et les vaccinations. Compte tenu de la diversité des thématiques abordées et du contenu motivationnel de l'entretien, il sera essentiel de demeurer attentif aux besoins exprimés par les professionnels eux-mêmes en termes de formation et d'appui au développement de certaines compétences (santé environnementale, santé sexuelle, santé mentale). L'hypothèse d'une formation qualifiante ou d'un dispositif de certification a été écartée par le ministère de la santé, pour ne pas alourdir le dispositif. Cette question méritera d'être suivie, de même que celle d'un élargissement éventuel de la compétence à d'autres professions. L'intégration des enjeux de prévention en santé dans la formation initiale des professionnels est par ailleurs une nécessité reconnue par tous les acteurs

En dernier lieu, alors que la prévention demeure un champ d'action sous-investi par les pouvoirs publics en France, le HCSP avait recommandé d'inscrire les rendez-vous prévention dans une stratégie globale de prévention et de promotion de la santé. Une nouvelle Stratégie nationale de santé (SNS) devrait être prochainement annoncée, la dernière s'étant achevée en 2022. La Cour des comptes avait eu l'occasion de souligner, dans un rapport de 2021 dédié à la politique de prévention en santé en France, les « résultats médiocres » obtenus par la France en comparaison de ses voisins européens, « malgré un effort budgétaire comparable »84(*). Les rendez-vous de prévention pourront contribuer à combler le retard français en la matière, à condition de bénéficier d'un environnement favorable à l'adhésion des professionnels de santé et des usagers.


* 69 Loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 (article 29).

* 70 Article 1 de l'arrêté du 28 mai 2024 relatif aux effecteurs, au contenu et aux modalités de tarification des rendez-vous de prévention.

* 71 Les tranches d'âge ont été fixées par l'arrêté du 28 mai 2024 relatif aux effecteurs, au contenu et aux modalités de tarification des rendez-vous de prévention, conformément à l'avis du HCSP du 20 mars 2023 relatif au déploiement des rendez-vous de prévention.

* 72 Soit après l'adoption en première lecture par le Sénat du PLFSS pour 2023, le 15 novembre.

* 73 L'article 41 de la loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024 pour 2024 a prévu que les conditions essentielles relatives à la mise en oeuvre des rendez-vous de prévention, en particulier la liste des professionnels compétents, les tarifs et les conditions de facturation de ces rendez-vous, seraient fixées par arrêté ministériel.

* 74 Décret n° 2024-499 du 30 mai 2024 relatif à la participation des assurés aux frais liés à la vaccination contre les infections à papillomavirus humains, la grippe, la rougeole, les oreillons et la rubéole, à l'acquisition de préservatifs et à certaines consultations de prévention75 ; Arrêté du 28 mai 2024 relatif aux effecteurs, au contenu et aux modalités de tarification des rendez-vous de prévention.

* 76 Haut Conseil de la Santé Publique, avis relatif au déploiement des rendez-vous prévention prévus par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, 20 mars 2023 ; recommandation n° 1.

* 77 La mise en oeuvre de « Mon Bilan Prévention » a néanmoins été poursuivie au-delà de la phase pilote dans les Hauts-de-France, et notamment avant la publication des textes d'application en mai 2024.

* 78 Eu égard au nombre limité de professionnels de santé engagés (42 en tout) et d'usagers concernés, l'évaluation de leur adhésion respective au dispositif a été mesurée par des enquêtes de satisfaction, et non par des statistiques.

* 79 Au cours de la phase pilote, 70 % des professionnels de santé ont déclaré une durée de consultation comprise entre 30 et 45 minutes, 20 % entre 45 minutes et 1 heure et 10% ont déclaré une durée supérieure à une heure.

* 80 La nouvelle convention médicale signée le 4 juin 2024 entre l'assurance maladie et les médecins libéraux revalorise le tarif de la consultation de médecine générale à 30 euros à partir de décembre 2024.

* 81 Frottis cervico-utérin, vaccination, électrocardiogramme, remise d'un kit de dépistage du cancer colorectal.

* 82 Données communiquées par la direction générale de la santé.

* 83 Étude d'impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

* 84 Cour des comptes, La politique de prévention en santé, Les enseignements tirés de l'analyse de trois grandes pathologies, novembre 2021.

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