EXAMEN EN COMMISSION
___________
Réunie le mercredi 6 décembre 2023, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 143, 2023-2024) visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle tout d'abord l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi (PPL) visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables. Cette proposition de loi, déposée par le député Guillaume Kasbarian, a été adoptée par l'Assemblée nationale le 23 novembre dernier, après engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement.
Une proposition de loi sénatoriale analogue a été déposée par Sophie Primas, Frédérique Puissat et Alexandra Borchio Fontimp. Le calendrier de l'Assemblée nationale s'est révélé plus favorable que celui du Sénat, et nous sommes donc amenés à traiter la proposition que nos collègues députés ont adoptée.
Ce texte sera examiné en séance publique lundi 18 décembre 2023.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - La proposition de loi que nous examinons ce matin nous a été transmise par l'Assemblée nationale mais son dispositif nous est déjà bien connu. Il s'agit de prolonger un assouplissement temporaire des règles d'utilisation du titre-restaurant que notre commission avait proposé, à l'été 2022, dans le cadre des mesures d'urgence pour protéger le pouvoir d'achat face à l'inflation.
Le titre-restaurant, créé en 1967, est un titre spécial de paiement cofinancé par l'employeur, à hauteur de 50 % à 60 % de sa valeur faciale, et par le salarié. Les titres sont acquis par l'employeur auprès de sociétés émettrices et peuvent être remis sous forme papier ou dématérialisée.
Leur utilisation est destinée à l'achat d'un repas par journée travaillée par le salarié. À ce titre, le dispositif bénéficie d'avantages sociaux et fiscaux : la contribution de l'employeur à la valeur libératoire du titre-restaurant est exclue de l'assiette des cotisations et contributions sociales, et ce complément de rémunération est exonéré de l'impôt sur le revenu, dans la limite d'un plafond revalorisé chaque année.
L'impact du titre-restaurant pour les finances publiques s'élevait ainsi, en 2021, à 1,8 milliard d'euros, dont 1,4 milliard d'euros pour la sécurité sociale et 0,4 milliard d'euros pour l'État.
Les titres-restaurant peuvent être acceptés par les restaurateurs, les hôteliers-restaurateurs, les détaillants en fruits et légumes et par les commerces assimilés agréés par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR), notamment les commerces de bouche ainsi que les grandes et moyennes surfaces. Au total, 234 000 commerces, dont 65 % de restaurants, acceptent les titres-restaurant.
Le repas acheté au moyen de titres-restaurant est, en principe, composé de préparations alimentaires directement consommables, le cas échéant à réchauffer ou à décongeler, notamment de produits laitiers ; il peut également être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables.
La remise de titres-restaurant par l'employeur n'est pas obligatoire et ce dispositif coexiste avec d'autres formes de participation de l'employeur à la restauration des salariés : soit la mise en place d'un restaurant d'entreprise, soit le versement d'une indemnité repas dite « prime de panier ».
D'après la CNTR, au 31 décembre 2022, 180 000 employeurs avaient recours au titre-restaurant ; ce ne sont ainsi 5,2 millions de personnes, soit 19 % des salariés, qui en bénéficiaient.
Si le dispositif n'a pas pour vocation première de soutenir le pouvoir d'achat des salariés, il a été mobilisé à cette fin pour faire face à la forte inflation des années 2021 et 2022. Ainsi, alors que la valeur moyenne d'un titre-restaurant est de 8,25 euros, le Gouvernement a rehaussé par décret le plafond d'utilisation journalière des titres-restaurant de 19 à 25 euros à compter du 1er octobre 2022.
En outre, la loi de finances rectificative du 16 août 2022 a rehaussé le plafond d'exonération de la participation de l'employeur à 5,92 euros afin de permettre, indirectement, une augmentation de la valeur moyenne des titres. Ce plafond a ensuite été augmenté à 6,50 euros par la loi de finances pour 2023, puis à 6,91 euros par un décret du 31 mai 2023.
