N° 762

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juin 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la gestion des déchets dans les outre-mer,

Par Mmes Marta de CIDRAC et Gisèle JOURDA,

Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique, Mme Véronique Guillotin, vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Valérie Boyer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger.

Voir les numéros :

Sénat :

627 et 763 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes est saisie d'une proposition de résolution européenne n° 627 (2022-2023), présentée par Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, sur la gestion des déchets dans les outre-mer.

Cette proposition de résolution européenne découle des travaux de Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur la gestion des déchets dans les outre-mer, qui a donné lieu à la publication d'un rapport d'information, le 8 décembre 20221(*). Ce rapport dresse un état des lieux particulièrement alarmant en matière de collecte, de traitement et de valorisation des déchets dans les départements et régions d'outre-mer (DROM), en particulier à Mayotte et en Guyane, ainsi que dans les collectivités d'outre-mer (COM).

Face au flux croissant de déchets qui représentent des risques importants pour la santé et l'environnement et qui dégradent les paysages de ces territoires qui abritent 80 % de la biodiversité française, ce rapport plaide « pour un rattrapage massif par rapport à l'Hexagone et des politiques volontaristes et durables axées sur l'économie circulaire et la valorisation énergétique ». Il formule ainsi vingt-six propositions dans différents domaines pour lutter contre ce fléau. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : une gestion des déchets plus coûteuse dans les DROM et dans les COM que dans l'Hexagone, un recours plus fréquent à l'enfouissement des déchets, des collectes moins régulières ainsi qu'un manque d'infrastructures dédiées et de filières de recyclage.

Au-delà de ces constats, le rapport d'information insiste sur la nécessité de faire pleinement application de l'article 349 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui permet d'adapter la réglementation de l'Union en matière de gestion des déchets et d'économie circulaire, en cours de révision et à venir, aux « contraintes particulières des outre-mer pour leur permettre de développer des stratégies régionales et augmenter l'aide au fret dans l'environnement régional ». À ce titre, il souligne l'importance des fonds européens pour financer des projets structurants dans ces territoires et déplore la complexité de la règlementation de l'Union en matière d'exportations de déchets vers l'Hexagone et d'autres pays, en particulier concernant les déchets dangereux.

Le présent rapport ne reviendra pas sur les constats étayés et les analyses approfondies qui figurent dans le rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer, mais envisagera les éléments invoqués à l'appui du dépôt de la présente proposition de résolution européenne.

I. LES ENJEUX D'UNE GESTION DURABLE DES DÉCHETS DANS LE CADRE DE LA POLITIQUE DE COHÉSION DE L'UNION EUROPÉENNE

Les départements et régions d'outre-mer (DROM) ainsi que les collectivités d'outre-mer (COM) peuvent mobiliser différents fonds européens dans le cadre de leur politique de collecte, de traitement et de valorisation des déchets. Ces fonds sont des instruments essentiels au financement de projets structurants en matière d'économie circulaire dans ces territoires.

· Les fonds européens mobilisables dans le cadre des actions de collecte, de traitement et de valorisation des déchets

L'Union européenne, à travers sa politique de cohésion économique, sociale et territoriale (qui mobilise 330 milliards d'euros pour 2021-2027, soit 34% du budget de l'UE), promeut la stratégie en faveur de l'économie circulaire dans laquelle elle est engagée, ce qui devrait notamment contribuer à résorber le retard important pris par les outre-mer dans le domaine de la gestion durable des déchets.

La politique de cohésion de l'Union 2021-2027 tend, d'une part, à renforcer la cohésion économique, sociale et territoriale en s'appuyant sur la compétitivité durable, la recherche et l'innovation, la transition numérique et les objectifs du Pacte vert pour l'Europe, et, d'autre part, à mettre en oeuvre le socle européen des droits sociaux. L'objectif climatique se trouve de fait renforcé dans le cadre de cette nouvelle programmation : au moins 30 % des dépenses doivent être consacrées à la lutte contre le changement climatique, contre 20 % au cours de la période 2014-2020.

Cette politique est financée par plusieurs fonds dont :

- le FEDER (fonds européen de développement régional) ;

- le Fonds de cohésion (auquel la France n'est pas éligible puisque son revenu national brut par habitant n'est pas inférieur à 90 % de la moyenne de l'Union) ;

- le FSE (fonds social européen), y compris le FSE+ ;

- l'IEJ (l'initiative pour l'emploi des jeunes) ;

- le FTJ (fonds européen pour une transition juste).

Les régions ultrapériphériques (RUP), tout comme les pays et territoires d'outre-mer (PTOM), sont éligibles aux fonds européens, sous certaines conditions. Au sein de l'Union européenne, la Guyane, la Guadeloupe, Saint-Martin, la Martinique, La Réunion, Mayotte, les Canaries, les Açores et Madère bénéficient du statut de RUP, et font partie intégrante de l'UE. En revanche, les pays et territoires d'outre-mer (PTOM)2(*), qui ne font pas partie de l'Union, bénéficient d'un régime d'association : le droit européen ne s'y applique pas mais ils sont éligibles à certains programmes d'aide dits horizontaux.

La France bénéficie d'une enveloppe de 9,1 milliards d'euros pour 2021-2027 au titre du FEDER et d'1,1 milliard d'euros au titre du FTJ - qui a fait son apparition avec le nouveau fonds de programmation 2021-2027. Ce dernier fond vise à soutenir la transition vers une économie à faibles émissions de carbone et à accompagner les territoires en difficulté dans cette transition. Toutefois, les outre-mer ne figurent pas, dans le plan territorial pour une transition juste élaboré par la France, parmi les régions concernées et éligibles au FJT.

Le FEDER vise à favoriser le développement harmonieux, équilibré et durable de l'Union européenne en réduisant les écarts de développement entre ses régions. Il participe surtout aux deux objectifs de l'Union européenne : une Europe plus intelligente, grâce à l'innovation, à la numérisation, à la transformation économique et au soutien aux PME et une Europe plus verte et à zéro émission de carbone, qui met en oeuvre l'accord de Paris et investit dans la transition énergétique. Le programme participe également à la coopération territoriale européenne, connue sous le nom d'INTERREG.

L'Union européenne soutient les régions ultrapériphériques au moyen de certaines dispositions spécifiques. Pour la période 2021-2027, elle a alloué aux RUP un financement supplémentaire de 1 928 millions d'euros au titre du FEDER. La coopération territoriale européenne porte également sur un nouvel objectif appelé « coopération faisant intervenir les régions ultrapériphériques » (Interreg D), destiné à faciliter l'intégration des RUP et le développement harmonieux dans leurs régions respectives. Le budget pour ce volet s'élève à 281 millions d'euros.

Outre les fonds spéciaux alloués au titre du FEDER, les RUP bénéficient également, dans le domaine de l'agriculture, du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), financé par le Fonds européen agricole de garantie. L'utilisation des fonds de la politique de cohésion par les régions ultrapériphériques est soumise à certaines spécificités. Ainsi le taux de cofinancement des programmes y est fixé à un maximum de 85 %3(*). Cette mesure temporaire a été préservée jusqu'en 2027.

Ces fonds peuvent donc être utilisés pour financer des projets visant à une meilleure gestion des déchets dans les régions ultrapériphériques. Lors de la révision du règlement FEDER, les RUP ont, au titre de l'article 349 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), été autorisées à déroger à l'interdiction de soutenir des « investissements dans l'élimination des déchets par la mise en décharge »4(*) et « améliorant la capacité des installations de traitement des déchets résiduels ». Toutefois, la nécessité de financer de telles installations de stockage doit être dûment justifiée.

En plus des fonds européens de cohésion, le programme d'investissement « InvestEU » qui `inscrit dans le cadre de l'instrument pour la relance NextGenerationEU permet notamment de financer des investissements stratégiques, durables et innovants. Il comprend plusieurs volets, dont un qui concerne les infrastructures durables (notamment pour la gestion des déchets) avec une enveloppe de 11,5 milliards d'euros.

Le programme LIFE, dédié au soutien de projets innovants, privés ou publics, dans les domaines de l'environnement et du climat, et doté d'un budget de 5,4 milliards d'euros (réparti en quatre programmes : nature et biodiversité, économie circulaire et qualité de vie, atténuation du changement climatique et adaptation et transition vers l'énergie propre) peut également financer divers projets dans le secteur de la gestion des déchets.

