II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. En décrue, les dépenses imputables à la crise sanitaire demeurent significatives

Alors que sa clôture était initialement programmée pour le 31 décembre 2020, le fond de concours « Participations diverses aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et d'offre de soins » a été reconduit en 2022 pour la deuxième année consécutive. Outre le report de 44 millions d'euros en AE et de 76 millions d'euros en CP, le fonds de concours3(*) a bénéficié d'un nouvel abondement de Santé publique France de 160 millions d'euros en 2022.

Répartition des crédits supplémentaires ouverts pour lutter
contre la crise sanitaire au sein du Fonds de concours dédié

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette diminution des crédits consommés était attendue, dans la mesure où ils avaient vocation, pour la majeure partie, à répondre aux défaillances de l'État (absences de masques, de matériel, etc.) observées au début de la crise. Pour cette raison, les crédits consommés au titre de ce fonds de concours ont fortement diminué depuis 2021 : 159,4 millions d'euros en CP ont été consommés en 2022 contre 284,4 millions d'euros l'année précédente (soit - 44 %). La quasi-totalité des lignes de dépense enregistrent ainsi une diminution. Quelques lignes de dépense ont toutefois connu une augmentation entre 2021 et 2022.

Ainsi, les crédits consacrés aux systèmes d'information interrogent. En dépit du reflux de la pandémie, elles demeurent à un niveau élevé, plus de 100 millions d'euros, ne diminuant que d'1 %, alors que la faible efficience de ces crédits avait été relevée par le rapporteur spécial lors de l'exercice précédent.

De même, l'agence de Wallis-et-Futuna, touchée par l'irruption du virus sur l'île, a dû faire face à de nouveaux surcoûts (6,2 millions d'euros contre 4,3 millions d'euros en 2021). Si la dotation budgétaire inscrite en loi de finances initiale reste stable, le fonds de concours « Participations diverses aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et d'offre de soins » a dû être mobilisé pour soutenir l'agence, à hauteur de 6,4 millions d'euros - une augmentation de 43 % par rapport à 2021. Du fait du vieillissement de la population, il est à craindre que l'agence soit confrontée à une augmentation continue de ses surcoûts - en particulier l'évacuation vers les établissements de santé de Nouvelle-Calédonie, de métropole ou d'Australie - durant les prochaines années.

Comme l'année dernière, le rapporteur spécial émet des réserves sérieuses sur la mise en oeuvre du fonds de concours. Le fonds de concours est en effet rattaché au programme 204, mais abondé par Santé publique France, qui n'est plus inclus dans la mission Santé mais pris en charge par la sécurité sociale.

Il faut rappeler que Santé publique France et l'Agence nationale de santé publique ont été transférées à l'Assurance maladie par la loi de finances pour 2020. Ce changement de périmètre avait suscité des critiques de la part de la commission des finances, au motif que les missions de ces deux établissements ne relèvent pas de la logique contributive qu'est censé impliquer leur rattachement au budget de la Sécurité sociale. Ces opérateurs concentraient, par ailleurs, plus de la moitié des crédits du programme 183 : 268,6 millions d'euros, soit 56 % de la dotation accordée en loi de finances pour 2019.

Le « retour » de Santé publique France dans la mission « Santé » via le fonds de concours, mais avec un financement issu de l'Assurance maladie, illustre de façon manifeste cette confusion des rôles entre la Sécurité sociale et les services de l'État.

2. L'indemnisation des victimes du Médiator, source de fragilité grandissante

La surconsommation observable sur le programme 204 résulte principalement des conséquences financières de la condamnation de l'État à rembourser une part des indemnités versées par les laboratoires Servier aux victimes du Médiator4(*), à hauteur de 56,8 millions d'euros pour ce seul contentieux.

D'une part, 33,7 millions d'euros sur les 82,4 millions d'euros de reports de crédits non-consommés en 2021 hors fonds de concours ont été alloués à ce poste de dépense.

D'autre part, si la LFR de fin d'année a annulé 7,5 millions d'euros d'AE et 5,8 millions d'euros de CP, ce solde recouvre toutefois l'ouverture de 9,1 millions d'euros de crédits supplémentaires au titre de l'accroissement des frais de justice intervenu consécutivement à la condamnation de l'État.

Pour ces raisons, l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux constitue, pour le rapporteur spécial, un point de vigilance pour l'avenir.

3. Un coût inférieur aux prévisions, mais en augmentation constante pour l'Aide médicale d'État (AME)

La prédiction formulée par le rapporteur spécial à l'occasion de l'examen de la loi de règlement pour 2020, selon laquelle « faute de réforme d'ampleur du dispositif, la sortie de crise sanitaire devrait coïncider avec une reprise de la progression des dépenses d'AME » a été confirmée par les chiffres de l'exécution de l'AME en 2021 : les crédits consommés au titre de l'AME connurent en 2021 une augmentation de 7,1 % par rapport à 2020.

Pour 2022, la hausse de l'exécution des crédits AME se poursuit, bien qu'à un rythme moins soutenu. L'État a ainsi versé, en 2022, 1 014 millions d'euros à ce titre, la majorité (943 millions d'euros) au titre de l'AME de droit commun, un montant plus faible (70 millions d'euros) au titre de l'AME pour soins urgents et un montant négligeable (inférieur à 1 million d'euros) au titre de l'AME « humanitaire » et autres AME.

Évolution des montants versés au titre de l'aide médicale d'État
depuis 2012

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces montants ne recouvrent pas l'ensemble des dépenses liées à l'AME. En effet, l'estimation du coût de l'AME de droit commun varie : la direction de la Sécurité sociale indique que 943 millions d'euros ont été versés, alors que les dépenses enregistrées par la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) à ce titre s'élèvent à 968 millions d'euros. De même, l'État ne prend en charge qu'une partie de l'AME pour soins urgents, à hauteur d'une dotation de 70 millions d'euros ; le reste du coût de l'AME pour soins urgents (16,2 millions d'euros) est pris en charge par l'Assurance maladie. Le coût total de l'AME est donc plutôt proche des 1 054 millions d'euros.

