B. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État lié à la covid-19 » nuit à la lisibilité des crédits de la mission

Comme indiqué supra, les crédits consommés par le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État lié à la covid-19 », créé par la loi de finances initiale pour 2022, affichent un quasi-triplement en CP, avec 6,6 milliards d'euros en 2023, contre 1,9 milliard d'euros en 2022. À l'inverse, dans la mesure où la totalité des 165 milliards d'euros d'AE correspondant à ce programme ont été inscrits dès 2022, l'on constate une chute massive en 2023, de 100 %, qui se traduit par une diminution des AE pour l'ensemble de la mission « Engagements financiers de l'État » de 74,4 %.

Le programme 369 vise à retracer l'amortissement du surcroît de dette de l'État issu de la crise sanitaire, par l'affectation annuelle d'une fraction de 5,9 % des recettes fiscales nettes dégagées au-delà de leur niveau de 2020. Les crédits budgétaires correspondant abondent, par le biais du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », la Caisse de la dette publique qui assure le remboursement de la dette.

Comme le rapporteur spécial avait pu le souligner l'an dernier5(*), aucun argument économique ou budgétaire n'est de nature à justifier l'isolement de la « dette covid », les recettes fiscales supplémentaires pouvant tout aussi bien servir à réduire le déficit budgétaire courant.

Ainsi que le relève la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire, la création du programme 369 « nuit à la lisibilité du budget général sans pour autant avoir d'utilité effective »6(*).

Les critiques de la Cour des comptes concernant le programme 369

Dans sa note d'exécution budgétaire, la Cour des comptes retient plusieurs éléments pour critiquer l'existence du programme 369 « Amortissement de la dette de l'État lié à la covid-19 » :

- les 165 milliards d'euros correspondant ont été entièrement inscrits en AE pour 2022, ce qui provoque un écart majeur entre les AE et les CP de la mission « Engagements financiers de l'État » et en réduit la lisibilité budgétaire ;

- les restes à payer sont massifs, avec 156,57 milliards d'euros à fin 2023, soit plus de 8 milliards d'euros par an en moyenne à horizon 2042 (horizon d'amortissement estimé) ;

- l'amortissement de la dette constitue une charge de trésorerie au sens de l'article 25 de la loi organique relative aux lois de finances7(*), et ne relève pas des charges budgétaires de l'État au sens de son article 5 : une telle opération ne devrait donc pas être retracée dans le budget de l'État ;

- cette opération ne modifie pas le montant de dette que l'État doit rembourser à terme, en revanche elle vient annuellement dégrader son solde budgétaire, puisque le budget général est, à travers le programme 369, sollicité pour rembourser ce surplus de dette lié à la covid-19.

Source : commission des finances, d'après la Cour des comptes

De fait, dans le cadre de l'examen du PLF 2024, le rapporteur spécial, avait déposé un amendement8(*) supprimant le programme 369, que le Sénat avait voté, mais qui n'a finalement pas été retenu par le Gouvernement dans le texte définitif adopté en dernière lecture à l'Assemblée nationale en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Son prédécesseur avait fait de même dans le cadre du vote du budget 20239(*). Dans sa note d'exécution budgétaire, la Cour des comptes recommande également de mettre fin à la budgétisation de l'amortissement de la dette covid.

2. Une sinistralité des prêts garantis par l'État plus élevée en 2023 qu'en 2022

Mis en place en 2020 dans sa version dite « classique » dans le contexte de la crise sanitaire, puis en 2022 dans sa version dite « Résilience » en réponse aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine, le prêt garanti par l'État (PGE) vise à soutenir le financement bancaire des entreprises.

La garantie de l'État couvre un pourcentage du montant des prêts, en fonction de la taille de l'entreprise. Ainsi, le PGE « classique » peut couvrir jusqu'à 25 % du chiffre d'affaires annuel 2019 ou deux années de masse salariale. Quant au PGE « Résilience » (PGER), qui a remplacé le PGE « classique » au printemps 202210(*) et a pris fin au 31 décembre 2023, celui-ci peut couvrir jusqu'à 15 % du chiffre d'affaires annuel moyen au cours des trois dernières années et est cumulable avec les PGE déjà obtenus, permettant donc d'emprunter au total jusqu'à 40 % du chiffre d'affaires.

En 2023, les garanties ont été appelées et versées pour un montant de 1,62 milliard d'euros en comptabilité générale. En comptabilité budgétaire11(*), le montant d'appels en garantie pour le programme 114 s'élève à 1,47 milliard d'euros pour la période de décembre 2022 à novembre 2023, contre 1,37 milliard d'euros pour la période de décembre 2021 à novembre 2022, soit une augmentation de 100 millions d'euros par rapport à l'exécution 2022 (+ 7,3 %).

Au cours de l'année 2023, 31 575 dossiers ont ainsi appelé leur garantie. En cumulé, 58 305 dossiers de PGE avaient fait appel à la garantie de l'État fin 2023, contre 26 730 entre décembre 2021 et janvier 2023.

Le nombre de dossiers d'appels en garantie et les montants versés par l'État ont donc, en cumulé, plus que doublé dans le cadre de l'exécution 2023, traduisant une sinistralité accrue.

D'après les données de la Banque de France, le capital restant dû des PGE et PGER s'élevait à 73,1 milliards d'euros au 30 septembre 2023, soit 50,6 % de l'encours de 144,52 milliards d'euros octroyé à cette date, contre 94,7 milliards d'euros au 31 décembre 2022 (montant représentant 66 % de l'encours octroyé fin 2022).

Secteurs ayant le plus de risques de défaut de remboursement des PGE

Selon les données fournies par la Banque de France, les entreprises les moins promptes à rembourser rapidement les PGE se situent dans les secteurs de l'information et de la communication (79 % des dossiers non intégralement remboursés), des arts, spectacles et activités récréatives (79 %), de la construction (77 %) et de la production et distribution d'électricité et de gaz (77 %).

Les appels en garantie cumulés depuis 2020 sont les plus élevés en valeur dans le secteur de la construction (0,62 milliard d'euros), le commerce et la réparation d'automobiles et de motocycles (0,57 milliard d'euros), l'industrie manufacturière (0,41 milliard d'euros), les activités spécialisées, scientifiques et techniques (0,35 milliard d'euros), l'hébergement et la restauration (0,26 milliard d'euros).

Source : commission des finances, d'après la Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2023

Pour la Cour des comptes, les estimations disponibles à ce jour « ne laissent pas présager un coût massif pour l'État »12(*), le montant net de l'appel en garantie ne représentant que 1,98 % du montant octroyé au 30 septembre 2023, contre 1,16 % fin 2022.


* 5 Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024.

* 6 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2023, mission « Engagements financiers de l'État », avril 2024.

* 7 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

* 8 Amendement n° II-1, article 35 (état B) du projet de loi de finances pour 2024, présenté par M. Albéric DE MONTGOLFIER, au nom de la commission des finances.

* 9 Amendement n°II-443, article 27 (état B) du projet de loi de finances pour 2023, présenté par M. Jérôme BASCHER, au nom de la commission des finances.

* 10 Le PGE « classique » a pris fin au 30 juin 2022. Le PGE « Résilience » a été créé le 7 avril 2022.

* 11 Le montant d'appels en garantie comptabilisé en exécution budgétaire pour les PGE et PGER est différent du montant d'appels en garantie en comptabilité générale, qui court sur l'année civile.

* 12 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2023, mission « Engagements financiers de l'État »

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