N° 762
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juin 2023
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la gestion des déchets dans les outre-mer,
Par Mmes Marta de CIDRAC et Gisèle JOURDA,
Sénatrices
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique, Mme Véronique Guillotin, vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Valérie Boyer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger.
Voir les numéros :
Sénat : |
627 et 763 (2022-2023) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes est saisie d'une proposition de résolution européenne n° 627 (2022-2023), présentée par Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, sur la gestion des déchets dans les outre-mer.
Cette proposition de résolution européenne découle des travaux de Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur la gestion des déchets dans les outre-mer, qui a donné lieu à la publication d'un rapport d'information, le 8 décembre 20221(*). Ce rapport dresse un état des lieux particulièrement alarmant en matière de collecte, de traitement et de valorisation des déchets dans les départements et régions d'outre-mer (DROM), en particulier à Mayotte et en Guyane, ainsi que dans les collectivités d'outre-mer (COM).
Face au flux croissant de déchets qui représentent des risques importants pour la santé et l'environnement et qui dégradent les paysages de ces territoires qui abritent 80 % de la biodiversité française, ce rapport plaide « pour un rattrapage massif par rapport à l'Hexagone et des politiques volontaristes et durables axées sur l'économie circulaire et la valorisation énergétique ». Il formule ainsi vingt-six propositions dans différents domaines pour lutter contre ce fléau. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : une gestion des déchets plus coûteuse dans les DROM et dans les COM que dans l'Hexagone, un recours plus fréquent à l'enfouissement des déchets, des collectes moins régulières ainsi qu'un manque d'infrastructures dédiées et de filières de recyclage.
Au-delà de ces constats, le rapport d'information insiste sur la nécessité de faire pleinement application de l'article 349 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui permet d'adapter la réglementation de l'Union en matière de gestion des déchets et d'économie circulaire, en cours de révision et à venir, aux « contraintes particulières des outre-mer pour leur permettre de développer des stratégies régionales et augmenter l'aide au fret dans l'environnement régional ». À ce titre, il souligne l'importance des fonds européens pour financer des projets structurants dans ces territoires et déplore la complexité de la règlementation de l'Union en matière d'exportations de déchets vers l'Hexagone et d'autres pays, en particulier concernant les déchets dangereux.
Le présent rapport ne reviendra pas sur les constats étayés et les analyses approfondies qui figurent dans le rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer, mais envisagera les éléments invoqués à l'appui du dépôt de la présente proposition de résolution européenne.
I. LES ENJEUX D'UNE GESTION DURABLE DES DÉCHETS DANS LE CADRE DE LA POLITIQUE DE COHÉSION DE L'UNION EUROPÉENNE
Les départements et régions d'outre-mer (DROM) ainsi que les collectivités d'outre-mer (COM) peuvent mobiliser différents fonds européens dans le cadre de leur politique de collecte, de traitement et de valorisation des déchets. Ces fonds sont des instruments essentiels au financement de projets structurants en matière d'économie circulaire dans ces territoires.
· Les fonds européens mobilisables dans le cadre des actions de collecte, de traitement et de valorisation des déchets
L'Union européenne, à travers sa politique de cohésion économique, sociale et territoriale (qui mobilise 330 milliards d'euros pour 2021-2027, soit 34% du budget de l'UE), promeut la stratégie en faveur de l'économie circulaire dans laquelle elle est engagée, ce qui devrait notamment contribuer à résorber le retard important pris par les outre-mer dans le domaine de la gestion durable des déchets.
La politique de cohésion de l'Union 2021-2027 tend, d'une part, à renforcer la cohésion économique, sociale et territoriale en s'appuyant sur la compétitivité durable, la recherche et l'innovation, la transition numérique et les objectifs du Pacte vert pour l'Europe, et, d'autre part, à mettre en oeuvre le socle européen des droits sociaux. L'objectif climatique se trouve de fait renforcé dans le cadre de cette nouvelle programmation : au moins 30 % des dépenses doivent être consacrées à la lutte contre le changement climatique, contre 20 % au cours de la période 2014-2020.
Cette politique est financée par plusieurs fonds dont :
- le FEDER (fonds européen de développement régional) ;
- le Fonds de cohésion (auquel la France n'est pas éligible puisque son revenu national brut par habitant n'est pas inférieur à 90 % de la moyenne de l'Union) ;
- le FSE (fonds social européen), y compris le FSE+ ;
- l'IEJ (l'initiative pour l'emploi des jeunes) ;
- le FTJ (fonds européen pour une transition juste).
