II. L'ACCORD ÉCONOMIQUE ET COMMERCIAL GLOBAL RECOUVRE UN CHAMP TRÈS LARGE DE SUJETS

Le préambule de l'accord fixe à ce dernier 3 objectifs principaux :

- resserrer davantage les liens économiques entre les parties ;

- créer un marché élargi et sûr pour leurs marchandises et services par la réduction ou l'élimination d'obstacles au commerce et à l'investissement ;

- établir des règles claires, transparentes, prévisibles et mutuellement avantageuses pour régir leurs échanges commerciaux et leurs investissements.

L'AECG constitue un accord de « nouvelle génération » c'est-à-dire intégrant à la fois une suppression quasi-totale des droits de douane ainsi qu'une diminution des barrières non-tarifaires.

Le champ de l'accord comprend ainsi, outre des stipulations relatives aux échanges, des mesures en matière de protection de la propriété intellectuelle, d'accès aux marchés publics, de protection des investisseurs, de reconnaissance des qualifications, dans le domaine des télécommunications ou encore du commerce électronique.

La mise en oeuvre de l'accord était censée se traduire par une augmentation de 25 % des échanges commerciaux des biens et services entre l'Union européenne et le Canada, du fait principalement de la quasi-totalité des droits de douane sur les biens échangés.

L'AECG comprend, outre un préambule, 30 chapitres, complétés par 64 annexes et protocoles, qui font partie intégrante de l'accord, conformément à l'article 30.1 de l'AECG, au même titre que l'instrument interprétatif commun adopté par l'Union européenne et le Canada lors de sa signature.

L'accord est appliqué de manière provisoire depuis 2017. Seules les stipulations n'entrant pas dans le champ des compétences exclusives de l'Union européenne sont exclues de cette mise en oeuvre.

Elles concernent en particulier la protection des investissements et système juridictionnel des investissements et l'accès au marché des investissements de portefeuille.

A. LES PRINCIPAUX VOLETS DE L'ACCORD

1. Une disparition quasi-totale des barrières tarifaires

L'objectif de l'AECG consiste à éliminer les droits sur 99 % des lignes tarifaires. Dès l'entrée en vigueur provisoire de l'accord, le Canada et l'Union européenne ont supprimé 98 % de leurs lignes tarifaires et sont convenus d'éliminer progressivement la quasi-totalité des lignes tarifaires restantes. Ainsi, au 1er janvier 2024, 99 % des lignes tarifaires ont été supprimées.

a) Pour les produits industriels et manufacturés, une suppression totale des droits de douane en 7 ans

Avant la mise en oeuvre provisoire de l'AECG, les droits de douane atteignaient en moyenne 2,3 % pour les importations européennes au Canada et 4,2 % pour les importations canadiennes au sein de l'Union européenne.

L'entrée en vigueur provisoire de l'accord s'est traduite par une disparition immédiate de 99,4 % des droits de douane sur les produits industriels et manufacturés pour l'Union européenne et de 99,6 % pour le Canada. Une exception a été prévue pour certaines marchandises concernant les industries automobiles et navales pour lesquelles une suppression progressive des barrières tarifaires, sur 3, 5 ou 7 ans, a été mise en place. À terme, la totalité des lignes tarifaires des produits industriels seront supprimées.

À titre d'exemple, le tarif douanier sur les articles d'habillement textile est passé de 16 % à 0 %. De même, les dispositifs médicaux et d'optique peuvent désormais être importés en franchise de droits à l'entrée alors qu'ils étaient soumis à un droit de douane de 8 % (cf. graphique ci-après).

Conséquences du démantèlement tarifaire sur les exportations de certains produits industriels vers le Canada

Source : Commission européenne

b) Dans le domaine agricole et agroalimentaire, des dérogations sont prévues pour certaines filières sensibles

Dans le secteur agricole et agroalimentaire, l'AECG supprime la plupart des tarifs douaniers (93,8 % des droits pour l'Union européenne et 91,7 % pour le Canada), ces derniers se situant auparavant entre 10 % et 25 % et pouvant atteindre des taux bien supérieurs, de 227 % pour les fromages par exemple.

Un échéancier est cependant prévu pour certains produits tels que l'orge, le malt, le sucre raffiné, la fécule de pomme de terre, les fleurs, certains poissons et produits de la mer.

Par ailleurs, certains produits agricoles considérés comme sensibles demeurent soumis à un contingentement tarifaire, c'est-à-dire à la suppression des droits de douanes pour une quantité limitée de produits. Ces dérogations concernent le boeuf canadien, le porc et le maïs doux ainsi que le fromage européen.

À titre d'exemple, le contingent de viande canadienne pouvant être importée dans l'Union européenne en franchise de droits de douane a été porté à 45 840 tonnes pour le boeuf (viande fraîche et congelée)11(*) et à 75 000 tonnes pour le porc12(*).

En sens inverse, le contingent de fromage européen pouvant être librement importé au Canada a été porté à 18 50013(*) tonnes à compter de 2022.

