B. DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES DANS L'EXÉCUTION DES DÉPENSES D'INVESTISSEMENT

L'année 2023 est marquée par une sur-exécution des dépenses de fonctionnement, à hauteur de + 7 % par rapport aux crédits votés, et par une sous-exécution des dépenses d'investissement, à hauteur de 30 %.

Dépenses de fonctionnement et d'investissement
du ministère de la justice en 2023

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Si ces trajectoires divergentes s'expliquent pour partie par l'impossibilité de labelliser correctement a priori certaines dépenses, notamment informatiques, elles illustrent également les difficultés persistantes du ministère de la justice pour mener ses projets d'investissement selon les calendriers préétablis. Ainsi, la sous-exécution des CP constatée sur le programme 107 « Administration pénitentiaire » s'explique principalement par une sous-consommation sur les opérations immobilières, tandis que la sous-exécution en AE sur le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » est liée aux dépenses informatiques.

Les retards récurrents constatés en matière immobilière ont conduit le rapporteur spécial à effectuer un contrôle budgétaire sur l'exécution du plan de création de 15 000 places de détention supplémentaires4F5(*). Il a constaté d'importants dérapages calendaires et budgétaires : à la fin de l'année 2023, 4 099 places avaient été ouvertes, soit près de 3 000 de moins que l'objectif initialement fixé par le Gouvernement. Il est permis de douter que le plan soit achevé en 2027, alors que les délais de livraison s'allongent à mesure que l'échéance se rapproche et que les surcoûts avoisinent déjà 20 % de l'estimation initiale (+ 1,1 milliard d'euros).

Ces retards sont d'autant plus à déplorer que la France connaît une profonde crise pénitentiaire, avec une augmentation sans discontinuer de la population carcérale depuis la fin de la crise sanitaire (78 969 personnes au 1er septembre 2024) et des taux de surpopulation qui atteignent les 150 % ou 180 %, même dans les établissements les plus récemment livrés. Au 1er septembre 2024, le taux de densité carcérale5F6(*) atteignait 127,3 %6F7(*).

C. LE PLAN DE MAÎTRISE DES FRAIS DE JUSTICE, DES RÉSULTATS QUI SE FONT ATTENDRE

Le rapporteur spécial s'interroge depuis plusieurs années sur l'exécution du plan d'action mis en place par le ministère de la justice pour mieux piloter et maîtriser les frais de justice7F8(*), portés par le programme 166 « Justice judiciaire ». Ce poste de dépenses connaît une nouvelle augmentation de 10 % en 2023, après + 6 % en 2022. 714,6 millions d'euros ont été consommés en 2023, soit une sur-exécution de 19,11 millions d'euros, un niveau légèrement moindre que celui observé en 2022 (+ 43,75 millions d'euros) et en 2021 (+ 35,5 millions d'euros).

Si ce dérapage sur les frais de justice a conduit à exonérer le programme 166 de toute annulation de crédits en fin de gestion, il a surtout fait l'objet de multiples alertes de la part du CBCM, qui a qualifié leur progression de « non maîtrisée » et qui avait au préalable émis de fortes réserves quant à la prévision de dépense des frais de justice et des charges à payer afférentes.

Évolution des frais de justice depuis 2017

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La prévision pour 2024 apparaît dès lors obsolète, et ce en dépit du plan annoncé par le ministère de la justice pour mieux piloter et maîtriser les frais de justice. Sur ces deux aspects, la cible est manquée : les chiffrages ont été qualifiés de « fluctuants » par le CBCM tandis que de nouvelles pistes de travail ont dû être proposées au cours de l'année 2023 pour s'assurer a minima du visa du CBCM sur la programmation 2024 du programme 166. Le ministère ne reconnaît pourtant qu'à demi-mot l'échec de son premier plan de maîtrise des frais de justice, en défendant, dans le rapport annuel de performance de la mission « Justice », des « actions [qui] doivent nécessairement s'inscrire dans la durée pour commencer à produire un effet sur la dépense »8F9(*). À force d'avoir trop attendu, le ministère s'expose à des risques quant à la soutenabilité de cette dépense, contrainte.

En matière pénale, les frais de justice par affaire augmentent sous l'effet conjugué de multiples facteurs : revalorisation de l'indemnisation des experts - dans un secteur là aussi carencé -, renforcement de la lutte contre les violences intrafamiliales mais aussi durcissement de la jurisprudence s'agissant des sanctions procédurales attachées à la violation des droits en matière d'interprétariat-traduction. Dans ce contexte, la cible fixée pour l'indicateur de performance des frais de justice moyens par affaire pénale apparaît trop ambitieuse et peu en ligne avec les effets réellement constatés des divers plans mis en place pour piloter et maîtriser cette dépense.

Évolution de la dépense moyenne de frais de justice
par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale

(en euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Les frais de justice représentent désormais plus de la moitié des dépenses de fonctionnement de la mission » Justice » et sont assimilés à des « quasi dépenses de guichet », dans le sens où ils sont liés à l'exercice même de la justice et au niveau de l'activité pénale. Sans remettre en cause le bien-fondé de ces dépenses, engagées par les officiers de police judiciaire et par les magistrats dans le cadre des procédures judiciaires, il est essentiel d'en accroître la prévisibilité et la soutenabilité (sensibilisation des acteurs, révision des conventions de gardiennage, centralisation régionale...).

Plus généralement, l'évolution des frais de justice est caractéristique de la problématique auquel fait face le ministère de la justice pour se moderniser : le poids de ses dépenses contraintes.


* 5 Rapport d'information n° 37 (2023-2024), « 15 000 places de détention supplémentaires et 20 nouveaux centres éducatifs fermés en 2027 : mission impossible ? », par M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 octobre 2023.

* 6 Ce taux s'obtient en rapportant le nombre de détenus à la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires, c'est-à-dire au nombre de places effectivement disponibles dans ces établissements.

* 7 Les données citées dans ce paragraphe proviennent des statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée publiées par le ministère de la justice.

* 8 Il s'agit de l'ensemble des dépenses de procédure à la charge définitive de l'État et qui résultent d'une décision de l'autorité judiciaire ou d'une personne agissant sous sa direction ou son contrôle. Ils recouvrent par exemple les émoluments dus aux experts, aux interprètes-traducteurs, les frais de mise sous séquestre et de garde, les frais liés à certaines techniques d'enquête et de surveillance... ( article R92 du code de procédure pénale).

* 9 Rapport annuel de performances de la mission « Justice ». Annexe au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023.

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