Les régions ultrapériphériques (RUP), tout comme les pays et territoires d'outre-mer (PTOM), sont éligibles aux fonds européens, sous certaines conditions. Au sein de l'Union européenne, la Guyane, la Guadeloupe, Saint-Martin, la Martinique, La Réunion, Mayotte, les Canaries, les Açores et Madère bénéficient du statut de RUP, et font partie intégrante de l'UE. En revanche, les pays et territoires d'outre-mer (PTOM)2(*), qui ne font pas partie de l'Union, bénéficient d'un régime d'association : le droit européen ne s'y applique pas mais ils sont éligibles à certains programmes d'aide dits horizontaux.
La France bénéficie d'une enveloppe de 9,1 milliards d'euros pour 2021-2027 au titre du FEDER et d'1,1 milliard d'euros au titre du FTJ - qui a fait son apparition avec le nouveau fonds de programmation 2021-2027. Ce dernier fond vise à soutenir la transition vers une économie à faibles émissions de carbone et à accompagner les territoires en difficulté dans cette transition. Toutefois, les outre-mer ne figurent pas, dans le plan territorial pour une transition juste élaboré par la France, parmi les régions concernées et éligibles au FJT.
Le FEDER vise à favoriser le développement harmonieux, équilibré et durable de l'Union européenne en réduisant les écarts de développement entre ses régions. Il participe surtout aux deux objectifs de l'Union européenne : une Europe plus intelligente, grâce à l'innovation, à la numérisation, à la transformation économique et au soutien aux PME et une Europe plus verte et à zéro émission de carbone, qui met en oeuvre l'accord de Paris et investit dans la transition énergétique. Le programme participe également à la coopération territoriale européenne, connue sous le nom d'INTERREG.
L'Union européenne soutient les régions ultrapériphériques au moyen de certaines dispositions spécifiques. Pour la période 2021-2027, elle a alloué aux RUP un financement supplémentaire de 1 928 millions d'euros au titre du FEDER. La coopération territoriale européenne porte également sur un nouvel objectif appelé « coopération faisant intervenir les régions ultrapériphériques » (Interreg D), destiné à faciliter l'intégration des RUP et le développement harmonieux dans leurs régions respectives. Le budget pour ce volet s'élève à 281 millions d'euros.
Outre les fonds spéciaux alloués au titre du FEDER, les RUP bénéficient également, dans le domaine de l'agriculture, du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), financé par le Fonds européen agricole de garantie. L'utilisation des fonds de la politique de cohésion par les régions ultrapériphériques est soumise à certaines spécificités. Ainsi le taux de cofinancement des programmes y est fixé à un maximum de 85 %3(*). Cette mesure temporaire a été préservée jusqu'en 2027.
Ces fonds peuvent donc être utilisés pour financer des projets visant à une meilleure gestion des déchets dans les régions ultrapériphériques. Lors de la révision du règlement FEDER, les RUP ont, au titre de l'article 349 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), été autorisées à déroger à l'interdiction de soutenir des « investissements dans l'élimination des déchets par la mise en décharge »4(*) et « améliorant la capacité des installations de traitement des déchets résiduels ». Toutefois, la nécessité de financer de telles installations de stockage doit être dûment justifiée.
En plus des fonds européens de cohésion, le programme d'investissement « InvestEU » qui `inscrit dans le cadre de l'instrument pour la relance NextGenerationEU permet notamment de financer des investissements stratégiques, durables et innovants. Il comprend plusieurs volets, dont un qui concerne les infrastructures durables (notamment pour la gestion des déchets) avec une enveloppe de 11,5 milliards d'euros.
Le programme LIFE, dédié au soutien de projets innovants, privés ou publics, dans les domaines de l'environnement et du climat, et doté d'un budget de 5,4 milliards d'euros (réparti en quatre programmes : nature et biodiversité, économie circulaire et qualité de vie, atténuation du changement climatique et adaptation et transition vers l'énergie propre) peut également financer divers projets dans le secteur de la gestion des déchets.
Enfin, le programme FEAMPA, outil de financement européen qui accompagne la mise en oeuvre de la politique commune de la pêche - qui affecte spécialement les RUP et les PTOM, où la pêche représente un secteur clé de l'économie -, peut être utilisé pour améliorer la gestion des déchets. Le règlement européen instituant ce fond évoque « un soutien disponible afin de compenser, entre autres, la collecte passive, par les pêcheurs, des engins de pêche perdus en mer et des déchets sauvages dans le milieu marin, y compris les algues sargasses, et de financer les investissements dans les ports pour fournir des installations de réception adéquates pour ceux-ci ».
· La pérennisation de ces fonds : un objectif essentiel pour les outre-mer
Les fonds européens sont indispensables pour aider les RUP et les PTOM à mettre en oeuvre la législation européenne en matière d'économie circulaire qui est peu adaptée à leurs spécificités et à leurs nombreuses contraintes. Cependant, dans son rapport d'information, la délégation aux outre-mer du Sénat s'est inquiétée de la pérennité de telles aides, notamment après 2027.
