B. UN SOUTIEN QUI NE PEUT ÊTRE QUE CONDITIONNÉ À UN EFFORT SUPPLÉMENTAIRE D'ÉVALUATION
Ainsi, alors que la justice commence à combler son retard, il est primordial de soutenir le renforcement de ses moyens, en contrepartie de progrès en termes de gestion, de suivi et d'évaluation.
Telle que la conçoit le rapporteur spécial, une loi de programmation ne consiste pas simplement en la définition d'indicateurs de performance et de lignes de crédits et d'emplois. Elle doit être l'occasion pour le ministère concerné de s'interroger sur le sens des politiques publiques qu'il mène, sur la qualité du service public qu'il soutient et sur sa propre gestion des moyens, budgétaires comme humains. Il est difficilement envisageable de concevoir la poursuite d'une trajectoire budgétaire aussi dynamique que celle envisagée pour la justice sans évaluation de l'efficacité de la dépense publique ainsi engagée. Le rapporteur spécial relève à cet égard que le ministère a mis en place un comité de suivi des investissements du ministère de la justice, primordial au regard de l'ampleur des projets informatiques et immobiliers qu'il mène depuis plusieurs années.
En gestion, des progrès ont également été accomplis sur la période 2018-2022. Par exemple, l'augmentation des restes à payer ne résulte plus de sous-dotations initiales mais de retard sur les projets engagés. Des efforts doivent en effet encore être menés pour effectivement consommer les crédits informatiques et immobiliers ouverts en loi de finances.
Dans sa communication sur le plan de transformation numérique (PTN) du ministère de la justice, remis à la demande de la commission des finances du Sénat17(*), la Cour des comptes expliquait ainsi avoir rencontré d'importantes difficultés pour reconstituer les dépenses exécutées au titre du PTN. Ce constat traduit « l'insuffisance du suivi budgétaire des projets et du plan dans son ensemble » alors que le ministère ne semble pas non plus pouvoir totalement maîtriser la comptabilisation des logiciels produits en interne18(*). Plus généralement sur les projets informatiques, la Cour des comptes notait que « la difficulté du ministère à fiabiliser l'évaluation des besoins et le suivi budgétaire crée des situations d'impasse où l'ensemble des actions prévues dans les projets ne sont pas intégrées aux prévisions de crédits ». C'est ainsi que le coût de généralisation du « portail détenu », avec l'installation de tablettes dans toutes les cellules de certaines maisons d'arrêt, est passé de 22 millions d'euros à 55 millions d'euros en prévisionnel, les frais de sécurisation n'ayant par exemple pas été intégrés dans le coût initial.
En matière de suivi et d'évaluation ensuite, il existe une vraie difficulté sur la remontée des informations. Les données sont là mais elles ne sont pas transmises et ne sont donc pas pleinement exploitées. Le ministère doit renforcer ses capacités de pilotage par les données et les utiliser pour mener une évaluation de ses politiques publiques. Même sur un sujet régalien, il ne faut pas craindre de procéder à des évaluations incluant une dimension économique.
Au contraire, cela peut même s'avérer bénéfique. Dans son rapport d'information sur la mise en oeuvre du « plan 15 000 »19(*), le rapporteur spécial plaide ainsi pour que des évaluations soient conduites sur les coûts et les gains socio-économiques générés par la construction d'un établissement pénitentiaire, avec l'objectif de faciliter les discussions avec les populations et les élus locaux sur le lieu d'implantation de ces établissements (recommandation n° 6).
Les indicateurs de performance ne sont en effet pas suffisants s'ils ne sont pas accompagnés d'évaluations plus qualitatives sur le service public de la justice. Par exemple, ce qui est vraiment attendu de la politique publique en matière de justice des mineurs, c'est bien leur protection et leur réinsertion, de même pour les adultes avec la prévention de la récidive.
Or il n'existe que peu d'évaluations permettant de faire le lien entre les actions des différents services et métiers du ministère et ces grands objectifs de politique publique, en dépit d'efforts en ce sens. La sous-direction de la statistique du secrétariat général a ainsi conduit une étude sur le phénomène de réitération des jeunes majeurs, mais elle ne permet pas de faire le lien avec l'action des services de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l'administration pénitentiaire. Dans le rapport d'information précité, le rapporteur spécial a appelé à finaliser l'outil de suivi du parcours des mineurs (application « Parcours ») et à produire des évaluations sur la récidive et la réitération des mineurs pour mesurer l'efficacité des mesures de placement.
* 17 Cour des comptes, communication à la commission des finances du Sénat - « Améliorer le fonctionnement de la justice - Point d'étape du plan de transformation numérique du ministère de la justice » (janvier 2022).
* 18 Ibid.
* 19 Rapport d'information n° 37 (2023-2024), « 15 000 places de détention supplémentaires et 20 nouveaux centres éducatifs fermés en 2027 : mission impossible ? », par M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 octobre 2023.