Enfin, dans le cadre de la discussion au Sénat de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, notre collègue Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales, a proposé d'assouplir les règles encadrant l'utilisation du titre-restaurant en l'étendant à une plus large gamme de produits. Cette loi a prévu un dispositif dérogatoire permettant d'utiliser, jusqu'au 31 décembre 2023, les titres-restaurant pour l'achat de tout produit alimentaire, qu'il soit ou non directement consommable. La dérogation est notamment applicable auprès des commerces assimilés tels que les grandes et moyennes surfaces.
Depuis la mise en oeuvre de ce dispositif dérogatoire, la CNTR a constaté une augmentation de la part des grandes et moyennes surfaces dans l'utilisation des titres-restaurant de 22,4 % à 28,9 %, tandis que la part des restaurants aurait baissé de 46,5 % à 44,3 % et celle des autres professions assimilées de 30,4 % à 26,2 %.
Toutefois, selon les services du ministère de l'économie que j'ai auditionnés, la corrélation entre cette évolution et le régime d'utilisation dérogatoire n'apparaît pas avec évidence. En effet, d'autres paramètres peuvent aussi expliquer la tendance à l'augmentation de la part de marché des grandes et moyennes surfaces, à savoir le développement du télétravail, la préférence croissante pour la préparation de plats à domicile, ou encore des arbitrages entre les dépenses des foyers dans le contexte actuel d'inflation. En réalité, l'inflexion pourrait être antérieure à la mesure et remonter à la crise sanitaire.
Selon la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), la composition du panier d'achat des utilisateurs de titres-restaurant dans les grandes et moyennes surfaces aurait été modifiée sans être bouleversée par la mesure : entre 70 % et 75 % des achats payés par titre-restaurant au supermarché resteraient des produits directement consommables.
Quinze mois après l'entrée en vigueur de cette mesure, il est patent que les conditions ayant justifié la mise en place d'un régime dérogatoire sont toujours présentes. Malgré le ralentissement de l'inflation, la hausse des prix alimentaires continue de grever le pouvoir d'achat des salariés. D'après les données provisoires de l'Insee, les prix de l'alimentation auraient augmenté de 7,6 % entre novembre 2022 et novembre 2023, contre 3,4 % pour l'indice des prix à la consommation.
Interpellé à ce sujet par des associations familiales et des élus, le Gouvernement, qui n'avait pas anticipé la sortie du régime dérogatoire créé en 2022, s'est prononcé dans l'urgence en faveur de sa prolongation pour une année supplémentaire, considérant que cette facilité restait la bienvenue dans un contexte économique compliqué.
La proposition de loi de Guillaume Kasbarian, déposée le 17 novembre dernier et adoptée par l'Assemblée nationale le 23 novembre, vise donc à reporter au 31 décembre 2024 le terme de ce dispositif dérogatoire.
Le dispositif du titre-restaurant n'est pas figé et a déjà connu des assouplissements. Par exemple, la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail a permis le don de titres-restaurant non utilisés à des associations d'aide alimentaire.
Ainsi, le dispositif dérogatoire ne fait courir aucun risque immédiat au régime fiscal et social du titre-restaurant, ni a fortiori au dispositif lui-même.
Toutefois, un assouplissement pérenne des règles d'utilisation des titres-restaurant pourrait avoir pour effet d'éloigner le dispositif de sa vocation initiale, à savoir financer le déjeuner de travail des salariés, laquelle justifie son financement par les employeurs et le régime fiscal et social dont il bénéficie. Il comporte également un risque de déstabilisation du secteur de la restauration, déjà touché par la crise sanitaire, le télétravail, la pénurie de main-d'oeuvre, l'inflation et la crise énergétique.
Une évolution pérenne du dispositif doit donc être envisagée avec prudence et ne saurait avoir lieu sans concertation ni étude préalable.