Enfin, le programme FEAMPA, outil de financement européen qui accompagne la mise en oeuvre de la politique commune de la pêche - qui affecte spécialement les RUP et les PTOM, où la pêche représente un secteur clé de l'économie -, peut être utilisé pour améliorer la gestion des déchets. Le règlement européen instituant ce fond évoque « un soutien disponible afin de compenser, entre autres, la collecte passive, par les pêcheurs, des engins de pêche perdus en mer et des déchets sauvages dans le milieu marin, y compris les algues sargasses, et de financer les investissements dans les ports pour fournir des installations de réception adéquates pour ceux-ci ».

· La pérennisation de ces fonds : un objectif essentiel pour les outre-mer

Les fonds européens sont indispensables pour aider les RUP et les PTOM à mettre en oeuvre la législation européenne en matière d'économie circulaire qui est peu adaptée à leurs spécificités et à leurs nombreuses contraintes. Cependant, dans son rapport d'information, la délégation aux outre-mer du Sénat s'est inquiétée de la pérennité de telles aides, notamment après 2027.

À ce titre, la problématique de la sous-consommation des crédits européens constitue un enjeu de crédibilité dans le cadre des prochaines négociations du cadre financier pluriannuel.

Lors de son audition conjointe par la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux outre-mer, le 10 mai 2023, Mme Monika Hencsey, directrice Budget, communication et affaires générales (Regio A) au sein de la direction générale Politique régionale et urbaine de la Commission européenne, s'est notamment interrogée sur le « faible taux d'exécution financière des fonds du FEDER au titre de la période 2014-2020 pour les régions françaises, notamment les RUP », qui ne constitue pas un bon signal à l'égard de l'Union européenne. La capacité de ces collectivités à mobiliser les aides européennes se heurte souvent à de nombreuses difficultés, comme le relève le rapport d'information sur la gestion des déchets dans les outre-mer : « absence d'avances, manque de capacités administratives et financières des porteurs de projets du territoire, difficultés de cautions bancaires, longueur du processus d'attribution (entre six mois et un an), délais de paiement, complexité du montage des dossiers... », qui peuvent les conduire à y renoncer.

· Une législation européenne exigeante qui n'est pas suffisamment adaptée aux RUP

La directive européenne du 19 novembre 20085(*) a institué un cadre légal pour le traitement des déchets dans l'objectif de protéger l'environnement et la santé humaine, en soulignant l'importance de l'utilisation de techniques appropriées pour la gestion, la valorisation et le recyclage des déchets permettant de réduire la pression sur les ressources et d'améliorer leur utilisation. Cette législation, qui a été modifiée à plusieurs reprises et transposée dans le droit national, s'applique aux régions ultrapériphériques.

L'importance des actions en faveur de la gestion des déchets et du développement de l'économie circulaire dans ces territoires a été rappelée à plusieurs reprises par la Commission européenne qui s'est engagée à prendre en compte leurs spécificités et leurs contraintes dans la mise en oeuvre de ces politiques européennes.

Ainsi, dans sa communication sur les priorités d'action de l'Union européenne à destination des régions ultrapériphériques6(*), la Commission européenne consacre un volet à la problématique de l'économie circulaire, soulignant à ce titre que le plan d'action en faveur de l'économie circulaire, présenté en 2020, encourage la mise en oeuvre de « solutions [...] taillées sur mesure pour les régions ultrapériphériques et insulaires, en raison de la dépendance de celles-ci aux importations de ressources, de l'importante quantité de déchets générés par le tourisme et des exportations de déchets qui en résultent »7(*). La Commission a notamment indiqué qu'elle prendrait en considération les spécificités des régions ultrapériphériques « lorsqu'elle proposera d'harmoniser les systèmes de collecte sélective des déchets, comme envisagé dans le plan d'action en faveur de l'économie circulaire ».

En outre, le Parlement européen a adopté très récemment, le 13 juin 2023, une résolution8(*) appelant à mieux tenir compte des spécificités des RUP dans les politiques européennes. Il rappelle, notamment, « l'importance d'élaborer une stratégie locale de gestion des déchets qui tienne compte des transitions écologique et énergétique et de la protection de la biodiversité, et qui contribue au renforcement de l'économie circulaire dans les régions ultrapériphériques ». Cette position rejoint les recommandations du rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la nécessité d'une gouvernance consolidée qui permette de « prendre le virage d'une économie circulaire réaliste et adaptée aux contraintes propres des territoires ultramarins ».

II. UNE RÈGLEMENTATION EUROPÉENNE ET INTERNATIONALE EN MATIÈRE DE TRANSFERTS DE DÉCHETS INADAPTÉE AUX RÉGIONS ULTRAPÉRIPHÉRIQUES FRANÇAISES

À l'été 2021, les départements de Mayotte et de La Réunion ont été confrontés à une situation de blocage inédite en matière d'exportations de déchets. À la suite de la crise sanitaire, et de la reprise économique qui a suivi, le trafic maritime a été fortement désorganisé et les déchets se sont accumulés dans ces deux territoires sans pouvoir être exportés vers l'Hexagone. Les compagnies maritimes ont alors durci les conditions d'application de la règlementation internationale et refusé de prendre en charge les conteneurs de déchets dangereux. Elles ont ainsi invoqué l'absence d'autorisations délivrées par les pays tiers, par lesquels devaient transiter les déchets en provenance de ces deux départements pour être ensuite traités dans l'Hexagone en l'absence d'installations au niveau local. Finalement, un bateau a été spécialement affrété pour procéder à ces transferts, afin d'apurer les stocks de déchets accumulés. Plus de 500 conteneurs ont ainsi été évacués via une liaison maritime directe Mayotte-La Réunion-Hexagone. Cette opération exceptionnelle d'un montant total de 2,6 millions d'euros a été en partie financée par la région Réunion à hauteur de 800 000 euros. Des opérations ont aussi été menées avec les autorités étrangères compétentes et les compagnies maritimes pour normaliser la situation. Aujourd'hui le système a repris un fonctionnement plus normal et plus stable.

Comme le souligne le rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer, « cette crise a contribué à la prise de conscience de la faible résilience de La Réunion et de Mayotte en matière de gestion des déchets dangereux : le seul exutoire est l'exportation vers l'Europe, soumise à la bonne volonté des compagnies maritimes qui prennent en charge ces déchets et des nombreux pays de transit ».

· Une forte croissance des exportations de déchets au départ des outre-mer

Les exportations de déchets des outre-mer vers l'Hexagone et l'étranger ont fortement augmenté au cours de ces vingt dernières années. Sur la base des données des douanes françaises, le volume de ces exportations a presque doublé depuis la fin des années 20009(*). 90 % de ces exportations, en volume et en valeur, concernent des déchets non dangereux. Elles sont essentiellement composées de déchets métalliques et déchets papier et carton. Les piles, batteries et accumulateurs électriques constituent une très large part des déchets dangereux ; viennent ensuite les huiles et les déchets chimiques.

Une majorité des déchets non dangereux est envoyée vers l'Hexagone ; c'est plus particulièrement le cas pour les déchets en provenance de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane. La Réunion et Mayotte exportent majoritairement leurs déchets en Asie, tandis que les exportations de déchets de la Polynésie française se répartissent entre l'Océanie, l'Amérique du Nord et l'Asie. En revanche, s'agissant des déchets dangereux, ils sont essentiellement exportés vers l'Hexagone pour y être traités.

En effet, les transferts de déchet permettent de réguler efficacement leur stockage, compte tenu des contraintes très particulières des outre-mer, qui ne disposent pas de capacités suffisantes pour les stocker, les traiter et les valoriser sur leurs territoires.

· La réglementation européenne sur les transferts de déchets

Les transferts de déchets transfrontières sont régis par un règlement de 200610(*) qui a introduit, dans le droit européen, les dispositions de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination, adoptée le 22 mars 1989 et entrée en vigueur en France le 5 mai 1992, ainsi que la décision de 2001 de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)11(*), qui vise à contrôler les mouvements de déchets destinés à des opérations de valorisation entre pays de l'OCDE.