Mesures de l'AECG concernant les produits agricoles et agroalimentaires

Source : commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Contingents tarifaires appliqués par l'Union européenne sur les viandes bovines et porcines

(Quantité agrégée annuelle /
tonnes métriques - en équivalent poids carcasse)

Année

Viandes bovines fraîches ou réfrigérées

Viandes bovines congelées

Viande des animaux de l'espèce porcine

1

5 140

2 500

12 500

2

10 280

5 000

25 000

3

15 420

7 500

37 500

4

20 560

10 000

50 000

5

25 700

12 500

62 500

6 et chaque année suivante

30 840

15 000

75 000

Source : AECG

Contingents tarifaires appliqués par le Canada sur les fromages

(Quantité agrégée annuelle /
tonnes métriques)

Année

Fromage

Fromage industriel

1

2 667

283

2

5 333

567

3

8

850

4

10 667

1 133

5

13 333

1 417

6 et chaque année suivante

16 000

1 700

Source : AECG

Enfin, la viande de volaille ainsi que les oeufs et produits élaborés à partir d'oeufs ont été pour la plupart exclus des négociations avec le Canada.

2. Une libéralisation accrue du commerce de services

Le chapitre 9 de l'AECG porte sur le commerce transfrontalier des services. Ses stipulations visent à simplifier les échanges de services entre l'Union européenne et le Canada. En particulier, les parties s'engagent à assurer un accès équitable à leurs marchés respectifs.

Les annexes I et II fixent une liste de réserves, c'est-à-dire de secteurs pour lesquels les parties conservent la possibilité de déroger aux obligations découlant des stipulations du chapitre 9. Ces réserves visent à maintenir des mesures existantes (annexe I) et, le cas échéant, à adopter de nouvelles mesures (annexe II), notamment pour les services audiovisuels, les services publics, certaines professions réglementées (avocats et pharmaciens), les navires de pêche, les guides touristiques et les agences de presse.

Certains secteurs spécifiques sont également abordés dans des chapitres dédiés, tels que les services financiers (chapitre 13), les télécommunications (chapitre 15) et le transport maritime international (chapitre 14).

En outre, le chapitre 11 établit un cadre pour la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, fixant les conditions générales pour la négociation d'accords de reconnaissance mutuelle (ARM). Le Comité mixte de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles émet des recommandations conjointes concernant les ARM proposés. Si le comité estime qu'un ARM est conforme à l'accord, il est adopté et peut être intégré à celui-ci. L'ARM permet au fournisseur de services établi sur le territoire d'une partie d'exercer des activités professionnelles sur le territoire de l'autre partie.

En mars 2022, le Canada et l'Union européenne ont ainsi annoncé la conclusion de négociations relatives à un accord de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des architectes. Il s'agit du premier accord en matière de qualifications professionnelles conclu par l'Union européenne avec un pays tiers.

3. Un accès facilité aux marchés publics

Le chapitre 19 de l'accord, dédié aux marchés publics, détaille les secteurs dans lesquels les entreprises de l'Union européenne et du Canada sont autorisées à fournir des biens et des services aux administrations publiques de l'autre partie.

Des dérogations sont prévues, concernant en particulier la recherche et le développement, les services financiers, l'administration publique, ainsi que les services relevant des domaines récréatif, culturel, sportif, éducatif et social, et les soins de santé. Par ailleurs, les parties conservent la possibilité d'entreprendre des actions ou de ne pas divulguer des informations jugées nécessaires à la protection de ses intérêts essentiels de sécurité. Ces actions sont liées, le cas échéant, aux marchés d'armes, de munitions, de matériel de guerre, aux marchés essentiels à la sécurité nationale et aux marchés liés à la défense nationale.

Un Comité des marchés publics est établi pour examiner les questions liées aux marchés publics soumises par une partie et échanger des informations sur les opportunités dans le domaine des marchés publics existant dans chaque partie.

Côté canadien, les engagements englobent divers domaines, notamment les marchés publics fédéraux et provinciaux, à l'exception de certaines situations spécifiques, la plupart des appels d'offres émis par les municipalités, ainsi que les procédures d'appels d'offres dans le secteur hospitalier.

4. Une amélioration du climat des investissements entre l'Union européenne et le Canada

Les stipulations relatives aux investissements figurent au chapitre 8 de l'AECG.

Les parties s'engagent ainsi à accorder un traitement non discriminatoire aux investisseurs de l'autre partie et à lever les principaux obstacles à l'investissement étranger, tels que les contraintes liées à la forme juridique des entreprises, les plafonds de capitaux étrangers ou les prescriptions de résultats restreignant indûment les investissements.

Pour assurer le respect de ces garanties juridiques, la section F du chapitre huit met en place un mécanisme international de règlement des différends investisseur-État via la constitution d'un système juridictionnel des investissements (Investment Court System ou ICS).