Le rapporteur spécial note la sous-consommation qu'ont connue les crédits dédiés à l'AME en 2022. L'exécution a en effet donné lieu à une annulation de crédits en loi de finances rectificative de fin d'exercice pour corriger la prévision du Gouvernement.

Même si l'AME progresse moins vite que l'on pouvait s'y attendre, cette dépense reste dynamique, notamment du fait de la progression du nombre de bénéficiaires en 2022. Ils étaient en effet 403 144 bénéficiaires au 30 septembre 2022, une augmentation de 5,9 % par rapport à 2021 et de 20,5 % par rapport à 2019. Malgré une réforme limitée menée en 2020, le nombre de bénéficiaires de l'AME poursuit donc sa hausse

La réforme de l'Aide médicale d'État en 2020

À l'initiative du Gouvernement, une réforme limitée de l'aide médicale de l'État a été adoptée à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, avec pour objectif notamment de maîtriser les dépenses du dispositif. Reprenant les conclusions d'un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales rendu public en novembre 2019, le dispositif est axé autour de trois points :

- renforcer les conditions pour bénéficier de l'aide : l'ouverture du droit à l'AME ne sera effective qu'au terme d'un délai de trois mois en situation irrégulière. La précédente rédaction pouvait permettre une ouverture du droit dans les semaines suivant l'expiration d'un visa touristique ;

- conditionner la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes des bénéficiaires majeurs de l'aide médicale d'État à un délai d'ancienneté de bénéfice de cette aide de 9 mois maximum. Une dérogation est envisageable si le délai peut avoir des conséquences vitales ou graves et durables sur l'état de la personne ;

- limiter les possibilités de dépôt de demande d'AME à une comparution physique en caisse primaire d'assurance-maladie ou en cas d'empêchement, à un dépôt par l'intermédiaire de l'hôpital ou de la permanence d'accès aux soins de santé. Le dispositif existant est néanmoins maintenu en cas de renouvellement de demande d'aide, afin d'éviter un engorgement des caisses d'assurance-maladie et des hôpitaux.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

4. Les programmes créés en LFR : une exécution peu soucieuse des prérogatives parlementaires et des principes budgétaires

Le programme 378 a été créé à l'initiative du Sénat pour lancer, dès l'automne 2022, le chantier de la mise en place d'une carte vitale biométrique afin de lutter plus efficacement contre la fraude aux prestations sociales, les 20 millions d'euros en AE et en CP qui y ont été alloués s'ajoutant au financement déjà existant par la Sécurité sociale.

Toutefois, les crédits ouverts en LFR n'ont été exécutés qu'à hauteur de 4,3 millions d'euros, versés au groupement d'intérêt économique (GIE) Sésam-Vitale au titre des développements informatiques, et du déploiement d'Application Carte vitale (ApCV), des travaux préparatoires qui auraient peut-être été menés même si une nouvelle ligne de dépense n'avait pas été ouverte.

Lors de l'examen du PLF 2023, le texte initial ne comprenait plus le programme 378. Réintroduit par le Sénat5(*) contre l'avis du Gouvernement, qui s'y était opposé en indiquant qu'une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) était en cours et qu'il serait possible, le cas échéant, d'« utiliser les crédits ouverts en 2022 », il n'a pas été retenu lors de l'engagement de la responsabilité de la Première ministre en lecture définitive. Or les crédits non consommés sur le programme 378 n'ont fait l'objet d'aucune demande de report en 2023 leur annulation étant proposé par le présent projet de loi de règlement.

Alors que le rapport de l'IGAS, remis en avril 20236(*), relance le débat sur les modalités de lutte contre la fraude sociale et que le « plan fraude » du ministre délégué aux comptes publics propose de combiner la carte d'identité et la carte Vitale, le rapporteur spécial fera preuve de vigilance pour que les crédits votés en LFR 2022 à l'initiative du Sénat soient effectivement employés, tôt ou tard, au développement d'une solution opérationnelle pour lutter contre les fraudes.

Enfin, le rapporteur spécial s'interroge sur l'opportunité d'avoir intégré le programme 379 à la mission « Santé ». Ce programme visait la compensation à la Sécurité sociale des dons de vaccins à des pays tiers, ainsi que le financement du « Ségur investissement ». Le financement par des crédits budgétaires apparaît plus pertinent que l'affectation à la Sécurité sociale d'une fraction de TVA - option qui avait été précédemment retenue. Néanmoins, il aurait été plus adéquat d'intégrer les crédits du programme 379 à la mission « Plan de relance » pour les crédits « Ségur », et à la mission « Aide publique au développement » pour les dons de vaccins aux pays tiers, plutôt qu'à la mission « Santé ». En l'état, le programme 379, qui ne concourt pas directement à la politique de santé publique, nuit à la lisibilité de la loi de finances.

Versés entièrement sur l'action 2 du programme 379 en raison d'une erreur d'imputation, l'ensemble des crédits ouverts en LFR ont été consommés le 26 décembre 2022 au moyen d'un versement à l'Acoss, qui les a reversés à la Cnam et à la CNSA.


* 3 FDC 1-2-00640 « Participations diverses aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et d'offres de soins »

* 4 TA de Paris, 25 mars 2022.

* 5 Amendement n° II-212 rect., adopté par le Sénat lors de l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2022.

* 6 IGAS, Les évolutions de la carte Vitale et la carte Vitale biométrique, avril 2023.