Le règlement européen établit les procédures et les régimes de contrôle applicables aux transferts de déchets en fonction de l'origine, de la destination, de l'itinéraire suivi, du type de déchets transférés (listes verte ou orange) et du type de traitement appliqué aux déchets (élimination ou valorisation). Il s'applique aux transferts de déchets entre États membres à l'intérieur de l'UE ou transitant par un pays tiers, importés dans l'UE en provenance de pays tiers, exportés depuis l'UE vers un pays tiers ou transitant par l'UE.

Les exportations de déchets pour élimination ne sont autorisées qu'à l'intérieur de l'Union européenne et vers les pays de l'Association européenne de libre-échange (AELE). Les exportations de déchets non dangereux pour valorisation sont autorisées vers les mêmes pays ainsi que vers les pays de l'OCDE et les pays non OCDE parties à la Convention de Bâle dès lors que ces derniers donnent leur accord, en vertu du règlement (CE) 1418/200712(*). En conséquence, sont interdites les exportations de déchets destinés à être éliminés vers des pays tiers hors AELE et celles de déchets dangereux destinés à être valorisés vers les pays hors OCDE.

Deux procédures de contrôle des transferts de déchets sont prévues par le règlement de 2006 : la procédure d'information et la procédure de notification et de consentement écrits préalables. Les dossiers sont instruits au niveau français par le Pôle National des Transferts Transfrontaliers de Déchets (PNTTD).

Les déchets ayant peu ou pas d'impact sur l'environnement sont mentionnés sur la liste verte et sont soumis à la procédure d'information dès lors qu'ils sont destinés à être valorisés ou à la procédure de notification et de consentement écrits préalables, s'ils doivent être éliminés. Les déchets présentant un risque non négligeable pour la santé humaine et l'environnement sont inscrits sur la liste orange. Dans ce cadre, ils sont soumis à la procédure de notification et de consentement écrits préalables, qu'ils aient vocation à être valorisés ou éliminés. Il revient alors aux autorités compétentes des pays d'expédition, de destination et de transit de donner leur accord écrit avant l'exportation.

En raison de leur appartenance au territoire européen, les régions ultrapériphériques (RUP) doivent se conformer au règlement sur les transferts de déchets, et respecter ces procédures dès lors que, dans le cadre d'un transfert vers l'État membre dont elles ressortent, les déchets transitent par un autre État. Sinon le transfert est considéré comme un mouvement intérieur à l'État membre. En effet, les déchets, en particulier dangereux, qui sont exportés par les outre-mer français sont principalement acheminés vers l'Hexagone, mais ils doivent parfois transiter par d'autres pays. C'est en particulier le cas des transferts au départ de La Réunion, de Mayotte ou de Guyane qui doivent systématiquement transiter par un pays tiers, très souvent l'Ile Maurice ou l'Afrique du Sud, avant de poursuivre vers un pays européen. Les transferts à l'intérieur de l'UE transitant par un pays tiers sont ainsi soumis à la procédure de notification et de consentement préalables écrits, en application de la Convention de Bâle. En revanche, les transferts de déchets en provenance des Antilles s'effectuent généralement sans transiter par un pays tiers et sont donc soumis à la réglementation nationale.

Plusieurs pays européens (Belgique, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Pays-Bas), ainsi que les pays voisins des départements d'outre-mer qui sont situés sur leur trajet vers l'Hexagone (Brésil, Suriname et Trinité-et-Tobago, Madagascar, Maurice, Afrique du sud, Mozambique, Oman etc.) constituent les principaux pays de transit pour de nombreuses RUP françaises13(*).

En outre, la question des trafics illicites est particulièrement sensible dans les outre-mer du fait de la proximité de pays disposant de contraintes règlementaires, environnementales et sociales moins fortes. Ces trafics représentent une partie non négligeable des transferts, de l'ordre de 30 %, même si les tentatives de fraude ne sont pas massives et que les manquements sont plus souvent liés à un défaut de production de documents.

Selon les informations communiquées par le Pôle National des Transferts Transfrontaliers de Déchets (PNTTD), le volume des transferts en provenance des outre-mer vers l'Hexagone nécessitant un passage par un pays tiers s'établit, en 2021, à 5 324 tonnes pour la Réunion, 1 964 tonnes pour la Martinique et à près de 1 500 tonnes pour la Guyane et Mayotte. Les différences de tonnage s'expliquent, d'une part, par les types d'installations de traitement des déchets existantes sur place, et, d'autre part, par la réglementation applicable, qui ne nécessite pas obligatoirement une procédure de contrôle.

· Un durcissement des règles en matière de transferts de déchets proposé par la Commission européenne

Le 17 novembre 2021, la Commission européenne a présenté une révision du règlement sur les transferts de déchets14(*), qui vise à encourager le développement du recyclage et du réemploi au niveau européen, conformément aux objectifs du Pacte vert pour l'Europe et de la communication sur le plan d'action pour une économie circulaire, adoptée en mars 202015(*). Il s'agit notamment de prévenir la pollution liée aux exportations de déchets et de lutter contre les transferts illégaux de déchets qui représenteraient entre 15 et 30 % des transferts.

L'Union européenne est, en effet, un des premiers exportateurs mondiaux de déchets avec près de 33 millions de déchets exportés en 2020, soit une augmentation de 75 % depuis 2004. Certains de ces transferts sont également opérés dans des pays qui ne sont pas en mesure, pour l'instant, de traiter ces déchets de façon rationnelle sur le plan environnemental. Par ailleurs, les transports de déchets à l'intérieur de l'UE représentent environ 67 millions de tonnes chaque année.

La proposition de règlement vise à renforcer le cadre existant afin de prévenir les risques environnementaux en s'appuyant sur trois priorités :

- promouvoir l'économie circulaire en facilitant les transferts intra-européens ;

- lutter contre la pollution, en particulier en dehors du continent européen ;

- lutter contre le trafic illégal de déchets.

L'actualisation de la législation européenne comprend notamment des dispositions plus strictes en matière d'exportation de déchets vers des pays tiers. Toute exportation de déchets vers des pays non membres de l'OCDE pourrait ainsi être interdite, sauf si le pays de destination apporte la garantie qu'il peut assurer une gestion durable en matière de traitement des déchets. Sur cette base, une liste des pays autorisés à importer des déchets provenant de l'Union européenne serait établie. Sont également prévus le renforcement de la coopération internationale et des contrôles, et la numérisation des procédures.

Les négociations sur cette proposition de règlement ont débuté sous la Présidence française du Conseil de l'UE. Un accord au Conseil est intervenu le 24 mai 2023, qui en a approuvé les grands objectifs, tandis que le Parlement européen a adopté sa position le 16 janvier 2023. Un premier trilogue politique s'est tenu le 31 mai 2023. Les réunions techniques entre le Conseil et le Parlement européen ont commencé au mois de juin 2023 et devraient se poursuivre au mois de juillet.

Le Parlement européen a, par ailleurs, proposé une interdiction des exportations de déchets plastiques vers les pays tiers, qui ne figure pas dans le texte initial de la Commission et qui n'a pas été abordée au Conseil ; cette position est notamment soutenue par la France. Cette mesure s'inscrit dans un contexte où de nombreux pays, en particulier en Asie, refusent de plus en plus les importations de déchets plastiques. Force est de noter que cette proposition d'interdiction limiterait encore plus drastiquement les transferts de déchets hors de l'UE et qu'elle pourrait être incompatible avec les règles de l'OMC et la décision de l'OCDE.

· L'introduction d'une dérogation pour les transferts entre une région ultrapériphérique et l'État membre dont elle ressort

Initialement la proposition de la Commission européenne sur la révision du règlement sur les transferts de déchets ne contenait pas de disposition spécifique aux régions ultrapériphériques (RUP) afin d'être adaptées à leurs contraintes, comme le permet l'article 349 du Traitement sur le fonctionnement de l'UE (TFUE).

Le traitement différencié des régions ultrapériphériques, dans le cadre du droit de l'Union, se justifie par plusieurs facteurs comme leur éloignement, leur insularité, leur climat, leur faible superficie et leur dépendance économique. Cependant, ce traitement différencié ne peut être décidé que par le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen. Or, dans la pratique, cet instrument est très peu utilisé comme l'a dénoncé de longue date le Sénat.