Je considère cependant qu'une évolution du titre-restaurant pourrait se justifier, compte tenu des changements dans les habitudes et les aspirations des salariés, mais aussi des disparités d'offres de restauration entre les territoires.
Cette réflexion sur les règles d'utilisation du dispositif doit s'inscrire dans une modernisation plus large à laquelle travaille le Gouvernement en concertation avec la CNTR, qui inclut la généralisation de la dématérialisation des titres. Dans cette perspective, il serait opportun de donner suite à l'avis rendu en octobre dernier par l'Autorité de la concurrence (ADLC) en instaurant une régulation adaptée du marché des titres-restaurant et en recherchant une solution structurelle visant à rééquilibrer le rapport de force entre les sociétés émettrices de titres-restaurant et les commerçants. L'Autorité a en effet relevé l'existence de défaillances de marché, et en particulier d'un pouvoir de marché des émetteurs historiques qui permet l'augmentation continue des commissions payées par les commerçants, notamment par les restaurateurs.
Dans l'immédiat, je vous invite à adopter sans modification cette proposition de loi.
Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la durée d'un assouplissement dérogatoire des règles d'utilisation des titres-restaurants. En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables, des amendements relatifs aux conditions d'attribution des titres-restaurant, à leur régime fiscal et social ou à la régulation du marché des titres-restaurant.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Notre groupe propose d'étendre le dispositif dérogatoire jusqu'en juin 2024 uniquement.
Ce dispositif dérogatoire modifie totalement la nature du titre-restaurant, qu'il met à mal. Je m'étonne que la prolongation en ait été demandée par le ministre chargé de l'économie sous le prétexte de l'inflation alimentaire, alors que celui-ci ne cesse de répéter que ce problème de l'inflation sera résolu en 2024.
Pour être accordé au salarié, le titre-restaurant nécessite deux séquences de travail dans la journée. Un salarié qui ne travaillerait que le matin ou que l'après-midi n'en bénéficierait pas. Strictement lié à la pause méridienne, le titre-restaurant permet d'acheter et de prendre un repas sur le lieu de travail ou à proximité, en se rendant dans un restaurant ou, plus souvent, dans une boulangerie. C'est pourquoi il constitue un dispositif du code du travail. Ce dernier prévoit que toute entreprise, à partir de 50 salariés, doit le proposer à son personnel, à moins qu'elle ne comporte un restaurant interne, qu'elle mette à disposition une salle aménagée ou qu'elle offre des paniers-repas.
Des dérogations ont été accordées avec la covid-19, les périodes de confinement et de fermeture des restaurants et se sont poursuivies, et nous les comprenions. La CNTR mène depuis un an une réflexion sur la question du télétravail, qui, de même, ne s'écarte pas de l'esprit originel du dispositif. Mais un autre motif qui est totalement exogène est apparu, celui du pouvoir d'achat. Et sur quelque 8 milliards d'euros dépensés en titres-restaurant, en l'espace d'un an de dérogation, ce ne sont pas moins de 500 millions d'euros qui sont revenus aux entreprises de la grande distribution. Pourtant, ces dernières, qui bénéficient de marges de négociation très importantes auprès des émetteurs des titres, ne tirent du dispositif que 1 % de leur chiffre d'affaires. Dans le même temps, les titres apparaissent vitaux pour les restaurants ainsi que pour les métiers de bouche, en ce qu'ils sont constitutifs d'une économie de proximité autour de la pause méridienne des entreprises.
De plus, le titre-restaurant implique, bien plus qu'une exonération de cotisations sociales, une véritable exemption de l'assiette de cotisation. L'employeur et les salariés participent, mais aussi l'État en perdant 1,8 milliard d'euros en cotisations sociales et en impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP). Et l'exemption n'étant pas compensée, la sécurité sociale devient un quatrième financeur du dispositif.
Dans ces conditions, sans doute devrions-nous nous en tenir à l'usage prévu par le code du travail.