Le mécanisme de règlement des différends investisseur-État prévu par l'AECG

Au titre de l'article 8.18 de l'AECG, un investisseur peut déposer une plainte lorsqu'il estime que l'une des Parties a violé les dispositions relatives à la protection des investissements contre des mesures d'expropriation par exemple (Section D), et à l'interdiction de traitement discriminatoires, e.g. l'égalité de traitement entre les investisseurs de toutes nationalités (Section C).

Une fois la plainte déposée, une période de consultations s'engage. Un règlement à l'amiable peut intervenir à tout moment au cours de la procédure (article 8.19). Les parties peuvent également recourir à la médiation à tout moment (article 8.20). Si les parties n'ont pas pu s'accorder dans les 90 jours suivants le dépôt de la demande de consultations, l'investisseur, s'il est canadien, peut solliciter un avis déterminant si c'est l'Union européenne ou un Etat membre qui agira comme défendeur. Une réponse est attendue dans les 50 jours suivant cette sollicitation.

La procédure peut être conduite suivant les règlements d'arbitrage existants (CIRDI, CNUDCI, etc.). Le consentement explicite des deux Parties au différend est requis (articles 8.22 et 8.25). Lorsque l'investisseur choisit d'avoir recours au Tribunal de l'AECG, il renonce aux procédures judiciaires ou administratives nationales qui peuvent être pendantes.

Le Tribunal (de première instance) (article 8.27) est institué, dès l'entrée en vigueur de l'AECG, le Comité mixte de l'AECG nomme quinze membres du Tribunal, dont cinq ressortissants d'un État membre de l'Union européenne, cinq ressortissants du Canada et cinq ressortissants de pays tiers. Une fois la plainte reçue, et dans les 90 jours suivant son dépôt, le président du Tribunal devra nommer les trois membres composant la division chargée d'instruire l'affaire parmi les 15 membres du Tribunal. La Cour d'investissement créée par le CETA inclus un ordre pyramidal : un Tribunal de première instance et un Tribunal d'appel. Habituellement un Tribunal est composé de 3 membres mais les parties peuvent convenir de la désignation d'un seul membre du Tribunal au hasard. Les membres du tribunal sont soumis à règles éthiques très strictes (article 8.30) et à un Code de conduite adopté en 2021 par le Comité des services et de l'investissement en prévision de l'entrée en vigueur de ce Chapitre. Les parties peuvent faire appel, auprès d'un Tribunal d'appel, dans les 90 jours qui suivent la sentence rendue en première instance, ce qui est le résultat de la création du mécanisme ICS.

En cas d'appel, le Tribunal d'appel, réuni en une division de trois membres également, examinera la décision sur trois fondements définis : erreurs dans l'application ou l'interprétation du droit applicable ; erreurs manifestes dans l'appréciation des faits, y compris l'appréciation du droit interne pertinent ; les motifs énoncés aux alinéas a) à e) de l'article 52(1) de la Convention du CIRDI. Si le Tribunal d'appel rejette l'appel, la décision de première instance devient définitive. Si l'appel est bien fondé, le Tribunal d'appel doit modifier ou annuler la décision de première instance en partie ou totalement. Le Tribunal d'appel peut statuer et rendre une décision définitive, ou décider de renvoyer l'affaire au Tribunal de première instance.

Source : Direction générale du Trésor, réponse au questionnaire du rapporteur

5. Un renforcement de la protection de la propriété intellectuelle

Les mesures relatives à la protection de la propriété intellectuelle sont l'objet du chapitre 20 de l'accord.

L'article 20.1 fixe un double objectif : « faciliter la production et la commercialisation de produits novateurs et créatifs et la prestation de services entre les parties » et « atteindre un niveau approprié et efficace de protection et de mise en oeuvre des droits de propriété intellectuelle ».

Dans le secteur pharmaceutique, par exemple, l'étude d'impact du présent projet de loi relève que l'accord doit permettre de renforcer le niveau de protection (articles 20.27 à 20.30) en prévoyant i) la possibilité d'étendre jusqu'à deux ans la protection (par l'instauration du certificat complémentaire de protection) pour compenser les retards dans l'octroi de l'autorisation de mise sur le marché, qui réduisent la durée de validité du brevet, ii) la possibilité pour l'ensemble des plaideurs de disposer d'un droit d'appel effectif en vertu du régime canadien dit « patent linkage » (lien entre l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament générique et le statut du brevet du médicament princeps) et iii) un engagement à conserver la pratique actuelle du Canada consistant à offrir 8 ans de protection des données.

L'AECG prévoit en outre la reconnaissance de 143 indications géographiques européennes, telles que le roquefort, le vinaigre balsamique ou le gouda, qui bénéficient ainsi au Canada d'une protection contre les imitations.


* 11 Qui s'ajoute au contingent OMC de 4 160 tonnes, soit un total de 53 000 tonnes.

* 12 Qui s'ajoute au contingent OMC de 5 549 tonnes, soit un total de 80 549 tonnes.

* 13 17 700 tonnes auxquelles il convient d'ajouter une réattribution à l'Union européenne d'une partie du contingent OMC à hauteur de 800 tonnes.

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