Lors des négociations au Conseil et au Parlement européen, les autorités françaises et les eurodéputés français ont respectivement tenté de faire valoir les contraintes très spécifiques des outre-mer français en matière d'exportations de déchets. Force est de reconnaître que la France a été isolée sur ce point qui ne concernait que les RUP françaises du fait de l'éloignement géographique des territoires en question.

L'actualité des derniers mois avait, en effet, alerté sur les difficultés rencontrées par certains départements d'outre-mer en la matière. Ainsi certains États membres, en tant que pays de transit de déchets en provenance des outre-mer, ont été particulièrement pointilleux dans l'instruction des dossiers, y compris sur des aspects qui ne relèvent pas de la réglementation, ce qui a contraint les notifiants à modifier le trajet initialement prévu.

Face à cette situation, les autorités françaises ont défendu la nécessité de faciliter les procédures pour permettre les transferts de déchets entre deux territoires d'un même État membre, même transitant par un autre État membre, dans des délais rapides. Il a donc été demandé que les autorités de transit disposent d'une durée d'instruction plus courte et limitée au champ d'application de la règlementation de l'Union. Dans un premier temps, la France a proposé d'accorder à ces autorités un délai de trois jours, au lieu de trente actuellement, pour leur permettre de s'opposer à un transfert, au-delà duquel l'accord tacite serait réputé. Cette demande de dérogation afin de faciliter l'exportation des déchets depuis les RUP vers l'Hexagone a également été défendue par des eurodéputés français et espagnols. Un amendement reprenant la position française a ainsi été introduit lors du vote en séance plénière au Parlement européen, le 17 janvier 2023, sur la proposition de règlement sur les transferts transfrontières de déchets. Pour sa part, le Conseil, sur proposition de la présidence suédoise, a finalement retenu un délai de sept jours. Cette nouvelle disposition apparaît relativement équilibrée au regard des enjeux et la commission des affaires européennes soutient le maintien de cette adaptation lors des trilogues à venir.

Mandat de négociation sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux transferts de déchets et modifiant les règlements (UE) nº 1257/2013 et (UE) 2020/1056, COM(2021) 709 final

« Article 30 bis - Transferts entre une région ultrapériphérique et son État membre

Par dérogation à l'article 9, paragraphes 1 et 2, pour les transferts de déchets entre une région ultrapériphérique visée à l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'État membre dont elle fait partie, nécessitant un transit par un autre État membre, le consentement tacite de l'État membre concerné peut être présumé si aucune objection n'est formulée dans un délai de sept jours ouvrables à compter de la date à laquelle le notifiant a été informé conformément à l'article 8, paragraphe 5d, que la notification a été dûment complétée. Ce consentement tacite est valable pour la période indiquée dans le consentement écrit, conformément à l'article 9, paragraphe 1, donné par l'autorité compétente de destination. »

Parallèlement, se sont engagées, dans le cadre de la Convention des Bâle, des discussions pour permettre l'ouverture d'un groupe de travail sur le consentement préalable, piloté par la France.

L'Union européenne ne dispose pas de marge de manoeuvre pour agir sur les pays d'importation et de transit hors Union européenne. La Convention de Bâle impose de ne pas exporter de déchets sans l'accord préalable formulé par écrit de l'État d'importation pour ce mouvement spécifique. Les règles actuelles applicables à l'Union et à ses États membres prévoient un délai de trente jours dans lequel le pays importateur est tenu de répondre au notifiant, et un délai de soixante jours pour les pays de transit.

Par ailleurs, l'article 11 de la Convention de Bâle prévoit que « nonobstant les dispositions de l'article 4, paragraphe 5, les Parties peuvent conclure des accords ou arrangements bilatéraux, multilatéraux ou régionaux touchant les mouvements transfrontières de déchets dangereux ou d'autres déchets avec des Parties ou des non Parties, à condition que de tels accords ou arrangements ne dérogent pas à la gestion écologiquement rationnelle des déchets dangereux et d'autres déchets prescrite dans la présente Convention. Ces accords ou arrangements doivent énoncer des dispositions qui ne sont pas moins écologiquement rationnelles que celles prévues dans la présente Convention, compte tenu notamment des intérêts des pays en développement ».

III. LE SENS DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

S'appuyant sur le rapport d'information de la délégation aux outre-mer, la proposition de résolution européenne, présentée par Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, entend faire valoir « l'urgence à répondre au défi des déchets dans les outre-mer français ».

Elle rappelle, d'abord, dans ses considérants, les enjeux liés à la gestion des déchets dans les outre-mer français sur le plan de la préservation de l'environnement et de la biodiversité ainsi que de la protection de la santé. Elle souligne l'ampleur des retards accumulés par ces territoires dans le traitement et la valorisation des déchets, ainsi que la nécessité d'un rattrapage massif par rapport à l'Hexagone dans ce secteur et le besoin d'encourager le développement de l'économie circulaire.

Concernant le volet européen de la gestion des déchets dans les outre-mer, la proposition de résolution formule des préconisations, d'une part, sur les financements européens et leur pérennité, et, d'autre part, sur la règlementation de l'Union applicable aux transferts de déchets, à savoir :

- la prorogation des critères spécifiques aux RUP dans les conditions d'attribution des fonds européens ;

- la priorité qui doit être accordée au secteur des déchets et de l'économie circulaire afin d'adapter aux spécificités des RUP la règlementation de l'Union en la matière et les aides européennes qui permettent de soutenir ce secteur, sur le fondement de l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ;

- l'application spécifique de cet article afin d'obtenir l'adaptation du règlement européen sur les transferts de déchets, en cours de révision, aux contraintes particulières des outre-mer ;

- l'ouverture de discussions dans le cadre de la Convention de Bâle afin de conclure des accords régionaux pour le traitement des déchets des outre-mer français.

À ce titre, la proposition de résolution relève que la situation spécifique des régions ultrapériphériques, caractérisée par leur éloignement, leur insularité, leur climat, leur faible superficie et leur dépendance économique, n'est pas assez prise en considération et qu'il faudrait plus fréquemment faire usage de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) afin d'en tenir compte, tout particulièrement en matière de gestion des déchets et d'économie circulaire. Elle met également en avant la nécessité de favoriser l'intégration régionale des RUP dans leur environnement géographique immédiat, qui n'est que la contrepartie obligée de leur éloignement du continent européen.

Les auditions menées par les rapportrices de la commission des affaires européennes ont, en effet, mis en évidence que la France peine à obtenir de la Commission européenne et des autres États membres la mise en oeuvre de cet article 349 du TFUE. Notre pays apparaît souvent très isolé sur les problématiques liées aux outre-mer et réussit difficilement à obtenir des dérogations sur ce fondement.

Outre des modifications rédactionnelles et d'harmonisation, la commission des affaires européennes propose de compléter cette proposition de résolution dont elle partage l'ambition par un certain nombre d'ajouts qui permettent de mieux en préciser la dimension européenne.

Elle propose également de l'actualiser en faisant référence au mandat de négociation, adopté par le Conseil de l'Union européenne le 24 mai 2023, sur la proposition de règlement relatif aux transferts de déchets. Dans ce cadre, elle salue l'introduction d'une disposition favorable aux transferts de déchets entre une région ultrapériphérique et l'État membre dont elle ressort et appelle au maintien de cette mesure, également votée par le Parlement européen, dans le texte final. Toutefois, elle regrette que les discussions au Conseil n'aient pas permis des avancées plus significatives pour les outre-mer afin de tenir compte de leur éloignement géographique pour leurs exportations de déchets hors de l'Union européenne. Toutefois la recherche de débouchés dans leur environnement régional nécessite, en particulier, d'engager des discussions dans le cadre de la Convention de Bâle afin conclure des accords ou arrangements régionaux sur les mouvements transfrontières de déchets sans déroger au principe d'une gestion écologiquement rationnelle des déchets.