Pourquoi accorder une nouvelle dérogation d'un an ? Qui en défend l'idée ? La seule grande distribution, qui vise la pérennité d'un dispositif pour l'heure dérogatoire.
La CNTR est une instance paritaire. En son sein, tant le collège des salariés que celui des employeurs sont vent debout contre le détournement du titre-restaurant en titre alimentaire. Ils ont manifesté leur désaccord par un communiqué. Toutes les organisations syndicales s'opposent également au détournement de ce dispositif. Les organisations patronales sont contre, au premier rang desquelles l'Union des entreprises de proximité (U2P) qui y voit une mise en cause du modèle économique du service de midi des restaurants. Ne sachant comment procéder autrement, le Gouvernement tient sa promesse d'un titre alimentaire sur le dos du titre-restaurant !
La grande distribution escompte que des prolongations successives, année après année, rendront difficile tout retour en arrière.
Le titre-restaurant n'est pas conçu pour acheter des oeufs ou de la farine pour sa famille en raison d'un problème de pouvoir d'achat. Ne le confondons pas avec la prime de partage de la valeur, autre mécanisme fort coûteux pour la sécurité sociale et les finances publiques. Le titre prend son sens et conserve toute sa validité à l'intérieur du code du travail.
Mme Annie Le Houerou. - À l'origine, les titres-restaurant, financés en partie par l'employeur, devaient payer les repas pris par les salariés ne disposant pas sur leur lieu de travail d'un point de restauration, c'est-à-dire des repas pris au restaurant ou sous la forme de simples plats cuisinés et prêts à être consommés. Par un changement d'orientation, leur utilisation a été étendue aux produits dits non consommables directement. Cette utilisation a bénéficié à 5,4 millions de salariés français. Elle en dit long sur la précarité alimentaire : le détournement des titres-restaurant vient compenser la précarité grandissante des salariés.
Bien que détourné de l'objectif initial, le dispositif dérogatoire rend indéniablement service, en répondant à un besoin réel des salariés. Nous jugeons donc nécessaire une réflexion d'ensemble sur leur pouvoir d'achat. L'amélioration de ce pouvoir d'achat passera par une revalorisation des salaires, non par un saupoudrage à l'aide des titres-restaurant ou d'aides de type chèques alimentaires.
Le Gouvernement mélange un peu tout, cherchant à tirer parti de tous les dispositifs et de la participation des employeurs à leur financement.
Illustration de la dérive à laquelle nous assistons, j'entendais ce matin un grand distributeur proposer une assurance alimentation. Nous marchons sur la tête !
Il est plus que temps de reconsidérer le sujet, afin d'aboutir à un recadrage des titres-restaurant ainsi qu'à la revalorisation des salaires. Une personne qui travaille doit pouvoir se nourrir correctement, sans avoir recours à ce type de dispositif.
Avec mon groupe, nous restons réservés sur cette proposition, qui, par surcroît, intervient dans l'urgence, même s'il paraît difficile de mettre fin au dispositif dérogatoire dès le 31 décembre prochain.
Mme Céline Brulin. - La prolongation de l'utilisation des titres-restaurant dans les conditions actuelles n'est pas la panacée. Le problème du pouvoir d'achat requiert des mesures beaucoup plus structurelles, en particulier l'augmentation des salaires. Celle-ci serait bénéfique aux restaurateurs et aux métiers de bouche qui, les premiers, pâtissent de la réduction des dépenses des familles.
En revanche, l'urgence, toujours en considération du pouvoir d'achat, mais aussi de la demande des salariés qui ne peuvent peut-être pas faire autrement qu'employer les titres-restaurant pour se nourrir, commande de ne pas mettre un coup d'arrêt brutal au dispositif dérogatoire.
Avec toutes les réserves que nous avons exprimées, nous sommes, avec mon groupe, plutôt favorables à la proposition de loi qui en prolonge l'application.