À ce titre, la problématique de la sous-consommation des crédits européens constitue un enjeu de crédibilité dans le cadre des prochaines négociations du cadre financier pluriannuel.
Lors de son audition conjointe par la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux outre-mer, le 10 mai 2023, Mme Monika Hencsey, directrice Budget, communication et affaires générales (Regio A) au sein de la direction générale Politique régionale et urbaine de la Commission européenne, s'est notamment interrogée sur le « faible taux d'exécution financière des fonds du FEDER au titre de la période 2014-2020 pour les régions françaises, notamment les RUP », qui ne constitue pas un bon signal à l'égard de l'Union européenne. La capacité de ces collectivités à mobiliser les aides européennes se heurte souvent à de nombreuses difficultés, comme le relève le rapport d'information sur la gestion des déchets dans les outre-mer : « absence d'avances, manque de capacités administratives et financières des porteurs de projets du territoire, difficultés de cautions bancaires, longueur du processus d'attribution (entre six mois et un an), délais de paiement, complexité du montage des dossiers... », qui peuvent les conduire à y renoncer.
· Une législation européenne exigeante qui n'est pas suffisamment adaptée aux RUP
La directive européenne du 19 novembre 20085(*) a institué un cadre légal pour le traitement des déchets dans l'objectif de protéger l'environnement et la santé humaine, en soulignant l'importance de l'utilisation de techniques appropriées pour la gestion, la valorisation et le recyclage des déchets permettant de réduire la pression sur les ressources et d'améliorer leur utilisation. Cette législation, qui a été modifiée à plusieurs reprises et transposée dans le droit national, s'applique aux régions ultrapériphériques.
L'importance des actions en faveur de la gestion des déchets et du développement de l'économie circulaire dans ces territoires a été rappelée à plusieurs reprises par la Commission européenne qui s'est engagée à prendre en compte leurs spécificités et leurs contraintes dans la mise en oeuvre de ces politiques européennes.
Ainsi, dans sa communication sur les priorités d'action de l'Union européenne à destination des régions ultrapériphériques6(*), la Commission européenne consacre un volet à la problématique de l'économie circulaire, soulignant à ce titre que le plan d'action en faveur de l'économie circulaire, présenté en 2020, encourage la mise en oeuvre de « solutions [...] taillées sur mesure pour les régions ultrapériphériques et insulaires, en raison de la dépendance de celles-ci aux importations de ressources, de l'importante quantité de déchets générés par le tourisme et des exportations de déchets qui en résultent »7(*). La Commission a notamment indiqué qu'elle prendrait en considération les spécificités des régions ultrapériphériques « lorsqu'elle proposera d'harmoniser les systèmes de collecte sélective des déchets, comme envisagé dans le plan d'action en faveur de l'économie circulaire ».
En outre, le Parlement européen a adopté très récemment, le 13 juin 2023, une résolution8(*) appelant à mieux tenir compte des spécificités des RUP dans les politiques européennes. Il rappelle, notamment, « l'importance d'élaborer une stratégie locale de gestion des déchets qui tienne compte des transitions écologique et énergétique et de la protection de la biodiversité, et qui contribue au renforcement de l'économie circulaire dans les régions ultrapériphériques ». Cette position rejoint les recommandations du rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la nécessité d'une gouvernance consolidée qui permette de « prendre le virage d'une économie circulaire réaliste et adaptée aux contraintes propres des territoires ultramarins ».
* 1 Rapport d'information n° 195 (2022-2023) de Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, le 8 décembre 2022, relatif aux déchets dans les outre-mer.
* 2 Leur statut est défini à l'article 198 du TFUE. Les PTOM français sont : la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, les Terres australes et antarctiques française et Wallis-et-Futuna.
* 3 Article 112 du Règlement (UE) 2021/1060 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen plus, au Fonds de cohésion, au Fonds pour une transition juste et au Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture, et établissant les règles financières applicables à ces Fonds et au Fonds «Asile, migration et intégration», au Fonds pour la sécurité intérieure et à l'instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas.
* 4 Article 7 du règlement (UE) 2021/1058 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 relatif au Fonds européen de développement régional et au Fonds de cohésion.
* 5 Directive n° 2008/98/CE du 19/11/08 du Parlement européen et du Conseil relative aux déchets et abrogeant certaines directives.
* 6 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 3 mai 2022 intitulée : « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union », COM(2022) 198 final.
* 7 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 11 mars 2020 intitulée : « Un nouveau plan d'action pour une économie circulaire - Pour une Europe plus propre et plus compétitive », COM (2020) 98 final.
* 8 Résolution du Parlement européen du 13 juin 2023 sur l'évaluation de la nouvelle communication de la Commission relative aux régions ultrapériphériques.