En conséquence, les rapportrices proposent d'adopter la proposition de résolution européenne, déposée par Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, ainsi modifiée en vue de son renvoi à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 21 juin 2023, sous la présidence de M. Jean-François Rapin, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de Mmes Marta de Cidrac et Gisèle Jourda, sur la proposition de résolution européenne n° 627, de Mmes Gisèle Jourda et Vivianne Malet, relative à la gestion des déchets dans les outre-mer.

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, le 10 mai dernier, notre commission a organisé, avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, une table ronde sur les politiques européennes en outre-mer au cours de laquelle sont intervenus le cabinet de la commissaire européenne à la cohésion et aux réformes, Elisa Ferreira, et les services concernés de la Commission européenne. Nous y avons abordé différents sujets d'importance pour nos outre-mer, notamment la question de la gestion des déchets.

J'ai par ailleurs assisté hier avec intérêt à l'audition du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire organisée par la délégation aux outre-mer sur le foncier agricole outre-mer, au cours de laquelle le sujet de la biomasse a été évoqué.

La question de la gestion des déchets a une dimension européenne certaine, ce qui a motivé le dépôt, le 22 mai dernier, d'une proposition de résolution européenne par nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet, à la suite du remarquable rapport qu'elles ont présenté sur ce sujet à la délégation aux outre-mer en décembre dernier. C'est cette proposition de résolution que notre commission va examiner aujourd'hui.

Entre-temps, le 31 mai, le Sénat a débattu en séance publique de cette question, en présence de la ministre Dominique Faure qui a présenté la feuille de route que prépare le Gouvernement pour améliorer la gestion des déchets en outre-mer ; l'objectif est de faire de ces déchets des ressources à exploiter. La ministre a déploré également la difficulté des collectivités ultramarines à consommer les crédits mis à leur disposition à cet effet, y compris les crédits européens. Nous attendons que la réunion du Comité interministériel des outre-mer, annoncée la semaine dernière et finalement reportée au 3 juillet, confirme la mobilisation de l'exécutif sur ce dossier.

Dans cette attente, nous allons entendre le rapport de nos collègues Marta de Cidrac, présidente du groupe d'études Économie circulaire, et Gisèle Jourda, auteure de la proposition de résolution qui nous est soumise.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Notre commission est saisie d'une proposition de résolution européenne que ma collègue Viviane Malet, membre de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et moi avons déposée le 22 mai dernier, relative à la gestion des déchets dans les outre-mer. Elle a pour objet de traiter du volet européen de cette question importante pour l'avenir de ces territoires.

Cette proposition de résolution européenne découle des travaux conduits dans le cadre de la mission d'évaluation que la délégation sénatoriale aux outre-mer nous a confiée, à Viviane Malet et à moi, en mai 2022. Le rapport d'information, adopté en décembre 2022, formulait vingt-six propositions dans différents domaines afin d'améliorer la situation.

Les déplacements et auditions que nous avons effectués nous ont en effet permis de constater le retard majeur des outre-mer en matière de collecte, de traitement et de valorisation des déchets, ainsi que de transport pour les déchets ultimes. Notre rapport d'information tirait la sonnette d'alarme face à cette situation particulièrement préoccupante. Nous avons montré que la cote d'alerte était atteinte et avons mis en avant les disparités existant dans ce domaine entre les territoires. Ainsi, si La Réunion dispose d'un taux satisfaisant d'équipements, dans d'autres territoires, le nombre d'infrastructures nécessaires à la collecte de déchets est très insuffisant.

Je me permets de rappeler que les outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française. Un rattrapage massif par rapport à l'Hexagone est nécessaire et urgent. Un indicateur suffit pour illustrer le retard pris par les collectivités ultramarines. À l'échelon national, seuls 15 % des déchets ménagers sont enfouis, tandis que 85 % sont valorisés. Dans les outre-mer, à l'exception de la Martinique et de Saint-Barthélemy, ces taux sont inversés. Le défi est encore plus grand à Mayotte et à La Réunion.

Plusieurs facteurs permettent d'expliquer cette situation critique : une gestion des déchets plus coûteuse dans ces territoires que dans l'Hexagone, des collectes moins régulières ainsi qu'un manque d'infrastructures spécifiques et de filières de recyclage adaptées. L'exposé des motifs de la proposition de résolution européenne rappelle l'ensemble de ces éléments. Le rapport d'information insiste aussi sur la nécessité de faire pleinement application de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui permet d'adapter la réglementation de l'Union en matière de gestion des déchets et d'économie circulaire, en cours de révision et à venir, et de l'adapter aux contraintes particulières des outre-mer pour leur permettre de développer des stratégies régionales et d'augmenter l'aide au fret dans l'environnement régional.

Ainsi, pour ce qui concerne le volet européen de la gestion des déchets dans les outre-mer, la proposition de résolution formule des préconisations : d'une part, sur les financements européens et leur pérennité et, d'autre part, sur la réglementation de l'Union applicable aux transferts de déchets. En effet, l'Union européenne, au travers de sa politique de cohésion économique, sociale et territoriale, promeut la stratégie en faveur de l'économie circulaire dans laquelle elle est engagée. Cette stratégie devrait notamment contribuer à résorber le retard important pris par les outre-mer en matière de gestion durable des déchets. Dans le cadre de la nouvelle programmation 2021-2027, la politique de cohésion s'oriente plus particulièrement vers les objectifs du Pacte vert pour l'Europe. L'objectif climatique se trouve, de fait, renforcé. Chaque État membre doit ainsi consacrer au moins 30 % de ses dépenses à l'objectif « Europe plus verte et à faibles émissions de carbone », contre 20 % au cours de la période 2014-2020.

Au titre de la cohésion, l'Union européenne soutient les régions ultrapériphériques (RUP) au moyen de certaines dispositions spécifiques. Pour la période 2021-2027, elle a alloué aux RUP un financement supplémentaire de 1 928 millions d'euros au titre du Fonds européen de développement régional (Feder). La coopération territoriale européenne porte également sur un nouvel objectif appelé « coopération faisant intervenir les régions ultrapériphériques », destiné à faciliter l'intégration des RUP et le développement harmonieux dans leurs régions respectives. Le budget consacré à ce volet s'élève à 281 millions d'euros.

L'utilisation des fonds de la politique de cohésion par les régions ultrapériphériques est aussi soumise à certains critères spécifiques. Ainsi le taux de cofinancement des programmes y est majoré, pour atteindre un maximum de 85 %. Cette mesure temporaire a été préservée jusqu'en 2027. Différents fonds européens peuvent donc être mobilisés par les régions ultrapériphériques pour soutenir les investissements dans des infrastructures de collecte et traitement des déchets. Lors de la révision du Feder, les RUP, au titre de l'article 349 du TFUE, ont par ailleurs été autorisées à déroger à l'interdiction de soutenir des projets d'élimination des déchets par mise en décharge, dès lors qu'elles en justifiaient la pertinence.

La proposition de résolution demande que ces adaptations des règles propres aux RUP soient préservées et reconduites pour la prochaine période du cadre financier pluriannuel de l'UE. Je tiens néanmoins à souligner que la sous-consommation des crédits européens constitue un enjeu de crédibilité dans le cadre des prochaines négociations du budget de l'Union.

Les données pour la période 2014-2020, en cours de consolidation par les services de l'État, ne sont pas encore publiées. En tout état de cause, les collectivités se heurtent à de nombreuses difficultés pour mobiliser les aides européennes. Pourtant, l'importance des actions en faveur de la gestion des déchets et du développement de l'économie circulaire dans les régions ultrapériphériques a été reconnue, à plusieurs reprises, par la Commission européenne qui s'est engagée à prendre en compte leurs spécificités et leurs contraintes dans la mise en oeuvre des politiques européennes.

La proposition de résolution invite, à ce titre, à une réelle adaptation de la législation de l'Union européenne en matière de déchets et d'économie circulaire aux spécificités des RUP, notamment françaises. Parallèlement, ces régions doivent s'engager dans des politiques volontaristes pour rattraper le retard pris en matière de gestion des déchets.

Les élus des territoires ultramarins font preuve d'une volonté très forte. Les freins réels auxquels ces territoires sont confrontés ne sont pas liés à un manque de volonté politique, mais à des difficultés de terrain. Il ne faut pas oublier non plus l'importance du critère d'insularité. En matière de stockage et de transfert des déchets, les périmètres d'action sont inévitablement restreints, ce qui freine la réalisation des ambitions et des politiques volontaristes que l'on souhaite déployer dans ces territoires.