Madame la rapporteure, vous avez évoqué à juste titre le fait que le Gouvernement n'avait pas préparé la sortie de ce dispositif. Qu'est-il envisagé au-delà de l'année de sa prorogation, au risque que nous nous retrouvions dans une situation identique et confrontés au même débat ? Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait beaucoup de pistes.
Vous avez indiqué que des réflexions sur des modifications, et non sur un bouleversement, du dispositif des titres-restaurant suivaient les évolutions du monde du travail, notamment le développement du télétravail. Comment définir un principe d'accompagnement des salariés dans leur restauration au travail qui prenne en compte ces évolutions ?
Au travers de votre rapport, avez-vous cerné quels salariés utilisent d'abord les titres-restaurant ? Vous avez mentionné une proportion de 20 % de salariés. S'agit-il plutôt de salariés de petites entreprises ? Il me semble que la situation d'un salarié dans un grand bassin d'emploi, avec des entreprises ou des administrations qui disposent de points de restauration, parfois des restaurants inter-entreprises, diffère sensiblement de celle d'un salarié plus isolé d'une petite entreprise située en milieu rural. Il conviendrait de prendre en compte la diversité des situations dans la réflexion globale à conduire sur la restauration des salariés.
Mme Véronique Guillotin. - Qui détermine la nature des achats possibles en grande surface avec des titres-restaurant, autrement dit le contenu du panier qui en autorise l'utilisation ?
Si j'entends l'avertissement de ne pas déséquilibrer un secteur économique tel que celui de la restauration, je pense qu'il faut aussi prendre en compte le fait que tous les systèmes évoluent à la mesure des modes de vie et de consommation. Je ne suis pas certaine que l'utilisation des titres-restaurant dans les grandes et moyennes surfaces réponde uniquement à une problématique d'inflation et de pouvoir d'achat. Il se peut que des consommateurs souhaitent également se préparer des repas plus équilibrés, ce qu'on ne saurait que favoriser.
La prolongation d'un an du dispositif dérogatoire ne me pose pas de difficulté. Mais ne devrions-nous pas y ajouter des considérations de santé publique dans le ciblage des produits de consommation autorisant l'utilisation des titres-restaurant ?
M. Xavier Iacovelli. - Nous sommes favorables à la prolongation du dispositif. Avec plusieurs de mes collègues, nous avions déposé une proposition de loi qui visait à le pérenniser, en levant par ailleurs le plafond journalier d'utilisation des titres. Elle nous paraissait assurer ainsi la liberté des salariés, tout en ne pénalisant pas les restaurateurs, inquiets à l'idée d'une éventuelle pérennisation du système.
Il faut adapter notre fonctionnement aux changements des modes de consommation. Un titre-restaurant d'une valeur de 8 ou 10 euros ne permet guère, en particulier à Paris, de consommer autre chose que de la malbouffe. Il peut en revanche permettre d'acheter des produits plus équilibrés dans une grande surface ou dans une épicerie. Laissons aux salariés la liberté d'utiliser les titres-restaurant comme bon leur semble, évidemment pour l'achat de produits alimentaires.
Si l'objectif immédiat est celui d'une prompte adoption de la présente proposition de loi, afin d'obtenir la prolongation d'au moins un an du dispositif, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) n'en déposera pas moins des amendements destinés à faire avancer cette idée dans le débat. Le Gouvernement pourrait s'engager à réaliser une étude d'impact relative à la pérennisation du système.
Mme Corinne Bourcier. - Un montant de 9 euros ne permet, en effet, pas de prendre un déjeuner dans un restaurant en milieu de journée. Travailler dans une petite commune et ne disposer que d'une heure de pause méridienne ne le permet pas plus. Mais déjeuner d'un sandwich tous les jours n'est pas une solution ! C'est pourquoi des salariés préparent des plats qu'ils consomment sur le lieu de travail après les avoir réchauffés.