Je rappelle que le plan d'action en faveur de l'économie circulaire, présenté en 2020 par la Commission européenne, encourage la mise en oeuvre de « solutions en matière d'économie circulaire [...] taillées sur mesure pour les régions ultrapériphériques et insulaires ». Cependant, la confection desdites solutions laisse parfois à désirer.

Enfin, je tiens à me féliciter de l'adoption, mercredi dernier, par le Parlement européen, d'une résolution appelant à mieux tenir compte des spécificités des RUP dans les politiques européennes. Elle rappelle notamment « l'importance d'élaborer une stratégie locale de gestion des déchets qui tienne compte des transitions écologique et énergétique et de la protection de la biodiversité, et qui contribue au renforcement de l'économie circulaire dans les régions ultrapériphériques ». Je note que la position du Parlement européen rejoint les recommandations du rapport de la délégation aux outre-mer sur la nécessité d'une gouvernance consolidée qui permette de « prendre le virage d'une économie circulaire réaliste et adaptée aux contraintes propres des territoires ultramarins ».

Je remercie Marta de Cidrac pour l'aide éclairée qu'elle nous a apportée à l'aune de ses connaissances spécifiques, qui sont venues compléter notre regard sur le sujet.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. Le groupe d'études Économie circulaire du Sénat, que j'ai l'honneur de présider, a participé étroitement aux travaux de la délégation aux outre-mer sur la gestion des déchets dans les outre-mer.

J'avais d'ailleurs souligné à l'occasion de la publication du rapport que la question de l'adaptation de la réglementation de l'Union européenne sur les transferts de déchets pourrait être opportunément relayée par notre commission des affaires européennes. C'est chose faite à travers la proposition de résolution qui nous est soumise, ce dont je me félicite.

Les contraintes particulières des outre-mer, qui ne disposent pas de capacités suffisantes pour stocker, traiter et valoriser sur leurs territoires les déchets qu'ils produisent, obligent bien souvent ces territoires à exporter leurs déchets vers l'Hexagone, un autre État membre ou un pays tiers, en transitant ou non par un autre pays. Les exportations de déchets des outre-mer vers l'Hexagone et l'étranger ont d'ailleurs fortement augmenté au cours des vingt dernières années. Leur volume a presque doublé depuis la fin des années 2000. Au total, 90 % de ces exportations concernent des déchets non dangereux. Une majorité de ces déchets est envoyée vers l'Hexagone. C'est plus particulièrement le cas pour ceux qui proviennent de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane. C'est également le cas généralement pour les déchets dangereux.

Concernant les transferts de déchets, la proposition de résolution formule plusieurs recommandations. De tels mouvements au sein de l'Union européenne sont, en effet, régis par un règlement de 2006. Ce texte transpose, dans le droit de l'Union, les dispositions de la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination, adoptée le 22 mars 1989 et entrée en vigueur en France le 5 mai 1992, ainsi que la décision de 2001 de l'OCDE qui vise à contrôler les mouvements, entre pays de l'OCDE, de déchets destinés à des opérations de valorisation.

Une révision de ce règlement européen de 2006 a été proposée par la Commission européenne en novembre 2021. Elle vise à prévenir la pollution liée aux exportations de déchets, en particulier en dehors du continent européen, à encourager le développement de l'économie circulaire, en facilitant les transferts intra-européens, et à lutter contre les transferts illégaux de déchets qui représenteraient entre 15 % et 30 % des transferts.

La Commission européenne propose ainsi d'interdire toute exportation de déchets vers des pays tiers n'appartenant pas à l'OCDE, sauf si ces derniers en font la demande officielle et apportent la preuve que les déchets importés font l'objet d'une valorisation rationnelle sur le plan environnemental. L'objectif est d'éviter que des déchets ne soient importés par des pays qui ne disposent pas de moyens suffisants pour les traiter dans des conditions satisfaisantes sur les plans environnemental et sanitaire, et que ces transferts s'opèrent sans leur accord.

Le Parlement a proposé d'aller encore plus loin en interdisant les exportations de déchets plastiques vers les pays tiers, ce qui limiterait encore plus les transferts de déchets hors de l'Union européenne. Toutefois, il semblerait que cette mesure ne soit pas compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la décision de l'OCDE. La proposition de résolution s'inquiète d'un tel durcissement qui pourrait affecter plus particulièrement les outre-mer français dans la gestion de leurs déchets.

En raison de leur appartenance au territoire européen, les régions ultrapériphériques doivent se conformer au règlement relatif aux transferts de déchets, et doivent donc respecter ces procédures dès lors que, dans le cadre d'un transfert vers l'État membre dont elles ressortissent, les déchets transitent par un autre État membre ou par un pays tiers.

Initialement, le texte présenté par la Commission européenne ne contenait pas de dispositions particulières relatives à la situation des régions ultrapériphériques en matière de transfert de déchets. Lors des discussions au Conseil, la France a proposé un assouplissement des procédures pour les régions ultrapériphériques et a plaidé pour faciliter les transferts de déchets entre deux territoires d'un même État membre transitant par un autre État membre.

Il convient de relever que le cadre européen ne permet d'agir que sur les pays de l'Union. La demande française était motivée par les difficultés rencontrées, au cours des derniers mois, par certains départements d'outre-mer lors d'opérations de transfert de déchets nécessitant un transit par d'autres États membres ; certains s'étant montrés très pointilleux dans l'instruction des dossiers, ce qui contribuait à allonger la durée des trajets maritimes.

Notre pays s'est trouvé isolé sur cette problématique. Elle ne concernait, en effet, que les RUP françaises, du fait de l'éloignement géographique des territoires en question. Force est de reconnaître que la France peine à obtenir des dérogations sur ce fondement. Le Sénat le déplore d'ailleurs de longue date.

Les autorités françaises ont ainsi demandé que les autorités de transit disposent d'une durée d'instruction plus courte des demandes de transfert - trois jours avaient été suggérés dans un premier temps, au lieu de trente selon les règles actuelles -, durée au terme de laquelle l'accord tacite de l'autorité de transit serait réputé acquis. Finalement, le Conseil a retenu un délai de sept jours, sur proposition de la présidence suédoise. Cette disposition paraît relativement équilibrée au regard des enjeux et nous vous proposons de soutenir le maintien de cette mesure dans le texte définitif.

J'indique également qu'un amendement reprenant la position française, déposé par des eurodéputés français, a été introduit lors du vote en séance plénière, le 16 janvier, sur cette révision du règlement au Parlement européen. Un premier trilogue s'est déjà tenu le 31 mai. Les réunions techniques entre le Conseil et le Parlement européen devraient se poursuivre au mois de juillet. Cette avancée obtenue par la France peut, certes, paraître relativement modeste au regard des enjeux des outre-mer dans ce domaine. Je tiens toutefois à rappeler que l'Union européenne ne dispose pas de marge de manoeuvre pour agir sur les pays d'importation et de transit en dehors de son territoire. Dans ce contexte, c'est la Convention de Bâle qui s'applique.

C'est pourquoi la proposition de résolution invite le Gouvernement à ouvrir des discussions dans le cadre de cette convention internationale, afin de conclure des accords régionaux pour le traitement des déchets des outre-mer français. Le chef du pôle national des transferts transfrontaliers de déchets (PNTTD) nous a indiqué, lors de son audition, qu'un dialogue s'était engagé en application du traité pour permettre l'ouverture d'un groupe de travail sur le consentement préalable, piloté par la France.

Plus généralement, la proposition de résolution européenne invite l'Union européenne, sur le fondement de l'article 349 du TFUE, à adapter les règlements en vigueur et à venir aux contraintes particulières des outre-mer pour y faciliter la gestion des déchets et y encourager l'économie circulaire.

Mes chers collègues, pour l'ensemble des raisons que nous venons d'exposer, nous vous proposons de compléter cette proposition de résolution européenne, dont nous partageons l'ambition : outre quelques modifications rédactionnelles et d'harmonisation, nous suggérons un certain nombre d'ajouts qui permettent de mieux en préciser la dimension européenne et d'en actualiser le contenu.

Mme Viviane Malet. - Je remercie Gisèle Jourda et Marta de Cidrac des travaux que nous avons menés ensemble.

Les outre-mer accusent un retard majeur en matière de gestion des déchets. Le taux d'enfouissement y est très élevé et la valorisation énergétique quasi inexistante. De plus, ces territoires manquent d'équipements, pour des raisons climatiques et géographiques, liées à leur éloignement. La situation varie toutefois d'un bassin à l'autre.

Les objectifs de collecte et de traitement des déchets inscrits dans la réglementation pour ces territoires sont largement calqués sur ceux de l'Hexagone et de l'Union européenne. Cette réglementation n'a pas été conçue pour des territoires insulaires et isolés, qui sont parfois très éloignés d'un État membre de l'OCDE. Elle ne tient pas compte non plus du retard qu'ils ont pris. Cela ne facilite pas la coopération régionale avec les îles proches, dont le statut juridique est différent. Il faut donc adapter la législation, dans tous ces domaines, aux spécificités des outre-mer. L'impact de cette mesure pour l'Europe sera minime, mais il sera considérable pour nos territoires.

Nous espérons qu'une suite favorable sera donnée à la présente proposition de résolution européenne.

M. Jacques Fernique. - Le rapport que vous avez présenté m'a convaincu que les carences des outre-mer en matière de gestion des déchets - variables selon les territoires - ne tiennent pas à un manque de volonté des élus concernés, mais à la mise à l'épreuve, dans des conditions disparates, de nos politiques publiques à l'aune des caractéristiques propres aux outre-mer : l'insularité, les difficultés de collecte, ou encore la surexposition aux risques naturels.

La recommandation n° 23 de votre rapport plaide pour une adaptation des aides européennes aux outre-mer.

Je retiens deux idées fortes de la série de recommandations que vous présentez. La première tend à réhausser l'exigence de notre système de responsabilité élargie des producteurs (REP), afin que les éco-organismes soient tenus par des objectifs territoriaux. La seconde vise à fournir aux outre-mer les moyens de répondre à la forte hausse des coûts nécessaires à la collecte et au traitement de leurs déchets - qui ne tient pas à une mauvaise gestion, mais à des conditions de réalisation difficiles. Ces coûts reposent, en outre, principalement sur les contribuables. Un représentant de l'association Amorce que vous avez entendu en audition a ainsi souligné qu'un centre de tri ne se montait pas aussi aisément en outre-mer qu'en région parisienne.

Le rapport recommande par ailleurs de prolonger les dispositifs européens de prise en charge des particularités des RUP existantes et d'adapter les réglementations afin d'accroître l'utilisation des aides européennes. Ces dernières sont, en effet, souvent peu sollicitées en raison de la complexité des montages de dossiers requis.

La proposition de résolution européenne qui nous est présentée, et qui développe la recommandation n° 23 du rapport, me paraît tout à fait appropriée. L'idée n'est pas de maintenir un régime spécial pour prolonger les retards pris dans les outre-mer au regard de nos objectifs européens, mais au contraire de chercher à les rattraper en adaptant les bons dispositifs aux spécificités de ces territoires.

Mme Viviane Malet. - Nous avions préconisé dans notre rapport d'imposer une taxation particulière aux éco-organismes, mais les douanes ne peuvent pas nous communiquer la part de leur activité qui est consacrée au traitement des déchets ultramarins.

M. Jean-François Rapin, président. - Les douanes ne sont-elles pas capables d'établir ces données ?

Mme Viviane Malet. - Nous ne savons pas si elles sont incapables de les établir ou si elles ne souhaitent pas nous y donner accès.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - La question de la gestion des déchets touche au problème majeur de la différenciation, qu'avait bien perçu notre ancien collègue Michel Magras. Il existe des absurdités géographiques que nous nous devons d'effacer. À titre d'exemple, l'obligation de faire transiter certains déchets par Papeete pour éviter d'en passer par des contrats d'association avec des pays situés en dehors de notre périphérie, que nous a citée notre collègue Lana Tetuanui à propos de la Polynésie française, est un non-sens, a fortiori compte tenu de nos engagements environnementaux.

Je tiens à saluer Viviane Malet pour notre collaboration, qui nous a tous enrichis.

M. Jean-François Rapin, président. - Lorsque j'étais président de l'Association nationale des élus du littoral (Anel), j'avais organisé une assemblée générale décentralisée à La Réunion sur le thème suivant : « Les outre-mer, exemple pour l'Hexagone ? ». On trouve en effet dans ces territoires les mêmes difficultés qu'en métropole, mais concentrées dans un espace souvent restreint.

Pour ce qui concerne la transition verte, nous n'en sommes pas à un paradoxe près, y compris chez ceux qui la soutiennent.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Je me réjouis que la commission des affaires européennes se soit saisie de la question des déchets dans les outre-mer, car j'ai eu pendant longtemps le sentiment qu'il s'agissait d'un périmètre oublié en raison de son éloignement. On s'imaginait, en outre, qu'il était possible, puisqu'il s'agissait d'un espace européen, d'y appliquer strictement les règles européennes sans tenir aucun compte de leurs caractéristiques propres, l'espace contraint dû à l'insularité, notamment.

Nous avons là un travail intéressant à relayer. Il faut que l'Union européenne entende ces voix ultramarines spécifiques à la France, d'autant que l'Union dispose grâce à cela d'un espace maritime non négligeable, qui mérite que l'on s'y intéresse, et qui est d'autant plus stratégique au vu des évolutions géopolitiques que nous vivons.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. La France est un peu marginalisée sur cette question en Europe, cette problématique n'étant pas partagée par la plupart des autres États membres.

La commission a autorisé la publication du rapport et a adopté la proposition de résolution européenne ainsi modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE SUR LA GESTION DES DÉCHETS DANS LES OUTRE-MER

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 175 à 178, 192 et 349 du traité de fonctionnement sur l'Union européenne (TFUE),

Vu la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, entrée en vigueur le 5 mai 1992,

Vu le règlement (CE) n° 1013/2006 du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets,

Vu le règlement (UE) 2021/1058 du Parlement européen et du conseil du 24 juin 2021 relatif au Fonds européen de développement régional et au Fonds de cohésion,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux transferts de déchets et modifiant les règlements (UE) n° 1257/2013 et (UE) 2020/1056, COM(2021) 709,

Vu le mandat de négociation adopté par le Conseil, le 24 mai 2023, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux transferts de déchets et modifiant les règlements (UE) n° 1257/2013 et (UE) 2020/1056,

Vu le rapport du Parlement européen, adopté le 17 janvier 2023, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux transferts de déchets et modifiant les règlements (UE) n° 1257/2013 et (UE) 2020/1056,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 3 mai 2022 intitulée : « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union», COM(2022) 198 final,

Vu le mémorandum conjoint des Régions Ultrapériphériques intitulé : « Pour un nouvel élan dans la mise en oeuvre de l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne », publié en mars 2017,

Vu le document de position commune aux trois États membres et aux neufs Régions Ultrapériphériques, publié dans le cadre de l'actualisation du partenariat stratégique de la Commission européenne avec les Régions Ultrapériphériques, le 19 janvier 2022,

Vu le premier paquet de mesures du nouveau plan d'action en faveur de l'économie circulaire (nCEAP), présenté par la Commission européenne, le 30 mars 2022, qui vise à renforcer l'écoconception des produits, en élargissant la gamme des produits visés et en renforçant les exigences en la matière,

Vu l'article 209 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte,

Vu le rapport d'information n° 195 (2022-2023) de Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, le 8 décembre 2022,

Considérant que le flux croissant de déchets défigure les paysages, altère les conditions de vie et détruit la biodiversité ;

Considérant les retards et les manquements majeurs en matière de gestion des déchets et l'ampleur de l'urgence sanitaire et environnementale induite, la nécessité d'un rattrapage massif par rapport à l'Hexagone et le besoin de politiques volontaristes et durables axées sur l'économie circulaire et la valorisation énergétique ;