Je suis tout à fait d'accord sur la prolongation d'un an de l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.
Mme Nadia Sollogoub. - Le responsable d'une toute petite entreprise m'a alertée sur ce que, dans un environnement très rural, les salariés ne bénéficient d'aucun restaurant à proximité de leur lieu de travail, pas plus qu'ils n'ont le loisir de pouvoir acheter ne serait-ce qu'une salade. Ils expriment leur lassitude des dispositifs calibrés uniquement pour des salariés qui travaillent en ville. Ils apprécient de pouvoir utiliser le titre-restaurant pour financer le plat qu'ils préparent eux-mêmes quotidiennement et qu'ils consomment sur place.
Prenons en compte qu'il existe plusieurs catégories de salariés en France.
Mme Corinne Féret. - La démonstration est faite qu'il faut se laisser un peu de temps pour explorer les différentes évolutions à l'oeuvre. N'oublions pas non plus que le système actuel s'organise autour de la CNTR, qui réunit de façon paritaire salariés et employeurs. Il importe de laisser le dialogue social s'exprimer et avancer ses propres propositions.
La souscription au titre-restaurant n'est pas une obligation pour le salarié ; elle lui est proposée sous certaines conditions, relatives notamment au temps de travail et aux solutions de restauration dans son entreprise. Les grandes entreprises possèdent quasiment toutes un point de restauration collective et ne proposent donc pas de titres-restaurant à leurs salariés. Rapportons les choses à leur juste état.
La mesure d'extension de l'utilisation des titres-restaurant aux achats de produits alimentaires non directement consommables a par ailleurs été décidée dans un contexte bien spécifique.
Nous sommes pris par l'urgence, avec l'examen de la proposition de loi en séance le 18 décembre prochain au Sénat, quand le dispositif dérogatoire prend fin le 31 décembre suivant. De la part du Gouvernement, c'est peu responsable et peu respectueux à l'endroit des organisations paritaires.
Prolongeons donc le dispositif, mais sur une durée limitée, pour se donner le temps de la réflexion et laisser s'exprimer le dialogue social.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Merci de vos contributions enrichissantes et utiles à la bonne compréhension du sujet.
Je note qu'il s'en dégage un certain consensus sur l'intérêt de maintenir la souplesse du dispositif dérogatoire d'utilisation des titres-restaurant. Elle répond à des attentes légitimes des salariés, qui rencontrent des difficultés devant une situation inflationniste qui n'a pas disparu depuis que la mesure a été instituée, en particulier pour les prix alimentaires.
Vos inquiétudes n'en sont pas moins légitimes et il faudra y répondre.
Certaines portent sur la régulation du marché des titres-restaurant, avec la question du rapport de force entre les sociétés émettrices de ces titres et notamment les restaurateurs. Ces derniers sont soumis à des taux de commissions particulièrement élevés, en comparaison de la grande distribution.
Vos inquiétudes ont également trait au dialogue social. Ici, je tempérerai le propos de Raymonde Poncet Monge : toutes les organisations syndicales ne s'opposent pas au dispositif dérogatoire d'utilisation des titres-restaurant. Parmi celles que j'ai entendues, la CFTC en a reconnu l'utilité. Les autres regrettent sa pérennisation.
Les salariés apprécient globalement la souplesse qui leur est offerte de choisir dans une gamme plus large de produits pour composer le menu de leur déjeuner.
L'augmentation à 25 euros du plafond quotidien d'utilisation des titres conduit à ce que des salariés se retrouvent certains jours sans titre pour payer leur repas. Il convient de le prendre en compte.
Sans doute faut-il faire confiance aux salariés quant à leur capacité à être raisonnables dans le choix de produits ; et nous devons répondre à leurs besoins, comme à leurs attentes, qui sont aussi celles de repas équilibrés.
Plusieurs d'entre vous l'ont souligné, nous ne saurions ignorer les évolutions à l'oeuvre dans les comportements et dans l'organisation du travail. Avec la crise sanitaire, le télétravail s'est notamment durablement installé dans les entreprises.