Considérant que cette crise des déchets est liée, d'une part, à un taux d'enfouissement écrasant, un taux de valorisation faible et une valorisation énergétique quasi nulle, et d'autre part, à des gisements importants qui échappent aux flux de collecte (déchets des quartiers informels, dépôts sauvages ou décharges illégales), sans compter les stocks historiques de véhicules hors d'usage abandonnés qui ne sont pas résorbés à ce jour ;

Considérant l'urgence sanitaire dont font état les outre-mer du fait des maladies favorisées par cette situation ;

Considérant que les outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française et que l'asphyxie des forêts tropicales (mangroves) par les déchets menace les espèces présentes ;

Considérant les vingt-six propositions dans tous les domaines - financements, coûts, gouvernance, ingénierie, coopération régionale, filières à responsabilité élargie des producteurs (REP), modes de collecte et de traitement... - figurant dans le rapport d'information du Sénat n° 195 (précité) afin de lutter contre ce fléau ;

Sur le financement européen du traitement des déchets et sur la pérennité des aides européennes

Considérant que, dans le cadre de la programmation 2021-2027, les fonds européens prévoient des adaptations pour les régions ultrapériphériques en application de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Considérant l'enjeu déterminant que représente le maintien d'un taux de cofinancement majoré dans les RUP, ces collectivités manquant de fonds propres ;

Demande que les adaptations en vigueur des règles relatives aux fonds européens pour la période 2021-2027 au bénéfice des RUP soient préservées et reconduites pour la prochaine période, en particulier celles permettant :

- de continuer à y financer des équipements structurants de base comme les centres, les incinérateurs ou les déchetteries ;

- d'y assouplir l'application de la « concentration thématique », c'est à-dire l'obligation faite aux États membres et aux régions d'utiliser prioritairement les crédits européens au service de l'objectif stratégique de « transformation économique innovante et intelligente », qui n'est pas adaptée aux besoins de rattrapage structurel des RUP françaises ;

- de conserver des taux de cofinancement de 85 % ;

Demande que ces adaptations soient reconduites après 2027 ;

Attire l'attention sur d'éventuelles difficultés de versement des aides européennes en raison de l'impossibilité des RUP d'atteindre les objectifs européens de recyclage ou de valorisation fixés par le « Paquet Économie Circulaire » de 2018, transposé par la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, ce qui pourrait avoir un impact sur leur accès aux fonds européens ;

Sur les transferts de déchets vers et hors de l'Union européenne

Considérant que la Convention de Bâle ainsi que la décision de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE), dont les dispositions ont été introduites dans le droit de l'Union, encadrent strictement les transferts de déchets dangereux à des fins de traitement entre pays de l'OCDE ;

Considérant que la Convention de Bâle autorise les accords régionaux de transferts de déchets entre États, tant qu'ils sont compatibles avec la gestion écologiquement rationnelle des déchets (dangereux et autres) ;

Souligne que cet encadrement strict des transferts de déchets dangereux, conçu pour s'appliquer à de grandes économies développées fortement connectées (l'Union européenne, le Japon, les États Unis, l'Australie), est inadapté et surdimensionné pour des petits territoires insulaires, éloignés des principales routes commerciales et produisant des quantités infinitésimales de tels déchets ;

Regrette que l'accord politique intervenu au Conseil, concernant la révision du règlement sur les transferts de déchets, ne prévoit pas d'adapter les conditions d'exportation des déchets hors de l'Union européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques, en particulier leur éloignement géographique ;

Salue l'introduction, proposée par le Conseil et le Parlement européen, dans la proposition de règlement sur les transferts de déchets, d'une disposition favorable aux transferts de déchets entre une région ultrapériphérique et l'Etat membre dont elle ressort, à savoir la réduction, en cas de transit par un État membre, du délai au terme duquel le consentement tacite de cet État peut être présumé, ce qui contribuera à faciliter les exportations de déchets des outre-mer vers l'Hexagone, et appelle, en conséquence, à maintenir cette mesure dans le texte final ;

S'inquiète également des discussions en cours sur la révision du règlement sur les transferts de déchets qui pourraient encore durcir les conditions d'exportation des déchets hors de l'Union européenne, y compris s'agissant des déchets non dangereux et recyclables comme les plastiques ;

Appelle à tenir compte des spécificités des régions ultrapériphériques lors des prochaines révisions des règles européennes en vigueur afin de faciliter les exportations des déchets des outre-mer, notamment dans leur environnement régional, dans le respect de la Convention de Bâle ;

Affirme qu'une facilitation des transferts de déchets dans l'environnement régional n'est pas contradictoire avec la stratégie de développement de filières locales de traitement, qui peut permettre une massification des flux à l'échelle régionale ;

Estime indispensable de garder ouverts des exutoires potentiels pour les déchets des outre-mer, dans l'hypothèse de la survenue de crises imprévues exigeant d'exporter les déchets, sous réserve de s'assurer que les conditions de traitement dans les pays tiers de réception sont équivalentes à celles en vigueur dans l'Union européenne ;

Invite à ouvrir des négociations, afin de conclure des accords régionaux pour le traitement des déchets des outre-mer français, dans le cadre de la Convention de Bâle ;

Appelle plus généralement l'Union européenne, sur le fondement de l'article 349 du TFUE, à adapter les règlements en vigueur et à venir aux contraintes particulières des outre-mer pour y faciliter la gestion des déchets et y encourager l'économie circulaire ;

Invite le Gouvernement à défendre ces orientations au Conseil.

LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/tableau-historique/ppr22-627.html

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

MM. Nicolas ENCAUSSE, conseiller Économie circulaire et déchets, substances chimiques, qualité de l'air, émissions des véhicules et carburants, et Théo BARBE, conseiller Politique maritime intégrée, point de contact COMAR, à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne ;

M. Jean-Luc OURY, chef du pôle national des transferts transfrontaliers de déchets, à la direction générale de la prévention des risques (DGPR) au sein du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.


* 1 Rapport d'information n° 195 (2022-2023) de Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, le 8 décembre 2022, relatif aux déchets dans les outre-mer.

* 2 Leur statut est défini à l'article 198 du TFUE. Les PTOM français sont : la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, les Terres australes et antarctiques française et Wallis-et-Futuna.

* 3 Article 112 du Règlement (UE) 2021/1060 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen plus, au Fonds de cohésion, au Fonds pour une transition juste et au Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture, et établissant les règles financières applicables à ces Fonds et au Fonds «Asile, migration et intégration», au Fonds pour la sécurité intérieure et à l'instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas.

* 4 Article 7 du règlement (UE) 2021/1058 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 relatif au Fonds européen de développement régional et au Fonds de cohésion.

* 5 Directive n° 2008/98/CE du 19/11/08 du Parlement européen et du Conseil relative aux déchets et abrogeant certaines directives.

* 6 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 3 mai 2022 intitulée : « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union », COM(2022) 198 final.

* 7 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 11 mars 2020 intitulée : « Un nouveau plan d'action pour une économie circulaire - Pour une Europe plus propre et plus compétitive », COM (2020) 98 final.

* 8 Résolution du Parlement européen du 13 juin 2023 sur l'évaluation de la nouvelle communication de la Commission relative aux régions ultrapériphériques.

* 9 L'économie verte dans les outre-mer - Études thématiques n° 554 - mars 2019 - Institut d'émission des départements d'outre-mer.

* 10 Règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets.

* 11 Décision C(2001)107/final du Conseil de l'OCDE concernant la révision de la décision C(92)39/final sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets destinés à des opérations de valorisation.

* 12 Règlement (CE) n° 1418/2007 de la Commission du 29 novembre 2007 concernant l'exportation de certains déchets destinés à être valorisés, énumérés à l'annexe III ou IIIA du règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil vers certains pays auxquels la décision de l'OCDE sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets ne s'applique pas.

* 13 Rapport sur le devenir des déchets exportés à l'étranger par la France - Ministère de la transition écologique - Conseil général de l'environnement et du développement durable - Février 2022.

* 14 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux transferts de déchets et modifiant les règlements (UE) nº 1257/2013 et (UE) 2020/1056, COM (2021) 709 final.

* 15 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulé « Un nouveau plan d'action pour une économie circulaire - Pour une Europe plus propre et plus compétitive », COM/2020/98 final