Je veux partager avec vous certains éléments de comparaison avec des pays voisins. En Belgique et en Italie, où existent des dispositifs similaires, on note chez les salariés une propension à prendre de plus en plus souvent les déjeuners au domicile. En Italie, ce sont 62 % des salariés qui déjeunent à la maison. Cette tendance s'accompagne de la recherche, dans la composition des menus, de davantage de circuits courts et de produits de terroir.
Céline Brulin a pointé la différence de situation qui prévaut entre les salariés des grandes entreprises et ceux des petites entreprises. Il semblerait que ces derniers bénéficient moins, en moyenne, des titres-restaurant.
Le Gouvernement réfléchit à la possibilité d'un « titre-repas », ce qui constituerait une évolution du dispositif que nous connaissons actuellement. L'intervalle qui nous est donné d'ici à la fin de la prolongation du dispositif dérogatoire, si le Sénat accepte la présente proposition de loi, devrait permettre au Gouvernement ainsi qu'aux organisations patronales et salariales de mettre en place une véritable concertation au sein de la CNTR sur la régulation du marché des titres-restaurant.
L'élément géographique est aussi à considérer. La situation des salariés n'est en effet pas la même en zone dense, avec beaucoup de bureaux et de restaurants, et en milieu rural, où les possibilités d'accès au restaurant sont moindres et où, pourtant, on ne peut se contenter d'un sandwich tous les jours. La qualité de l'alimentation des salariés répond à un objectif de santé publique, comme elle participe plus généralement à la qualité de vie au travail.
La liste des produits éligibles au paiement par titre-restaurant est déterminée par une charte conclue entre la CNTR et le secteur de la distribution, dans le respect de ce que prévoient la loi et le règlement. Elle fait donc l'objet de discussions régulières entre ces acteurs.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - L'amendement COM-1 rectifié prévoit d'anticiper la fin du dispositif dérogatoire au 30 juin 2024, au lieu de la fixer au 31 décembre 2024. Mon avis est défavorable.
L'ensemble des orateurs qui se sont exprimés ont fait état de plusieurs difficultés, dont la question de l'inflation et celle de la finalité des titres-restaurant. Elles nécessitent une étude d'impact puis une véritable concertation des acteurs. Sécuriser et faire évoluer le dispositif des titres-restaurant requiert plus de six mois. Nous ne voudrions pas nous retrouver fin juin 2024 dans la même situation d'impréparation à l'égard du futur dispositif que celle dans laquelle nous sommes actuellement. Un an n'est pas de trop pour remettre les choses à plat et préparer un dispositif équilibré.
Mme Raymonde Poncet Monge. - La CNTR travaille depuis deux ans avec le ministre délégué chargé du commerce aux évolutions dont vous faites état. Les représentants de ses deux collèges, notamment ceux de l'U2P, m'ont fait remarquer que la dérogation qui, à l'initiative du ministre chargé de l'économie Bruno Le Maire, transforme le titre-restaurant en chèque alimentaire, ou selon leur expression en « chèque caddie », n'était absolument pas à l'ordre du jour de leurs discussions paritaires. Pourquoi, dans ces conditions, prévoir une année supplémentaire ? Le débat et la concertation ont déjà lieu sur tous les éléments que vous avez relevés.
Les syndicats et le patronat soutiennent l'amendement. Ils ne sont pas contre les évolutions, mais entendent que le dispositif des titres-restaurant demeure un dispositif du code du travail, sauf à en faire un dispositif au service du pouvoir d'achat directement piloté par le ministre chargé de l'économie. Si nous prolongeons d'un an la dérogation actuelle, qui d'ailleurs devrait ressortir à la compétence du ministre chargé du travail, aucun retour en arrière ne sera ensuite possible.
L'amendement COM-1 rectifié n'est pas adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.